• Aucun résultat trouvé

Des échanges littéraires en ligne

2.2 Approches sociologiques

Avec une approche sociologique, Gesine Boesken étudie les plateformes d’écri-ture en ligne pour décrire les phénomènes actuels de lecd’écri-ture et d’écrid’écri-ture en ligne comme activités littéraires dans Literarisches Handeln im Internet: Schreib- und

Leseräume auf Literaturplattformen71. Boesken analyse les structures et méca-nismes des plateformes, s’intéresse aux motivations des utilisateurs et utilisatrices et développent des critères pour décrire l’échec ou le succès de leurs activités.

Ann Steiner, également avec une approche sociologique, étudie 220 blogs de lecteurs suédois en 200972. Steiner se concentre sur la relation entre les blogueurs et blogueuses et les critiques littéraires professionnels, entre les blogueurs et blo-gueuses et le marché du livre et arrive à proposer une distinction entre blog professionnel commercial, blog professionnel commercial, blog individuel non-professionnel et blog de groupe non-non-professionnel. La chercheuse discute la sépara-tion entre amateur et professionnel dont la frontière s’effrite à l’ère du numérique

les nombres de lectures et de commentaires vers la fin du récit. Une analyse des commentaires pour les classiques révèle que nombreux sont ceux qui expliquent le contenu des paragraphes dans un anglais difficile à comprendre pour beaucoup d’adolescents. ibid., p. 14-22.

70. Les auteurs ont identifié les paragraphes qui ont suscité le plus de réponses des lecteurs et lectrices. Les résultats montrent que la valence émotionnelle d’un récit a un effet direct sur la réaction des lecteurs et lectrices. Ils réagissent le plus souvent suite à l’apparition d’un person-nage drôle, surtout si celui-ci réagit contre la violence, des tyrans, des personperson-nages déplaisants avec du sarcasme. ibid., p. 36-39.

71. Gesine Boesken, Literarisches Handeln im Internet : Schreib- und Leseräume auf

Lite-raturplattformen, Constance : UVK Verlagsgesellschaft mbH, 2010, isbn : 978-3-86764-236-1.

72. Voir Ann Steiner, « Personal Readings and Public Texts : Book Blogs and Online Writing about Literature », dans : Culture Unbound, Vol. 2, 2010, en ligne <http://www. cultureunbound.ep.liu.se/v2/a28/cu10v2a28.pdf>.

et propose d’avoir recours à la notion « pro-am73 » à l’égard des blogueurs et blogueuses littéraires dont elle étudie les activités74.

Dans sa thèse “Danke für deinen Eintrag ins Logbuch.” Literarische

Mas-senkommunikation im Social Web75, Julia Schönborn constate le manque d’un aperçu des phénomènes de la communication littéraire en ligne76. Elle développe une approche interdisciplinaire se basant notamment sur les études des médias permettant la description de la communication littéraire en ligne77 dans ses di-verses formes primaires et secondaires. Sa thèse ne se résume pas à l’analyse de la communication autour de la littérature mais s’intéresse aussi à la production de textes littéraires (par exemple Effi Briest comme performance sur Facebook, l’écriture d’un roman par posts sur Facebook, l’écriture d’un roman par tweets78) sur le web. Elle prend en compte autant le social reading que le social writing pour décrire les méthodes de travail, les particularités et le potentiel créatif de l’écri-ture littéraire en ligne. Avec la description de ses observations et ses tentatives de les mettre en résonance avec des catégories (lecteur, auteur, texte) des études lit-téraires, Schönborn offre un instantané des diverses formes de la communication littéraire sur Internet en soulignant leur ouverture, leur flexibilité, leur évolution permanente et ainsi leur potentiel de devenir un objet d’analyse fructueuse pour les études littéraires.

Katharina Lukoschek s’intéresse dans son projet de thèse « Sekundäre Lite-rarische Kommunikation offline und online – Literaturkritik, Bücherblogosphäre, Social Reading Communities und Kundenrezensionen im Vergleich79 », comme Schönborn, aux influences de l’Internet sur les échanges autour de la littérature en développant un modèle d’analyse se servant de la sociologie de la lecture et de la théorie des médias. Ce modèle est ensuite appliqué à quatre formes d’échanges littéraires : la critique dans les journaux, les magazines littéraires, les blogs de lecteurs et lectrices et le social reading.

Dans La prescription littéraire en réseaux : enquête dans l’univers

numé-rique80, Louis Wiart propose une analyse des réseaux sociaux numériques

fran-73. Voir Charles Leadbeater et Paul Miller, The Pro-Am Revolution : How Enthusiasts

Are Changing Our Economy and Society, Londres : Demos, 2004, en ligne <http://www.demos.

co.uk/files/proamrevolutionfinal.pdf?1240939425> (visité le 09/05/2018).

74. Voir section 4.2 (p. 169) au sujet de la notion « pro-am » pour caractériser les lecteurs et lectrices partageant leurs critiques en ligne.

75. Julia Schönborn, « “Danke für Deinen Eintrag ins Logbuch” : literarische Massenkom-munikation im Social Web », Fribourg-en-Brisgau : Albert-Ludwigs-Universität Freiburg, 2014, doi : 10.6094/UNIFR/10398.

76. Voir ibid., p. 9. 77. Voir ibid., p. 10. 78. Voir ibid., p. 104-108.

79. Katharina Lukoschek, « Sekundäre Literarische Kommunikation offline und online -Literaturkritik, Bücherblogosphäre, Social Reading Communities und Kundenrezensionen im Vergleich », Thèse de doctorat, Göttingen : Georg-August-Universität Göttingen, en ligne <ht tp://www.uni-goettingen.de/de/475134.html> (visité le 03/05/2018), projet de thèse en cours.

cophones dédiés à la lecture. Avec un regard sociologique, Wiart s’intéresse à l’inscription de ces réseaux dans l’industrie du livre, aux publics et à leurs usages, aux stratégies et modèles économiques des acteurs en notant les fonctionnalités différentes des sites, en se servant d’entretiens avec les responsables des sites et de questionnaires à destination des internautes. Il étudie surtout la visibilité des œuvres sur Internet en considérant les sites sous l’aspect prescriptif du double point de vue de l’offre et de la demande. Il y joint une étude de cas sur Babe-lio avec une comparaison quantitative du nombre de critiques sur BabeBabe-lio d’un échantillon de mille livres avec le nombre des mentions dans les médias tradition-nels. Sa conclusion porte sur trois mutations principales de la prescription à l’ère du numérique : sa réintermédiation, son industrialisation et sa polarisation.

La mobilisation massive des internautes qui produisent du contenu de re-commandation et le consultent à la fois conduisent à la réintermédiation81 de la prescription : « Le modèle de relation qui caractérise la prescription littéraire en ligne implique le déploiement de solutions de production et de cautionnement de l’information, qui s’appuient sur le réseau social, sur l’expertise éditoriale et sur un système informatisé de recommandations82. » La concurrence entre les dif-férentes plateformes, la multiplication des initiatives commerciales, l’agrégation des contenus dans une perspective marchande par des initiatives commerciales se multipliant conduit à l’industrialisation83 de la prescription84. La polarisation de la prescription décrit le partage de l’attention des internautes entre le

star-81. Voir aussi à ce sujet l’article de Valérie Croissant : « Loin de croire que le Web ôterait les intermédiaires classiques pour permettre aux individus un accès direct aux objets de la culture (supposé que l’on sache ce qu’est un accès direct), c’est bien une recomposition des espaces de la médiation culturelle qui se déroule avec notamment l’arrivée de nouveaux acteurs, issus des industries médiatiques. […] À travers la mobilisation des amateurs et amatrices, d’autres formes de médiation sont construites avec notamment la mise à distance des institutions culturelles comme garantie d’un pouvoir délégué aux internautes. » Valérie Croissant, « La recommanda-tion culturelle des amateurs sur le Web : Senscritique ou la fabrique des prescripteurs », dans :

Prescription culturelle : Avatars et médiamorphoses, sous la dir. de Brigitte Chapelain et

Syl-vie Ducas, Papiers, Villeurbanne : Presses de l’enssib, 16 oct. 2019, isbn : 978-2-37546-084-9, en ligne <http://books.openedition.org/pressesenssib/9433> (visité le 21/04/2020), paragraphe 23 de l’édition numérique.

82. Louis Wiart, « Conclusion », dans : La prescription littéraire en réseaux : enquête dans

l’univers numérique, Papiers, Villeurbanne : Presses de l’enssib, 21 mai 2019, isbn :

978-2-37546-080-1, en ligne <http://books.openedition.org/pressesenssib/7500> (visité le 20/04/2020), paragraphe 5 de l’édition numérique.

83. Valérie Croissant s’interroge également sur l’industrialisation et le modèle économique des plateformes qui est souvent peu lisible de par l’effacement énonciatif qui met les activités de l’internaute en exergue et tend à rendre l’énonciateur neutre ou absent : « Qu’en est-il de l’approche d’un produit culturel à partir d’un espace dont il est impossible de cerner la stratégie économique ou éditoriale, parfois même parce qu’elle n’existe pas encore ? Pour un internaute, comment “ajuster” sa pratique évaluative quand il ne sait pas ce qu’il adviendra de ses productions discursives et ignore la manière dont elles seront valorisées économiquement par la plateforme ? C’est bien la compréhension des cadres de référence des sites web mobilisant de la recommandation qui fait défaut et qui complexifie l’appréhension des pratiques qui s’y inscrivent. » Croissant, « La recommandation culturelle des amateurs sur le Web », op. cit., paragraphe 8 de l’édition numérique.

system et les romans de niche ; on observe une représentation exceptionnellement importante de la littérature de genre (romans de science-fiction, de fantastique, de fantasy), de même qu’un effet de vedettariat – reproduction des hiérarchies traditionnelles de l’édition et de la prescription – et de longue traîne – visibilité offerte à un choix élargi d’ouvrages85.

Dans « Readers of Popular Fiction and Emotion Online86 », Beth Driscoll combine une méthodologie de sociologie de la culture, notamment une combinai-son de la sociologie critique et de la sociologie pragmatique (les travaux de Pierre Bourdieu ainsi que les réactions critiques par Luc Boltanski, Laurent Thévenot et Bruno Latour) avec une approche de méthodes mixtes mêlant de la sentiment

analysis computationnelle et de la lecture attentive et qualitative, ciblée sur des

extraits pour analyser comment les lecteurs et lectrices de littérature de diver-tissement se servent d’un langage émotionnel pour participer à des controverses culturelles en ligne87. Driscoll applique cette méthodologie à un échantillon de discussion en ligne autour de No One Else Can Have You (Kathleen Hale, 2013) pour une étude de cas afin d’expliquer sa méthodologie proposée. Après la pu-blication de son début en littérature de jeunesse, Kathleen Yale s’obsessionnait pour les critiques portant sur son roman et publiées sur Goodreads, faisait des re-cherches pour trouver l’identité (en allant jusqu’au stalking) d’une de ses lectrices-critiques ayant laissé une mauvaise critique et relatait ses expériences dans un ar-ticle au Guardian. Cet arar-ticle a provoqué de nombreuses réactions. L’échantillon de l’étude consiste en 902 commentaires sous l’article en question, en 747 critiques Goodreads avant et 741 critiques après la publication de l’article et des billets (les 20 premiers trouvés par une recherche Google ‘Kathleen Hale blog’) sur des blogs de lecteurs et lectrices. Les résultats obtenus dans l’analyse de sentiment par l’ou-til SentiStrength classent les commentaires issus du Guardian comme les moins émotifs, les billets sur les blogs comme les plus émotifs, tandis que les critiques sur Goodreads sont entre les deux, avec un déclin d’émotivité après la publication de l’article88. Driscoll explique l’émotivité élevée des billets de blogs par l’enga-gement plus fort dans les relations auteur/autrice-lecteur/lectrice dans le champ de la fiction populaire, ainsi que par leur investissement dans des textes critiques souvent plus longs que ceux de Goodreads. La longueur permet plus d’occurrences de mots connotés émotionnellement89. Même si Driscoll constate la difficulté de l’outil SentiStrength à séparer les mots émotionnels en relation avec le contenu du livre de ceux de la réaction des lecteurs et lectrices, elle souligne que la méthode

85. Voir ibid., paragraphes 13-17 de l’édition numérique.

86. Beth Driscoll, « Readers of Popular Fiction and Emotion Online », dans : New

Direc-tions in Popular Fiction, sous la dir. de Ken Gelder, Londres : Palgrave Macmillan UK, 2016,

doi : 10.1057/978-1-137-52346-4_21. 87. Voir ibid., p. 426.

88. Voir ibid., p. 436. 89. Voir ibid., p. 440.

offre néanmoins la possibilité de comparer différents échantillons par rapport à un thème, révélant ainsi la diversité du recours au langage émotionnel portant sur le même thème sur des sites différents et à des moments différents. La méthode assistée par ordinateur appliquée sur un grand échantillon de textes lui permet de prendre du recul à l’égard du processus interprétatif pour observer la surface du langage de lecteurs et lectrices à travers un large corpus, ainsi propose-t-elle d’ajouter à l’analyse de la fréquence des mots et l’analyse de réseaux, l’analyse de sentiment pour l’exploration des commentaires de lecteurs et lectrices90.

Dans « Book Blogosphere on the Polish Internet91», Kinga Kasperek livre des conclusions exploratoires et préliminaires sur sa comparaison entre des articles écrits par des critiques professionnels et des billets dans des blogs de lecteurs et lectrices amateurs. Kasperek constate des différences de style – notamment la pauvreté du langage du côté de blogueurs et blogueuses – et de contenu – no-tamment des impressions personnelles, la mention d’aspects physiques (tels que la lourdeur du livre), la documentation du processus de lecture, les jugements basés sur les émotions et les goûts idiosyncratiques du côté des blogueurs et blo-gueuses contre le développement d’une interprétation argumentée et le placement dans un contexte historique et littéraire plus large du côté des critiques littéraires professionnels. Kasperek s’intéresse aussi aux compétences et aux motivations et discute la fiabilité des avis des blogueurs et blogueuses compte tenu de leur coopération avec les maisons d’édition et les avis surtout positifs.

Dans l’article « #booklove: How Reading Culture is Adapted on the Inter-net92», Dorothee Birke et Johannes Fehrle analysent comment la culture du livre et la culture de lecture sont transposées et adaptées sur Internet. Deux études de cas – le Guardian Reading Group et le phénomène de BookTube (les vidéos célébrant la lecture et les livres qui sont partagés sur YouTube) – leur servent d’exemple pour démontrer la convergence de deux cultures médiatiques (l’im-primé et le numérique) où les livres im(l’im-primés et leur lecture trouvent leur place sur Internet. Tandis que l’étude de cas du Guardian Reading Group montre l’es-sai d’un journal traditionnel de se servir des affordances du web 2.0 pour ouvrir les critiques littéraires traditionnelles à une communauté de lecteurs et lectrices plus interactive, l’analyse du phénomène de BookTube informe sur la manière dont les livres plus que la lecture réelle de ceux-ci contribuent à la construction identitaire, la sociabilité, à l’auto-optimisation de la personne. Birke et Fehrle observent une fétichisation du livre comme objet matériel, une performance du livresque (bookishness), de même qu’un amour et un engagement dans la culture

90. Voir ibid., p. 442-446.

91. Kasperek, « Book Blogosphere on the Polish Internet », op. cit.

92. Dorothee Birke et Johannes Fehrle, « #booklove : How Reading Culture Is Adapted on the Internet », dans : Komparatistik Online, 2018, issn : 1864-8533, en ligne <https://www. komparatistik-online.de/index.php/komparatistik_online/article/view/191/145> (visité le 11/07/2019).

du livre comme mode de vie. Fehrle et Birke concluent que la culture du livre en ligne transformera la lecture mais que cette transformation durera compte tenu de la résilience du champ littéraire traditionnel ; d’autant plus que la plupart des

booktubeurs et booktubeuses viennent des mêmes classes socio-culturelles que les

acteurs traditionnels.

Les approches mentionnées dans cette section s’inscrivent dans le champ de la sociologie de la lecture, observent plutôt le contexte des échanges littéraires en ligne que le contenu de celles-ci – à l’exception des travaux de Driscoll93 et Kas-perek94 – et emploient peu de méthodes assistées par ordinateur – à l’exception de l’étude de Driscoll. La section suivante présentera quelques approches inscrites dans le champ des sciences de l’information et de la communication.