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Partie IV.  Référentiel expérimental

4.  Étude géochimique des structures expérimentales

4.4.  Extraits lipidiques (CG-SM)

4.4.2.  Bilan de l’approche qualitative

4.4.2.1. Bruit de fond des échantillons témoins

Les deux échantillons servant de témoins (M1 et 2014 I) ont livré un signal relativement diversifié, mais ténu. Dans les deux cas, seule une plus forte concentration des extraits a permis d’obtenir des chromatogrammes exploitables. Le bruit de fond lipidique du substrat des expérimentations semble donc minime.

D’un point de vue qualitatif, ce sont principalement des composés aliphatiques, et notamment des acides gras, qui sont détectés aux côtés de produits de la dégradation des triacylglycérols. Des stérols (cholestérol et phytostérols) sont également fréquents. Comme cela est développé plus loin, ces composés renvoient à une matière organique naturellement présente dans les sols et très probablement issue de MO végétale et/ou bactérienne, bien que la plupart d’entre eux soient relativement ubiquistes. Notons que dans 2014 I, de rares composés (un diacide C9 et quelques alcools courts par exemple) évoquent des composés retrouvés dans les échantillons clairement affectés par nos expérimentations. Il est cependant difficile de dire s’il s’agit là du véritable signal « naturel » de cet échantillon de contrôle ou bien d’une contribution de l’expérimentation et donc d’une contamination.

4.4.2.2. Éléments non diagnostiques

D’un point de vue qualitatif, la forte contribution des acides saturés C6 à C18, dominés par C16:0 et C18:0, et la présence d’acides monométhylés sont récurrentes dans chacun de nos échantillons et ne constituent donc pas à proprement parler une signature spécifique. Nous verrons cependant plus loin (Cf. Partie IV.4.4.3) que leur distribution peut être porteuse de sens. Leur présence peut aussi bien signaler une MO issue de la biomasse végétale, qu’animale et/ou microbienne.

La présence de cholestérol est, elle aussi, systématique. En raison de son occurrence dans les tissus animaux, celui-ci est fréquemment considéré comme un marqueur de MO animale (Christie, 2014). Cependant on ne peut pas totalement exclure une origine fongique ou bactérienne (Huang et Meinschein, 1976 ; Volkmann, 2005 ; Christie, 2014), et ce composé n’est donc pas véritablement diagnostique.

Les acides monométhylés C15 et C17 sont souvent considérés comme des marqueurs de MO d’origine fongique et/ou bactérienne (Saiz-Jimenez and De Leeuw, 1986 ; Dudd et al., 1998 ; Kanthilatha et al., 2014 ; Spangenberg et al., 2014). Cependant d’autres travaux (Dudd et al., 1999 ; Christie, 2014) ont montré qu’ils pouvaient être produits dans le système digestif de ruminant. Dans le cadre de nos expérimentations, cette seconde possibilité ne peut être totalement exclue.

Enfin la présence de squalène, un précurseur de nombreux stérols, peut avoir une origine naturelle. Il s’agit également d’un plastifiant fréquemment utilisé et présent naturellement sur la peau (Evershed, 1993 ; Grenacher et Guerin, 1994 ; Heron et al., 2010). Dans la mesure où plusieurs échantillons ont livré des composés très clairement liés à des pollutions issues de plastique (phtalates), cette dernière hypothèse est donc difficile à écarter.

4.4.2.3. MO végétale

La présence de phytostérols relativement communs que sont le sitostérol et le stigmastérol et, dans un cas, de terpènes (taraxerone, α-amyrone et lupenone) renvoie clairement à la présence de MO végétale dans les échantillons de contrôle (M1 et 2014 I) ou impliquant l’utilisation de bois comme combustible (2012J et 2014 IIc ; Huang et Meinschein, 1976 ; Vilegas et al., 1997; Mathe et al., 2004 ; Simoneit, 2005 ; Hernández-Chávez et al., 2012). Les composés aliphatiques de chaînes longues sont également fréquemment considérés comme des marqueurs de MO végétale. Ainsi, les alcanes, alcools (>C17) et acides saturés (>C18) des échantillons M1, 2012J, 2012I et 2014 IIa,b, c et d indiquent une présence claire de MO végétale. Dans le cas des alcanes il peut s’agir de composés issus de la cire épicuticulaire de divers végétaux (Spangenberg et al., 2014) tandis que les alcools et les acides sont des composés plus ubiquistes de la dégradation de tissus végétaux (Evershed et al., 1999 ; Poirier et al., 2005 ; Knicker et al., 2013).

Différents dérivés phénoliques et acides benzoïques retrouvés dans les échantillons 2012I, 2012J et 2014 IIa, b, c et d sont des sous-produits de la dégradation de la lignine (Simoneit et al., 1993 ; Quénéa et al., 2004 ; Simoneit, 2005 ; Regert et al., 2006 ; Shadkami et Helleur, 2010). Dans la mesure où ils sont retrouvés exclusivement dans nos expérimentations impliquant l’utilisation de bois, ils peuvent être considérés, à la suite d’autres travaux (March et al., 2014), comme des marqueurs de la contribution de ce type de combustible.

4.4.2.4. MO végétale thermo-altérée

La présence d’HAP dans l’extrait de 2012J et de 2014 IIc peut être interprétée comme le résultat d’une carbonisation poussé de MO (Simoneit et al., 1993 ; Knicker et al., 2005 ; Kaal et al., 2009 ; Alexis et al., 2012 ; De la Rosa et al., 2012). Leur présence dans les échantillons ayant impliqué l’usage de bois comme combustible laisse penser qu’il s’agirait donc de la trace de la carbonisation de ce type de matière. Dans les échantillons 2014 IIa, b et c la présence de dérivés benzéniques peut également être interprétée dans ce sens, car ils se retrouvent fréquemment dans les produits de la combustion du bois (Schauer et al., 2001). Par ailleurs, l’absence de prédominance marquée des alcanes de chaînes impaires dans ces échantillons peut également être vue comme l’indice d’une altération thermique de MO ligneuse (Eglinton et Calvin, 1967 ; Wiesenberg et al., 2009 ; De la Rosa et al., 2012 ; March et al., 2014).

4.4.2.5. MO animale

Dans les expérimentations impliquant l’utilisation d’os ou de viande (M2, 2012H, 2012I et 2014) la présence de l’acide insaturé C18:1 parmi les principaux contributeurs des extraits lipidiques est en accord avec son statut bien établi de marqueur de MO animale (Malainey et al., 1999a ; Nieuwenhuyse et al., 2015). Plusieurs autres composés reflètent la présence de graisse altérée par hydrolyse ou oxydation. Les contributions d’acides saturés de courtes chaînes (C8 et C9 en particulier), de diacides (C4 à C11), de (di)hydroxy-acides ou d’oxo-acides peuvent ainsi être attribuées à la dégradation d’acides insaturés, éventuellement d’origine animale dans les échantillons M2, 2012H, 2012J et 2014 (Wexler, 1964 ; Mills, 1966 ; Takatori et al., 1986 ; Erhardt, 1998 ; Van Den Berg et al., 2002 ; Rontani et Aubert, 2008). Il est également possible que le MAG 1-Monomyristin, et les autres dérivés de triacylglycérols, renvoient à la contribution de graisse

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animale dans les échantillons des expérimentations impliquant de l’os ou de la viande (Nolte et

al., 1999). Toutefois le caractère ubiquiste de ces composés, qui par ailleurs sont pour beaucoup

identifiés dans les contrôles, incite à la prudence.

4.4.2.6. MO animale altérée thermiquement

Dans les échantillons des expérimentations ayant impliqué la chauffe d’os (2012I et 2012H), la présence de diacides monométhylés courts (C4 à C10) et les alcools courts (< C17) semblent correspondre à des marqueurs de l’altération thermique de MO animale, bien que peu de références existent (Nawar, 1989 ; Rogge et al., 1991 ; Evershed et al., 2002). Dans ces échantillons et dans ceux de l’expérimentation 2014 (2014 IIa, b, c et d), des γ-lactones et des cétones sont également détectés. Ce sont des marqueurs fréquemment mentionnés dans le cadre d’altération thermique de graisse et de viande (Nawar, 1969 ; Rogge et al., 1991 ; Evershed et al., 1995, 2002 ; Raven et al., 1997 ; Schauer et al., 1999 ; Lucquin, 2007 ; Belitz et al., 2009).

Dans le cas de l’expérimentation 2014, des composés azotés, notamment des nitriles, des amides ainsi que des aromatiques ou des hétérocycliques (dérivés de la pyrimidine, benzamide, etc.) ont été détectés dans les extraits des échantillons 2014 IIa, b, c et d. Ces types de composé sont relativement peu fréquemment documentés et/ou considérés dans le domaine des résidus archéologiques dans la mesure où ils sont supposés avoir un faible potentiel de conservation (e.g. Eglinton et Logan, 1991 ; Evershed et Tuross, 1996 ; Peters et al., 2005 ; Pollard et al., 2007). Cependant, et malgré leur occurrence possible en lien avec de la MO végétale thermoaltérée (Makou et al., 2009) ou des plastifiants (Grosjean et Logan, 2007), dans la mesure où nous ne les avons observés que dans les échantillons de l’expérimentation 2014, nous pensons qu’ils peuvent être considérés ici comme de bons marqueurs de MO animale, en particulier de viande, thermoaltérée (e.g. Nawar, 1989 ; Simoneit, 2002 ; Simoneit et al., 2003 ; Cascarosa et al., 2011 ; Berruti et al., 2012 ; Rono et al., 2017). Les nitriles et amides peuvent par exemple se former par l’altération thermique d’acides gras en présence d’azote (Simoneit et al., 2003). Malgré tout, la reconnaissance de ces composés azotés à partir des extraits lipidiques demanderait à être précisée, éventuellement par des analyses complémentaires (e.g. Leinweber et al., 2013).

4.4.2.7. Synthèse

Sans minimiser l’existence du bruit de fond naturel, en grande partie imputable à de la MO d’origine végétale inhérente aux sédiments constituant le substrat de nos expérimentations, plusieurs signatures spécifiques aux expérimentations effectuées se sont dégagées (Tableau IV.17).

En premier lieu, dans les foyers ayant fonctionné avec du bois une augmentation du nombre de composés marquant la présence de MO végétale très probablement imputable au combustible est observée (2012J, 2012I et 2014 IIa, b, c et d). Il s’agit en particulier d’acides benzoïques et de dérivés du phénol qui sont de bons marqueurs de la dégradation de la lignine. Dans le cas des foyers 2012J et 2014, ceux-ci sont accompagnés d’HAP et de dérivés benzéniques qui peuvent être considérés comme résultant de la carbonisation de MO végétale.

Dans les foyers ayant fonctionné avec de l’os (2012H et 2012I), de la viande (2014) et dans l’expérimentation M2 (MO os sans chauffe), plusieurs groupes de composés correspondent à de la MO animale, notamment de la graisse plus ou moins altérée. Il s’agit en particulier de l’acide insaturé C18 :1et de diacides. Dans les foyers plus spécifiquement, plusieurs types de composés

reflètent l’altération thermique de la MO animale : γ-lactones et des cétones en particulier. La formation de diacides monométhylés courts (C4 à C10) et d’oxo-acides semble participer du même phénomène.

Le foyer ayant impliqué l’utilisation de bois et d’os (2012I) livre logiquement à la fois des marqueurs de MO végétale et de MO animale. Le même mélange est observé pour les échantillons 2014. Notons toutefois que dans l’échantillon 2014 IIa (sédiment rubéfié uniquement) la signature MO animale est plus ténue que dans les échantillons de sédiments noircis (2014 IIb, c et d).

Enfin, notons que dans les échantillons 2014 IIa, b, c et d des composés azotés ont été détectés et peuvent potentiellement correspondre à des marqueurs de MO animale, de viande thermoaltérée notamment.

Contrôles Foyer

bois MO os +sol Foyer OS Os+boisFoyer bois+viandeFoyer M1 2014

I 2012J M2 II 2012H II 2012I II 2014 IIa 2014- IIb, c et d

Acides saturés >c18 X X X X X MO végétale n-alcools >c17 X X X n-alcanes X X X Phytostérols X X X X Terpènes X Acides benzoïques X X X Composés phénoliques X X X Benzene derivatives

et naphtalenes X X X thermo altéréeMO végétale

Diacides (x) X X X X MO animale (Di)hydroxy-acides X Diacides monomethyles <c10 X MO animale faiblement altérée Oxo-acides X X Acides monomethylés <m-c12 X X MO animale thermo altérée n-alcools <c17 (x) X X X X Cétones X X X y-lactones X X X X Amines / nitriles X Composés aromatiques azotés (x) X X

Tableau IV.17: Synthèse des principaux marqueurs identifiés par CG-SM dans les extraits lipidiques issus des expérimentations.

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