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didactiques sont en jeu

Chapitre 3 Cadre théorique et méthodologique

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Chapitre 3 : Cadre théorique et

méthodologique

À l’issue du second chapitre, nous avons pu être en mesure de délimiter plus précisément notre objet d’étude. Dans le cadre de pratiques inclusives au sein des dispositifs ULIS collège, nous souhaitons plus particulièrement étudier les articulations qui existent entre la classe et le regroupement spécialisé afin de comprendre si ces dernières sont en mesure de faciliter le travail des ERIH au sein de la classe ordinaire, c’est-à-dire si ces articulations créent des conditions d’accessibilité aux savoirs. Nous souhaitons mettre en avant deux caractéristiques de notre objet d’étude qui nous semblent importantes au moment d’effectuer des choix théoriques et méthodologiques :

- Nous souhaitons observer des pratiques « ordinaires » dans le cadre de ces dispositifs ULIS (par contraste avec une approche qui induirait une intervention volontaire de notre part au sein des systèmes didactiques). - Notre étude a pour particularité de s’intéresser aux ERIH qui, dans le cadre des dispositifs ULIS, sont amenés à fréquenter des systèmes didactiques différents. Nous ne pouvons donc pas nous contenter d’étudier isolément les différents systèmes en jeu, mais il nous faudra des outils conceptuels à même de rendre compte de la dynamique et des transitions qui existent au sein de et entre ces systèmes. Ce troisième chapitre a pour objet de préciser le cadre théorique et méthodologique qui sera le nôtre afin de questionner notre objet de recherche. Dans le prolongement de la formation reçue en master74 et de façon à inscrire notre travail dans la lignée des travaux menés dans les projets PIMS, le cadre théorique de la didactique des mathématiques nous accompagne depuis le début de ce travail de thèse. Cependant, au regard de notre objet d’étude, il nous semble important de l’élargir et de préciser ce cadre afin de nous doter d’outils qui nous permettront d’étudier l’articulation entre différents systèmes didactiques dans le cadre de pratiques ordinaires.

Dans cette optique, nous nous référons à un double cadre théorique et méthodologique : une approche clinique et expérimentale qui nous permettra d’appréhender l’étude du didactique ordinaire ainsi que la compatibilité entre différents systèmes (cela fera l’objet du premier point de ce chapitre) et un ancrage théorique en didactique des mathématiques qui nous permettra de décrire les articulations entre différents systèmes didactiques (ce sera l’objet du second point de ce chapitre). Après avoir présenté ce double cadre théorique ainsi que les enjeux méthodologiques qui en découlent, nous problématiserons nos questions de départ dans un troisième et dernier point.

74 Master obtenu en 2015 à l’Université de Lorraine (MEFF, mention Pratiques & Ingénierie de la Formation, parcours Innovation & Développement Professionnel, option Éducation et pratiques inclusives).

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1. Une approche clinique et expérimentale

du didactique ordinaire

Le titre de ce premier point renvoie volontairement à une contribution de Maria-Luisa Schubauer-Leoni et de Francia Leutenegger (2002) au sein d’un ouvrage collectif qui traite de la dialectique entre expliquer et comprendre dans le champ des sciences de l’éducation. Pour traiter cette question, qui a déjà fait l’objet d’approfondissements jugés convaincants dans le champ des sciences humaines et sociales (Leutenegger & Saada-Robert, 2002), les auteures proposent de la revisiter « depuis les sciences de l’éducation » (p. 8). La question de l’explication est envisagée selon plusieurs axes, nous en retenons deux en particulier. D’un point de vue épistémologique, il s’agit d’analyser « le pouvoir explicatif » (ibid.) à partir des modèles théoriques. Le second axe amène à traiter cette question du point de vue méthodologique : « les sciences de l’éducation se doivent en effet d’expliciter leur objet d’étude et de mettre en relation les modèles théoriques et les données qu’elles sont amenées à traiter » (ibid.). Notre objet ici n’est pas de revenir de façon détaillée et historique sur les débats qui ont pu nourrir les questions autour du couple expliquer/comprendre, mais de mieux saisir ceux qui nous permettront de nous inscrire dans un cadre théorique et méthodologique adapté à l’étude de pratiques ordinaires : « s’intéresser à ce qui se passe et se joue d’ordinaire dans des classes quelconques situe l’entrée du côté d’une démarche dite « descriptive » se démarquant de la prescription. Mais la description ne doit pas être confondue avec la vision que les acteurs ont de la réalité dans laquelle ils vivent » (Schubauer-Leoni & Leutenegger, 2002, p. 228). Dans cette perspective, l’ordinaire peut être considéré de trois façons distinctes. La première, objective, concerne les faits au moment de l’action. La seconde est liée à « la reconstruction interprétative qu’en font les acteurs étudiés » (ibid.) et la dernière sous la forme du corpus archivé. Le corpus est reconstitué à travers la dialectique de l’explication et de la compréhension. Cette dernière intervient dans un processus de mise à distance du réel afin de se garder d’une perspective naturaliste trop hâtive.

Cette approche « clinique / expérimentale du didactique ordinaire » (Schubauer-Leoni & Leutenegger, 2002, p. 227) s’inscrit dans le courant comparatiste en didactique. Nous présenterons dans un premier temps cette approche. Dans un second temps nous nous intéresserons à la constitution d’une clinique en didactique. Pour finir, nous détaillerons les enjeux méthodologiques liés à une telle approche. Ce premier point doit nous permettre de circonscrire un premier cadre théorique et méthodologique à même de prendre en compte les deux caractéristiques principales de notre objet de recherche évoquées en introduction de ce chapitre.

1.1 L’approche comparatiste en didactique

Au début de son histoire, Yves Chevallard rappelle que « la didactique s’est constituée autour des disciplines scolairement enseignées » (Chevallard, 2014, p. 36), il cite par exemple la didactique des mathématiques, la didactique du français, la didactique de l’EPS. Cette constitution qui a débuté dans les années 1960 est donc relativement récente, et pour évoquer cette phase de construction, Bernard Schneuwly parle « d’un ensemble hétérogène de didactiques disciplinaires » (2014, p. 14). Dans un second mouvement apparaissent d’autres désignations comme par exemple, didactique des disciplines,

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didactiques du curriculum, didactique professionnelle, didactique comparée, approches didactiques (Ligozat, Coquidé, & Sensevy, 2014; Schneuwly, 2014). En juin 2013, une journée d’étude75 se propose de questionner les rapports qui existent entre ces différents courants de recherche. Les différentes contributions rendent compte des débats qui peuvent exister entre les chercheurs, mais ce qui nous intéresse plus particulièrement c’est, dans un premier temps, de pouvoir situer l’émergence du courant comparatiste et, dans un second temps, de montrer en quoi cette approche est intéressante pour ce qui est de l’étude du monde ordinaire.

1.1.1 Naissance et projet du courant comparatiste

Plusieurs auteurs mettent en évidence la nécessité pour les différentes didactiques disciplinaires de rompre avec l’isolement entre elles qui est le reflet de leurs conditions d’émergence. Pour Bernard Schneuwly, cet enjeu doit permettre de consolider le champ disciplinaire de la didactique et il considère que « le dépassement de la fragmentation ne peut être le résultat que d’un travail conceptuel de grande envergure » (2014, p. 20). Selon lui, des perspectives théoriques permettent de dépasser l’isolement, il cite notamment la théorie anthropologique du didactique (Chevallard, 2012) et la didactique comparée. Yves Chevallard estime également que « l’étude du didactique et de ses effets d’apprentissage conduit […] à élargir le champ de l’étude à des ensembles de conditions étagées selon les niveaux de l’échelle de codétermination didactique76 » (2014, p. 38). Dans cette perspective il invite les didacticiens à conduire des études à des niveaux élevés de cette échelle. Il estime que le risque de repli identitaire au sein de telle ou telle didactique disciplinaire doit être combattu et pose la définition de la didactique comme « la science des conditions de la diffusion des connaissances dans les institutions d’une société » (ibid., p. 42). Nicole Biagioli (2014), en cherchant à relier les points de vue des deux auteurs que nous venons de citer, conclut que « la réflexion sur la fragmentation et l’unité du champ didactique passe par la comparaison interne et externe » (ibid., p. 49).

Pour étendre nos connaissances afin de mieux comprendre les enjeux liés de la didactique comparée, nous référons à d’autres auteurs qui nous éclairent sur les raisons de l’émergence de projets comparatistes en sciences humaines depuis le XIXe siècle (Mercier, Schubauer-Leoni, & Sensevy, 2002). Au sein des sciences de l’homme, les questions comparatistes permettent de s’intéresser aux rapports que les sciences constitutives de ce champ entretiennent entre elles et avec d’autres sciences. Les auteurs mettent en évidence qu’un des points communs qui émerge dans les projets comparatistes est « une recherche d’extériorité par rapport à l’univers de référence de sa discipline d’origine, un besoin d’excentration vers une Weltanschauung77 de plus vaste portée susceptible de faire face au processus de naturalisation propre à une entrée disciplinaire exclusive » (p. 5). Néanmoins, le débat entre méthode ou champ de recherche à part entière est présent au sein de la communauté scientifique et celui-ci est identifié comme une difficulté pour les chercheurs comparatistes à « asseoir institutionnellement

75 Cette journée fut organisée par l’Association pour les Recherches Comparatistes en Didactiques (ARCD). Le numéro 14 de la revue Éducation & Didactique rend compte des débats qui s’y sont déroulés.

76 Cette échelle comporte sept niveaux qui vont du spécifique vers le générique : systèmes didactiques, disciplines, pédagogies, écoles, sociétés, civilisations et humanité. Nous y reviendrons par la suite dans ce chapitre.

105 leurs travaux et leur donner droit de cité » (ibid.). Mercier, Schubauer-Leoni et Sensevy opèrent cependant une distinction entre les travaux comparatistes qui sont développés historiquement en sciences humaines et le projet de la didactique comparée. Dans le premier cas, il s’agissait des confrontations internes au sein d’une même science alors que la didactique comparée « est issue […] des didactiques des disciplines et non d’une didactique générale » (p. 6). Ce mouvement, issu des didactiques disciplinaires, porte néanmoins la perspective de contribuer à la consolidation des travaux dans ces différents champs. Ces différents éléments nous permettent de mieux saisir comment s’origine l’émergence du projet comparatiste en didactique. Nous allons terminer ce point en précisant plus finement les questions qui s’en dégagent.

Deux grands niveaux de questionnement comparatiste sont identifiés (Mercier et al., 2002). Le premier niveau concerne « le découpage des domaines de réalités « du » didactique » (p. 8) et s’intéresse à la nature de certaines interactions entre les acteurs du système didactique ayant pour visée de permettre une modification du système de connaissance de l’un des acteurs. Dans cette optique, deux axes se dégagent. Le premier correspond à l’étude des contraintes propres aux institutions sur les objets de savoir, le second amène à interroger d’autres espaces du didactique afin de « contribuer à la clarification même de ce qu’est « le » didactique, ses frontières, ses modalités de commencement et de transitions, ses dynamiques de fonctionnement et ses conditions de possibilités » (ibid.). L’étude des transitions entre différentes institutions nous intéresse particulièrement au regard de notre objet de recherche, nous pensons plus particulièrement aux transitions entre la classe et le regroupement spécialisé. Le second niveau de questionnement se donne pour but « d’expliquer et de comprendre les pratiques délimitées par les domaines de réalité du premier niveau » (ibid.), il s’agit ici de confronter les systèmes théoriques produits dans les différentes didactiques disciplinaires. Ces deux niveaux de questionnement sont complémentaires afin de mettre en évidence ce qui relève du spécifique (ce qui pourra être rapporté à un objet de savoir particulier) et ce qui relève du générique (ce qui pourra être rapporté au processus d’enseignement). Nous retrouvons cette recherche du spécifique et du générique à travers la question suivante : « la relation didactique qui se noue (ou est censée se nouer) entre partenaires de l’enseignement et de l’apprentissage est-elle strictement spécifique de chaque matière ou tisse-t-elle des formes d’ordre générique qui relèveraient du didactique ? » (Schubauer-Leoni & Leutenegger, 2002, p. 229), pour ces deux auteures, il s’agit là d’un des enjeux majeurs pour la didactique comparée. Pour travailler ces questions, une mise en garde est formulée, celle de « glisser vers des propos trop hâtivement généralistes » (Mercier et al., 2002, p. 9). Ce glissement résulterait de descriptions spécifiques et de descriptions génériques qui ne peuvent être suffisantes. Mercier, Schubauer-Leoni et Sensevy parlent d’une « nécessaire dé-familiarisation […] en vue d’une décentration par rapport à la vision du didactique acquise au travers d’une didactique disciplinaire » (ibid.). De façon à travailler cette mise à distance souhaitée, les auteurs affirment la volonté de confronter les productions obtenues (au sein des didactiques disciplinaires) dans un questionnement plus large qui correspond au projet d’une didactique comparée.

1.1.2 Approche comparatiste et étude du monde

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Après avoir cherché dans le point précédent à mettre en évidence la genèse et le projet de la didactique comparée, nous allons maintenant en préciser les objets. Le projet d’inscrire la didactique comparée dans un questionnement large est directement lié à une volonté, chez les didacticiens comparatistes, de décrire le didactique ordinaire (Leutenegger, 2009; Mercier et al., 2002; Schubauer-Leoni & Leutenegger, 2002). Cet objet d’étude est posé en opposition avec les travaux d’ingénierie didactique qui ont constitué, dans un premier mouvement, les productions principales des didactiques disciplinaires. La volonté d’étudier le didactique ordinaire est envisagée en se situant dans « une position de recherche dont le but n’est pas la participation au système enseignant. De ce fait, nous cherchons à nous confronter au contingent pour en dégager les parts modélisables, c’est-à-dire les variables génériques qui permettent de comprendre ce qui, dans le contingent, est spécifié » (Mercier et al., 2002, p. 10). Une des différences majeures qui existe dans l’étude du monde ordinaire est que, contrairement aux travaux qui s’inscrivent dans le cadre d’une ingénierie didactique, les variables liées aux objets de savoir ne sont pas contrôlées.

Un second objet d’étude est plus particulièrement mis en avant par ces auteurs, il s’agit de l’étude de la dynamique des systèmes didactiques et selon eux, cette étude ne peut faire l’économie d’une prise en compte des phénomènes temporels qui constitue « une des variables clés des interprétations de l’activité observée » (ibid.). Francia Leutenegger rejoint cette perspective. Elle s’intéresse en particulier à « l’observation du tout-venant des classes et plus généralement de l’étude de questions de didactique des mathématiques difficiles à traiter par des moyens plus classiques » (2000, p. 209). Ces questions, qu’elle qualifie de difficiles à traiter, sont posées dans le cadre de l’étude de « la compatibilité fonctionnelle des systèmes didactiques entre eux » (p. 210). La complexité de l’étude de la dynamique des systèmes didactiques entre eux est liée à plusieurs difficultés. La première réside dans le fait que l’étude, pour rendre compte de cette dynamique, doit s’envisager sur un temps suffisamment long. La seconde est liée à l’observation de systèmes ordinaires dans lesquels, contrairement à une situation d’ingénierie, les variables liées aux savoirs ne sont pas fixées au préalable. Pour Leutenegger, cela nécessite une étude fine des sous-systèmes des différents systèmes en jeu. La dernière difficulté mise en évidence réside dans « le sens à donner à l’observation de systèmes didactiques ordinaires » (p. 218) en tenant compte que deux institutions différentes sont impliquées, l’institution scolaire et l’institution de recherche, et que ces deux institutions ont des préoccupations différentes. Pour répondre à cette difficulté, elle propose tout d’abord d’étudier les systèmes didactiques à partir des objets produits en leur sein et de distinguer les interprétations de l’enseignant sur ces objets des interprétations de ces mêmes actions par le chercheur. Dans cette perspective, « les seules modalités empiriques ne suffisent pas : les questions et les choix se nourrissent des savoirs disponibles dans ce champ de recherche78. La construction d’une « clinique » tente de répondre à ces différentes préoccupations » (ibid.).

L’approche comparatiste, à travers l’étude de la dynamique des systèmes didactiques et de la compréhension des phénomènes observables dans des situations ordinaires, entre en écho avec les particularités de notre objet de recherche. Pour consolider notre ancrage théorique, nous allons dans un second point nous intéresser à la construction d’une approche clinique évoquée par Francia Leutenegger afin de répondre aux difficultés qu’elle a identifiées dans l’étude du monde ordinaire. 78 Le champ de recherche évoqué est celui de la didactique

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1.2 Une double dialectique : clinique