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Cettee th se se positionne dans la lignée des courants théoriques des sociologies de l’État et de l’action publique, qui interrogent l’évolution de son fonctionnement et de son organisation. Nous prenons le parti de l’observation à tous les niveaux de la mise en œuvre des politiques publiques. Les services déconcentrés de l’État, en position intermédiaire dans les chaînes d’application des politiques publiques, servent de base à l’étude.

Toutefois, l’étude des seules logiques administratives internes ne suffict pas à la compréhension des changements à l’œuvre. Les échelons de décision en amont (administrations centrales, minist res, agences centrales) et ceux de mise en œuvre (associations, partenaires privés ou parapublics, agences, collectivités locales, bureaux d’études) doivent être également pris en considération dans l’étude des pratiques et de l’action publique. L’analyse de politiques publiques apparaît ainsi comme un révélateur de l’évolution du rôle des services déconcentrés dans leurs nouveaux contextes d’action. Elle permet de contextualiser l’expertise et de l’appréhender.

Les services déconcentrés comme analyseurs des évolutions de l’action publique

Les réformes successives de l’État (lois de décentralisation, réformes des services déconcentrés, transferts de compétences, agenciarisation) ont pour conséquence un changement important des modalités d’action de l’État dans la mise en œuvre des politiques publiques au niveau territorial. Les services déconcentrés sont concernés par ces évolutions. Nous faisons l’hypoth se qu’ils constituent des analyseurs pertinents des restructurations des relations entre l’État et ses territoires. Notre étude s’inscrit d s lors dans un champ de recherche sur l’État et son positionnement dans la société. Nous prenons les services déconcentrés comme objets d’analyse afien d’étudier les conséquences des réformes sur l’action publique. Cettee entrée par les services territoriaux, intermédiaires de l’application des politiques publiques, présente un double intérêt analytique.

Elle permet d’une part d’analyser les enjeux et les impacts de la réforme structurelle que représente la RéATE. Nous pouvons ainsi discuter le pronostic de 2006 de Patrice Duran sur la fien de la déconcentration : : : B « Après avoir longtemps géré puis cogéré le territoire, on voit maintenant l’État clairement s’en retirer, et la fusion actuelle DDE-DDAF est probablement un des derniers

soubresauts d’un État déconcentré qui, dans sa confinguration la plus classique telle qu’elle fut glorieusement incarnée par ces mêmes services, est probablement voué à un irrémédiable déclin » (Duran 2006 p.775).

Elle permet d’autre part de questionner la continuité du besoin d’expertise territoriale et de coordination de l’action publique, rôles historiquement incarnés par les services déconcentrés : : : B guichet, intermédiation, présence et connaissance territoriale, remontée d’information, traduction. « Le besoin de coordination est largement fonction du degré et des modalités d’interdépendances existant entre les parties d’un système interorganisationnel ou intraorganisationnel. (…) C’est l’intelligence des problèmes et des situations qui oblige à la coordination. Ceci ne fait que souligner l’importance des mécanismes cognitifs !!!/ quand il s’agit de construire de la coopération à travers la perception d’enjeux communs s’impose ainsi une sorte d’apprentissage collectif de la conceptualisation conjointe » (Duran & Lazega 2015 p.296). Nous pourrons ainsi discuter, à travers l’évolution de la place des services déconcentrés, l’actualité de l’intérêt de découpler le pouvoir et l’autorité. « Si le droit de commander et de finxer les orientations de l’action est l’afféaire du centre, le pouvoir, et donc la capacité à faire, est à la périphérie » (Duran 2006 p.758).

Analyser l’action publique territoriale

Les enquêtes du Centre de sociologie des organisations dans les années 60 ont mis au jour les mécanismes du jacobinisme apprivoisé et de la régulation croisée entre les élus locaux, les Préfets et les services déconcentrés dans le fonctionnement de l’action publique (Grémion P. 1976, Crozier & Thèoenig 1975). Dans les années 80 et 90, des travaux partant de ces services ont analysé le difficcile repositionnement des échelons territoriaux et des relations entre l’État et les territoires apr s les lois de décentralisation de 1982, 1983 et 1988 (Lorrain 1991, Grémion C. 1992, Muller 1990). Patrice Duran et Jean-Claude Thèoenig notamment ont mis en avant le passage d’un syst me politico-administratif « autocentré, que structuraient la domination de l’État et la limitation des acteurs au sein d’un cadre institutionnel clair » à l’institutionnalisation d’une action beaucoup plus collective, où « le territoire, plus que l’appareil de l’État, constitue désormais le lieu de définnition des problèmes publics ». Cettee « institutionnalisation de la négociation » a permis d’instaurer des régulations conjointes entre les acteurs des politiques publiques (notamment les collectivités) et de dépasser les cloisonnements classiques de l’action publique centralisée (Duran & Thèoenig 1996).

La territorialisation de l’action publique et l’intervention de nombreux acteurs dans le champ de l’action publique ont comme conséquence une recomposition du positionnement de l’État. On note la fien d’une gestion publique standardisée et le passage à « une logique de construction d’action publique définnie par la mise en cohérence des interventions publiques. (…) Les structures d’élaboration et de mise en œuvre de l’action publique s’en trouvent bouleversées, mais aussi les principes de justifincation pour promouvoir le bien public. Privé de son hégémonie, L’État trouve une raison d’être dans l’institution de capacités de négociation entre une grande variété d’acteurs » (Duran & Thèoenig 1996). Cettee négociation des normes et du gouvernement des territoires conduit à l’institutionnalisation des contractualisations territoriales où l’État développe un nouveau rôle : : : B celui d’animateur des projets territoriaux entre les orientations de la politique de solidarité nationale et les projets politiques émanant des autorités locales (Donzelot & Est be 199%).

Ces travaux prennent place aux côtés de nombreuses recherches connexes portant sur les réformes des administrations centrales (notamment Bez s 2008, 2009 ; Genieys 2008 sur l’administration de la Santé : : : ; Lascoumes et al. 201% sur l’administration du développement durable), le développement des agences (Pierru, Benamouzig & Besançon 2012), les restructurations des établissements publics (Queeré 2015). Dans ce riche et prolifieque contexte de recherches, l’apport de cettee th se est double. D’une part, en termes de terrain, peu de travaux de recherche ont analysé les services de la cohésion sociale (Baudot 2012). D’autre part, notre double entrée par l’analyse interne de l’évolution des services et par l’analyse externe des conséquences de la réforme sur les politiques publiques, permet d’approfondir la question de l’expertise technique et de pratiques professionnelles spécifieques portées par les services déconcentrés.

Les transformations de la déconcentration induites par la RéATE

La RéATE se focalise clairement sur l’enjeu de la transformation organisationnelle de l’administration étatique : : : B fusions, reconfiegurations des organigrammes et des responsabilités. Elle correspond à l’application des préceptes de l’« État Strat ge » pour l’organisation et la division du travail de ses services déconcentrés.

L’« État-Strat ge » impose des rôles diffeérenciés entre les fonctions de pilotage et de contrôle et les fonctions d’exécution et de mise en œuvre (Bez s 2005). Au nom d’une logique managériale

de séparation entre les échelons de coordination (régionale) et de mise en œuvre (départementale), la réforme remet en cause ce fonctionnement intégré. Les effeectifs sont séparés en deux parts, au bénéfiece de l’échelon régional (plus ou moins 75 % des effeectifs) : : : ; certaines missions auparavant mutualisées sont strictement séparées17. Beaucoup d’agents évoquent les effeets négatifs de cettee séparation sur leur environnement de travail, pointant la forte intégration culturelle des anciennes structures et le sentiment d’amenuisement par rapport à une époque faste passée. Ces éléments induisent de la « résistance au changement » et de la nostalgie.

Par ailleurs, les acteurs de l’État se voient confrontés à un changement radical de mod le d'intervention. Selon la RéATE, l'échelon régional doit être le lieu où s’agence la mise en œuvre des politiques d’État et les projets locaux, où se restaure la convergence de l'action publique territoriale (Poupeau 2013)18. Ces activités requi rent des compétences et de la méthode : : : B instauration de syst mes d'observation, analyse des besoins, détermination de priorité, évaluation, intégration des productions des diffeérents niveaux… Or, la réforme ne présente pas d’engagements concrets concernant la formation et les moyens pour cettee évolution professionnelle majeure. À l’inverse, les agents soulignent les injonctions paradoxales auxquelles ils sont soumis entre les réductions d’effeectifs et le maintien des missions sectorielles.

Un objectif de cettee th se est d’interroger la capacité des Directions régionales à s’imposer comme un espace de coordination stratégique et opérationnel aux acteurs du territoire. Nous verrons que le niveau régional est relativement méconnu des acteurs de terrain, voire absent. De nombreux acteurs interviewés au sein des collectivités locales, opérateurs, associations, disent méconnaître le niveau régional et se plaignent de son absence. Ils évoquent notamment le manque de clarté d'une stratégie étatique régionale illisible et qui reste largement « hors-sol ». L'absence de mise à disposition de l’information produite par les Directions régionales (rôle d'observation) est notamment déplorée.

La logique de régionalisation portée par la réforme s’accompagne de la perte de l’intervention sectorielle directe et d’une distanciation par rapport au territoire. On assiste à un délitement des liens qui existaient auparavant entre directions départementales et services centraux des minist res et au développement de la crainte d’une préemption des nouvelles Directions Départementales Interministérielles (DDT, DDCS/PP) par les Préfectures (Poupeau 2011). « Non seulement les ministères se voient privés de la capacité de choisir un modèle d’organisation de leur

17 Une tendance des Directions régionales à puiser sur les effectifs départementaux pour maintenir leurs niveaux d’effectifs a conduit le Premier ministre à réagir sur la question : cf. Circulaire du Premier ministre n° 5562/SGG du 18 novembre 2011 relative aux moyens des administrations déconcentrées de l’État.

réseau d’implantation territoriale qui leur soit spécifinque, mais ils sont également officciellement privés d’interlocuteurs relais qui leur soient propres à l’échelon départemental » (Bez s & Le Lidec 2010).

Cettee recomposition au niveau central (agenciarisation, régionalisation) vient corroborer la th se de R. Epstein selon laquelle « l’État n’agit plus via son appareil administratif, mais oriente l’action d’un tiers, juridiquement autonome, finnancièrement dépendant. (…) L’État a subtilement repris la main sur le contenu à l’aide de nouveaux instruments de pilotage qui incitent les acteurs locaux à se conformer, en toute liberté, aux priorités nationales » (Epstein in Rapport AdCF 2010). Les services déconcentrés départementaux sont les grands perdants de ces réformes.

« Retrait de l’État ou réinvestissement des territoires : : : ) » La question de l’État « à distance »

Particuli rement stimulantes, les discussions autour du « gouvernement à distance » (Epstein 2005, 2015) sont au cœur de ce travail de th se. Selon Renaud Epstein, le fonctionnement de la négociation institutionnalisée est remis en cause par l’application de la LOLF (2001) et par l’approfondissement de la décentralisation avec l’Acte II (2003). Ces réformes remetteent en cause l’équilibre qui prévalait entre la décentralisation et la déconcentration. Le développement du mouvement de décentralisation fait que « les transferts de compétences opérés en direction des collectivités territoriales débouchent sur une nettée réduction des compétences des services déconcentrés de l’État (et des moyens humains et finnanciers afféérents), conduisant à leur afféaiblissement » (Duran 2006). Le mod le serait donc celui d’une double logique de retrait de l’État des territoires et de restauration de l’autorité politique centrale. « Mais cettée autorité ne passerait plus par la hiérarchie, ni même par la négociation. Plus sûrement, elle s’appuie sur de nouvelles technologies de gouvernement, organisant à distance les stratégies librement développées par les acteurs locaux » (Epstein 2005). L’étude de Jérôme Aust et Benoît Cret (2012) concernant les Délégués régionaux à la recherche et à la technologie (DRRT) et le pilotage des politiques de recherche et d’innovation corrobore cettee approche. Alors que ces services déconcentrés régionaux, installés dans les années 80, constituaient une innovation dans la refonte des relations entretenues par le minist re de la Recherche et de la Technologie avec les collectivités territoriales et les acteurs locaux, ces relations s’essouffleent sur le moyen terme avec l’évolution des modes d’action et l’invention de nouvelles relations entre structure étatique et territoires, ce qui affeecte directement leur action. L’État désinvestit ses services déconcentrés, qui ne jouent

plus leur rôle de médiation entre le centre étatique, le personnel politique et la communauté académique locale.

Nos terrains apportent une analyse plus nuancée. Si le désinvestissement de l’expertise de médiation territoriale est confiermé, la notion de « distance » ne nous semble pas adéquate pour défienir le nouveau rôle que se fiexe l’État dans les territoires. Investissant massivement dans le gouvernement sur le mod le de l’agence – où le Principal contrôle étroitement les actions et dépenses de l’Agent –, multipliant les échelons de contrôle stratégique et gestionnaire et affeaiblissant les échelons de mise en œuvre, confiermant l’emprise politique des Préfets de région et de département sur les politiques publiques d’aménagement, de logement, d’énergie, de cohésion sociale et de jeunesse, l’État semble loin de se départir de sa présence hégémonique dans les territoires. Si l’on ajoute que les collectivités territoriales ont tendance à développer, par isomorphisme institutionnel, les mêmes logiques de gouvernement que l’État central au fur et à mesure des transferts de compétences, il apparaît que le champ d’action actuel de l’État français demeure quasi illimité.