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6.1. INTRODUCTION

Dès son installation dans le milieu, un récif artificiel interagit avec son environnement. Souvent, la colonisation des récifs artificiels est le fait de peuplements existants dans les zones naturelles (Matthews, 1985 ; Bohnsack et al., 1994 ; Wanthiez & Thollot, 2000). En concentrant les ressources et en les rendant plus accessibles aux engins de pêche, les récifs artificiels peuvent permettre d’augmenter la biomasse exploitée. Le taux biomasse exploitée / biomasse globale augmente et peut aboutir à terme à une surexploitation du stock (Polovina, 1991). Cette hypothèse est à privilégier dans le cas des espèces observées sur les récifs artificiels uniquement au stade de sub-adulte ou adulte. L’association d’une espèce au récif peut être évaluée en première approche par la permanence de cette espèce sur le récif. Inversement, l’hypothèse de production considère que les récifs artificiels (RARs) vont permettre d’augmenter la biomasse globale des ressources exploitées. Pour une espèce donnée, cette augmentation de biomasse peut intervenir par plusieurs processus (Harmelin & Bellan-Santini, 1996) :

1) En augmentant la production en juvéniles. Les habitats créés par les RARs sont hautement appropriés pour l’installation et la protection des juvéniles, conduisant à un recrutement local plus élevé et un meilleur taux de survie des juvéniles. Cela intervient lorsque les RARs sont correctement placés et spécialement conçus pour une fonction de nurserie.

2) En augmentant la production somatique. La nouvelle biomasse peut résulter de plusieurs mécanismes. Elle peut être produite par les individus associés au RAR qui bénéficient des ressources nutritives engendrées par ce récif ou par un transfert d’individus provenant d’habitats aux alentours. La production somatique peut également s’accroître par une meilleure protection des individus contre la prédation (Harmelin & Bellan-Santini, 1996) ou une augmentation de la biomasse des prédateurs qui viennent se nourrir sur les récifs artificiels (Wanthiez & Thollot, 2000).

3) En augmentant la production gonadale. La protection efficiente apportée par les RARs, spécialement contre la pêche, permet d’obtenir, comme dans le cas des réserves, un nombre plus important de grands individus fertiles dont la fécondité est beaucoup plus forte que celle de petits individus fertiles (Bohnsack, 1990). En effet, la production gonadale des poissons est un multiple de la production somatique des adultes (Demartini et al., 1994).

En zone tropicale, et particulièrement à la Réunion, les peuplements ichtyologiques des récifs artificiels sont dominés par les stades juvéniles (voir chapitre IV). Si les récifs artificiels peuvent permettre une production supplémentaire d’une espèce, c’est donc à travers les processus qui

intéressent les stades précoces (post-larves, juvéniles). La plupart des poissons récifaux, notamment ceux d’intérêt halieutique, ont un cycle de vie bipartite composé d’une phase pélagique (stade larvaire) et d’une phase benthique (stade juvénile et adulte), séparées par une phase d’installation (stade post-larve). C’est donc à travers une meilleure compréhension des processus d’installation et post-installation des juvéniles qu’on pourra déterminer si les récifs artificiels peuvent permettre une production supplémentaire.

La première partie de ce chapitre traitera donc des phénomènes d’installation et de post installation observés sur les récifs artificiels de différents types et entre récifs artificiels et milieu naturel. La production annuelle par type de récif artificiel a été calculée pour une espèce (Myripristis berndti).

Nous avons ensuite choisi de sélectionner des espèces qui, d’après les données bibliographiques, peuvent correspondre à chacun des modèles : attraction, production, situation intermédiaire. Ces différentes situations peuvent être rapprochées des catégories écologiques (types A, B et C) des espèces inféodées aux récifs artificiels (Nakamura, 1985).

Les espèces de type A sont des espèces qui vivent en contact avec le récif et qui colonisent les anfractuosités : on retrouve dans cette catégorie, les Serranidae comme Epinephelus fasciatus. Ces espèces fortement inféodées au substrat pourraient donc bénéficier du nouvel habitat que sont les récifs artificiels.

Les espèces de type B vivent à proximité du récif, mais ne sont pas en contact avec lui : on y retrouve les Lutjanidae (Lutjanus kasmira). Elles pourraient illustrer la situation intermédiaire.

Enfin, les espèces de type C sont les espèces pélagiques qui se retrouvent occasionnellement agrégées autour des récifs artificiels : on y retrouve essentiellement les Carangidae (genres Caranx,

Selar, Decapterus). Pour cette famille, les récifs artificiels favoriseraient leur attraction mais sans

permettre une production complémentaire. L’étude du comportement de ces espèces (mobilité et rayon d’action autour RAR) nécessite l’utilisation de méthodes acoustiques (Santos, 1997).

6.2. RECRUTEMENT ET RECIFS ARTIFICIELS

6.2.1. Introduction

La comparaison des espèces s’installant dans les deux milieux, naturel et artificiel, est essentielle dans la gestion des ressources exploitées. Si une zone naturelle existante ne correspond pas aux exigences d’une espèce au moment de l’installation, la création d’un nouvel habitat peut permettre à cette espèce de s’installer là où elle n’aurait pu le faire auparavant. À l’échelle de la période de compétence de la larve (période pendant laquelle la larve a la capacité de s’installer), le récif artificiel peut donc permettre à un plus grand nombre de larves de s’installer sur une petite échelle (quelques km). Par contre, si le milieu naturel permet déjà à cette larve de s’installer, la mise en place d’un récif artificiel va rediriger une partie du pool larvaire vers ce nouveau milieu(Wilson & Osenberg, 2002). L’impact du récif artificiel sur la structure de la population dépendra alors des processus de régulation post-installation. Le bilan global pour l’espèce dépendra de la capacité du récif artificiel à compenser en croissance et/ou en survie les pertes du milieu naturel.

Une étude menée à la Réunion sur l’installation des poissons récifaux a montré que le niveau du flux larvaire à la Réunion est extrêmement faible, comparativement à d’autres régions de l’Indo-pacifique et que sa composition et son intensité sont variables d’une année à l’autre (Durville et al., 2002).

Jusqu’à une période récente, on considérait que les larves étaient des particules inertes dont le déplacement et la survie en milieu pélagique étaient essentiellement contrôlés par les conditions océanographiques. On expliquait ainsi la forte variabilité temporelle et spatiale du recrutement par le caractère stochastique des conditions de milieu. Les facteurs de régulation des populations de poissons coralliens opéreraient essentiellement avant l’installation. C’est l’hypothèse du « recrutement limitant ».

Inversement, d’autres auteurs pensent que les facteurs de régulation des populations de poissons démersaux interviennent après l’installation des post-larves par des processus de régulation dont la plupart sont denso-dépendants. Dans ce cas, la limitation des ressources (habitat, nourriture) et la compétition avec les autres espèces vont limiter la taille des populations. C’est l’hypothèse « habitat limitant ».

En fait, les deux hypothèses ne s’opposent pas et sont probablement complémentaires. Les processus interviennent successivement au cours de la vie des cohortes et leur impact définira le niveau final de la population, notamment au moment de la première reproduction. Ainsi Vigliola

(1998) a montré que les processus post-installation réduisaient sensiblement la variabilité du nombre de recrues par rapport aux flux larvaires.

¾ Afin de déterminer l’impact que peuvent avoir les récifs artificiels sur le recrutement des espèces démersales (types A et B), j’ai dans un premier temps chercher à caractériser la variabilité annuelle du recrutement sur des récifs artificiels en mesurant l’abondance et la diversité de l’ensemble des recrues au cours de deux cycles annuels (mars 2001 à avril 2003).

¾ J’ai ensuite comparé les espèces recrutant en milieu naturel et en milieu artificiel afin d’évaluer le nombre d’espèces concernées par le phénomène de redirection des larves vers les récifs artificiels. L’étude a été menée sur un an (avril 2002-avril 2003).

¾ Certains auteurs ont mis en évidence le fait que, pour certaines espèces, les larves ne s’installaient que dans certains milieux. Par exemple, Haemulon flavolineatum recrute essentiellement dans les herbiers et les mangroves (Cocheret de la Morinière et al., 2002). Dans d’autres cas, c’est la configuration physique du site (pente, granulométrie) qui va être déterminante. Ainsi les sparidés recrutent préférentiellement dans des zones de galets peu profondes (Harmelin-Vivien et al., 1995 ; Vigliola, 1998). Certains mérous ne recrutent que dans des biotopes bien définis (Sale et al., 1984a;Light & Jones, 1997 ; Sluka et al., 2000 ; présente étude) dépendant de la profondeur et de la configuration. J’ai donc cherché à savoir si la structure des RARs d’architectures différentes permettait de sélectionner les espèces qui s’installent.

6.2.2. Résultats

Observations sur le comportement des espèces