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LE CANCER CUTANE

8.1. Les études animales

Lu et al. (2002) [65] ont évalué l’effet protecteur d’une application topique de caféine ou d’EGCg contre les cancers épidermiques UVB-induits sur des souris SKH-1, utilisées pour la recherche dermatologique. Elles permettent une simulation du risque de développement d’un cancer cutané chez un humain exposé dès son jeune âge et avec une fréquence élevée les années qui suivent aux rayons UVB.

Les mécanismes d’action proposés par les chercheurs sont d’un côté, l’induction de l’apoptose, détectée par le nombre de cellules caspase 3-positives. La caspase 3 est une protéine induisant l’apoptose par clivage de certaines protéines intracellulaires.

D’autre part, ils ont avancé l’hypothèse d’une inhibition de la réplication génique, et donc de la croissance tumorale, détectée par incorporation, lors de la phase S, de l’analogue de la thymidine, la BrdUrd ou bromodeoxyuridine dans les brins d’ADN. La présence de BrdUrd est mise en évidence par son anticorps monoclonal correspondant.

Les souris SKH-1 ont été irradiées deux fois par semaine pendant 20 semaines par une dose de 30 milli joules (mJ)/cm² de rayons UVB de longueur d’onde de 280 à 320 nanomètres (nm). Trois semaines après la fin des irradiations débutèrent les applications de caféine ou d’EGCg (originaire de Thomas J. Lipton) solubilisées dans de l’acétone cinq jours par semaine pendant une durée de 18 semaines.

Les souris ont été divisées en trois groupes : le groupe témoin auquel on applique 100 µL d’acétone, et les groupes 1 et 2 recevant respectivement 1,2 mg de caféine ou 3,0 mg d’EGCg dans 100 µL d’acétone en application locale. On peut dire que 3 mg d’EGCg en application locale correspondent à une administration orale de 40% de catéchine pure ou d’une infusion de 6 mg de thé par mL.

L’évaluation des résultats montre une diminution du nombre des tumeurs, une diminution de la prolifération cellulaire et une stimulation de l’apoptose.

En effet, après 12 semaines de traitement local, le nombre de tumeurs est de 1,3 et 0,8 respectivement dans les groupes 1 et 2 versus 4,5 dans le groupe témoin. Six semaines plus tard, les souris témoins ont développé 6,9 tumeurs, réduites au nombre de 3,6 et 2,5 dans les groupes 1 et 2. Pour résumer, le nombre des tumeurs est réduit de 66 à 72%, et leur volume de

50 à 56%. On peut conclure que l’activité antitumorale de la catéchine est légèrement supérieure.

D’autre part, l’application locale de caféine ou d’EGCg diminue l’intégration des unités BrdUrd dans les brins d’ADN, détectée par les anticorps monoclonaux, de 16 à 22 % au niveau des zones tumorales et de 36 à 41% au niveau des zones d’hyperplasie épidermique. Les extraits de thé ont donc un effet inhibiteur de la prolifération tumorale.

Enfin, l’induction de l’apoptose est évaluée par le pourcentage des cellules caspase 3-positives, protéine exprimée exclusivement au niveau des cellules dysplasiques ou tumorales de l’épiderme. Au bout de 18 semaines, 92% des cellules traitées par la caféine et 56% des cellules traitées par l’EGCg sont positives, ce qui suggère que la caféine serait ici la molécule clé. Ces résultats sont confirmés par une étude consistant en l’application locale de concentrations équivalentes des mêmes molécules pendant 3 ou 14 jours, à des souris à haut risque de développer un cancer épidermique. La caféine induisait 68% ou 74% d’apoptose, tandis que les effets de l’EGCg étaient nuls.

Mittal et al. [72] (2003) se sont basés sur les résultats d’études antérieures, suggérant que l’utilisation de solvants organiques comme l’acétone, pour solubiliser les catéchines n’est pas adaptée pour des études humaines. Dvorakova et al. (1999) ont montré que l’application topique d’une crème hydrophile à laquelle est incorporé de l’EGCg, permet l’absorption d’une grande quantité de catéchine au niveau de la peau. Ces observations sont reprises par Mittal et

al., qui ont appliqué 1 mg/cm² de crème hydrophile, dont l’absence de toxicité a été

déterminée antérieurement sur la peau de souris nues SKH-1.

Les souris sont divisées en deux groupes, le premier servant de témoin pour la crème hydrophile, et le deuxième étant traité par la crème hydrophile additionnée d’EGCg : les applications sont réalisées pendant 14 jours, 20 à 25 minutes avant une irradiation avec 180 mJ/cm² de rayons UVB de longueur d’onde de 290 à 320 nm. Les dix jours qui suivent, les deux groupes de souris sont irradiées par la même dose d’UVB pour simuler l’initiation tumorale, suivie d’une irradiation trois fois par semaine pour induire la promotion tumorale. En effet les rayons UVB induisent aussi bien des mutations, déclenchant les trois stades de développement tumoral.

Les buts de l’expérience sont l’étude de l’influence de la crème sur l’incidence tumorale, la multiplication et la croissance tumorale, ainsi que la transformation de papillomes bénins en carcinomes cutanés.

L’hypothèse suivante a été posée : la cancérogenèse est initiée par l’hypométhylation ou l’hyperméthylation du dinucléotide cytidine-guanine, pouvant conduire à la non expression des gènes suppresseurs de tumeurs, l’expression d’oncogènes ou des dérégulations lors de l’étape de transcription du matériel génique en protéines. La réaction, à caractère réversible, est médiée par l’ADN méthyltransférase, enzyme catalysant le transfert d’un groupement méthyle de la S-adénosyl-L-méthionine sur la cytosine du dinucléotide précédemment cité. Il est intéressant de noter ici, que cette méthylation est caractéristique des cancers de la peau, du colon, de la prostate, du sein et du poumon.

Les résultats suivants ont été observés :

Après 24 semaines de traitement, l’incidence tumorale est diminuée de 60% dans le deuxième groupe, alors qu’elle s’élève déjà à 100% lors de la 24ème semaine pour les souris témoins. Le nombre de tumeurs comptées à la fin de l’expérience est de 48 pour les souris traitées par l’EGCg, versus 360 pour le groupe témoin. D’autre part, le volume tumoral est diminué et la période de latence avant apparition des tumeurs est accrue dans le deuxième groupe de souris. Outre le développement tumoral, les chercheurs ont étudié l’influence de la crème d’EGCg sur l’évolution des papillomes en carcinomes cutanés, initiée par des modifications génomiques, causées par divers facteurs inducteurs de tumeur. Au bout de la 23ème semaine de traitement, 80% des papillomes dans le groupe 1, par rapport à 20% dans le deuxième groupe ont évolué. L’EGCg inhibe également le développement des carcinomes cutanés déjà formés. L’exposition soutenue de la peau à des rayons UVB conduit à l’infiltration cutanée de lymphocytes pro-inflammatoires, la formation d’oedèmes et l’augmentation du nombre de couches de kératinocytes, modifications prédisposant la peau à des malformations, mais inhibées par l’application locale d’EGCg. En effet, l’inflammation chronique provoquée par les UVB est un facteur déclenchant de la promotion tumorale, qu’il est nécessaire d’enrayer. De plus, des tests immunohistochimiques permettent d’étudier l’influence des UVB et de la catéchine sur la méthylation des dinucléotides, même si le mécanisme d’action de l’EGCg n’est pas encore connu. Après 30 semaines d’étude, les résultats montrent une hypométhylation 5-méthyle spécifique, qui sera réduite de 69% par l’application d’EGCg avant chaque séance d’UVB. De plus, l’analyse d’homogénats de peau après la fin de l’expérience indique une réduction de la méthylation de novo par des isoformes de l’ADN méthyltransférase de sites chromosomiques non affectés précédemment.

Ces observations nous indiquent une possible voie pour prévenir efficacement la cancérogenèse.

Finalement, les chercheurs ont découvert que l’application locale d’EGCg permet une diminution de la masse grasse totale des souris : ils en déduisent une possible relation avec l’effet anticancéreux de l’EGCg. En effet, il semble que la catéchine diminue les taux d’ acide arachidonique dans le tissu graisseux, diminuant par la suite la synthèse des prostaglandines et de leurs métabolites, jouant éventuellement un rôle dans le développement de cancers épidermiques.

Wang et al. (1991) ainsi que Gemsler et al. (1996) [7] montrent que les polyphénols du thé en application locale ou administration orale, inhibent la cancérogenèse cutanée UV-induite. Par contre, la nature des polyphénols ainsi que leurs doses ne sont pas précisées.

En conclusion, on peut retenir une action préventive et curative prometteuse de la caféine et surtout de l’EGCg dans les cancers épidermiques. Toutefois, ces hypothèses doivent encore être confirmées dans des études épidémiologiques.

8.2. Une étude humaine

Zhao et al. [120] ont rapporté en 1998, que l’application locale de 0,2 mg/m² d’extrait standardisé de thé vert ou noir, 30 minutes avant exposition aux rayons UVB, constituait une protection dose-dépendante contre la formation d’un érythème solaire.

De plus, l’inflammation locale induite par les UVB était réduite par une deuxième application d’extrait 5 minutes après l’exposition.

Malheureusement, l’étude ne précise pas la composition exacte de l’extrait standardisé, ni l’importance de la réduction de l’érythème. On peut donc seulement constater que le thé exerce un effet protecteur, sans pour autant tirer une conclusion pertinente.