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LE CANCER COLORECTAL

6.1. L’étude in vitro

Valci et al. (1996) [120] ont évalué l’activité des catéchines EGCg, ECg et EGC sur différentes lignées cellulaires tumorales humaines. Ils ont trouvé que l’EGCg avait la CI50 la plus puissante sur les lignées MCF-7 (cellules de cancer du sein), HT-29 (cellules de cancer colorectal) et UACC-375 (cellules de mélanome).

Il faut donc conclure qu’il est difficile de se prononcer sur l’effet antiprolifératif majeur de l’une ou l’autre catéchine. Tout de même, on peut retenir que la plupart des études sont réalisées avec l’EGCg.

6.2. Les études animales

Dans une première étude de 2008 [117], des chercheurs chinois ont évalué sur des souris l’effet de l’EGCg comme agent protecteur contre les lésions prénéoplasiques du cancer du colon.

En introduction, retenons qu’entre autres, la cuisson des aliments conduit à la formation d’amines hétérocycliques aromatiques, comme la 2 amino-3-méthylimidazole [4,5-f] quinoline ou IQ, aux propriétés mutagènes. En effet, l’IQ provoque au niveau du colon le développement d’AFC ou aberrant crypt foci, foyers où apparaissent des cryptages aberrants de l’ADN, à la base de la prolifération cancéreuse.

Les xénobiotiques sont métabolisés par les réactions hépatiques de phase I et II, augmentant leur hydrosolubilité et facilitant ainsi leur élimination biliaire ou rénale. Dans les réactions de phase II, on retrouve l’UDP-glucuronosyltransférase, enzyme catalysant le transfert d’un groupement glucuronyl d’un acide 5’-diphosphoglucuronique aux xénobiotiques. La famille des gènes UGT1A code entre autres pour cette enzyme, généralement présente au niveau des microsomes hépatiques. Or, les sous-familles UGT1A8 et UGT1A10 codent pour des enzymes aux actions identiques, localisées préférentiellement au niveau du tube digestif, et intervenant dans l’élimination des amines hétérocycliques aromatiques.

Certains aliments, dont les catéchines, sont capables d’induire ces gènes in vitro.

Les expériences, d’une durée de 6 semaines, ont été conduites sur 6 groupes de 10 souris BALB/cA nues, immunodéficientes et présentant un défaut de lymphocytes T.

Le premier groupe a servi de contrôle. A partir de la 3e semaine de l’étude, le deuxième groupe a reçu un gavage oral pendant 2 semaines, de 50 mg/kg d’IQ préparé dans un mélange d’huile de maïs et d’eau distillée. Les groupes 3 à 5 bénéficient du même gavage que le deuxième groupe, additionné de 5, 10 ou 20 mg/kg d’EGCg, préparée de la même façon que l’IQ, respectivement 1 semaine avant et 2 semaines après le traitement par IQ. Pour un contrôle supplémentaire, le groupe 6 est gavé par l’EGCg les 4 semaines précédant le début de l’étude.

Le mécanisme d’action proposé est l’induction du gène UGT1A10 du système gastro-intestinal murin par l’EGCg, par la voie de signalisation du facteur de transcription Nrf2. Ce dernier semble jouer un rôle important dans l’induction des gènes impliqués dans la protection des cellules contre les stress oxydatifs. L’expression accrue de l’UGT1A10 va promouvoir l’interaction entre le groupement glucuronyl et l’IQ. De ce fait l’IQ, plus hydrosoluble, sera

éliminé plus rapidement par voie urinaire et biliaire, réduisant ainsi son pouvoir cancérogène au niveau du colon.

Plusieurs résultats sont observés : L’administration d’IQ induit une caryomégalie, modification histopathologique qui est réversible avec la dose maximale d’EGCg de 20 mg/kg.

D’autre part, on observe des variations dose-dépendantes avec l’administration d’EGCg : Les AFC IQ-induits sont diminués, et on observe une augmentation de la protéine Nrf2 au niveau des noyaux des cellules du colon des groupes 3 à 5.

En faisant une analyse des ARNm des gènes UGT1A10 et de la protéine Nrf2 par RT-PCR, les chercheurs ont observé leur augmentation dose-dépendante dans les groupes 3 à 5, tandis que les groupes 1 et 6 présentent des taux comparables.

En conclusion, on peut retenir que l’EGCg permet de diminuer précocement les lésions intestinales provoquées par des cancérigènes alimentaires. Toutefois, il faudra encore approfondir les études, et vérifier les actions au niveau humain.

Dans une deuxième étude menée en 2008 [93], l’action de deux catéchines du thé vert (ECg et EGCg) sur la suppression de l’angiogenèse dans les tumeurs colorectales a été évaluée.

L’angiogenèse caractérise en effet le passage d’une tumeur bénigne à sa malignité.

Les chercheurs ont utilisé 3 groupes de 9 souris APCMin/+, lesquelles étaient alimentées pendant 2 mois, dès leurs 6e à 7e semaines de vie, d’une boisson à base de 3% de saccharose additionnée de respectivement 0,01% d’ECg ou d’EGCg. Le troisième groupe servait de témoin négatif.

Les souris APCMin/+ présentent la même mutation d’un gène que les personnes atteintes de polypose adénomateuse familiale, c’est-à-dire qui ont la particularité de développer dès leur plus jeune âge un grand nombre de tumeurs colorectales.

L’angiogenèse est initiée grâce à plusieurs facteurs de croissance, notamment le bFGF ou

basic Fibroblast Growth Factor, un facteur de croissance fibroblastique, situé dans la

membrane basale de la matrice extracellulaire des vaisseaux sanguins. Le bFGF est synthétisé dans le tissu tumoral et sécrété dans le milieu extracellulaire, où il affectera un grand nombre de cellules, dont celles des vaisseaux sanguins.

Les deux catéchines, dont principalement l’EGCg sont capables de supprimer l’action du bFGF, en agissant après la traduction de l’ARNm en protéines, favorisant ainsi la dégradation protéique et l’inhibition de l’angiogenèse.

Les résultats de l’étude montrent une diminution du nombre des polypes intestinaux, ainsi que du nombre et de la taille des tumeurs dans le groupe recevant la boisson enrichie en EGCg. Il semble que l’ECg a une action identique, mais nettement plus faible, car les résultats obtenus sont peu significatifs.

Un test ELISA (Enzyme-Linked ImmunoSorbent Assay) a permis de démontrer que l’EGCg supprime significativement le bFGF, par rapport à l’ECg.

Un autre marqueur permettant de visualiser l’angiogenèse par immunocoloration est le facteur de coagulation VIII ou facteur anti-hémophilique A. En se fixant à son antigène endothélial vasculaire, il montre que l’endothélium des capillaires est plus abondant dans le groupe de contrôle par rapport au groupe ayant reçu l’EGCg.

Ces deux méthodes prouvent l’efficacité de l’EGCg sur la suppression de l’angiogenèse des tumeurs colorectales.

Par contre, l’étude ne livre pas de données sur la solubilité de l’EGCg et son absorption au niveau de la lumière intestinale, sachant que les concentrations utilisées sont très faibles. La concentration maximale plasmatique des catéchines du thé vert a été évaluée à 1 µmol/L par des études précédentes. Ici les chercheurs ont parallèlement évalué l’activité de l’EGCg in

vitro, et mesuré des concentrations plasmatiques 50 fois supérieures. Ils ont considéré la

possibilité que les mêmes taux pouvaient être atteints au niveau de la lumière intestinale. Pourtant, ces données ne nous renseignent pas sur les doses nécessaires à utiliser pour traiter efficacement l’angiogenèse dans des essais cliniques humains, ni sur le métabolisme et l’élimination des catéchines.

6.3. Les études humaines

Une étude épidémiologique cas-témoin de Shanghai menée en 1997 par Ji et al. [46] incluait 931 patients nouvellement diagnostiqués d’un cancer du colon, 884 patients atteints d’un cancer du rectum, ainsi que 1552 témoins, âgés de 30 à 74 ans. L’odds ratio (OR) a été déterminé en fonction de l’âge, du niveau d’éducation et du tabagisme des participants à l’étude.

Ainsi l’OR est de 0,82 pour le cancer du colon et de 0,72 pour le cancer rectal pour des hommes consommant plus de 300 g de thé par mois, par rapport à des consommateurs non réguliers.

Pour les femmes buvant régulièrement plus de 200 g de thé vert par mois, les OR sont les suivants : 0,67 pour le cancer du colon et 0,57 pour le cancer rectal.

Bien que la forme sous laquelle le thé est consommé ne soit pas précisée, on peut conclure de ces observations qu’une consommation régulière de thé vert fait diminuer l’incidence cancéreuse.

Goldbohm et al. (1996) [32] ont mené une étude prospective de cohorte néerlandaise pendant 4,3 ans sur 58 279 hommes et 62 573 femmes âgés de 55 à 69 ans, afin d’évaluer l’influence du thé noir sur l’incidence du cancer du colon et du rectum.

Comme pour le cancer oral, la consommation moyenne de thé noir est de 2,6 tasses par jour pour les hommes et de 3,1 tasses pour les femmes.

Un questionnaire a permis d’évaluer les facteurs de risque ou de protection influençant l’incidence du cancer colorectal : le niveau éducatif, le tabagisme, les antécédents familiaux de cancer colorectal, l’indice de masse corporelle (IMC), la consommation de café, de fibres, de folates, de vitamine C, de béta-carotène et d’alcool.

Lors de l’étude on a trouvé une corrélation positive entre les variables suivantes et la consommation de thé noir : le niveau éducatif, l’âge, le sexe, la consommation de fibres, de vitamine C et de béta-carotène.

D’autre part, une forte corrélation négative a été rapportée avec les facteurs de risque suivants : l’IMC, le tabagisme et la consommation de café.

En 4,3 années d’étude, voici le nombre de cas enregistrés : 202 hommes et 194 femmes atteints de cancer du colon, ainsi que 159 hommes et 95 femmes atteints de cancer rectal. L’analyse de l’influence du thé noir ou des autres variables sur l’incidence n’a montré aucune corrélation statistiquement significative ni en fonction du thé noir, ni en fonction de l’âge, ni en fonction du sexe, ni avec la durée de l’étude et donc la consommation de thé. Seules les femmes montrent une incidence plus basse, mais non significative.

Il faut donc conclure que le thé noir ne possède pas de pouvoir protecteur sur le cancer colorectal. Plusieurs hypothèses ont été avancées pour expliquer ces résultats, listées dans le paragraphe du cancer gastrique (p. 142).