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Chapitre III : Couleurs corporelles

3.3 Blanc et noir

Trois mentions de la couleur blanche retiennent notre attention. Dans la première partie du récit, on lit :

(1) Un certain lundi, elle devait mettre des draps à blanchir sur l’herbe; et, je me souviens que brusquement il s’était mis à pleuvoir. En date de ce même lundi, j’ai donc vu dans son carnet que cette étrange femme avait rayé : « Blanchir les draps », et ajouté dans la marge « Battre François ». (T : 21)

Dans ce passage, François-narrateur récapitule sa vie. À ce moment précis, le souvenir apparaît clairement à l’esprit : le narrateur se rappelle les draps que Claudine devait faire blanchir. Ce verbe renvoie, en premier lieu, à la propreté qui est une allusion à la pureté. Cependant, lorsque Claudine associe « Blanchir les draps » et « Battre François », la purification devient une violence sonore. Cette violence est prise en charge par l’eau dont l’apparition est retenue par sa sonorité comme le montre l’apparition abrupte de la pluie92 : « Un certain lundi, elle devait mettre des draps à blanchir sur l’herbe; et, je

me souviens que brusquement il s’était mis à pleuvoir. » (T : 21) (nous soulignons.)

Comme le souligne Marcheix, la manière d’être de l’eau dans « Le Torrent » est toujours rythmée et sonore : « Rythmiquement, tout d’abord, le cours d’eau vit […] [s]elon une pulsation violente, hachée et désordonnée [ce qui est valide non seulement pour la pluie, mais surtout pour l’eau torrentielle]93 ». Cette violence continuelle accompagne la main violente et féminine.

La deuxième mention de la couleur blanche figure dans la deuxième partie du récit, où les frontières qui permettaient de distinguer, ne serait-ce que partiellement, le

92 La pluie ébauche l’intensité sonore de l’eau torrentielle. En fait, le torrent ne prend-il pas son origine de

l’eau des pluies des montagnes? (cf. Elizabeth Muirsmith, « L’eau dans l’œuvre poétique d’Anne Hébert », [microforme], mémoire de maîtrise, Ottawa, Université d’Ottawa, 1973, f. 177.)

narrateur du personnage s’estompent. Ici, l’apparition d’Amica sera déterminante pour l’analyse de cette couleur : « Je voudrais lui [ à Amica] déchirer tous ces oripeaux qui la couvrent, à la façon dont je sais décortiquer un bouleau blanc. » (T : 41) Ajoutons encore que la deuxième partie du récit débute avec un paysage de destruction, de démolition : « tout est par terre » (T : 37), ce qui contraste avec la figure verticale de François : « Je marche sur des débris » (T : 37). Pour établir une relation entre le corps ainsi érigé et l’arbre, il n’y a qu’un pas. En effet, François se conçoit lui-même comme un arbre : « Je me sens devenir un arbre » (T : 37) et par la suite, il voit les autres comme tels : « Il y a là deux personnages sans forme […] tels des arbres gris » (T : 39). C’est après cette allusion que François associe Amica au bouleau blanc. Cette image statique de l’arbre contraste avec l’élan vital représenté par la marche de François ainsi qu’avec les gestes de rapprochement et d’éloignement qui ont lieu lors de la rencontre des deux solitudes représentées par ces deux personnages. Cette oscillation trouve une explication partielle dans la signification symbolique de l’arbre qui représente à son tour la vie et l’épuisement94. Si l’élan vital de la marche souligne la primauté du corps — « J’avance toujours » (T : 41) —, François est immobilisé par la présence d’Amica. Cependant, les mains échappent à ce contrôle, ce qui indique que le désir est là. Mais cette fois-ci, la répression vient de François lui-même. C’est alors que la couleur blanche apparaît traduisant une intention de neutraliser son attirance en réduisant Amica à un objet : « Je voudrais lui déchirer tous ces oripeaux qui la couvrent, à la façon dont je sais décortiquer un bouleau blanc. » (T : 41) Cette allusion résiste à signifier la couleur au-delà de sa représentation figurative. Nous croyons qu’ici l’image du « bouleau blanc » ne véhicule pas l’idée de pureté. Au contraire, le personnage voit cette couleur comme une enveloppe qui peut être déchirée. Le blanc est associé à une certaine violence sonore prise en charge par la main masculine comme le montrent les verbes « arracher », « déchirer », « décortiquer ».

94 Sheila Lacourcière, « L’intertextualité dans l’œuvre d’Anne Hébert », mémoire de maîtrise, Ottawa,

La dernière occurrence du blanc est celle des dents éblouissantes. « Je suis tout à côté de la seconde ombre accroupie près du feu […] C’est une femme. Elle rit […] Ses dents éblouissantes me narguent. » (T : 41) Dans ce passage, une ambivalence affecte le niveau perceptif. En effet, ce passage oppose l’ombre et la lumière qui se matérialise dans les dents de la femme. Ici le foyer perceptif de François touche les extrêmes, car il voit des ombres qui contrastent avec la forte lumière que dégage le sourire d’Amica : « Je soulève cette ombre jusqu’à moi » (T : 41) vs « Ses dents éblouissantes me narguent. » (T : 41) (nous soulignons.) Étant donné que le sensible établit une coalescence avec le somatique, la lumière se pétrifie dans la dentition. La lumière concentrée augmente son intensité empêchant François de voir clairement. De là résulte une méfiance à l’égard de cette femme ravissante : « Elle tient ses bras levés en arc, au-dessus de sa tête, les mains sur sa nuque, semblant cacher quelque chose. » (T : 41)

Dans la première partie du récit, on décrit la tenue noire de Claudine : « son corsage noir, cuirassé, sans nulle place tendre où pût se blottir la tête d’un enfant ». (T : 21) Dans ce passage, le corsage étouffe littéralement le corps féminin. Ceci est une manière de faire intervenir la main à nouveau. Une main féminine qui étouffe Claudine. Cette « peau sociale95 » dont la noirceur traduit la « stricte obéissance aux normes96 » rend manifeste une vision janséniste de l’homme, prisonnier dans son propre corps comme le montre la présence de l’adjectif « cuirassé ». Dans une interview accordée à Pierre Paquette97, Anne Hébert, en parlant de sa formation religieuse, se rappelle l’uniforme qu’elle portait : une robe noire avec des manchettes blanches. Dans cette image de la robe noire, le blanc occupe une place réduite. Il agit à titre accessoire tandis que le noir y tient une plus grande place. Si au fil de notre analyse, nous n’avons pas pu éviter justement d’ébaucher une

95

Terence Turner cité par Annabelle Rea, « Un habit de lumière : vêtements et désir chez Anne Hébert », dans Filiations Anne Hébert et Hector de Saint-Denys Garneau, Ville Saint-Laurent, Fides (Cahiers Anne Hébert), 2007, p. 165.

96 Ibid., p. 166.

97 Pierre Paquette, « Anne Hébert », diffusé le 29 octobre 1975, dans Émission radio À l’antenne Archives Radio-Canada, Site de Radio-Canada [en ligne]. http://archives.radio-canada.ca/emissions/833-14699/page/1/ [Site consulté le 29

distinction entre le blanc et le noir, c’est plus par souci de clarté que par une réelle conviction de leurs différences, car dans cette image de la robe d’Anne Hébert, il est manifeste qu’existe une relation de complémentarité entre ces couleurs.

Étant donné que la couleur est avant tout une présence dont la totalité nous est à jamais insaisissable, car notre appréhension du sensible est imparfaite, il faut souvent convoquer d’autres sens pour saisir l’impact de la couleur comme le souligne Fontanille :

Si nous partons de l’appréhension sensible d’une qualité, toujours le rouge, par exemple, les expériences de Berlin & Kay, entre autres, nous montrent que nous ne percevons jamais du rouge, mais une certaine position dans une palette de rouges, position que nous identifions comme plus ou moins rouge que les autres. Comment peuvent se former des « valeurs » dans ces conditions? Il faut et il suffit que deux degrés de la couleur soient mis en relation avec deux degrés d’une autre perception, par exemple avec le goût des fruits qui portent ces couleurs. À cette condition seulement, nous pourrons dire qu’il y a une différence entre les degrés de la couleur, ainsi qu’entre les degrés du goût. Et la valeur d’une qualité de couleur sera alors définie par sa position à la fois par rapport aux autres qualités de couleur, et par rapport aux différentes qualités du goût98.

Cette citation est importante, car elle donne du poids à la présence d’une autre perception associée à la couleur, sonore dans le cas du « Torrent ».

Cette première analyse montre qu’au début de l’histoire, François ne paraît pas sensible à la couleur. Voilà pourquoi le contraste chromatique avec le noir est encore très faible ainsi que le contraste sonore suggéré par la pluie. Cependant très tôt dans le récit, une valeur de pureté est fortement marquée. Sa présence cherche à annuler le corps comme le montre la phrase : « Il faut se dompter jusqu’aux os. » (T : 20) Cette présence de la mort dans sa matérialité explique pourquoi le blanc prime dans cette première partie. La deuxième mention explicite du blanc est associée au bouleau blanc. Elle coïncide avec un déplacement temporel et spatial de l’instance du discours. Ce qui attire ici l’attention, c’est la capacité du personnage à déchirer le blanc par l’intervention de sa main. Puisqu’il n’habite plus la maison maternelle, il est livré à la nature et dans cet espace hétérogène surgit la couleur comme une intention d’établir un contact avec le monde. La troisième

mention du blanc que nous avons commenté ici est aussi une mention indirecte. En effet, il est question des « dents éblouissantes ». À cette variation dans l’intensité chromatique vient s’ajouter l’intensité sonore et lumineuse qui troublent et aveuglent le personnage. La mention des sons imaginaires du rire d’Amica ainsi que le son de son cœur montrent bien à quel point le blanc envahit le monde intérieur de François, installant le thème de la mort produite par la main.

3.4 Rouge et noir

Chaque détail restait présent.

Anne Hébert : 1950

Poursuivre notre réflexion sur la couleur implique une prise de conscience de sa nature instable, fugace qui contraste avec son apparition ponctuelle dans le récit. En effet, Anne Hébert attire notre attention sur des concentrations chromatiques qui altèrent l’atmosphère apparemment incolore du récit. Cette fois-ci, observons la couleur par excellence, le rouge, dont l’apparition conditionne une autre présence, celle du noir. Ici, la distinction entre les deux couleurs est moins accusée. Au fil de notre analyse, elle viendra s’estomper. Cinq passages exploitent les virtualités symboliques de cette couleur, notamment ses propriétés thermiques.

Dans la première partie du récit, François-narrateur se remémore la journée qui clôture sa formation de séminariste. Parmi ses souvenirs, on compte celui de la remise des livres de prix dont la couleur reste intacte dans l’esprit du personnage. Ce passage fait une mention explicite, pour la première fois, du rouge :

Je lui tendis les livres, semblables à tous les livres de prix, rouges et à tranches dorées. Qu’ils me semblaient ridicules, dérisoires! J’en avais honte, je les méprisais. Rouges, dorés, faux. Couleur de fausse gloire. Signes de ma fausse science. Signes de ma servitude. (T : 31)

Nous allons considérer la couleur comme un sujet à part entière. Marc Gontard affirme lors de son analyse du noir, du blanc et du rouge dans Kamouraska que ce dernier agit comme

un « véritable actant qui détermine des fonctions narratives essentielles comme “aimer” ou “tuer”99. » À nouveau, on voit que ce qui sous-tend ces actions est la main.

Mais avant d’aller plus loin, arrêtons-nous d’abord sur l’apparition du rouge qui appelle la présence de la lumière sous la forme de la couleur dorée : « [livres] rouges et à tranches dorées » (T:31). Le sème de brillance oriente notre lecture vers une interprétation du rouge envisagé, d’abord, comme surface. En effet, François ne réussit pas à percer l’apparence que lui impose l’enveloppe du livre. Étymologiquement, le terme « couleur » ne fait-il pas allusion à l’aspect extérieur des choses? Michel Pastoureau affirme que la couleur a une forte fonction classificatoire. C’est le cas ici puisque les livres rouges sont associés à la réussite scolaire : « L’année de rhétorique, j’arrivai premier et je remportai un très grand nombre de prix » (T : 29). Cependant, la couleur dorée a d’autres significations. La brillance est une ébauche de la flamme. Son intensité et, par extension, sa violence sont, pour l’heure, à peine ressenties par le personnage, mais elle laisse entrevoir un certain malaise qui n’est pas encore complètement verbalisé. Traditionnellement utilisé comme le symbole de la connaissance du monde, le livre est réduit dans cet exemple à une surface aplatie qui ne garde plus aucun contact avec le savoir. C’est alors que l’intervention du narrateur est pertinente, car elle structure ce qui échappe au regard. En effet, François évalue le rouge dans son extériorité, mais aussi dans son intériorité et cet exercice est une prise de conscience qui commence son lent parcours d’élaboration comme le démontrent les trois dernières phrases qui clôturent le passage : « Couleur de fausse gloire. Signes de ma fausse science. Signes de ma servitude. » (T : 31) L’intervention du narrateur active la description évaluative de la couleur : « Qu’ils me semblaient ridicules, dérisoires! J’en avais honte, je les méprisais » (T : 31). Cette description renvoie, au niveau thématique, à une piètre estimation de soi derrière laquelle se cache une certaine envie de provocation. La deuxième description évaluative est une évaluation véridictoire (« Rouges, dorés, faux.

99 Marc Gontard, « Noir, blanc et rouge : le chromo-récit d’Anne Hébert dans Kamouraska », dans Anne Hébert, parcours d’une œuvre : colloque de Paris III et Paris IV-Sorbonne, Montréal, L’Hexagone, 1997, p. 251.

Couleur de fausse gloire. Signes de ma fausse science. Signes de ma servitude ») qui signale une forme d’être au monde caractérisée par la trahison.

La deuxième mention du rouge n’est pas présentée comme une perception, mais évoquée par le sang : « De toutes les sonorités terrestres, ma pauvre tête de sourd ne gardait que le tumulte intermittent de la cataracte battant mes tempes. Mon sang coulait selon le rythme précipité de l’eau houleuse. » (T : 33) Le rouge associé au sang parle en faveur d’une véritable actantialisation du rouge comme le commente Marc Gontard : « Pour accéder au statut actanciel ces couleurs (noir, blanc et rouge) se sont d’abord sémantisées par une opération qui s’apparente à la synecdoque : […] le rouge [réfère] au sang. C’est ensuite par métaphorisation que ces couleurs vont passer du statut de prédicat au statut d’actant, à partir d’une opération de couplage [noir/blanc, blanc/rouge], qui confère aux sujets métaphorisés […] une compétence actoriale.100 » Ces observations sont précieuses pour notre analyse, car elles permettent de voir que le rouge s’actantialise, dans un premier moment, en femme alors que le noir s’aligne du côté masculin. Le couplage se configure ainsi rouge/noir, femme/homme. Pour ne pas faire d’affirmations trop hâtives, regardons d’abord comment le rouge s’actantialise en femme.

Le passage qui nous intéresse apparaît suite à la décision de François de ne pas suivre de formation religieuse, laquelle lui vaut d’être frappé à la tête, à plusieurs reprises, par sa mère. François, à la manière de Lautréamont, reçoit « la vie comme une blessure101 », blessure qui cependant ne saigne pas. Cette douleur refoulée est intense parce que le sang, dans ce passage de la nouvelle, est associé aux eaux torrentielles avec lesquelles se bat le personnage (« Je me débattais contre sa domination. [Celle du torrent] ») (T : 33). Dans la nouvelle, cette lutte est une revendication de l’eau qui « veut un

100 Ibid., p. 251.

101 « J’ai reçu la vie comme une blessure, et j’ai défendu au suicide de guérir la cicatrice. Je veux que le

Créateur en contemple, à chaque heure de son éternité, la crevasse béante.» Lautréamont, Œuvres complètes :

habitant102. » Cette coalescence forcée avec l’eau se traduit par l’allusion à l’eau organique, épaisse et surtout occulte qu’est le sang qui active, comme le dit Gilbert Durand, un imaginaire nocturne laissant transparaître la féminité. Jean Chevalier explicite le lien unissant le féminin, le rouge et le noir : « Le rouge sombre […] est nocturne, femelle, secret et, à la limite, centripète; il représente non l’expression, mais le mystère de la vie103. » Dans « Le Torrent », le rouge acquiert une autre caractéristique. Il est houle. La saillance perceptive gagne en intensité sonore parce que le sang torture avec son rythme accéléré l’espace rétréci du corps, représenté par la tête. Pourrait-on voir ici une intention de pulvériser l’esprit cartésien auquel François s’accroche pour ouvrir la voie à une vie profonde, marquée par la douleur?

L’intériorité de la coloration rouge contraste ici avec l’extériorité de sa première occurrence, où nous croyons voir son lien avec la brillance du feu qui annonce, à son tour, un lien avec le noir, car comme le dit Chevalier « ce rouge sombre et centripète revêt aussi une signification funéraire104 » caractérisée par la combustion. La réaction de Claudine devant la résolution de François de ne plus retourner au séminaire illustre bien la proximité du rouge avec la flamme : « Je vis le sang monter au visage de ma mère, couvrir son front, son cou hâlé. » (T : 32) Dans cette image subsiste un trait de verticalité. Cette violence sourde élabore une flamme destructrice insinuée par l’adjectif « hâlé ».

La troisième mention du rouge fait allusion au sang de Perceval : « Ce soir-là, la bête était déchaînée […] le cheval se démenait si fort que je craignais qu’il ne défonçât tout. Une fois à l’abri dans le fenil, je contemplais cette rage étonnante. Le sang sur son

poil se mêlait à la sueur. » (T : 36) (nous soulignons.) Ici le rouge est perceptible. Il a

comme support la peau noire de Perceval. Le personnage fait appel à l’intensité visuelle du rouge. La saillance perceptive est renforcée parce que cette couleur apparaît sous forme de

102 Bachelard, L’eau et les rêves : essai sur l’imagination de la matière, Paris, Corti (Livre de poche), 2005,

p. 221.

103 Jean Chevalier, et al., Dictionnaire des symboles, op. cit., p. 831. 104 Id.

blessure. Cette allusion au corps blessé contraste avec la faible fréquence du rouge qui pour exprimer sa violence compte seulement sur quelques apparitions. En fait, sa présence est calculée. Comme le constate également Dolores Ferraton dans son étude de Kamouraska : « [l]a source première [du rouge] est la broderie d’Élisabeth où elle dévoile ses projets secrets105 » [:]

Sur fond jaune une rose rouge éclatante, inachevée!... S’éveillent la laine écarlate, les longues aiguillées, le patient dessin de la fleur de sang. Le projet rêvé et médité, à petits points, soir

après soir, sous la lampe. 106

L’apparition du rouge est présentée comme s’il s’agissait de gouttes. Quel meilleur moyen de nourrir l’imagination symbolique qu’en faisant appel à une constellation de rouge dont rend parfaitement compte la broderie qui ajoute à cette image un sème de douleur aiguë exprimé avec maîtrise par le recours aux « petits points » réalisés à l’aide d’aiguilles. Dans

Kamouraska, le rouge apparaît ainsi par petits points.

Comme nous l’avons précédemment indiqué, les couleurs ont une représentation concrète. La force de l’image du cheval répond à ce besoin dans le sens où elle sature le noir et le rouge. Dans ce passage, ces couleurs se mêlent aussi pour représenter un érotisme comme le suggère la phrase : « Le sang sur son poil se mêlait à la sueur ». (T : 34) Cette incapacité de plonger dans son désir donne plus de poids à la douleur qui prend toute la place pour extirper pratiquement toute source de plaisir.

Jusqu’à maintenant, le rouge et le noir se rapprochent jusqu’au point de ne pouvoir faire appel à l’un sans parler de l’autre. Concrètement, le sang exploite les virtualités des deux couleurs en installant au passage une double isotopie. D’une part, il y a une isotopie