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Avec l’émergence de la psychiatrie biologique, mettre en évidence des marqueurs cérébraux des différentes pathologies psychiatriques est devenu un des objectifs principaux des laboratoires de recherche travaillant sur ces troubles. Afin de remplir cet objectif, il a été nécessaire de définir de façon objective les différentes catégories cliniques permettant, en théorie, d’étudier des populations homogènes et cohérentes de patients. Ainsi, lessystèmes d’évaluation de diagnostics doivent permettre, si on les suit à la lettre en examinant le patient, d’aboutir à un diagnostic et un seul. Le problème étant que la psychiatrie est basée sur l’évaluation de signes cliniques subjectifs, d’où une multiplicité des systèmes diagnostiques et une difficulté pour les psychiatres de s’entendre, d’un pays à l’autre, ou d’une école à une autre. Un des systèmes diagnostiques les plus couramment utilisés dans le monde vient de l’Association Américaine de Psychiatrie (American Psychiatric Association ou APA). La première version du D.S.M., Manuel Diagnostique et Statistique des troubles mentaux est publiée en 1952. En raison du poids de la recherche nord- américaine, le DSM va ensuite devenir l’ouvrage de référence pour la classification des troubles mentaux, particulièrement dans le domaine de la recherche. Sa première utilité est de permettre aux praticiens et aux chercheurs de parler dans les mêmes termes des mêmes maladies, grâce à un certain nombre de critères diagnostiques stricts. La classification des maladies mentales proposées par le DSM-III a marqué une rupture avec les précédentes classifications, car elle se voulait a- théorique, afin d’améliorer la fiabilité et la validité des diagnostics. Il s’agissait aussi de faciliter les recherches biologiques et cliniques en définissant des groupes de patients homogènes. Par ailleurs, la Classification Internationale des Maladies, développée par l’Organisation Mondiale de la Santé depuis 1948, propose également une description des troubles mentaux, qui ne se recoupe pas systématiquement avec celle du DSM (Tomkiewicz, 2004). Parmi les problèmes majeurs

soulevés par l’approche catégorielle, Steeve Demazeux souligne l’existence d’une comorbidité excessive des troubles psychiatriques diagnostiqués, celle de troubles « non spécifiques » pour les patients ne remplissant pas tous les critères des catégories clairement définies, et le phénomène transnosographique, mis en évidence par les résultats de la neurobiologie, la génétique ou la pharmacologie (Demazeux, 2007). Même si des avancées notables ont été réalisées dans l’explication du mode d’action neurochimique des psychotropes, la physiopathologie des maladies mentales reste aujourd’hui non élucidée. De plus, les liens entre les anomalies des neurotransmetteurs et les divers symptômes mentaux sont loin d’être clarifiés. Aujourd’hui, après plus d’un demi-siècle de recherches, les étiologies des maladies mentales demeurent inconnues et il n’existe pas de biomarqueurs établis des pathologies psychiatriques définies selon les catégories du DSM. Les responsables de l’APA reconnaissent par ailleurs qu’aucun indicateur biologique n’est suffisamment fiable pour mériter de figurer dans la dernière version du DSM (DSM-V) (Miller and Holden, 2010).

Plus récemment, l’institut national américain de la santé mentale, le NIMH (National Institute of Mental Health), a lancé le projet RDoC (Research Domain Criteria), encourageant l’utilisation d’approches dimensionnelles pour l’étude des maladies mentales. Selon Thomas Insel, l’actuel directeur du NIMH, cette nouvelle approche doit permettre d’identifier, au-delà des catégories diagnostiques définies par le passé, les signatures biologiques des dysfonctions sous-tendant les troubles psychiatriques (Hagele et al, 2015; Insel et al, 2010). L’origine de cette initiative vient du constat que les catégories diagnostiques basées sur le consensus clinique ne s’alignent pas sur les résultats issus des neurosciences cliniques et de la génétique. Par ailleurs, ces classifications cliniques ne prédisent pas la réponse aux traitements. En effet, les dernières données provenant des études de génétique, de neuro-imagerie, et des études d’observations longitudinales suggèrent que les catégories diagnostiques actuelles sont hétérogènes, présentant des sous-groupes de malades qui peuvent répondre différemment aux traitements disponibles. Enfin, ces catégories

basées sur la présentation des signes cliniques et des symptômes pourraient ne pas tenir compte des mécanismes biologiques sous-jacents (Insel et al, 2010). Le NIMH a donc initié le “RDoC project” en 2009, afin de développer un nouveau système de classification des troubles mentaux, basés sur les dimensions de la neurobiologie et du comportement. Parmi les avantages de l’approche dimensionnelle, se trouve la facilité d’exploration des différences entre les individus, chaque personne étant représentée par un profil de variations quantitatives et de graduations distinctes de l’état normal à pathologique. En revanche, un des désavantages majeurs de l’approche dimensionnelle reste la pluralité des dimensions et leur imprécision, sans qu’il existe d’accord sur le nombre et le type de dimensions qui puissent représenter les phénomènes psychopathologiques (Widakowich, 2013). Les objectifs à long terme de ce changement de stratégie sont d’identifier de nouvelles cibles thérapeutiques pour le développement de nouveaux traitements, de définir des sous-groupes pour la sélection des traitements, et d’obtenir une meilleure correspondance entre les données issues de la recherche et la prise en charge clinique, grâce à l’inclusion de la physiopathologie dans la classification clinique des troubles psychiatriques. En effet, le système des RDoC donne une grande importance à l’approche dimensionnelle, avec une vision particulière des symptômes, faisant partie d’une gamme complète de variations, d’un comportement ou d’une mesure biologique, allant de conditions normales à pathologiques. Ainsi, au contraire de la méthodologie classiquement adoptée dans les études cliniques comparant un groupe pathologique à un groupe contrôle, les RDoC impliquent la mise en place de procédures différentes. Il apparaît nécessaire d’envisager la définition d’une population d’étude basée sur d’autres critères que les catégories diagnostiques du DSM ou de la Classification Internationale des Maladies. Dans certains cas, il s’agirait simplement de réunir tous les patients présentant un certain type de symptômes (Cuthbert and Insel, 2013). Cette approche semble particulièrement adaptée à l’étude des liens entre fonction dopaminergique et circuit de la récompense en psychiatrie. En effet, comme nous l’avons vu précédemment, les deux

systèmes apparaissent étroitement liés chez l’animal et chez l’Homme en condition non pathologique. De plus, des anomalies dopaminergiques et des anomalies fonctionnelles du système de récompense ont été observées dans plusieurs maladies mentales.

Ainsi, les symptômes associés à l’altération du système de la récompense partagent des substrats similaires à travers différents troubles psychiatriques, soutenant une approche transdiagnostique (Whitton et al, 2015). Au sein du même domaine RDoC nommé « Positive Valence Systems », on retrouve la dopamine en tant que neurotransmetteur d’intérêt, et les processus de motivation et de récompense au sein des fonctions cérébrales d’intérêt. De façon similaire, des auteurs soutiennent aussi l’approche dimensionnelle pour l’étude de l’impulsivité dans les troubles psychiatriques (Robbins et al, 2012).