• Aucun résultat trouvé

Évolution des densités / Survie

Si le résultat est approximativement le même (mortalité presque totale en 42 jours), les courbes ont une forme complètement différente pour les deux espèces étudiées. Pour E. merra, la diminution des densités en fonction du temps suit une tendance linéaire, tandis que l’évolution des densités d’E. fasciatus suit une fonction puissance.

À l’intérieur du récif frangeant, protégé des perturbations physiques, le facteur régulant la mortalité des juvéniles de E. merra devrait être normalement la prédation, un facteur denso-dépendant. Letourneur et al. (1998) ont montré l’existence d’un cannibalisme significatif durant les phases de recrutement massif. La survie post-installation est ainsi fortement influencée par la prédation intraspécifique. Les installations de masse pourraient être une adaptation pour assurer un taux de survie suffisant et ainsi le renouvellement des populations, en compensant la carence en ressources trophiques dans les eaux tropicales connues pour leur pauvreté. Les taux de mortalité de

E. merra observés en 2002 sont identiques à ceux observés en 1994 (Letourneur et al., 1998) sur les platiers internes de Saint Gilles et La Saline. Cependant pour l’arrière récif des zones de St Leu et la Saline, les taux de mortalité observés en 2002 sont près de 10% supérieurs à ceux de 1994. Même si les conditions physiologiques des larves peuvent avoir une influence directe sur leur survie post-installation (Booth & Hixon, 1999), les fortes houles de 2002 ont pu contribuer à cette mortalité supplémentaire.

Dans des environnements ouverts soumis à forte agitation (houles), comme sur la pente externe ou la baie de St-Paul, les facteurs principaux régulant les populations juvéniles sont la prédation et les conditions environnementales. Des séries de fortes houles ont touché l’île à la fin du mois de mars 2002, ce qui peut expliquer la réduction rapide du nombre d’individus de Epinephelus

fasciatus et le caractère non denso-dépendant de leur mortalité. Des perturbations physiques

sévères, comme les cyclones durant les phases d’installation, peuvent certainement éliminer certains organismes et limiter la taille des populations. Les facteurs physiques sont fréquemment considérés comme des facteurs denso-indépendants car leur impact est indépendant de la taille des populations.

de survie (“denso-dépendance cryptique”). Concernant les récifs artificiels, le degré d’installation de E. fasciatus est supérieur à celui du milieu naturel, mais les taux de survie y sont inférieurs. Ce résultat pourrait être en relation à la fois avec l’architecture des récifs artificiels, peu adaptée aux espèces cryptiques comme les mérous (West et al. 1994), et la position « isolée » des récifs artificiels (Nanami & Nishira, 2003). Il est effectif que la mortalité a été totale dans les milieux à forte énergie (e.g. RN), alors qu’en milieux à faible énergie, les taux ont été moindre (e.g. RS, RC). En prenant en compte sa nature denso-indépendante, cette mortalité est probablement le résultat de phénomènes biologiques, comme la prédation, mais surtout de phénomènes physiques, comme l’agitation associée aux cyclones (Bohnsack et al., 1991). Cependant la denso-dépendance de la mortalité post-installation peut aussi dépendre du niveau initial d’installation (Vigliola, 1998). Ainsi celle observée pour E. merra pourrait être liée au nombre élevé de juvéniles nouvellement installés (maximum : 330±36), alors que ce nombre est plus faible pour E. fasciatus (maximum : 163,3±81) .

Nous suggérons que dans les milieux protégés comme l’intérieur des récifs frangeants, le principal facteur mis en cause dans la mortalité est la prédation (interspécifique et cannibalisme entre les larves), facteur denso-dépendant. À l’inverse, la mortalité suit une courbe exponentielle dans les milieux ouverts, elle est non denso-dépendante et les taux de survie finaux sont plus faibles, suggérant l’impact prépondérant des facteurs physiques, comme l’agitation (séries de fortes houles après l’installation). Cette suggestion est appuyée par le fait qu’en baie de Saint-Paul, deux zones ont été définies au regard des conditions hydrodynamiques (Troadec, 1991). RS et RC sont situées dans une zone de faible énergie et montrent des taux de survie similaires, alors que sur RN, situé en zone de forte énergie, montre une mortalité totale.

Conclusion

Au moment de cette installation massive, nous avons vu que les espèces s’installaient préférentiellement dans certains biotopes. La dynamique de survie post-installation est différente à l’intérieur des récifs frangeants par rapport aux milieux ouverts comme la pente externe, suggérant l’implication de facteurs différents.

À la lumière de la spécificité des sites choisis par chaque espèce au moment de l’installation et de la forte mortalité observée, les conséquences pour la gestion des ressources doivent être les

mêmes pour les deux espèces. Comme signalé par Hixon & Webster (2002), la conservation de toute population implique la protection de processus naturels denso-dépendants ou l’imposition artificielle de cette denso-dépendance. Cet objectif plaide en faveur d’une protection renforcée des zones de récif frangeant qui constituent presque exclusivement la zone d’installation de certaine espèces comme E. merra. À l’échelle de l’île, cela signifie de conserver la complexité des récifs coralliens et maintenir un habitat continu avec une grande diversité d’abris, permettant ainsi la persistance des processus denso-dépendants. Pour E. fasciatus, ses zones d’installation favorables semblent être l’interface entre le substrat dur et le substrat meuble. La multiplication des interfaces (par exemple un réseau de petites structures connectées) pourrait, dans ce sens, favoriser l’installation d’un nombre supérieur de larves. Cependant, comme signalé par certains auteurs (Brock & Kam, 1994 ; Beets & Hixon, 1994), l’architecture de chaque projet doit prendre en compte le comportement des espèces au début de sa vie benthique et offrir des abris efficaces en premier lieu contre les perturbations physiques et, dans une moindre mesure, contre la prédation. Cela pourrait permettre d’obtenir des taux de survie plus élevés pour ces post-larves et assurer la denso-dépendance des processus post-installation. Des études expérimentales sont nécessaires pour quantifier le rôle de chaque facteur (denso-dépendant versus non denso-dépendant) dans les processus de régulation des communautés de poissons.

6.3.2 . Distribution de l’espèce Lutjanus