• Aucun résultat trouvé

Spécificités génériques du cadre communicationnel

6.1 Analyse des sous-composantes communicationnelles du corpus

Analyser le débat télévisé du point de vue communicationnel et interactionnel appelle une méthodologie de recherche en mesure de décrire et de comprendre les mécanismes internes de la communication télévisuelle. En plus des critères situationnels, les deux angles d’analyse basés sur la théorie de la communication constituent deux composantes essentielles de l’échange. C’est une analyse qui devra être révélatrice du sens construit par les participants au débat, de la dynamique interactionnelle et des pratiques communicationnelles au fil de leurs échanges Ainsi

« Comprendre un discours, saisir l'intention qui s'y exprime, ce n'est pas seulement extraire ou reconstituer des informations pour les intégrer à ce que l'on connaît déjà. C'est plutôt identifier la fonction de cette information dans la situation de discours où elle est produite » (Barry A. O., 2002, p. 09).

Pour ce faire, nous allons procéder à un travail d’atomisation des actions (Vincent, 2005, p. 180) car le discours des inter-actants n’est pas un produit fini prêt à être appréhendé dans sa totalité. Avec ce principe d’atomisation, nous dégagerons les différentes strates d’actions et de sens.

Dans un premier temps, nous essayerons de saisir la dimension contractuelle du débat télévisé à travers la présentation des multiples partenaires et à la définition de leurs rôles dans l’interaction. Dans un deuxième temps, nous allons focaliser notre attention sur la dimension interactionnelle avec toutes ses propriétés théoriques. Enfin, nous proposons d’étendre notre analyse à la dimension énonciative ouvrant ainsi notre réflexion aux différentes manifestations

des postures subjectives qui ancrent l’action argumentative des participants à Questions d’actu non pas dans la rationalité mais dans l’émotionnel.

Toute conclusion interprétative issue de notre réflexion prendra en considération les éléments de l’environnement discursif du débat télévisé (Vincent, 2005, p. 165). A priori, l’hypothèse proposée par Jakobson (1960) réduisant la communication à un simple modèle à partir des six paramètres fixes, a été revue et repensée voire critiquée par plusieurs auteurs, dont entre autres Gumperz, Hymes, Goffman, Bachmann, Orecchioni et Charaudeau.

Nous schématisons ci-dessous la complexité de la double situation de communication,

Figure 10: Questions d’actu une double situation de communication

La diffusion de l’émission télévisée de Questions d’actu repose sur une double situation de communication, production et réception. L’enjeu de communication est donc double dans la mesure où il s’agit de débattre d’un sujet d’actualité pour convaincre à propos de nouvelles mesures prises, une loi nouvellement instaurée, des réalités institutionnelles et bien d’autres questions de société. Il s’agit donc de faire adhérer le plus grand nombre de téléspectateurs à une opinion publique.

Par ailleurs, le débat télévisé, forme de communication, qui repose sur une mise en scène, est considéré comme étant un acte social médiatisé (J-P Meunier et D. Peraya, 2010, p. 271) basé sur le couple communication/relation. Ainsi selon les auteurs Emetteur effectif (L’instance médiatique) L’information émetteur présent sur plateau L’animateur Récepteurs/ Emetteurs présents sur plateau= Les débatteurs Co-construction du sens Communication médiatisée Récepteur effectif Le téléspectateur reconstruction du sens

« Tous les modes de communication, en effet, ont quelque chose à voir avec la relation sociale : la parole et la gestualité non verbale bien sûr, mais aussi l’écrit, l’image, le son, et toutes les combinaisons de ces matières signifiantes que l’on peut observer dans les médias » (J-P Meunier et D. Peraya, 2010, pp. 271-272).

Ces deux auteurs expliquent le lien qui se noue à deux niveaux de lectures, le premier se situe au niveau du lien qui se tisse au moment même de la parole car « tout acte de parole vise conférer à celui qui l’effectue, et au moment même où il l’effectue, une certaine position sociale par rapport à celui auquel il s’adresse » (J-P Meunier et D. Peraya, 2010, p. 272), dans notre cas, elle correspond à ce que (Nel N. , 1990) appelle une situation télévisable.

Le deuxième niveau de lecture se déploie à un « contexte plus large dans lequel s’effectue un acte de parole et sur lequel il peut porter ses effets. Tout acte de parole s’inscrit dans un système plus vaste de rapports sociaux » (J-P Meunier et D. Peraya, 2010, p. 272), qui dans notre cas, s’accorde avec la situation télévisée (Nel N. , 1990). Nous représentons schématiquement de la manière suivante ce lien communicationnel indirect qui représente la situation télévisée.

Figure 11: Lien communicationnel indirect "situation télévisée"

6.1.1 Spécificités communicationnelles de Questions d’actu

Un cadre communicationnel se définit comme étant le lieu où se construit « le contrat de parole qui indique aux partenaires de l’échange les places et les rôles langagiers qu’ils doivent tenir pour réaliser une certaine finalité actionnelle » (Charaudeau, 1991, p. 14). Ce cadre détermine les règles de parole

Rapports médiatiques Système plus vaste de rapports sociaux

Chaîne de télévision Instance d’émission Cible de destination Destinateur Téléspectateur Instance de réception

dans l’échange et le rôle interactif de chaque participant. En général on identifie trois niveaux :

Le niveau 1 ou niveau global spécifique au média qui met en scène une émission-débat

Le niveau 2 ou niveau médian inscrit dans un dispositif triangulaire et assujetti à des rituels qui se déclinent dans les modes de prise de parole, le temps de parole ainsi que le rôle de la parole (on est là juste pour répondre à une question ou à une sollicitation)? (A-t-on le droit d’intervenir volontairement pour défendre son opinion ou doit-on avoir l’autorisation pour le faire) ?

Le niveau3 ou niveau initial spécifique au genre débat tel qu’il est défini par Vion (1999) « Le genre correspondrait à ce qui se joue au niveau le plus élevé dans les interactions verbales : le niveau de la définition générale de la situation et de ce que nous appelons le cadre interactif » (Vion, 1999).

D. Maingueneau, quant à lui, pense qu’à chaque produit discursif, résultant d’une relation sociale, correspondrait un genre « À chaque genre de discours est donc attaché un contrat spécifique.» (Maingueneau, 1996, p. 23) ; Afin d’expliciter ces trois niveaux de conception, nous allons entamer la dimension contractuelle de ce genre télévisuel.

6.1.1.1 La dimension contractuelle du débat télévisé :

Doté d’une forme complexe, le débat télévisé avec ses caractéristiques multiples ne peut être étudié que par rapport à l’enchâssement de contrats (Charaudeau, 1991) dans lequel il est produit.

A la différence des autres formes d’interactions ; conversation quotidienne, la demande d’information, etc., le débat est produit dans un univers spécifique composé de plusieurs instances d’émission et de réception, cette situation de communication ne renvoie pas au modèle classique d’émetteur/message/récepteur. le modèle télégraphique de communication129tel qu’il a été conçu par Jakobson et ses prédécesseurs, nous assistons plutôt à une superposition de contrats, conférant chacun à l’ensemble du dispositif une forme de relation discursive et institutionnelle complète que O. Turbide résume ainsi

129Construit autour de la théorie du message, introduit par Saussure (dès 1916), développée par Shannon et Weaver (1949/1975), puis entamée par Jakobson (1963).

« D’une part, l’interaction médiatique, en tant qu’action conjointe polyfocalisée, suppose deux ordres d’interaction (entre les acteurs médiatiques et avec les téléspectateurs) ayant chacun leurs propres contraintes, leurs propres dynamiques. Cette complexité situationnelle se double des exigences posées aux interactants. En même temps qu’ils tentent de satisfaire leurs objectifs et de protéger leur face et celle de leur interlocuteur, ils doivent trouver les bons mots au bon moment et les énoncer dans un ordre adéquat, s’adapter à ce que dit l’interlocuteur tout en proposant une définition de la situation qui soit cohérente entre les différents plans sémiotiques et qui soit constante dans le temps. » (Turbide, 2009, p. 76).

En évoquant la dimension contractuelle, nous recentrons notre réflexion sur les trois niveaux de la présentation du cadre communicationnel correspondant aux trois contrats de communication qui peuvent générer le discours (Courbières, 2002), à savoir ; le contrat médiatique, le contrat du débat télévisé et enfin le contrat du genre débat.

Vu que le débat télévisé s’inscrit dans trois contrats, nous proposons de nous référer à la méthode proposée par P.Charaudeau (1991), consistant à étudier d’abord, la nature de chacun isolément, pour aboutir à des lectures ou des interprétations signifiantes pour ensuite, aborder dans la foulée les questions où et comment se croisent-ils ? Se superposent-ils ? Ou se complètent-ils ? « Ainsi en est-il de la communication médiatique. Par définition, celle-ci intègre plusieurs types de contrats et plusieurs façons de les réaliser (ritualisations) » (Charaudeau, 1991, p. 12).

L’élucidation de ces questions permet de fournir des explications sur les mécanismes de l’enchaînement des faits langagiers. En d’autres termes conclut N. Nel (1990) « Bref, le débat télévisé sera considéré comme une situation de communication totale, qu’il conviendra d’étudier dans sa dynamique » (Nel N. , 1990, p. 12).

Nous commençons tout d’abord par étudier le contrat médiatique, puis nous focaliserons notre attention sur le débat télévisé et enfin notre réflexion portera sur le genre débat.

Le contrat de communication fonctionne selon des normes et des contraintes spécifiques à l’interaction médiatique, nous reconnaissons de fait que ses règles doivent être rigoureusement respectées par les différents partenaires de la situation de communication, exigeant par conséquent, que chacun d’eux, limité par les enjeux externes de l’émission (enjeux sociopolitiques du média) et ceux internes (finalité actionnelle), soit tenu de respecter les conditions du contrat dont les clauses sont soumises aux principes de l’intercompréhension et du projet d’influence (Charaudeau, 1991, p. 15). Communiquer ne se fait pas seulement par le langage, on communique aussi par diverses formes d’expression et de représentation (wulf, 2005), le rituel demeure l’une des formes les plus efficaces de la communication humaine. Le contrat dont nous parlons relève en fait du rituel scénographique de l’émission Questions d’actu. Les rappels à l’ordre extraits de notre corpus en sont l’exemple :

Débat N°3

45 A : -[vous présentez une problématique beaucoup plus profonde à notre thème de ce soir

Débat N°1

12 A : -[c’est une autre paire de manche

Ces extraits attestent qu’on impose aux participants un cadre thématique restreint, qui relève du contrat de la communication. En d’autres termes, on est là pour parler de X thème pendant X temps afin de répondre à X finalité de l’émission et donc de la chaine Canal Algérie. L’extrait suivant constitue un parfait exemple du cadre contraint dans lequel fonctionne le débat télévisé en Algérie.

Débat N°3

60 A : d’accord// alors //maintenant il y a les huit mesures// on va essayer de les commenter/// et j’ai envie que tout le monde prenne la parole là-dessus// première mesure// suspension des droits de douane à l’importation des matières premières du sucre et de l’huile// on reste donc dans ces deux produits- phare// qui étaient un peu derrière tout ce qui s’est passé ces derniers jours// ils représentent comme même 5% ///quelle pourrait-elle la conséquence ? Monsieur RAWIA peut être ?

Dans ce tour de parole, l’animateur exprime son intention de réorganiser la gestion du débat en reprécisant sa progression thématique et en redistribuant les tours de parole. C’est un nouvel élément de précision tacite pour rappeler aux débatteurs leurs rôles de participants qui n’ont pas le droit de prendre

volontairement la parole, mais qui sont astreints d’attendre une sollicitation de la part de l’animateur. Au niveau de l’exemple suivant, il le réaffirme de la manière suivante

-j’ai envie que tout le monde prenne la parole là-dessus - Ensuite

-Monsieur RAWIA peut être ?

Nous observons dans l’exemple précédent que de manière raffinée, l’animateur commence tout d’abord par exprimer dans une sorte d’envie le fait que chacun puisse prendre la parole. Mais dans une sorte de volte-face il désigne nommément celui qui en a le droit. D’ailleurs P. Bourdieu (1996) résume cette situation contraignante de façon ironique

« je crois qu’il est important d’aller parler à la télévision mais sous certaines conditions (…) grâce au service audiovisuel du Collège de France, je bénéficie de conditions qui sont tout à fait exceptionnelles : premièrement, mon temps n’est pas limité ; deuxièmement, le sujet de mon discours ne m’est pas imposé (…) ; troisièmement, personne n’est là, comme dans les émissions ordinaires, pour me rappeler à l’ordre » (Bourdieu, 1996, p. 10).

Ainsi, l’auteur rappelle la contrainte à laquelle est soumis toute personne invitée sur un plateau de télévision.

6.1.1.2 Le contrat médiatique :

Ce terme désigne un engagement à un niveau général, impliquant un dispositif médiatique audiovisuel (support technologique), qui dans notre cas télévisuel, en tant qu’instance d’émission ou de production (une chaîne TV) légitimée par une norme sociale, formée d’un personnel technique et professionnels (journalistes), s’engage vis-à-vis de son audience composée de téléspectateurs-citoyens, à atteindre les enjeux médiatiques130 et institutionnels. Ce principe de base qui est généralisable, implique toute instance de production/émission. En outre, l’engagement demeure non certifié131, tant qu’il

130P. Charaudeau (1991 : 16) emploie le terme de finalité actionnelle jugé convenable d’appeler l’ « Information ».

131Du moment qu’il n’y a pas de texte lu et approuvé par les deux instances, le cahier de charge de la chaîne est spécifique à l’instance de production seulement