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A.1 Le projet GIEA "Gestion des Informations de l'Exploitation Agricole"

La numérisation de l'économie agricole est en marche. Le besoin d'échange de données entre acteurs se développe. Au sein de la filière agro-alimentaire, les entreprises agroalimentaires et les fournisseurs des produits ont été les premiers acteurs à échanger des données informatisées. De ce point de vue, l'association Agro-Edi Europe161 a fédéré la profession autour de messages commerciaux tels que la dématérialisation de la facture. Dans cet exemple, le système d'information de chacun de ces organismes a la possibilité d'envoyer (ou de recevoir) une facture numérique dans un seul format quel que soit l'interlocuteur. Sans cette standardisation des échanges, chaque organisation aurait besoin d'une multiplicité de formats d'échange pour pouvoir communiquer avec chacun de ses partenaires. Pour être reconnu, ce langage commun s'appuie sur un vocabulaire et une syntaxe partagés entre tous. Les nouvelles technologies d'échange reposent sur des standards notamment le langage objet UML et les scénarios d'échange au format XML. UML est un langage de modélisation semi-formel. Il est composé de vues statiques et de vues dynamiques. UML ne comprend pas de cadre méthodologique. Une vue est constituée de plusieurs diagrammes. Le diagramme de classes est associé à la vue statique. C'est une représentation d'objets reliés entre eux. Chaque objet est défini dans le dictionnaire de données.

Le besoin ressenti par la profession agricole de faciliter les échanges administratifs et commerciaux depuis et vers l'agriculteur a conduit les acteurs à développer le projet GIEA "Gestion des Informations de l'Exploitation Agricole" en 2003. L'ambition de GIEA est d'aboutir à une structuration sémantique agricole commune des informations ayant une vocation à être échangées autour de l'exploitation agricole. Ce projet a regroupé sur une longue période de nombreux acteurs agricoles publics et privés. Ils ont travaillé sur trois domaines thématiques : le sol et les cultures végétales, l'élevage et l'exploitation (Dufy, Abt et al. 2006). GIEA a produit deux cents concepts organisés dans des diagrammes de classes (voir l’exemple de la Figure III-12) et un dictionnaire de données (Ministère de l'agriculture de l'alimentation de la pêche 2006).

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Figure III-12 : exemple d'un diagramme de classe issu du projet GIEA

Cette représentation est une première approche de la modélisation des connaissances. Elle a cependant deux inconvénients. D'une part, il lui manque les diagrammes pour avoir une vue dynamique de l'entreprise agricole comme le diagramme d'activités qui montre l'enchaînement des décisions et des actions par exemple dans la conduite d'une culture. D'autre part, le langage UML a pour vocation première d'être un outil de dialogue entre la maîtrise d'ouvrage d'une application informatique et ses développeurs162. De plus, GIEA ne propose pas de méthode. Si ces modèles traitent du métier de l'agriculteur, ils s'intéressent d'abord aux données. Ils sont adaptés à la spécification d'outils informatiques et sont donc orientés implémentation. Ils ont pour principale vocation de servir surtout de langage pivot pour les échanges informatisés de données agricoles. Mais nous verrons que ces modèles et leur contenu agricole, s'ils n'ont pas vocation de fournir directement les modèles cognitifs, pourraient jouer un autre rôle sémantique que nous développons dans le paragraphe III-3 LA COMPOSANTE TECHNOLOGIQUE. Nous avons besoin d'une représentation métier de l'exploitation agricole davantage intelligible à un être humain. Nous avons exploré un type de modèle issu de l'ingénierie des systèmes d'information. Cette ingénierie a comme principale vocation de spécifier des systèmes informatiques. Elle ne répond donc pas à notre besoin de représentation de connaissances dédiées à des agriculteurs. Nous allons explorer un autre type de modélisation issu de la représentation des métiers industriels.

A.2 Une méthode et des modèles agricoles issus de la modélisation industrielle

Ce paragraphe présente quelques éléments de la thèse de (Abt 2010). Ces travaux originaux ont porté sur l'adaptation aux exploitations agricoles de techniques de modélisation d'entreprise utilisées en génie industriel. Les cadres de modélisation du métier agricole s'avèrent en effet insuffisants. La démarche est double : d'une part mieux comprendre le système d'information, d’autre part mieux comprendre le système d'entreprise qui l'englobe selon la logique présentée dans la Figure III-13. Cette modélisation s'inscrit dans une ambition de réingénierie des processus de production agricole mais aussi dans celle d'une plus grande formalisation du système d'information de l'entreprise agricole. Elle est compréhensible par les gestionnaires "métier". Le résultat

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D'ailleurs, des outils informatiques intitulés les Ateliers de Génie Logiciel (AGL) produisent une part significative du code à partir de ces diagrammes.

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est un cadre méthodologique intitulé CEMAgriM163. Celui-ci s'intéresse à une exploitation agricole. Il n'a pas pour vocation d'être transversal à plusieurs exploitations agricoles.

Système Entreprise 1 Système 1 d’information 1 non 1 Formalisé 1 Système 1 d’information 1 non 1 Formalisé Système d’Information Système d’information non Formalisé Système d’information Formalisé SI Informatisé SI non Informatisé Système Entreprise 1 Système 1 d’information 1 non 1 Formalisé 1 Système 1 d’information 1 non 1 Formalisé Système d’Information Système d’information non Formalisé Système d’information Formalisé SI Informatisé SI non Informatisé

Figure III-13 : proposition de représentation pour le système d'information de l'entreprise agricole

d'après (Abt 2010)

Le cadre CEMAgriM est représenté dans la Figure III-14. Il instancie un cadre de modélisation CIMOSA164 issu de l'ingénierie d'entreprise (Vernadat 1996). Il propose six points de vue sur l'exploitation agricole : vue biophysique, vue environnement, vue organisation spatiale, vue physique, vue processus, vue ressource. Ces six points se déclinent encore selon deux modalités supplémentaires :

trois niveaux descriptifs (description générale, description opérative et description de pilotage),

deux phases de modélisation qui permettent de distinguer les modèles relevant du système existant et du système cible (Abt 2010).

Le caractère résolument descriptif de la démarche exprime peu les motivations des acteurs. Si les modalités déclaratives, procédurales, conditionnelles et relationnelles des savoirs sont bien décrites, la modalité explicative est insuffisamment traitée, y compris dans les aspects décisionnels des modèles. Ces derniers types ciblent surtout les processus de déclenchement et d'évaluation d'une opération sans expliciter suffisamment les raisons de cette opération. Le fait de cibler une exploitation agricole empêche en effet d'avoir le recul nécessaire pour mieux comprendre les tenants et les aboutissants d'une opération. Autant qu'une optimisation des processus de gestion agricole, c'est la mise en avant d'idées nouvelles que nous cherchons à faire émerger. Nous proposons de regarder si les méthodes de modélisation issues de l'ingénierie de la connaissance y répondent davantage.

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CEMAgriM : Cemagref Entreprise Modeling in Agriculture Integrated Methodology 164

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Figure III-14 : le cadre de modélisation CEMAgriM (Abt 2010)

A.3 Méthode d'explicitation en ingénierie des connaissances

Des méthodologies d'explicitation de connaissances tacites ont été développées. Nous avons inventorié ces méthodes d'explicitation des connaissances au paragraphe II-2-2E Méthodes et outils pour diminuer la criticité des savoirs : transfert indirect.

Les méthodes par la mémorisation de construction des projets sont d'autant plus délicates à mettre en place que chaque agriculteur a son projet. En lui-même, un projet peut difficilement produire de connaissances si celles-ci ne sont pas validées à l'échelle de plusieurs exploitations agricoles. Cette approche par la conception n'est pas a priori écartée car nous en reparlerons ultérieurement à travers la théorie C-K qui combine également conception et connaissance (voir paragraphe II-3-2C Vers une organisation orientée conception : la théorie C-K).

La méthode à adopter, issue de l'ingénierie des connaissances, est celle qui va formaliser des connaissances pour des humains. Pour cette raison, nous excluons des méthodes de spécification de systèmes informatiques comme la méthode CommonKADS. Au contraire, nous recherchons des modèles écrits simplement et lus intuitivement. Ces modèles sont des instruments de communication à l'attention d'usagers. La méthode Mask proposée par (Ermine 1996, 2e édition 2000) est adaptée à notre problème puisqu'elle fournit un ensemble de modèles ciblés sur la personne et non pas sur l'ordinateur. Nous avons déjà présenté cette méthode d'une façon détaillée dans l’Annexe 1 - LA METHODE MASK.

A.4 Quel cadre méthodologique retenir pour la représentation des connaissances en agriculture biologique grandes cultures ?

Nous avons donc un langage GIEA et deux méthodes, CEMAgriM et Mask, à comparer. Nous retenons comme critère de comparaison les facteurs suivants :

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la présence d'une méthode qui est une garantie quant à la rigueur attendue pour le recueil des connaissances ;

la capacité de représenter des connaissances thématiques, ainsi que la capacité de représenter une exploitation agricole à travers un cas type, un cas concret ou une monographie, selon l'approche retenue au paragraphe III-2-3 ;

la nature du langage pour représenter les modèles et la facilité d'appropriation professionnelle des modèles par l'usager ; en effet, un trop lourd investissement pour l'appropriation d'un langage est antinomique avec une participation forte des usagers à l'outil (voir paragraphe II-5 LES FACTEURS CLÉS DE SUCCÈS POUR LA GESTION DES CONNAISSANCES sur les conditions de réussite d'un outil) ;

des modalités de connaissances étendues (voir Tableau II-1: typologie des connaissances) ; si toutes les connaissances ne sont pas représentées, les savoirs critiques décrits doivent l'être dans la gamme de modalités la plus large possible. Le Tableau III-4 compare ces critères pour les trois types de représentation graphique. La comparaison met en évidence les points suivants :

Eléments de comparaison GIEA CEMAgriM Mask

Type de représentation Issu de l'ingénierie des Systèmes d'Information Issu de l'ingénierie d'entreprise Issu de l'ingénierie des connaissances

Cadre méthodologique Non Oui Oui

Capacité de représenter des

connaissances thématiques Non Non Oui

Capacité de représenter une

exploitation agricole Oui Oui Oui

Sémantique du langage Semi-Formel Semi-Formel Informel

Facilité d'appropriation des modèles Orienté informaticien du monde agricole Orienté usager du monde agricole Orienté usager d'un domaine de connaissance Modalité de connaissance

Déclarative Oui Oui Oui

Procédurale Non Oui Oui

Explicative Non Non Oui

Conditionnelle Non Oui Oui

Relationnelle Non Oui Non

Tableau III-4 : comparatif des trois types de représentation

Pour la connaissance thématique, seule la méthode Mask a la capacité de la représenter. Par contre, sa limite est dans l'absence de la modalité relationnelle. Celle-ci n'apparaît pas toujours utile lors de la modélisation d'un cas type. Si cette modalité s'avérait cependant nécessaire pour illustrer par exemple une organisation commerciale originale, il sera toujours possible d'utiliser un modèle de données ou de traitement (issu de la méthode Merise ou bien du langage UML).

Pour la représentation de cas type ou de monographie d'exploitation agricole, la méthode CEMAgriM est intéressante car d'une part elle est orientée vers les usagers du monde agricole, d'autre part sa gamme de modalité de

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représentation des connaissances est assez complète. Malheureusement, il faudrait développer la dimension explicative des modèles. Celle-ci est essentielle pour transmettre des idées novatrices.

Nous avons envisagé d'adapter la méthode CEMAgriM en y ajoutant la modalité explicative. Nous avons alors deux solutions possibles résumées dans le Tableau III-5. Type de connaissance à

formaliser Solution 1 Solution 2

Connaissance thématique

Mask

Mask Représentation d'une

exploitation agricole

CEMAgriM enrichie d'une modalité explicative Tableau III-5 : comparatif de solution pour la formalisation de connaissances Nous retiendrons uniquement la méthode Mask à la fois pour représenter les connaissances thématiques et pour représenter une exploitation agricole. Elle est immédiatement adaptée pour exprimer les mécanismes de résolution de problème associés aux connaissances. Cette compréhension par l'usager final est indispensable pour l'appropriation de solutions innovantes à l'échelle d'une exploitation agricole. De plus, le choix exclusif de Mask pour standardiser la représentation des connaissances évite à l'utilisateur l'apprentissage de deux méthodes.

B Les modèles Mask appliqués à l'agriculture biologique grande