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Aux États-Unis d’Amérique, la conséquence du premier amendement

d’expression dans la société numérique

A) Les fondements juridiques et l’encadrement de la liberté d’expression : de la presse écrite à l’Internet

3) Aux États-Unis d’Amérique, la conséquence du premier amendement

Aux États-Unis d’Amérique, la liberté d’expression n’est pas protégée par le texte original de la Constitution, mais par le premier amendement362 qui fait partie des dix amendements363 qui

prennent effet dès 1791364, et les interprétations successives de la Cour suprême. Le premier

amendement est la justification d’une liberté d’expression quasi totale365, sans contrainte Il

interdit au Congrès des États-Unis d’adopter des lois limitant la liberté de religion et d’expression, la liberté de la presse ou le droit à s’« assembler pacifiquement ». La liberté ne peut être assurée que par la non intervention de l’État. La Cour suprême utilise le critère du « danger clair et actuel » pour limiter la liberté d’expression, ce critère reste le critère d’équilibre permettant d’opter entre les intérêts du gouvernement et la liberté d’expression366.

Le principe retenu par les États-Unis est que l’échange libre d’idées encourage la compréhension, fait avancer la recherche de la vérité et permet de débusquer le mensonge367.

Au milieu du XIXe siècle, John Stuart Mill défendait la notion d’une place de marché des

idées : « Primo, si une opinion est astreinte au silence, cette opinion autant que nous sachions

peut certainement être vraie. Le nier est prétendre être infaillible. Secundo, bien que cette opinion réduite au silence soit erronée, elle peut contenir, et généralement elle contient, une part de vérité et comme l’opinion dominante sur tout sujet est rarement ou jamais complétement la vérité vraie, c’est seulement par la confrontation d’idées que le reste de la vérité a une chance d’être révélée »368.

362 Constitution américaine du 17 septembre 1787 - Premier amendement de 1 791: “Congress shall make no law

respecting an establishment of religion, or prohibiting the free exercise thereof; or abridging the freedom of speech, or of the press; or the right of the people peaceably to assemble, and to petition the Government for a redress of grievances”, version disponible en ligne à http://www.usconstitution.net/const.html#Am1.

Traduction française proposée par la Documentation française : « Le Congrès ne fera aucune loi accordant une

préférence à une religion ou en interdisant le libre exercice, restreignant la liberté d’expression, la liberté de la presse ou le droit des citoyens de se réunir pacifiquement et d’adresser à l’État des pétitions pour obtenir réparation de torts subis», disponible à http://www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/election-presidentielle- americaine-2008/constitution-americaine.shtml#eztoc21806_2_8:.

363 Connus sous le nom de « Bill of Rights » (Déclaration des droits).

364 Adoptée par la Chambre des représentants le 21 août 1789 et le Congrès le 26 septembre 1789, la Déclaration

des droits est progressivement approuvée par les États fédérés. Ces amendements prennent effet le 15 décembre 1791 après la ratification par la Virginie.

365 Russell L. Weaver, Understanding the first amendment, LexisNexis, 5th edition, 2014, pp. 10-13.

366 United States Supreme Court, Schenck v. United States, Nos. 437, 438, Decided March 3, 1919, 249 U.S. 47. 367 Ambassade des États-Unis d’Amérique, « La liberté d’expression aux États-Unis », publié en 2003,

http://photos.state.gov/libraries/amgov/133183/french/1304_‑reedom_of_‐xpression_UnitedStates_‑rench_Digi tal.pdf , consulté le 6 février 2017.

368 Cité par Russel L. Weaver, Understanding the first amendment, LexisNexis, 5th edition, p. 10. “‑irst, if any

Alors que la protection du premier amendement n’était effective qu’au niveau fédéral, la Cour suprême l’a étendue, en 1931, au niveau des États fédérés369 et interdit aussi la plupart des

formes de restriction de la liberté de la presse. Mais en 1971, La Cour suprême autorise The

New York Times à publier des articles relatifs à la guerre au Vietnam370 alors que le

gouvernement soutenait que cette publication compromettrait la sécurité nationale. La décision de la Cour est basée sur le fait que le gouvernement n’a pas prouvé que la publication porterait une « atteinte directe, immédiate et irréparable à l’intérêt national », critère utilisé depuis 1919 avec l’arrêt Schenck371.

Selon l’interprétation actuelle, le Premier amendement interdit au gouvernement, au Parlement et au juge de limiter la liberté de presse ou d’expression au niveau fédéral et, en pratique, au niveau des États et des villes372. Cette limitation stricte du rôle du législateur empêche la mise

en place de protections sur Internet373. L’annulation de la Communications Decency Act de

1996 (DCA) aux États-Unis représente un échec pour ceux qui souhaitaient établir une régulation du contenu sur le réseau374. Une partie de cette loi voulait criminaliser des pratiques

illicites liées à l’obscénité et la violence lorsque l’éditeur avait connaissance du fait que ce contenu était susceptible d’être vu par des mineurs. L’administration Clinton et le Congrès souhaitaient étendre la protection des mineurs à Internet en aménageant des espaces non accessibles aux mineurs375. Cependant, sur le réseau, il est impossible de vérifier l’âge de

our own infallibility. Secondly, though this silenced opinion be in error, it may and very commonly does, contain a portion of the truth, and since the generally prevailing opinion of any subject is rarely or never the whole truth, it is only by the collision of adverse opinion that the remainder of the truth had any chance being supplied”.

369 United States Supreme Court, Near v. Minnesota, No. 91, Decided June 1, 1931, 283 U.S. 697.

370 United States Supreme Court, New York Times Co. v. United States, No. 1873, Decided: June 30, 1971, 403

U.S. 713,1.

371 United States Supreme Court, Schenck v. United States, Nos. 437, 438, Decided March 3, 1919, 249 U.S. 47. 372 United States Supreme Court, Near v. Minnesota, No. 91, Decided June 1, 1931, 283 U.S. 697.

373 Viviane Serfaty, « Le refus d'interdire : éléments pour une analyse de la liberté d'expression sur Internet aux

États-Unis », Raisons politiques, 2012/3 (n° 47), pp. 189-202. URL : https://www.cairn.info/revue-raisons- politiques-2012-3-page-189.htm consulté le 11 décembre 2017.

374 Nicolas Curien, « IV Neutralité et droits du citoyen », dans La neutralité d’Internet. Paris, La Découverte, «

Repères », 2011, pp. 65-82. URL : https://www.cairn.info/la-neutralite-d-internet--9782707167156-page-65.htm

conté le 11 décembre 2017.

375 Onze ans plus tard, ce problème de l’accès à la pornographie par les adolescents reste d’actualité. Le Président

Macron a écrit sur Twitter le 25 novembre 2017 : « La pornographie a franchi la porte des établissements

scolaires. Nous ne pouvons ignorer ce genre, qui a fait de la femme un objet d’humiliation ». Le même jour, dans

un discours prononcé à l’Élysée, il a précisé : « nous ne régulons pas aujourd’hui l’accès aux jeux vidéo, aux

contenus sur Internet, aux contenus pornographiques de plus en plus diffusés. […] Nous devrons donc repenser le cadre de notre régulation, en particulier des contenus audiovisuels, en prenant en compte l’évolution du numérique afin d’étendre les pouvoirs et la régulation du CSA » (discours disponible à l’URL : http://www.elysee.fr/declarations/article/discours-du-president-de-la-republique-a-l-occasion-de-la-journee- internationale-pour-l-elimination-de-la-violence-a-l-egard-des-femmes-et-du-lancement-de-la-grande-cause-du- quinquennat/ consulté le 11 décembre 2017.

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l’internaute. Ainsi, tout site qui pourrait être considéré comme dommageable pour un mineur devrait être complètement interdit. Ceci restreindrait la liberté d’expression des adultes. Le 8 février 1996, le jour où la loi a été signée par le Président Clinton, l’American Civil

Liberties Union (ACLU) et dix-neuf autres groupes ont porté plainte devant la Cour Suprême,

pour violation du premier amendement de la Constitution américaine. La Cour Suprême a rendu sa décision le 26 juin 1997376, et elle a censuré cette loi. La Cour a souligné la puissance

d’Internet comme moyen de communication en comparant Internet à une tribune où tout individu peut s’exprimer librement, tenant ainsi un raisonnement proche de celui du Conseil constitutionnel français377 ou de la Cour européenne des droits de l’homme378. ‐lle a considéré

que l’intervention gouvernementale sur le réseau ne pouvait que nuire à la liberté d’expression, et en particulier celle des adultes. La Cour a identifié dans la loi contestée deux effets paralysants379. Premièrement, en limitant les contenus explicitement sexuels ou indécents, la

loi pourrait viser par ricochet, outre la pornographie, les informations sur la contraception ou les maladies sexuellement transmissibles. Deuxièmement, les éditeurs ne souhaitant pas prendre de risques seraient amenés à cesser la mise à disposition de contenus pornographiques destinés aux adultes380. La Cour invite plutôt les autorités publiques à trouver d’autres modalités

pour protéger les mineurs, par exemple l’information parentale et le filtrage.

Il semble également qu’aux États-Unis d’Amérique, une loi interdisant des propos d’incitation à la haine raciale ou religieuse serait contraire au Premier Amendement381. ‐n effet, en 1992,

la Cour Suprême382 a invalidé un arrêté municipal interdisant le placement d’objets, de

symboles ou de graffiti susceptibles de provoquer l’indignation ou la colère d’autrui en raison de leur race ou de leur religion.

376 United States Supreme Court, Reno c/ACLU, no 96-511, decided June 26,1997, 521 U.S. 844.

377 Conseil constitutionnel, décision no 2009-580 DC du 10 juin 2009, Loi favorisant la diffusion et la protection

de la création sur Internet.

378 Cour européenne des droits de l’homme, Affaire Ahmet Yildirim c/ Turquie, requête no 3111/10, arrêt du 18

mars 2013.

Cour européenne des droits de l’homme, Affaire Cengiz et autres c. Turquie, requêtes nos 48226/10 et 14027/11,

arrêt du 1 décembre 2015.

Cour européenne des droits de l’homme, Affaire Jankovskis c. Lituanie, requête no 21575/08, arrêt du 17 janvier 2017.

379 ‐n anglais « chilling effects ».

380 Winston J. Maxwell, « La jurisprudence américaine en matière de liberté d’expression sur Internet »,

Étude 2014 du Conseil d’État, « Le numérique et les droits fondamentaux », septembre 2014, pp. 393-406.

381 Ibid.

382 United States Supreme Court, R.A.V. v. City of St. Paul, No 90-7675, decided June 22, 1992, 505 U.S. 377

Cette non-intervention du législateur sur Internet semble être remise en cause pour des raisons commerciales. ‐n effet, la neutralité du réseau Internet votée en 2015383 sous la présidence de

Barack Obama semble être remise en cause. La Federal Communications Commission ou ‑CC remet en cause le principe d’égalité de traitement des flux de données par les opérateurs de télécommunications, en ne leur imposant qu’une simple règle : être « transparents sur leurs

pratiques, pour que les consommateurs puissent souscrire à l’offre qui leur convient le mieux ».

Ainsi, un opérateur de télécommunications pourra favoriser le débit du réseau pour certaines offres et le réduire pour d’autres, sur la base contractuelle de l’abonnement à ses services384.

L’administration américaine privilégie la dérégulation au profit d’une auto-régulation ouvrant la voie à une restriction d’accès à certains services. L’UCLA ou d’autres associations en référeront-elles à la Cour suprême au titre du premier amendement ?

La liberté de pensée et d’expression est aussi l’objet de textes au niveau du continent américain. La Convention américaine relative aux droits de l’homme385 protège avec ses articles 12 et 13

la liberté de conscience et de religion et la liberté de pensée et d’expression. Le 1er alinéa de

l’article 13 est très ouvert : « Toute personne a droit à la liberté de pensée et d’expression ; ce

droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, que ce soit oralement ou par écrit, sous une forme imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix ». Le second alinéa

exclut toute censure préalable, mais précise que cette liberté comporte des responsabilités fixées par la loi. Cette convention institue une Commission interaméricaine des droits de l’homme qui reçoit et instruit les plaintes ou pétitions, et une Cour interaméricaine des droits de l’homme qui ne peut être saisie que par la Commission ou un des États.

Tous ces textes sont applicables et d’actualité dans la société numérique et la démultiplication des moyens d’expression. Mais si aux États-Unis d’Amérique, le premier amendement est ainsi la justification d’une liberté quasi totale, la liberté d’expression connaît en ‐urope des

383 Le 26 février 2015, la ‑CC a considéré par 3 voix contre deux que l’Internet devait être considéré comme un

« bien public » (Martin Untersinger, « Le régulateur des télécommunications a annoncé après des années de débats de nouvelles règles concernant le traitement des données sur le Web », 26 février 2015, Le Monde.fr, URL :

http://www.lemonde.fr/pixels/article/2015/02/26/etape-decisive-pour-la-neutralite-du-net-aux-etats- unis_4583490_4408996.html consulté le 11 décembre 2017).

384 Relaté par la presse : Amaelle Guiton, « Les États-Unis vers l’Internet à deux vitesses », 22 novembre 2017,

Libération, URL : http://www.liberation.fr/planete/2017/11/22/les-etats-unis-vers-l-internet-a-deux- vitesses_1611829; Valentin Graff, « Neutralité du Net : l’égalité numérique mise à mal aux ‐tats Unis par l’administration Trump », 30 novembre 2017, France 24, URL : http://www.france24.com/fr/20171130-etats- unis-neutralite-net-egalite-numerique-trump-mozilla-internet-fcc, consultés le 11 décembre 2017.

385 Convention américaine relative aux droits de l’homme, adoptée à San José, Costa Rica, le 22 novembre 1969,

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atténuations légales386 acceptées par la Cour européenne des droits de l’homme si elles ne sont

pas excessives et nécessaires à l’ordre public387. Aucune législation commune européenne ou

internationale n’existe pour limiter de façon harmonieuse la liberté d’expression388 et défendre

d’autres droits attaqués par certaines pratiques liées à la liberté d’expression. Certains États encadrent cette liberté par la loi ou la jurisprudence389, d’autres comme les États-Unis

d’Amérique protègent de façon stricte cette liberté au détriment d’autres droits. Mais si le Premier Amendement protège le citoyen contre des mesures prises par l’État ou ses représentants, il ne semble pas protéger le citoyen des contrats privés qui limiteraient cette liberté d’expression par la mise en place d’une véritable censure.

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