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Conclusion du Chapitre théorique – rappel des objectifs de cette recherche :

1. Actes communicationnels uni- et bi- -modaux de l’intégralité du corpus : analyse transversale

1.3 Les actes gestuels

Pour commencer, récapitulons grâce à un extrait du Tableau 27 p. 152 les données dont il est question. Dans la catégorie « actes gestuels » sont comptabilisés les gestes communicationnels produits par nos sujets et dans la catégorie « actes bimodaux » sont comptés les actes bimodaux associant une verbalisation à un geste ainsi que ceux associant une vocalisation à un geste.

Actes

Gestuels Bimodaux Total

1 6,50 7,38 Ecarts types 8,32 6,69 13,88 2 3,57 10,39 Ecarts types 5,22 9,19 13,96 3 4,94 11,96 Ecarts types 6,02 14,53 16,90 4 2,82 12,94 Ecarts types 3,73 15,34 15,76

Tableau 43 : extrait du Tableau 27 – moyennes des actes gestuels et actes bimodaux en fonction des classes d’âges72

Comme nous l’avions déjà commenté précédemment p. 152 (voir tableau ci-dessus), plus l’enfant grandit, moins il produit d’acte communicationnel gestuel (leur nombre passe de 6,5 en moyenne chez les plus jeunes à 2,82 pour les plus âgés) ; par contre, il produit de plus en plus d’actes bimodaux (de 7,38 pour les membres de la première classe d’âges à 12,94 pour ceux de la dernière classe).

Commençons par examiner les actes gestuels. Comme il y a très peu de gestes énonciatifs (en quantité globale seulement deux gestes énonciatifs ont été produits par le groupe d’enfants les plus âgés) et de cadrage (nous n’avons relevé aucun geste de cadrage produits sans la parole dans notre corpus) dans nos données, nous avons résolu de ne pas les prendre en compte dans l’étude proposée et d’observer uniquement les gestes déictiques, représentationnels et performatifs73.

La proportion moyenne des divers types d’actes gestuels produits par enfant dans les quatre classes d’âges diminue tout au long de la période étudiée (voir Tableau 44 pour les données et Graphique 45 pour l’illustration graphique) :

72 Données brutes en Annexe 4 p. 280 et 5 p. 281.

73

Déictiques Représentationnels Performatifs Total 1 5,25 0,03 1,22 Ecarts types 5,04 0,18 2,86 6,5 2 2,11 0,57 0,89 Ecarts types 1,98 1,73 1,74 3,57 3 2,52 0,5 1,9 Ecarts types 2,77 2,16 3,35 4,92 4 1,18 0,59 1 Ecarts types 1,42 2,18 1,58 2,77 Total 11,06 1,69 5,01 17,76

Tableau 44 : Moyennes (et écarts types) des types de gestes produits répartis par classes d’âges.

Grâce au Tableau 44 nous pouvons constater que l’emploi autonome, hors combinaisons, des gestes déictiques contraste avec celui des représentationnels et des performatifs : si les déictiques semblent moins employés par l’enfant plus âgé, les représentationnels et performatifs, bien que produits en très faible quantité, demeurent stables dans leur emploi.

Notons que l’arrivée des gestes représentationnels chez les sujets issus de la seconde classe d’âge (de 0,03 pour les plus jeunes à 0,57 pour les sujets issus de la seconde classe) coïncide avec la diminution de l’emploi des gestes déictiques (5,25 pour les plus jeunes contre 2,11 pour ceux issus de la seconde classe d’âges).

0 1 2 3 4 5 6 7 1 2 3 4

Déictiques Représentationnels Performatifs

Graphique 45 : Moyennes par enfant des différents actes gestuels par classes d’âges74.

74 (Nous n’effectuerons pas de statistiques sur ces données car de nombreux effectifs théoriques sont inférieurs à cinq ce qui pourraient considérablement biaiser nos tests).

Observons ces données en pourcentages :

Actes gestuels

Déictiques Représentationnels Performatifs

168 1 39 1 80,77% 0,48% 18,75% 114 31 48 2 59,07% 16,06% 24,87% 126 25 95 3 51,22% 10,16% 38,62% 20 10 17 4 42,55% 21,28% 36,17%

Tableau 46 : Actes gestuels (en pourcentages) répartis en fonction de leur type et des classes d’âges.

Si nous regardons de plus près les actes gestuels (en pourcentages) répartis en fonction des quatre classes d’âges, nous constatons clairement une réduction régulière des gestes déictiques (de 80,77% à 42,55%) au profit des représentationnels (0,48% à 21,28%) et des performatifs (18,75% au 36,17%). Ce constat recoupe d’ailleurs les observations de Vallotton (2010 : 150) qui avait déjà remarqué que l’arrivée des gestes représentationnels chez le jeune enfant coïncide avec la chute des déictiques75.

0% 20% 40% 60% 80% 100% 1 2 3 4

Déictiques Représentationnels Performatifs

Graphique 47 : Répartition (en pourcentages) des différents actes gestuels en fonction des classes d’âges

75 “Dynamic Skills Theory (DST) posits that skills within domains may promote or suppress other skills as they

first develop, resulting in spurts of growth in one skill concurrently with regression in another. I test this premise by examining development of two preverbal representational skills: manual pointing and symbolic gestures. Pointing is a robust early communicative gesture, indicating infants' awareness of others' attention, but limited in ability to represent infants' conceptual repertoires as they grow beyond the immediate environment. Symbolic gestures are more specific but less flexible representational tools. Both skills predict language, yet no study has addressed the effects of these skills on each other. I observed the gesturing behavior of 10 infants over 8 months in a gesture-rich environment to test the effects of each skill on the other. Supporting DST, results show early pointing predicted earlier, but not more, symbolic gesturing, while symbolic gesturing did suppress pointing frequency.”

Pour résumer :

- les enfants les plus jeunes mobilisent en majorité des gestes déictiques (80,77%) et une part importante de performatifs (18,75%). Autrement dit, sur dix actes gestuels, ces sujets produisent 8 déictiques, 2 performatifs et aucun représentationnel.

- les sujets issus de la seconde classe d’âge, quant à eux, emploient toujours majoritairement ces deux mêmes types de gestes (59,07% de déictiques et 24,87% de performatifs) mais commencent aussi à utiliser des représentationnels (16,06%). En fait, sur 10 actes gestuels, ces sujets produisent environ 6 gestes déictiques, 2 performatifs et 2 représentationnels.

- Les enfants âgés de 30 à 36 mois, de leur côté, emploient une plus grande part de performatifs (38,62%) que ceux issus de la seconde classe d’âge (24,87%). Sur 10 actes gestuels, ces sujets produisent environ 5 gestes déictiques, 3 ou 4 performatifs et 1 ou 2 représentationnels.

- Enfin, les sujets âgés de plus de 36 mois augmentent leur part de gestes représentationnels (21,28 % contre 10,16% pour les 30-36 mois). Sur 10 actes gestuels, ces sujets produisent environ 4 gestes déictiques, 3 ou 4 performatifs et 2 ou 3 représentationnels.

Nos observations rejoignent celles de Vallotton (2010), et nous pouvons même aller plus loin à ce sujet. En effet, l’arrivée des gestes représentationnels coïncide avec la chute

des gestes déictiques ; mais, de plus, remarquons que la période d’arrivée des gestes représentationnels dans les actes gestuels de nos sujets correspond aussi à la période où les verbalisations de l’enfant s’allongent de manière statistiquement significative (voir

Graphique 41 p. 167). De plus, la période durant laquelle nos sujets produisent

majoritairement des actes gestuels constitués d’un geste représentationnel ou performatif coïncide avec la période durant laquelle l’évolution des actes verbalisés « 4M+ » est statistiquement significative. Cela laisse supposer qu’il y aurait peut être un lien entre le type d’acte gestuel (geste représentationnel et performatif vs geste déictique) produit et la longueur de l’énoncé produit (énoncé long « 3M+ » ou « 4M+ » vs énoncé court « 1M » ou « 2M »).

Autrement dit, dans un premier temps, l’arrivée du geste représentationnel dans les productions du jeune enfant prédirait l’arrivée, dans ses productions, de verbalisations constituées de plus d’un mot (verbalisations 2M, 3M, 4M+) et, dans un deuxième temps, lorsque un enfant produit majoritairement des actes gestuels constitués de gestes performatifs

et représentationnels, ceci semble prédire qu’il utilisera bientôt en majorité des verbalisations longues « 4M+ ». Notre postulat est que ceci annonce la mise en place du geste co-verbal. Nous vérifierons cette hypothèse de deux manières :

- Tout à l’heure, nous observerons l’évolution des combinaisons bimodales. Nous nous attendons à ce qu’il y ait une évolution du geste qui les compose (du déictique au représentationnel comme c’est le cas pour les actes gestuels) alors que la partie verbalisée qui les constitue s’allonge.

- Mais, tout de suite, pour confirmer cette idée, observons l’évolution des différents actes gestuels en fonction de la LME des sujets. En effet, l’arrivée du geste représentationnel devrait coïncider avec une LME supérieure ou égale à deux si ce geste coïncide l’entrée de l’enfant dans la syntaxe. Nous devons donc doubler notre présente analyse, par une analyse des actes gestuels produits en fonction de la LME des sujets76.

Déictiques Représentationnels Performatifs

LME1 3,87 0,23 1,05

LME2 2,33 0,39 1,81

LME3 1,75 0,80 0,95

Tableau 48 : Répartition des actes gestuels en fonction de la LME

Le Tableau 48 ci-dessus et sa représentation graphique page suivante (cf. Graphique 49), nous permettent de voir que :

- il y une légère augmentation de l’emploi des actes gestuels représentationnels (bien entendu, cette augmentation est légère au vu du fait que toutes les moyennes d’actes gestuels impliqué dans ces observations sont basses) au fur et à mesure que la LME des sujets

augmente (de 0,23 à 0,8).

- l’emploi des actes gestuels déictiques diminue au fur et à mesure que la LME de l’enfant augmente (3,87 à 1,75).

- l’emploi des actes performatifs est plus ou moins stable en fonction de la LME des sujets.

76 Rappel de la Tableau 32 : répartition des sujets par LME Groupes de LME Groupe 1 < 1,5 Groupe 2 [1,5-2,5[ Groupe 3 2,5 LME (moyenne) 1,11 1,92 3,07 Âges (moyenne) 24,60 28,31 33,89 Effectifs 60 54 40

0 1 2 3 4 5 6

LME1 LME2 LME3

Déictiques Représentationnels Performatifs

Graphique 49 : représentation graphique (moyennes) des différents actes gestuels en fonction de la LME

Si nous observons les mêmes données en pourcentages, nous pouvons constater que les actes gestuels produits par l’enfant ayant une LME mesurée à 1 (intervalle de 0 à 1,5) sont presque toujours des déictiques.

Déictiques Représentationnels Performatifs Total

75,08% 4,53% 20,39% LME1 232 14 63 309 51,43% 8,57% 40,00% LME2 126 21 98 245 50,00% 22,86% 27,14% LME3 70 32 38 140

Tableau 50 : répartition (Pourcentages et données brutes) des actes gestuels en fonction des types de gestes et de la LME

Lorsque l’enfant atteint une LME de 2 (intervalle de 1,5 à 2,5), il emploie toujours beaucoup de gestes déictiques (environ 51%) mais peut aussi produire une part importante de gestes performatifs (40%) et représentationnels (presque 9%).

Enfin, les sujets ayant la LME la plus haute sont aussi ceux qui produisent la plus grande part d’acte gestuels représentationnels (plus de 22%) même s’ils utilisent majoritairement des actes gestuels déictiques (50%) et en second lieu une forte part de performatifs (plus de 27%).

Graphique 51 : représentation graphique (pourcentages et données brutes) des actes gestuels en fonction des types de gestes et de la LME

On comprend l’emploi autonome des déictiques (notamment chez les plus petits) et des performatifs (acquiescement et refus non verbal), mais que fait l’enfant lorsqu’il réalise un représentationnel en emploi autonome ? Voici quelques illustrations :

En communication dirigée vers l’adulte, l’usage du geste représentationnel joue le rôle d’une prédication. En effet, dans la capture suivante, l’enfant n°603 âgé de 24 mois vient de fermer le garage de la maison de jeu et illustre ce qu’il vient de faire - sans utiliser la parole - en produisant un geste représentationnel alors qu’il regarde l’adulte :

L’adulte interprète immédiatement ce geste en disant « fermé, c’est fermé ».

Dans le cadre de l’expression d’un scénario, par exemple, sur les captures d’écran suivantes, le scénario « nourrir les enfants ». L’enfant n°202 âgée de 28 mois prépare d’abord le repas sur un coin de la table (qui représente probablement la cuisine) avant de nourrir les personnages un à un avec sa main. Ici, l’enfant ne produit pas une action de jeu (jouer pour

jouer) mais représente la manière dont les enfants sont nourris en utilisant les personnages

et doublant ses actions par des actes communicationnels destinés à l’adulte. En effet,

l’enfant établit un contact visuel (geste interactif) avec l’adulte pratiquement à chacun de ses déplacements d’objet et adresse des messages verbaux ou gestuels ou bimodaux à l’adulte : - à chaque fois qu’elle saisit un nouveau personnage, l’enfant dit « lui »

- ensuite, elle le nourrit à la main en disant « miamiamiamiam » (L’adulte peut aussi commenter ce que fait l’enfant en demandant : « mmm c’est bon ! qu’est ce qu’ils

mangent ? »).

- une fois le repas terminé, l’enfant réplique « c’est fini » (en produisant parfois un geste performatif [écarter les mains paumes vers le haut]) en regardant l’adulte.

- puis, l’adulte lui demande : « ça y est c’est fini ? » ou s’exclame « on a fini ! ». L’enfant répond « encore » en regardant l’adulte et saisit un autre bonhomme pour recommencer l’opération.

Dans ce cadre, le geste représentationnel semble aussi se substituer à une prédication que nous pourrions gloser comme : je prépare à manger puis, je donne à manger aux enfants.

Notons que ces usages du geste représentationnels n’arrivent pas avant 23 mois dans les productions de nos sujets et sont utilisés par les sujets âgés de plus de 23 mois même si cet usage reste assez marginal (67 gestes représentationnels non associés à la parole pour l’intégralité de notre corpus).

Pour conclure, l’augmentation des actes gestuels représentationnels coïncide avec la période où nos sujets ont une LME mesurée à 3 et plus. D’après cette observation, nous pouvons d’ores et déjà supposer qu’au sein des actes bimodaux, plus la verbalisation est longue et plus l’enfant aura tendance à préférer y adjoindre un geste représentationnel ou performatif plutôt qu’un déictique.