3.3 L’étude spectrophotométrique
3.3.2 Calcul d’une luminosité absolue
Comme nous l’avons vu ci-dessus, la mesure du décalage spectral d’une galaxie,
que ce soit par la méthode spectroscopique ou photométrique, permet d’estimer la
distance de celle-ci. Or la distance est le paramètre essentiel pour pouvoir mesurer
la luminosité réelle d’une galaxie à partir de son flux mesuré. En effet le flux mesuré
décroit comme le carré de la distance. Pourtant cette affirmation, valable pour les
étoiles, ne s’applique pas directement aux galaxies car leurs propriétés lumineuses
sont très fortement altérées par l’expansion de l’Univers durant le trajet de la lumière
jusqu’à nous : les photons perdent de l’énergie et sont plus espacés les uns des autres,
et les longueurs d’onde comme la largeur des domaines de longueurs d’onde sont
dilatés.
Le calcul de la luminosité d’une galaxie nécessite donc de passer par deux étapes
intermédiaires : la distance de luminosité et la correction-k.
3.3.2.1 La distance de luminosité
Si on noteL la luminosité totale d’une galaxie, alors l’énergie totaleE
0émise dans
toutes les directions pendant un intervalle de tempsdt
0est égale à :
E0=L·dt0 (3.32)
Durant son trajet jusqu’à nous, la lumière émise par la galaxie subit l’expansion
de l’Univers de deux façons :
– Les photons perdent de l’énergie. En effet, si l’on note λ
0la longueur d’onde
d’un photon au moment de son émission, λ
1sa longueur d’onde au moment de
sa réception sur Terre etz le décalage spectral, l’expansion de l’Univers permet
d’écrire la relation :
λ1= (1 +z)λ0 (3.33)
Or l’énergie d’un photon est directement reliée à sa longueur d’onde par la
rela-tion de physique quantique suivante :
E
0= h·c
λ0 (3.34)
D’où la valeurE
1de l’énergie lumineuse reçue sur Terre :
E
1= h·c
λ
1=
E
0(1 +z) (3.35)
– L’intervalle de temps entre deux photons augmente car la dimension temporelle
subit la même expansion que les dimensions spatiales. L’intervalle de tempsdt
1correspondant à l’énergie considérée au moment de sa réception s’écrit donc :
dt
1= (1 +z)dt
0(3.36)
Finalement, cette énergie est répartie au moment de sa réception sur une sphère
dont le diamètre est égal à la distance comobile DC de la galaxie. Nous pouvons donc
calculer le flux reçu F selon la formule suivante :
F = E1
4πD
2 C×dt
1=
E0
4πD
2 C×dt
0·(1 +z)
2= L
4πD
2 C·(1 +z)
2(3.37)
Par convention on définit la distance de luminositéD
Ld’une galaxie comme :
D
L= (1 +z)D
C(3.38)
La distance de luminosité d’une galaxie, calculée à partir de son décalage spectral
et des paramètres cosmologiques, permet donc de déduire sa luminosité absolueL à
partir du flux F observé sur le détecteur par la relation :
L= 4πD
2L×F (3.39)
3.3.2.2 La correction-k
La relation 3.39 n’est valable que pour la luminosité totale d’une galaxie,
c’est-à-dire intégrée sur tout le domaine de longueur d’onde ou de fréquence (on parle
de luminosité bolométrique). En effet si l’on considère la luminosité intégrée sur un
domaine de longueur d’onde particulier, comme la bande passante d’un filtre par
exemple, il faut considérer la dilatation de la bande passante en longueur d’onde par
un facteur (1 +z) à cause de l’expansion de l’Univers (on rappele que z est le
déca-lage spectral qui mesure l’expansion relative d’une longueur). De même, si on parle
de luminosité intégrée sur un domaine de fréquence, il faut considérer la contraction
de la bande passante en fréquence par le même facteur (1 +z). De plus, il faut aussi
considérer le fait que l’ensemble du domaine de longueur d’onde ou de fréquence, tel
qu’il est défini par le filtre utilisé au moment de la réception de la lumière,
correspon-dait à un domaine de plus grandes longueurs d’onde ou de plus petites fréquences au
moment où la lumière a été émise. Ainsi un filtre donné n’observe pas réellement le
domaine de longueur d’onde pour lequel il a été défini au repos.
La correction-k spectroscopique La correction de bande passante, aussi appelée
correction-k spectroscopique, doit être appliquée au flux monochromatique observé
f
λ1(λ1)ouf
ν1(ν1)(par unité de longueur d’onde ou par unité de fréquence), pour obtenir
le flux monochromatique corrigé de l’expansion de l’Univers f
λ0(λ
0) ou f
ν0(ν
0). Cette
correction vient du changement de variable λ
1= (1 +z)λ
0(ou ν
1= (1 +z)
−1ν
0) dans
l’intégrale du flux bolométrique qui doit rester constante après cette opération :
F =R
∞ 0f
0 λ(λ
0)dλ
0=R
∞ 0f
0 ν(ν
0)dν
0=R
∞ 0f
0 λ(λ
1)dλ
1×
dλ0 dλ1=R
∞ 0f
0 ν(ν
1)dν
1×
dν0 dν1=R
∞ 0f
λ1(λ
1)dλ
1=R
∞ 0f
ν1(ν
1)dν
1(3.40)
Nous pouvons donc déduire de la relation 3.40 la correction suivante :
(
f
λ0(λ
0) = f
λ1(λ
1)×(1 +z)
f
ν0(ν
0) = f
ν1(ν
1)׳
1+1z´ (3.41)
Notons que la correction-kspectroscopique doit être appliquée aux spectres
obser-vés avant d’effectuer les mesures de flux ou de largeurs équivalentes de raies telles
que définies par les relations 3.16 et 3.18. Notons enfin que la correction de distance
de luminosité telle que définie par la relation 3.39 peut être appliquée au flux
mono-chromatiquek-corrigé pour obtenir la luminosité monochromatique absolue de l’objet
observé.
La correction-kphotométrique Elle s’ajoute à la correction-kspectroscopique pour
tenir compte du décalage vers le rouge du domaine spectral observé à travers un filtre
donné. Elle consiste à corriger la magnitude observée d’une galaxie, pour obtenir la
magnitude qu’elle aurait réellement à travers le filtre considéré si nous avions pu
l’ob-server au repos (ou “rest-frame” en anglais), c’est-à-dire s’il n’y avait pas d’expansion
de l’Univers. Par définition la correction-kphotométrique, notéek, est donc égale à la
différence entre la magnitude apparentemde la galaxie et la magnitude apparentem0
qu’elle aurait à travers le même filtre en l’absence de décalage spectral :
k=m
0−m (3.42)
Si on note T(λ) ou T(ν) la courbe de réponse du filtre considéré (voir la
sec-tion 3.1.2), etf
λ(λ)ouf
ν(ν)les flux monochromatiquesobservés, alors la correction-k
photométrique s’écrit en tenant compte de la correction-k spectroscopique :
k=−2,5·log
µ(1 +z)·R
∞ 0f
λ(λ(1 +z))·T(λ)dλ
R
∞ 0f
λ(λ)·T(λ)dλ
¶
=−2,5·log
R
∞ 0f
ν³
1+νz´·T(ν)dν
(1 +z)·R
∞ 0f
ν(ν)·T(ν)dν
(3.43)
En pratique, cette définition de la correction-k photométrique nécessite de
connaître le flux monochromatique observé de la galaxie, c’est-à-dire son spectre.
Pourtant, de la même façon qu’il est possible comme nous l’avons vu plus haut (voir
la section 3.3.1) de mesurer un décalage spectral sans utiliser de spectre, il est aussi
possible de calculer la correction-kphotométrique uniquement à partir de la
réparti-tion spectrale d’énergie d’une galaxie.
En effet, nous pouvons comparer la répartition spectrale d’énergie observée à celle
d’une série de modèles issus d’un code de synthèse de population stellaire. Pour ce
faire, il faut calculer la correction-kinverse à appliquer aux magnitudes des modèles
pour les ramener du référentiel au repos vers le décalage spectral observé de la
ga-laxie, ce calcul étant possible car nous avons les spectres théoriques des modèles
à notre disposition. Puis il faut trouver le meilleur ajustement, par la méthode du
minimum duχ
2par exemple. Finalement le correction-kcalculée sur le meilleur
ajus-tement peut être appliquée à la répartition spectrale d’énergie observée.
Pour conclure cette section, nous pouvons définir la magnitude absolue d’un objet
astrophysique : il s’agit du flux que l’on observerait si l’objet était situé à une distance
de 10 pc. Si on noteL la luminosité totale d’un objet astronomique à travers un filtre
donné, F son flux observé à travers ce même filtre, et D
Lsa distance de luminosité
exprimée en parsecs, sa magnitude absolue M est définie par :
M =−2,5·log
µ
L
4π(10 pc)
2¶
=−2,5·log
Ã
F ·
µ
D
L10
¶
2!
(3.44)
Nous pouvons donc écrire la relation entre la magnitude absolue M, la magnitude
apparentem et la correction-kde cette galaxie à travers un filtre donné :
M =m+k−5 logD
L+ 5 (3.45)
3.3.2.3 Calcul de la masse stellaire
Une fois la luminosité absolue d’une galaxie calculée, le passage de la luminosité
à la masse stellaire peut être réalisé relativement facilement. En effet la luminosité
d’une galaxie est directement reliée au nombre et à la luminosité des étoiles qu’elle
contient, donc à sa masse stellaire. Cependant la relation entre la masse stellaire
d’une galaxie et sa luminosité dépend aussi de l’âge de ses étoiles, donc de sa couleur.
Rappelons en effet que la relation entre masse et luminosité des étoiles n’est pas
linéaire et que les étoiles les plus massives sont proportionellement beaucoup plus
lumineuses que les moins massives.
Il convient donc de calculer le rapport masse-luminosité qui varie
approximative-ment entre 0,2 et 3 M
¯/L
¯selon le type de galaxie. La valeur minimale est atteinte
pour les galaxies les plus jeunes dont la luminosité est dominée par les étoiles bleues
très lumineuses, tandis que la valeur maximale est atteinte pour les galaxies les plus
vieilles dont la masse est dominée par les étoiles rouges peu lumineuses.
Si on note R la magnitude absolue d’une galaxie à travers par exemple un filtre
rouge, R
¯la magnitude absolue du Soleil à travers ce même filtre, M
⋆la masse
stellaire de la galaxie exprimée en masses solaires et M
⋆/L(R) son rapport
masse-luminosité exprimé en unités solaires à travers le filtre considéré, on peut écrire la
relation suivante :
log(M
⋆) = log
µ
M
⋆L(R)
¶
+R−R
¯2,5 (3.46)
À l’instar du décalage spectral photométrique et de la correction-k, le rapport
masse-luminosité peut être calculé à partir de la répartition spectrale d’énergie de
la galaxie observée. Cette dernière est comparée à une série de modèles à l’aide d’une
méthode d’optimisation, et le rapport masse-luminosité du meilleur ajustement est
utilisé pour déterminer la masse stellaire de la galaxie observée. Pour plus de
pré-cisions, il est courant d’utiliser certains indices spectraux dans cet ajustement en
plus des couleurs de la répartition spectrale d’énergie. Les indices les plus
couram-ment utilisés sont l’intensité d’une raie d’absorption de Balmer (Hδ par exemple) et
la discontinuité à 4000Å. Ces indices permettent de réduire la dégénérescence
âge-métallicité-poussière (voir la section 2.3.2) en étant peu sensibles à la métallicité dans
le premier cas et à la poussière dans le second, mais très sensibles à l’âge dans les
deux cas.
Notons finalement que cette méthode ne permet pas, en tout cas dans le domaine
visible, d’estimer la masse totale de la galaxie, aussi appelée masse dynamique, qui
est répartie en masse stellaire mais aussi en masse de gaz et de poussières, voire en
une éventuelle composante invisible. Cette dernière peut toutefois être mesurée
indi-rectement par ses effets dynamiques sur les orbites des étoiles, mais cette méthode
est entachée d’une incertitude théorique sur la validité des lois de la dynamique
new-tonienne à l’échelle des galaxies. Rappelons qu’il existe une même différence d’ordre
de grandeur entre l’échelle des galaxies et celle du système solaire, où ces lois ont
été validées, qu’entre cette dernière et l’échelle des atomes, où les lois de la physique
classique sont très nettement supplantées par la physique quantique.
Dans le document
Évolution cosmologique des propriétés physiques des galaxies
(Page 64-68)