• Aucun résultat trouvé

C Quelle approche retenir pour identifier les connaissances critiques en agriculture ?

Nous remarquons que l'identification des savoirs critiques par l'analyse des processus ne met pas en exergue leur caractère stratégique, tactique ou opérationnel. Ainsi, l'élimination des adventices ne passe pas uniquement par la tactique de l'opération mécanique du désherbage. La lutte contre les adventices a en plus les deux autres dimensions :

la dimension stratégique avec la mise en place des rotations,

la dimension opérationnelle avec le réglage des machines.

Toutes ces techniques ont le même objectif de lutte mais aucune n'est plus importante qu'une autre. Dans la démarche linéaire du processus, les démarches préventives

Page 147 sur 248 Système informatique de capitalisation de connaissances et d’innovation pour la conception et le

pilotage de systèmes de culture durables

reposant sur la dimension du temps long de la rotation155 sont mal exprimées. De même, toutes les démarches professionnelles qui ont une dimension spatiale ne sont pas prises en compte avec cette méthode d'analyse de la criticité156. Les savoirs associés à des tâches ayant une composante de temps long ou spatiale ne sont ainsi pas mis en relief avec l'analyse des processus.

Les différents exemples présentés de l'approche conceptuelle illustrent son intérêt pour définir la criticité des connaissances dans le cadre de l'agriculture biologique. Elle répond à la question des interactions croisées entre techniques et ressources naturelles. L'approche par domaine donne du sens aux savoirs en les regroupant et en leur donnant une finalité. L'agriculture biologique ne s'appréhende d'ailleurs elle-même qu'en tant que système. Il en est de même pour les autres agricultures durables qui mettent en jeu face à un problème des solutions qui interagissent entre elles. L'approche systémique par domaine est donc la bonne réponse pour définir les savoirs critiques en agriculture durable.

III-2-3 L'essentiel du contenu de l'outil de gestion des

connaissances

La complexité de conception de système de culture durable explique que des savoirs ne puissent pas être proposés aux agriculteurs sous forme de modèles décisionnels complets (Osty 1990) et généralisables. Cependant, la seule présentation de monographies représentatives de chaque exploitation agricole n'est pas suffisante ni pertinente. Il existe bien une régularité des savoirs qui dépasse une exploitation agricole. A l'inverse, du fait de la variabilité des conditions pédoclimatiques de la production agricole, certains savoirs ne sont pas généralisables à grande échelle. Les connaissances que l'outil KOFIS privilégie sont situées entre des paquets techniques propres à chaque exploitation agricole et des savoirs académiques non opérationnels. Nous recherchons des connaissances actionnables, i.e. prêtes pour l'action. Nous souhaitons donc obtenir des représentations cognitives des connaissances critiques pour l'action en particulier pour concevoir des systèmes de culture innovants157, performants et durables dans leur contexte (Soulignac, Ermine et al. 2010b). Pour ce faire, nous distinguons deux types de ressources cognitives mobilisables : les connaissances thématiques et des savoirs contextuels dont nous précisons la portée.

Les connaissances thématiques sont celles décrites dans le modèle OIDC "grandes cultures biologiques" comme les connaissances agronomiques, économiques ou environnementales. Celles-ci ont une portée assez large. Elles sont constituées de techniques élémentaires qui sont autant de briques pour construire un système de culture complet.

Les plus réussis et génériques de ces SdCi pourraient être modélisés à l'échelle d'une exploitation agricole et stockés dans une bibliothèque selon l'idée de (Meynard 2008). Ils illustrent un savoir contextuel. Cet oxymore apparent est

155

L'agriculteur peut ainsi agir sur le stock initial des graines d'adventices par la rotation Ministère de l'agriculture de l'alimentation de la pêche et des affaires rurales, RMT Systèmes de Culture Innovants et Ministère de l'Ecologie de l'Energie du Développement durable et de la Mer (2011). Guide pratique pour la conception de systèmes de culture plus économes en produits phytosanitaires Application aux systèmes de polyculture 116 pages.

156

Exemple de l’assolement avec cette stratégie d'atténuation en culture qui repose sur le développement de sa compétitivité en l'implantant sur des parcelles propres Ministère de l’agriculture Ibid.

157

Page 148 sur 248 Système informatique de capitalisation de connaissances et d’innovation pour la conception et le

pilotage de systèmes de culture durables

propre à l'agriculture. La modélisation "donnée, information, connaissance" présentée dans le paragraphe I-2-1A est efficace pour décrire des processus cognitifs dans une production industrielle. Elle est limitée conceptuellement pour décrire les ressources cognitives nécessaires à la production agricole. La notion de référence, telle que décrite dans la Figure III-11, introduit un concept cognitif spécifique à l'agriculture. Ainsi, (Bortzmeyer, Couvreur et al. 2011) proposent de définir la référence comme "une information mobilisable pour agir, explicite (par opposition à un savoir tacite), exogène (construit par un tiers) et contextualisée (dont le domaine de validité est bien cerné)". Une référence est valable dans une zone géographique donnée associée à des données pédoclimatiques. Une référence tient donc à la fois d'un savoir localisé (donc d'une connaissance) et du conseil agricole (donc d'une information). Des références qui illustrent le fonctionnement théorique d'une exploitation agricole pourraient alimenter la bibliothèque grâce au cas type158 ou au cas concret.

o Un cas type est une "exploitation fictive, constituée par modélisation, et décrite grâce aux données concrètes et cohérentes des exploitations suivies d'un même système" (Cerf et Lenoir 1987). Le cas type est cognitivement efficace pour former et conseiller des acteurs de terrain.

o Un cas concret est "un cas type étudié en raison du caractère innovant sur certains points de ce type, mais dont la représentativité est généralement minoritaire sur le territoire du département ou de la région. Il est élaboré selon la même méthodologie que le cas type. L’intérêt majeur de ce cas concret est qu’il peut fournir des pistes d’orientations, de stratégies et d’adaptations des principaux systèmes d’exploitation du département ou de la région" (Chambre régionale d'agriculture de Bourgogne 2009).

o D'autres types de savoir contextuel sont possibles comme une monographie. Une monographie est la représentation d'une exploitation agricole réelle. Des représentations d'exploitations agricoles originales servent aussi de réservoir d'idées à combiner et à tester dans des environnements différents. Bien évidemment, leurs limites d'usage sont à préciser.

Dans le cadre d’un Système de Culture innovant et durable Connaissance

Données

Processus

d’interprétation Information Les savoirs à mobiliser en agriculture pour comprendre

Les informations mobilisables pour agir

Référence

Dans le cadre d’un Système de Culture innovant et durable Connaissance Connaissance Données Données Processus d’interprétation Processus d’interprétation Information Les savoirs à mobiliser en agriculture pour comprendre

Les informations mobilisables pour agir

Référence Référence

Figure III-11 : Donnée - Information - Référence - Connaissance

158

Page 149 sur 248 Système informatique de capitalisation de connaissances et d’innovation pour la conception et le

pilotage de systèmes de culture durables

A ces connaissances explicites, nous pouvons rajouter un annuaire détaillé de porteurs de connaissances tacites159 comme par exemple des agriculteurs ou des professionnels du développement agricole. Bien évidemment, les connaissances explicites aussi bien que les porteurs de connaissance doivent être ciblés en fonction de la criticité des connaissances. Ainsi, compte tenu des résultats présentés dans le Tableau III-2, les connaissances thématiques ou contextuelles doivent être plus particulièrement développées par rapport à la question des adventices ou de la fertilisation phosphatée. Nous allons maintenant traiter de la mise en forme des connaissances explicites.

III-2-4 Formalisation du contenu

L'outil à construire est d'abord un livre de connaissances informatisé. Les connaissances proposées sont métiers et de fait complexes. Elles sont enrichies des connaissances académiques. La logique de présentation des connaissances ne peut se réduire à une approche du type encyclopédique. Il faut pouvoir lier les connaissances entre elles. Des liens hypertextes n'y suffisent pas. Nous sommes à la recherche de formalismes adaptés au métier d'agriculteur et pouvant être utilisés par ces derniers. Ces modèles graphiques ont pour vocation de faciliter les processus cognitifs. Ils sont autant de portes d'entrée à des formes de connaissances plus approfondies comme les textes, et éventuellement des images ou des vidéos (Moity-Maïzi et Bouche 2008). Ces derniers supports contiennent plus spécifiquement des connaissances tacites comme le réglage de la herse étrille évoqué ci-dessus. Ainsi, les modèles structurent la connaissance. Nous allons étudier les types de modèles disponibles et retenir celui qui nous semble le plus adapté à notre problématique. Cette approche par les modèles nécessite à la fois un cadre méthodologique pour les construire mais également un langage de représentation (Abt 2010). Le modèle utilise en effet un langage graphique qui illustre des réalités métiers. Il y a trois types de langages possibles selon la syntaxe et la sémantique exploitée. Ils sont présentés dans le Tableau III-3.

Type Syntaxe Sémantique Exemple de langage

Formel Syntaxe et sémantique bien définies avec une possibilité de vérifier les propriétés du système décrit

Langage mathématique

Semi-formel

Syntaxe et sémantique souvent bien définies avec une impossibilité de vérifier les propriétés du système décrit

Formalisme graphique Informel Syntaxe et sémantique définies mais laissant la place à

de l'ambiguïté Langage naturel

Tableau III-3 : les trois types de langage de représentation (Vernadat 1999)160 (Vallespir, Braesch et al. 2003)

Pour être suffisamment expressifs, les types de modèles doivent représenter les différentes modalités de connaissances décrites dans le Tableau II-1 : typologie des connaissances. Leur modalité est déclarative (le "quoi" des choses), procédurale (le

159

En agriculture biologique, un tel annuaire existe déjà :

http://www.fibl.org/fr/collaborateurs.html 160

Cité dans Abt, V. (2010). Une approche méthodologique et de modélisation des exploitations agricoles dans une perspective d'ingénierie d'entreprise et de système d'information. Paris, Dauphine Université 665 pages

Page 150 sur 248 Système informatique de capitalisation de connaissances et d’innovation pour la conception et le

pilotage de systèmes de culture durables

"comment" des choses), explicative (le "pourquoi" des choses), conditionnelle (le "quand" des choses) et relationnelle (sur les interactions).

Dans un premier temps, nous allons nous intéresser à deux types de modélisation proposés dans le milieu agricole. L'un et l'autre se prévalent de l'ambition de représenter des connaissances associées aux métiers agricoles (Dufy, Abt et al. 2006; Abt 2010) :

1. le projet GIEA issu de l'ingénierie des systèmes d'information,

2. l'approche méthodologique et de modélisation des exploitations agricoles dans une perspective d'ingénierie d'entreprise et de système d'information développée par (Abt 2010).

Puis, nous proposons d'étudier la méthode Mask (Ermine 1996, 2e édition 2000) dans le contexte agricole. Enfin, nous classons ces trois types de modélisation. Au terme du paragraphe III-2-4A , nous retenons, bien entendu, la méthode de modélisation la plus pertinente pour gérer les connaissances en agriculture. Puis nous déclinons la modélisation sur quelques exemples dans le paragraphe III-2-4B .