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Capillarité, notion de tension de surface

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Nous avons jusque-là considéré le cas d’un écoulement monophasique. En pré-sence de deux phases liquide/liquide ou liquide/gaz immiscibles, il importe de décrire avec précision les mécanismes physiques mis en jeu à l’interface. Bien que nous nous soyons pour l’instant placés dans l’approximation d’un milieu continu, la notion même d’interface entre deux fluides justifie que l’on regarde de plus près le com-portement des molécules situées de part et d’autre d’une interface, ne serait-ce que pour justifier certains faits, dans la nature ou la vie quotidienne, que l’équation de Navier-Stokes ne parvient pas à décrire et à expliquer (Fig. 1.2) : entre autres, comment un gerris7 ou une petite pièce de monnaie peuvent arriver à flotter sur

5. Du nom du savant britannique Isaac Newton (1642-1727).

6. Daniel Bernoulli (1700-1782), médecin, physicien et mathématicien suisse.

7. Petit insecte couramment surnommé « patineur des étangs ».

1. ÉCOULEMENTS AUX « PETITES » TAILLES 9

Figure 1.2: Divers phénomènes capillaires inspirés de la nature et de la vie quoti-dienne. La photo représentant le scarabée est adaptée de [6].

l’eau, malgré une poussée d’Archimède généralement inférieure à leur poids ? Quelle force défiant la pesanteur permet au café d’imbiber le morceau de sucre, ou à un liquide de remonter dans un capillaire très fin, de même que l’eau dans les plantes ? Comment un scarabée de 13mg arrive à supporter une masse de 2g [6] ?

1.3.1 Explication à l’échelle moléculaire

Considérons pour l’exemple un verre d’eau surmonté par l’air ambiant, ou par une couche d’huile déposée à sa surface. Chaque molécule d’eau est soumise aux interactions exercées de la part de ses consœurs. L’allure typique de l’énergie po-tentielle Ep en fonction de la distance r séparant deux molécules est illustrée sur la figure 1.3. Celle-ci comprend deux tendances principales :

– un caractère violemment répulsif à courte distance, heuristiquement en1/r12, notamment dû au principe de Pauli empêchant les électrons de se rapprocher indéfiniment,

– un caractère attractif à longue distance, typiquement en −1/r6, responsable de la cohésion générale du liquide.

En comparant le cas d’une molécule dans le volume et une molécule au niveau de la surface, nous remarquons que celle située en surface possède environ une moitié de voisines en moins. En supposant que les interactions avec la seconde phase soient moindres que celles au sein du même liquide, ces molécules vont donc ressentir une résultante des forces non nulle et dirigée vers l’intérieur du liquide. Le système est ainsi animé d’une volonté de minimiser l’interface qu’il partage avec l’autre phase en présence, l’air ou l’huile, l’état le plus favorable d’un point de vue énergétique correspondant, par la déformation du liquide, à la minimisation de l’aire de cette

in-CHAPITRE 1. LA MICROFLUIDIQUE : FONDEMENTS ET CONTEXTE

Figure 1.3: Allure schématique du potentiel d’interaction entre deux molécules identiques dans un liquide.

terface8. En prenant l’exemple d’une bulle de savon dans l’air, l’interface liquide/air fermée entourant un volume d’airfixé est minimale lorsque sa forme est sphérique : ce point, loin d’être trivial mathématiquement, est en heureux accord avec notre ex-périence quotidienne en lavant la vaisselle ou en prenant un bain. Nous définissons alors la tension de surface9 γ comme le prix énergétique à payer pour augmenter l’aire de l’interface d’une unité10 :

γ = dE

dS. (1.13)

Cette quantité, intrinsèque à toute interfacefluide, est la conséquence macroscopique d’effets moléculaires11, et se révèlera aufil des chapitres comme le véritablefil rouge de ce manuscrit. Son ordre de grandeur peut être directement évalué à l’échelle moléculaire, à l’aide des ordres de grandeur typiques d’énergie de cohésion dans un liquideεet de taille moléculairea(Fig. 1.3). Poura�3Å, et une énergie de cohésion valant environ kBT avec une température T = 300 K, il vient :

γ ∼ kBT

a2 �50 mJ.m2. (1.15)

8. Ce point fait également écho aux diverses formes prises par un film de savon dans l’air [7], exhibant des surfaces minimales au sens le plus mathématique du terme ; nous aurons l’occasion d’y revenir dans la seconde partie.

9. Historiquement, ce principe a été postulé pour la première fois par von Segner [8] en 1751, en lien avec ses observations et celles de ses prédécesseurs Hauksbee [9] (1709) et Jurin [10] (1719).

10. Cet apport d’énergie est par exemple d’origine mécanique lorsque l’on bat des blancs en neige. L’air incorporé dans les blancs d’œufs leur apporte une texture mousseuse et aérienne, faisant clairement apparaître l’accroissement de surface liquide/air engendré. Ce procédé intervient dans la confection de nombreuses recettes salées et sucrées.

11. Toujours en lien avec les propriétés de cohésion des liquides, la tension de surface peut également être reliée à la chaleur latente de vaporisation, grandeur thermodynamique quantifiant l’énergie par unité de masse à fournir au liquide pour lui permettre de passer à l’état gazeux. De fait, pour extraire une molécule d’eau de la phase liquide, il faut, en plus de l’amener à la surface, lui retirer la seconde moitié de ses semblables, et ainsi lui fournir une énergie de l’ordre de :

2γa2ρa3Lv, (1.14)

avec Lv la chaleur latente de vaporisation. Malgré la simplicité de cette approche, les ordres de grandeur sont relativement satisfaisants.

1. ÉCOULEMENTS AUX « PETITES » TAILLES 11

lorsque nous en aurons besoin dans la suite de ce manuscrit. Souvenons-nous seule-ment que les effets capillaires deviennent prédominants à mesure que les dimensions du système sont réduites. Cet effet peut se comprendre en remarquant que l’énergie de surface, variant comme �2, excède automatiquement toute énergie en �4 associée à une force « dans le volume » en-dessous d’une certaine taille. En considérant par exemple la pesanteur, les effets commenceront à devenir du même ordre pour une taille κ1 définie par comparaison des énergies :

γκ2 ∼ρgκ4, (1.16)

κ−1

� γ

ρg. (1.17)

κ−1 est la longueur capillaire, et vaut 2.7 mm pour une interface eau/air à tem-pérature ambiante. Voici pourquoi tous les phénomènes capillaires observés sur la figure 1.2 mettent en jeu des échelles de longueur inférieures, ou tout au plus de l’ordre du millimètre. De façon remarquable, ceci se généralise à une interface li-quide/air quelconque, la quantité�

γ/ρvariant peu d’un liquide à l’autre. Discutons à présent les dépendances de la tension de surface avec la température et la présence de surfactants.

1.3.2 Influence de la température T

De façon générale, la tension de surface γ est une fonction décroissante de la température12. En raisonnant de façon simple, l’agitation thermique a tendance à augmenter le mouvement des molécules, venant ainsi diminuer l’effet d’attraction sur les molécules en surface, l’état énergétique de ces dernières est de fait moins défavorable. Lorsque la température caractéristique du point critique Tc est atteinte (Tc = 374C pour l’eau par exemple), les états liquide et gazeux se confondent en une seule et même phase, qualifiée de «fluide hypercritique » : de fait, la chaleur latente de vaporisation s’annule, la tension de surface également, comme intuité par la relation 1.14.

1.3.3 Influence de la présence de surfactants

Il est connu expérimentalement que la présence d’impuretés a une grande in-fluence sur la mesure d’une tension de surface liquide/air. Ceci se justifie de

nou-12. Remarquons que cette variation peut paraître contradictoire avec l’équation 1.15. Retenons que l’estimation faite au paragraphe précédent permet de tirer une valeur typique de la tension de surface, mais n’est pas indicatrice de son sens de variation avec la température, ceci nécessitant une approche thermodynamique beaucoup plus fine. En ce sens, il existe dans la littérature plusieurs modèles différents, dépendant notamment du système étudié, afin de décrire la décroissance de γ(T)[12, 7].

CHAPITRE 1. LA MICROFLUIDIQUE : FONDEMENTS ET CONTEXTE GÉNÉRAUX veau au niveau moléculaire : la migration des impuretés à la surface peut changer de façon notable l’énergie d’interaction ressentie par les molécules en surface, et a tendance à stabiliser ces molécules, correspondant encore à un abaissement de la tension de surface13. Certaines molécules, connues pour diminuer de façon dras-tique la tension de surface (parfois jusqu’à un facteur3−4), sont à ce titre qualifiées de tensioactifs, ou surfactants. C’est notamment le cas des produits moussants de la vie quotidienne (savons, produits vaisselle), mais aussi des molécules biologiques présentes dans le corps humain (lipides, phospholipides, protéines). Ces molécules

c

-Figure1.4: (a) Formule topologique du dodécylsulfate de sodium (SDS), surfactant utilisé dans la suite du manuscrit. La représentation schématique fait apparaître une longue chaîne aliphatique hydrophobe et une tête polaire hydrophile. (b) Évolution typique de la tension de surface γ en fonction de la concentration c en surfactant.

Aux faibles concentrations devant la concentration micellaire critique (CMC), les surfactants se retrouvent uniquement à l’interface, la tension de surface décroît avec la concentration. Aux fortes concentrations devant la CMC, l’interface est saturée en tensioactifs, les surfactants en excès se regroupent en micelles sphériques dans le volume liquide, γ ne varie plus avec c.

détiennent un caractère amphiphile (Fig. 1.4 (a)), puisqu’elles contiennent à la fois une longue chaîne constituée d’un squelette carboné hydrophobe, ainsi qu’une tête constituée d’un groupement carbonyle hydrophile. Une fois mis en solution, les ten-sioactifs ont naturellement tendance à rejoindre l’interface liquide/air, la tête située dans le liquide, leur chaîne hydrophobe située dans l’air, de façon à satisfaire leurs

« tendances bipolaires » (Fig. 1.4 (b)). Ces molécules viennent donc « tapisser » l’in-terface et côtoyer les molécules d’eau situées en surface : la position de ces dernières ne devient alors plus si défavorable, et la tension de surface diminue. Comme ce mécanisme de peuplement est un phénomène de surface, il arrive un moment où le rajout de surfactant ne modifie plus la tension de surface. Lorsque la solution est

13. Nous nous limitons à l’étude de l’état d’équilibre du système, et négligeons en conséquence les dynamiques d’adsorption/désorption des tensioactifs à l’interface [13, 14, 15, 16].

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