Chapitre III - Evolution structurale du Massif de l’Aspromonte et nature des
1.2/ La reprise en extension de la pile de nappes du massif de l’Aspromonte
1.2.3/ Bréchification et relation avec la localisation du détachement
Une autre hypothèse peut être proposée pour expliquer la géométrie du détachement :
l’adoucissement localisé préalable des matériaux de la pile tectonique. En effet, dans la partie
superficielle de la pile tectonique du Massif de l’Aspromonte, on observe fréquemment mais de
manière discontinue, une bréchification de la roche. Il s’agit d’une brèche cohésive où la matrice,
très résistante, représentant entre 10 et 50 % du volume, est solidaire du reste de la roche (Fig.
III-6). La matrice est essentiellement constituée par les produits de la bréchification recimentés.
Dans l’ensemble, on observe que cette bréchification présente un aspect assez variable que l’on
peut caractériser qualitativement en décrivant la forme et la rugosité des fragments rocheux d’une
part et la proportion de matrice d’autre part (Fig. III-6).
On distingue ainsi deux fabriques. Une première fabrique (F1) caractérisée par des fragments
anguleux de taille pluricentimétrique régulière délimités par des fractures orthogonales. Le
déplacement de ces fragments est souvent limité à une simple translation de quelques centimètres
et on parvient alors à suivre d’un fragment à l’autre une variation lithologique ou encore un
marqueur tectonique comme une linéation. Cette géométrie suggère que la roche a éclaté sous
l’effet d’une augmentation de volume probablement induite par une surpression fluide. Cette
dernière peut avoir une origine double : (1) une augmentation de la pression fluide par apport de
fluides d’origine métamorphique, ou (2) une diminution relative de la pression lithostatique soit
par érosion, soit par dénudation tectonique de la pile structurale située au dessus.
La seconde fabrique (F2) est caractérisée par une plus grande proportion de matrice
cohésive fine, des fragments lithiques de petite taille, de forme arrondie, et complètement
disjoints. On considère alors que la bréchification est d’origine mécanique, c'est-à-dire contrôlée
par le frottement des fragments les uns contre les autres sous l’effet par exemple du déplacement
des lèvres de la fracture. Il devient alors difficile de reconstituer la structure initiale et les
déplacements des fragments les uns par rapport aux autres. Il faut d’ailleurs remarquer qu’une
brèche présentant une fabrique dynamique (F2) peut avoir été initiée par une surpression fluide.
Chapitre III - Evolution structurale du Massif de l’Aspromonte
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Du fait des frottements ultérieurs, il devient difficile d’observer les indices texturaux de la
fabrique statique initiale (F1).
Figure III-6 : Macrophotographies illustrant l’évolution de l’intensité de la bréchification. (a):
initiation de la bréchification hydraulique, dans la partie gauche la roche n’est pas bréchifiée;
(b): bréche hydraulique au sein de les phyllades, les éléments sont anguleux et le déplacement est
faible; (c) et (d): intensification de la bréchification dynamique, mise en évidence par
l’augmentation de la proportion de matrice, et par la forme de plus en plus arrondie des clastes.
Figure III-7 : Illustration de la bréchification au dessus du détachement. (a) secteur de Choriò :
détail de la brèche hydraulique dans les faciès quartzo-feldspathiques de la formation des
phyllades de l’unité de Stilo. La zone bréchifiée est localisée au centre de la photo; (b) secteur de
San Lorenzo, couloirs de cisaillement bréchifiés dans l’unité de Stilo. Le mouvement sur ces
fractures est normal, et le rejet ne dépasse pas la dizaine de centimètres.
Dans la partie sud du Massif de l’Aspromonte, ces deux fabriques ont été observées,
suggérant que les deux mécanismes évoqués ci-dessus ont contribué tour à tour à la
bréchification. La localisation des principales zones bréchifiées est reportée sur la coupe
schématique de la figure III-4. On les observe au sein de l’unité de Stilo, à distance du
détachement, mais aussi au niveau du détachement même et surtout en dessous, au sein de l’unité
de l’Aspromonte.
Dans la partie centrale de l’unité de Stilo (secteurs de Choriò et de San Lorenzo - cf. Fig.
II-17 et III-3), la formation des phyllades et de porphyroïdes de la région de Chorio est affectée par
une bréchification hydraulique (F1) assez hétérogène. Elle est fréquemment recoupée par des
couloirs de cisaillement où la bréchification est plus marquée (F2) (Fig. III-7a). Dans ce cas, elle
semble intimement liée à une déformation en extension comme l’indique la géométrie de ces
failles. Le rejet est cependant très faible, il ne dépasse jamais la dizaine de centimètres lorsque l’on
peut l’évaluer, comme au sud de San Lorenzo où des filonnets de quartz d’exsudation sont
décalés (Fig. III-7b). On distingue également des couloirs subhorizontaux d’épaisseur
centimétriques à décimétriques, et des couloirs obliques, parfois concordants avec la fabrique
planaire de la roche encaissante. Les bordures de ces couloirs sont le plus souvent franches et la
roche encaissante n’apparaît alors pas affectée par la bréchification mécanique.
A proximité de Palizzi Supérieur et de Bova Marina (cf. Fig. II-13 et III-3) la bréchification
hydraulique affecte presque intégralement plusieurs centaines de mètres de l’unité de
l’Aspromonte sous le détachement. Dans ce contexte la bréchification semble s’être développée
indépendamment d’une déformation particulière sans que l’on puisse la relier à des failles ou à des
couloirs de cisaillement majeurs. Il s’agit clairement d’une bréchification statique contrôlée par
une surpression fluide locale, résultant probablement de la dénudation tectonique associée au
transport de l’unité de Stilo sur le détachement, et entraînant une diminution relative de la
pression lithostatique sous le détachement.
Au niveau du contact même, au nord-est de Palizzi Supérieur, les deux types de fabriques
sont visibles et affectent les roches des deux compartiments. On observe des lentilles de roches
où la bréchification d’origine hydraulique est préservée au sein de l’ensemble bréchifié
mécaniquement. On peut donc en déduire que la bréchification hydraulique est antérieure au
fonctionnement du détachement dans ce secteur. Or, ces roches bréchifiées correspondent à des
zones de moindre résistance à la déformation, expliquant peut-être que le détachement s’initie à
cet endroit. Le fonctionnement de ce contact tectonique s’est probablement ensuite accompagné
de la réactivation et donc de l’intensification de la bréchification. Et la diminution de pression
lithostatique consécutive au détachement de l’unité de Stilo peut expliquer la présence de brèche
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hydraulique dans le compartiment inférieur, qui enregistre par conséquent une augmentation
relative de la pression fluide.
La bréchification au sein du compartiment supérieur, à la fois diffuse sur l’ensemble de la
roche et localisée sur des couloirs de cisaillement, ne peut pas s’expliquer par une diminution de
la pression lithostatique, mais trouve probablement son origine dans l’apport de fluides drainés
depuis la zone de détachement vers la surface via des fractures.
Il reste que l’origine de la surpression fluide initiale n’est pas définie à ce stade des travaux. Si
elle est liée à une diminution de la pression lithostatique, c’est que le compartiment supérieur était
déjà soumis à un amincissement qui était alors probablement réparti sur un réseau de failles
normales, qui se sont ensuite relayées sur le détachement. En revanche la surpression fluide
peut-être liée à un apport de fluides issus de réactions métamorphiques, et drainés vers le haut le long
des zones de cisaillement depuis un niveau structural plus profond.
Ces réflexions ne restent pour le moment qu’à l’état d’hypothèses qu’il faudrait tester en
étudiant ces brèches de manière plus détaillée. Il faudrait en particulier cartographier le type de
fabrique de la brèche en fonction de la distance par rapport au détachement. Il faudrait également
étudier plus spécifiquement les inclusions fluides piégées dans les minéraux de la brèche ainsi que
dans des filonnets de quartz observés plus ou moins fréquemment, afin de caractériser les
conditions de température et de pression de la bréchification ainsi que la nature et l’origine de ces
fluides qui contribuent probablement à la composition de la matrice. Ces travaux n’ont pas été
envisagés au cours de cette thèse mais devraient faire l’objet d’une étude ultérieure.
Quoiqu’il en soit la bréchification et par conséquent l’adoucissement préalable de la roche de
la partie supérieure de l’édifice tectonique du Massif de l’Aspromonte apporte une explication
possible à la géométrie subhorizontale de la faille de détachement observée.