• Aucun résultat trouvé

Le secteur agricole est confronté à d’énormes difficultés auxquels viennent s’ajouter les changements climatiques et leurs impacts. Selon l’enquête nationale sur l’inséc urité alimentaire de 2011, les données des cinq dernières décennies montrent un taux de croissance moyen de la production agricole inférieur à 1%. On note une baisse de la contribution de la production locale à la disponibilité alimentaire qui demeure largement inférieure à celle de 1981 où elle était de 81%, soit une baisse d’environ 50% de 1981 à 2008. Les causes de ce déclin sont entre autres, l’adoption de politiques de libéralisation commerciales préjudiciables au développement de ce secteur, la diminution de la taille des exploitations agricoles, la pénurie en main-d’œuvre due à l’exode rural, l’érosion des sols, l’insuffisance des infrastructures de production et des services de soutien tels que les crédits agricoles, les services de vulgarisation agricole, de production animale et végétale, la non réglementation des prix et le faible accès aux intrants agricoles. Le pays est donc largement dépendant des importations et par conséquent est soumis aux fluctuations des prix des produits sur le marché mondial (CNSA, 2011).

Selon USAID FEWS NET (2014), Haïti a produit à peu près 50 % des aliments dont il avait besoin, cours des dernières années, l’autre moitié a été importée. Certaines années, les importations ont dépassé la production nationale globale. L’aide alimentaire qui tourne normalement autour de 3 % des besoins, a atteint 8 % des besoins en 2010, l’année du dernier séisme. Pendant la période de 2004-2008, le pays a importé la quasi-totalité de ses besoins en farine, huile végétale et blé, 88 % de ses besoins en riz (qui est pourtant une des principales céréales cultivées), 30 % de ses besoins en haricots et 8 % de ses besoins en maïs. À cela s’ajoute les importations d’œufs, de lait et de viande de poulet, qui dépassent la production nationale.

Le déclin du secteur a évidemment des conséquences sur le niveau de vie des ménages en général, mais surtout celui des ménages ruraux. En effet, environ 49,5 % des actifs se retrouvent dans le secteur agricole selon le recensement de 2003. De plus, l’incidence de la pauvreté est plus marquée en milieu rural. Les dépenses alimentaires des ménages représentaient 55,1% de la consommation effective des ménages selon IHSI (2005). En milieu rural, elles représentent 64,2% contre 50,2% en milieu urbain.

154

5.2.1.

Les zones agroécologiques d’Haïti

L’agriculture étant reconnu comme le plus important moyen de subsistance pour les habitants de la zone de notre étude, nous allons analyser les différents aspects liés à ce secteur dans cette section. Pour ce faire, nous utiliserons entre autres la subdivision en zones agroécologiques réalisée en 2006 par l’USAID et repris en 2012 par le CNIGS (figure 5.4).

Haïti comporte huit zones agroécologiques, encore appelées zones de mode vie. Pour réaliser cette subdivision, l’USAID a utilisé des critères tels que les types de sol, le climat, l’accessibilité aux marché, les types de cultures. Les huit zones agroécologiques d’Haïti sont constituées de la zone urbaine et de sept zones de production agricole :

 la zone de plaine de monoculture : elle couvre les régions de plaine très fertiles dont l’altitude est proche du niveau de la mer. Généralement elle dispose de systèmes d’irrigation et/ou d’une pluviométrie élevée qui varie de 600 à 1300mm. Cette zone est propice aux cultures telles que le maraîchage, le bananier et le riz. La principale activité économique est donc l’agriculture. Cette zone est souvent confrontée aux inondations, et celle de 2008 avait sérieusement endommagé le réseau d’irrigation du périmètre rizicole de l’Artibonite.

 la zone agropastorale sèche : cette zone est caractérisée par une pluviométrie plus basse que celle de la zone précédente (maximum de 600mm). Elle est composée de montagnes de basse altitudes, de collines, de plateaux et de plaines sèches. C’est la zone la plus pauvre d’Haïti et la seule qui fait face de façon chronique à l’insécurité alimentaire. Les principales activités sont la vente de force de travail, de produits agricoles, de charbon et le commerce. L’agriculture est soumise aux caprices du climat car la zone ne dispose pas de système d’irrigation.

 la zone d’agriculture de montagne humide : elle est formée d’une succession de massifs dont les altitudes varient de 600 à 2 400 mètres. Elle jouit d’une pluviométrie moyenne annuelle de 2 000 à 2 500 mm, pouvant atteindre 3 000mm à certains endroits. L’agriculture, l’élevage et la vente de charbon de bois constituent les principales sources de revenus. À cause du relief accidenté (pente allant de 20 à 80%), l’irrigation est quasi impossible et l’agriculture dépend donc des caprices de la nature. Cette zone est confrontée aux fortes pluies de nature orographique qui provoquent des éboulements qui peuvent isoler la zone en rendant les routes impraticables.

 la zone agropastorale de plateau : elle est dominée par un système agro-écologique qui est le plateau semi-humide dont l’altitude moyenne est comprise entre 200 et 500 m. La pluviométrie varie entre 1 000 et 1 300mm par an. Ce sont également l’élevage et l’agriculture qui sont les principales sources de revenus auxquelles viennent s’ajouter la production de

155

charbon et les échanges avec la capitale et la République Dominicaine. Les principaux risques environnementaux sont les fortes pluies qui endommagent les routes, augmentant ainsi les prix des aliments, du carburant et des intrants.

 La zone agropastorale semi humide: c’est une zone agro-pastorale avec une pluviométrie annuelle de 1 000-1 200mm. Elle couvre environ 5 à 10% du territoire national et est surtout située en altitude intermédiaire. L’agriculture domine, suivie de l’élevage de bovins, caprins, porcins et équins. Ce sont surtout les plus nantis qui possèdent du bétail, les plus pauvres vendent plutôt leur force de travail. Les autres activités alternatives des pauvres sont la vent e de charbon et le petit commerce.

Figure 5.4 : Zones agroécologiques d’Haïti (source : CNIGS, 2014, Adaptation cartographique : Dovonou-Vinagbe, 2016)

 La zone sèche d’agriculture et de pêche : elle est composée de zones d’altitude variée. Sa pluviométrie annuelle allant de 800 à 1 100mm. Elle couvre environ 15 à 20% du territoire national et longe les côtes de la péninsule Sud et sert de zone de transition entre les plaines

156

littorales de monoculture et la zone de montagnes humides. L’agriculture est plutôt marginale dans cette zone à cause des sols dénudés et érodés peu fertiles. La priorité est donc accordée à l’élevage du petit bétail car les coûts d’entretien et les risques sont plus faibles. Dans les régions côtières, les produits de la pêche représentent une part importante de la source de nourriture. La zone est vulnérable aux intempéries climatiques telles les cyclones.  La zone de production de sel marin : la pluviométrie de cette zone est faible. L’élevage y est

marginal. La majorité des ménages vendent leur force de travail pour l’agriculture et surtout dans les salines. La vente de sel est donc l’une des principales activités. Les principaux risques climatiques sont les cyclones et les inondations qui peuvent détruire les salines et emporter les stocks de sel encore présents sur les sites d’extraction.

Parmi elles, la zone de plaine de monoculture, la zone de montagne humide, la zone agropastorale de plateau, la zone sèche d’agriculture et de pêche et la zone de production de sel marin se retrouvent dans le bassin versant de l’Artibonite.

5.2.2.

Les saisons et les cultures

Il y trois saisons de cultures (figure 5.5) en Haïti (USAID FEWS NET, 2014) :

 la saison culturale de printemps qui s’étend de mars à août : les semis sont faits en mars/avril, et les récoltes en juillet-août. C’est la principale saison de culture, elle fournit environ 60 pourcent des récoltes vivrières ;

 la saison culturale d’été qui dure de juillet à octobre : les semis sont réalisés en juillet- août, et les récoltes en septembre/octobre. Cette saison de culture est importante surtout dans les zones de montagnes et les zones irriguées ;

 la saison sèche d’automne-hiver s’étalant de décembre à mars pour la majorité du pays : les semis ont lieu en décembre et les récoltes en février dans les plaines irriguées . Les activités culturales de cette saison ont lieu en zone de montagnes humides qui représentent de 5 à 10 % du territoire national, en raison des pluies de nature orographique dont elles bénéficient.

Le calendrier saisonnier ci-dessous présente les principales saisons des pluies, les récoltes, les périodes de migration de bétail, et période de soudure dans une année typique

157

Figure 5.5 : Calendrier cultural en Haïti Source : FEWS NET/USAID, 2014

En dehors de ces trois saisons de culture, certaines zones couvrant environ 20 à 30 % du territoire ont une saison culturale qui démarre en septembre-octobre.

Selon le recensement de 2011, les cultures pratiquées et le niveau de diversification agricole varie d’une zone agroécologique à l’autre. L’association culturale est très répandue pour maximiser sur la superficie disponible, minimiser les risques naturels et climatiques, étaler la production dans le temps et faire une bonne gestion de la fertilité du sol. Le recensement a montré que 87% des ménages cultivant les céréales et les légumineuses pratiquent un système de culture associée. Cette pratique est moins répandue dans la zone de monoculutre et dans la zone agro-pastorale sèche, sûrement à cause des types de sol et des conditions climatiques. En zone de monocult ure par exemple, les sols sont régulièrement inondés et se prêtent plus à la culture du riz de basfonds. Au niveau national, les cultures les plus pratiquées sont les tubercules, la banane et en troisième lieu les céréales. En effet, 75 % des ménages cultivent les tubercules, 67,88% cultivent la banane et environ 60% ménages s’adonnent à la culture des céréales. À ces cultures s’ajoutent les légumes pratiquées par plus 40 % des ménages. Les légumes et les tubercules servent surtout à l’auto-consommation. La figure 5.6 présente la distribution des principales cultures sur le territoire haïtien. Dans le bassin versant de l’Artibonite, c’est principalement les céréales qui sont cultivées. Plus spécifiquement, dans la zone de plaine de monoculture, la culture du riz domine et est souvent associées ou alternée avec d’autres telles que les légumineuses. Dans les autres zones du bassin versant de l’Artibonite, les céréales dominent également, en l’occurrence le maïs et le sorgho, également associés ou alternés avec des légumineuses.

Au cours de l’année 2012/2013, les racines et tubercules, les céréales, les légumineuses et les bananes plantains ont constitué respectivement 37 %, 35 %, 18 % et 11 % de la production vivrière nationale. Cependant, les rendements des cultures sont en général très faibles, à cause de la forte dégradation des sols qui sont très lessivés et du faible taux d’intrants modernes utilisés.

158

Avec ces 38 000 hectares de terres irriguées, la vallée de l’Artibonite concentre la plupart des terres irriguées d'Haïti. La vallée de l’Artibonite fournit environ 60 % de la production nationale de riz (MARNDR, 2005). Un total de 130 000 ménages vit de la riziculture en Haïti, dont 90 000 dans le département de l’Artibonite, incluant les 30 000 ouvriers métayers. Cependant, la productivité de la vallée est plus faible que celle de la partie dominicaine. Les rendements obtenus sont de seulement 2 à 3 t/ha de paddy (FAO, 2016). Il y a une bonne partie des plaines cultivables de la vallée qui ne sont pas encore irriguées malgré leur gros potentiel (Singh et Cohen, 2014). De plus, la production de la vallée ne suffit à couvrir que 20 % de la demande nationale de riz. Dans les années 2000, la production nationale de riz était en déclin à cause d’un mauvais drainage du périmètre de l’Artibonite, d’une gestion peu efficace de l’eau d’irrigation et d’un accès difficile aux intrants. Mais, depuis 2007, cela semble avoir changé, grâce à l’appui fourni par le MARNDR (sous forme d’équipements agricoles et d’intrants) et à la réhabilitation des infrastructures d’irrigation) (FAO, 2016).

Figure 5.6 : Zones de mode de vie d’Haïti (source : Fews/USAID, 2015; Adaptation cartographique : Dovonou-Vinagbe, 2016)

159

Le riz est la principale culture dans les basses altitudes de la zone irriguée. Il est cultivé en alternanc e avec le haricot, la tomate, ou la patate douce et le maïs pour maintenir la fertilité des sols. Il existe deux principales saisons de culture de riz (Singh et Cohen, 2014):

 Avril-Mai à Octobre : c’est la saison principale qui correspond également à la saison pluvieuse, et

 Octobre-Novembre à Mars, qui correspond à la saison sèche. Pendant cette période, la culture de riz est rendue possible grâce au système d’irrigation.

En ce qui concerne particulièrement les sols (Singh et Cohen, 2014), en raison des pentes raides et des sols appauvris, Haïti ne possède que 7 700 km2 de terres cultivables. Cependant, 11 900 km2

soit 1,2 millions d'hectares sont effectivement exploitées. Il y a donc une quantité de terre non propic e à l'agriculture qui est exploitée. Dans les plaines, les terres cultivables couvrent environ 550 000 hectares. Du fait de la déforestation, des pluies intenses et des pentes, les sols sont fortement lessivés et sont déversés dans les cours d’eau. Les fortes pluies et les inondations, qui accompagnent souvent les tempêtes tropicales et les cyclones, causent également des dégâts importants aux cultures (USAID FEWS NET, 2014).

Aux problèmes pédologiques, s’ajoute la sècheresse qui est le facteur climatique le plus défavorable à la production agricole nationale et qui peut occasionner des pertes énormes. Au cours de la campagne agricole de 2011, c’est la baisse de la pluviométrie qui a été la principale contrainte soulevée par les ménages, il s’agissait soit d’un retard dans le démarrage des pluies ou d’un déficit hydrique (CNSA, 2011). La sécheresse est donc la principale contrainte climatique qui affect e l’agriculture haïtienne et ce, dans plusieurs départements dont celui de l’Artibonite. Évidemment, les zones les plus vulnérables à la sécheresse sont celles qui ne bénéficient pas d’un système d’irrigation. Le potentiel d'irrigation est d’environ 150 000 hectares, mais seulement 90 000 hectares bénéficient réellement d’un système d'irrigation, dont 80 000 ha sont effectivement irriguées (Singh et Cohen, 2014).

À ces phénomènes naturels, s’ajoute l’action humaine qui se caractérise par l’occupation d’endroit non appropriés tels que la zone de la mangrove (presqu’entièrement détruite) et les plaines alluviales (Astrel, 2004). Les impacts des changements climatiques sur la disponibilité en eau auront pour effet, une plus grande sécheresse, ce qui sera probablement à la base de conflits d’usage des ressources hydriques. Callaway et al. (2009) parle de concurrence entre les besoins en eau, dus à la croissance de la population urbaine et les besoins des agriculteurs et autres acteurs du secteur primaire surtout si les politiques publiques ne tiennent pas compte de l’effet amplificateur qu’auront les changements climatiques sur ces conflits déjà existant. Cela pourrait créer une instabilité, la vallée de l’Artibonite étant déjà connue pour ses conflits terriens.

160

5.2.3.

L’élevage

L’élevage joue avant tout une fonction d’épargne pour les ménages agricoles. Il permet en effet, de faire face aux dépenses imprévues et aux évènements nécessitant de grosses sorties d’argent comme les mariages, la rentrée scolaire, etc. En dehors de la zone de monoculture, environ 70% des ménages des autres zones déclarent pratiquer de l’élevage. Le nombre moyen de tête par ménage est relativement faible : 9,1 volailles, 2,4 cabris, 2 porc et 2,1 de gros bétail (bœuf) (CNSA, 2011). Il n’y pas de variation significatives de production d’une année à l’autre, sauf en cas d’ épidémies non contrôlées, ce qui est rare. Les principale maladies du bétail sont la maladie de New Castle9 qui

cause des pertes surtout pour la volaille et la maladie du « Teschen »10 qui affecte surtout l’élevage

de porcin (USAID, 2014).

L’élevage se fait en petites exploitations familiales, à plus de 90 %. Sa production n’est pas suffisante pour couvrir les besoins nationaux. Les importations sont supérieures aux exportations. Le pays a importé 90 % de ses besoins en de produits laitiers (environ 40 millions de dollars US) et d’œuf oeufs (20 millions $US). Il importe aussi environ 2,5 millions de poulets par mois (USAID FEWS NET, 2014). Pourtant, selon le Ministère de l’Agriculture, si les rendements étaient améliorés, le demi -million de vaches adultes présentes en Haïti devrait suffir à satisfaire la demande en produits laitiers. Tout comme la production végétale, l’élevage est confronté à plusieurs contraintes dont les plus importantes (selon les éleveurs) sont les maladies et parasites du bétail, le vol du bétail, le manque de nourriture, et le manque de service de soutien (USAID FEWS NET, 2014 et CNSA, 2011).

9 La maladie de Newcastle est virale et peut avoir des répercussions variées, pouvant être bénigne ou au

contraire très grave avec 100 % de mortalité. La forme la plus sérieuse débute par une forte fièvre

accompagnée de diarrhées , de toux et de difficulté respiratoire. Les tissus situés autour des yeux et du cou gonflent. Les sujets ne mangent plus et boivent beaucoup. Par la suite, des symptômes nerveux apparaissent : tête portée sur le côté, dos rond, grandes difficultés à mobiliser les ailes qui deviennent tombantes, démarche de plus en plus hésitante. La maladie se termine par des convulsions, la paralysie et la mort.

10 La maladie de Teschen est virale peut prendre deux formes différentes. La maladie de Teschen peut infecter

les porcs et présente plusieurs formes d’évolution, avec des symptômes différents. La forme sévère se manifeste par une forte fièvre, de la diarrhée, un manque d’appétit, des problèmes de coordination de plus en plus graves, des tremblements et des crampes musculaires jusqu’à la paralysie des membres postérieurs.

161

5.3. La question de la pauvreté et des inégalités