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ET FONDEMENTS THEORIQUES

Partie 1 - Contextualisation de la recherche

1. Acquisition dans l’interaction : un individualisme conscient

Pour traiter cet aspect de l’acquisition, après avoir éclairé la notion d’« interaction » et la notion de « verbale », après avoir expliqué le lien qui les réunit, nous évoquons les causes de la relation tardive entre « interactions verbales » et « linguistiques ». Nous décrivons également l’ « expression individuelle d’une volonté consciente » qui a caractérisé les approches linguistiques et cognitives pendant la période en question.

1.1. Interactions verbales vs linguistique : une relation tardive

De façon générale, l’interaction est définie comme l’échange qui se réalise entre deux ou plusieurs personnes, c’est « une action réciproque » (Dictionnaire Robert, 2000). Elle est

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également décrite comme une « influence réciproque que les participants exercent sur

les actions respectives lorsqu’ils sont en présence physique immédiate les uns des autres. » (Goffman, 1973 : 23). Goffman parle de ce qui se passe entre « les membres

d’un ensemble de données » pendant « une occasion », pendant une « rencontre ». Robert Vion (1992, 17) donne une définition précise et affirme que l’interaction est « toute action

conjointe, conflictuelle ou coopérative, mettant en présence deux ou plus de deux acteurs. ».

L’interaction verbale renvoie alors à une « action conjointe, conflictuelle ou

coopérative » qui se caractérise par un échange de paroles. Nous insistons ici sur les

échanges verbaux du fait que les échanges peuvent être de nature non verbale à savoir les mimiques, les gestes, etc. Kerbrat-Orecchioni (1990 : 6-7) parle d’une situation qui regroupe « à la fois un moment et une expérience situés et organisés de communication

verbale et/ou autre entre deux ou plus de deux interlocuteurs ». Le concept d’interaction

tire son origine de plusieurs domaines autres que la linguistique. Nous pensons à la sociologie, à travers les travaux du philosophe social allemand G. Simmel ou des Américains Ch. Cooley et G.-H. Mead, de la micro-sociologie à travers les apports de E. Goffman, de l’anthropologie à travers les travaux de A. Kendon et de l’École de Palo Alto, puis de l’ethnométhodologie à travers les travaux de H. Sacks et E. Schegloff. En Sciences du langage, l’intérêt pour l’interaction ne s’est porté que tardivement vers les années 70 aux États-Unis, et vers les années 80 en France. Ce retard est dû aux origines de la linguistique en lien avec la philologie, pour qui la langue est seulement ce que l’on trouve dans les documents écrits des Anciens. Il relève également du lien de la linguistique avec la grammaire puisque, à un certain moment, on voyait cette deuxième comme englobante de la première. La linguistique issue de la grammaire s’intéressait à l’étude des aspects formels de la langue plutôt qu’à son usage. Elle étudiait les normes qui la régissent dans le contexte phrastique et non pas les conditions et le contexte dans lesquels elle est énoncée.

Le retard en question relève surtout de la dominance du structuralisme saussurien, pendant une longue période, sur les travaux et les recherches en sciences du langage. À travers la distinction langue/parole, en définissant la langue comme « un système décontextualisé » et la parole comme son utilisation individuelle, les structuralistes se

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sont montrés de plus en plus loin de la tendance interactionniste comme l’explique Kerbrat-Orecchioni (1998 : 52) :

« En France, la linguistique est fille de la philologie (pour qui la langue existe guère qu’à

travers un corpus de textes écrits). Tradition passablement mise à mal au tournant de ce siècle par le raz-de-marée structuraliste -mais l’héritage saussurien ne s’est guère montré lui non plus favorable à l’interactionnisme, ramenant langue à un système décontextualisé, et s’intéressant surtout à ses réalisations écrites. »

La période de caractère « individualiste » a duré encore plus avec l’avènement et la persistance d’une approche générative qui dominait les travaux d’analyse des conversations.

1.2. Le générativisme : pour une approche formelle de l’acquisition

Conformément au structuralisme, le générativisme décrit également la langue comme un système régi par des normes et des règles. Pour les générativistes, elle fonctionne selon un code interne regroupant la phonologie, la morphologie, la syntaxe et la sémantique qui permet à celui qui le maîtrise de comprendre et de produire une infinité des phrases grammaticales. Chomsky (1967) parle d’une « compétence » relative au savoir linguistique à acquérir et d’une « performance » relative à sa mise en œuvre. Pour Chomsky, un sujet parlant est donc capable, à l’aide d’une acquisition minimale du savoir linguistique et à l’aide de sa créativité, de générer un nombre infini de phrases grammaticales.

Chomsky fait une distinction entre structures de « surface » propres à chaque langue et structures « profondes » communes entre toutes les langues, ce qui donne lieu à ce qu’il appelle une « grammaire universelle ». Selon cet auteur, un apprenant est capable de comprendre et de s’exprimer dans sa langue maternelle et dans d’autres langues étrangères grâce à un mécanisme interne relatif au fonctionnement du code de la langue et aux opérations mentales de ce même individu. Il exclut tout apport externe relatif à la situation et au contexte à cette acquisition. Nous nous intéressons à l’acquisition dans l’interaction où celle-ci « est le résultat de l’acquisition et non pas son point de départ »

(Mondada et Pekarek Doehler, 2001 : 109). L’interaction est réduite à un simple apport

comme d’autres, à une source de données, à un « compréhensible input » pour l’apprenant.

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1.3. Le « sujet psychologique », l’enfant enfermé

Le générativisme, tel qu’il est présenté par Chomsky, s’inscrit dans une « optique

monologale et monologique » (Arditty & Vasseur, 1999 : 12) dans laquelle le sujet est

présenté comme la source de toute expression et le seul référent de toute réalité. Tout est intériorisé dans son esprit. L’intériorisation est construite à travers une organisation mentale à partir d’un certain nombre de « grilles » ou de « filtres » relatifs à ses apprentissages et à ses expériences passées ainsi qu’à ses motivations. Robert Vion (2000 : 29) parle d’« un sujet psychologique » singulier et universel à la fois puisqu’il est considéré dans sa singularité « comme origine de la vie sociale et comme potentiellement

identique à ses semblables ».

De ce fait, c’est l’intériorisation de l’enfant qui régit son extériorisation. Le monde est ce qu’il pense lui-même à travers ses apprentissages, ses représentations et ses motivations et non pas ce qui lui vient de l’extérieur, de la réalité. Vion parle d’un « enfant isolé » dans un univers constitué de « sphères individuelles » donnant lieu à une communication pleine de « subjectivités autonomes ». Nous préférons utiliser la notion de « enfant enfermé » plutôt que de « enfant isolé » pour montrer que, dans cette optique, la situation pour le sujet est encore plus difficile et pour mettre en valeur l’affirmation de Vion (2000 : 26) disant qu’« avec une telle conception de la subjectivité, il n’y a plus de

communication possible car on ne voit pas vraiment comment pourrait se développer une vie sociale ». Si un enfant est enfermé dans la conscience de sa propre subjectivité et

séparé totalement de la vie sociale, celle-ci est la seule susceptible de le libérer et de développer chez lui une intersubjectivité nécessaire pour lui permettre de vivre hors de l’enfermement. On peut imaginer que des expériences scolaires lui donnent cette occasion.