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L'émission acoustique (notée EA) désigne toute manifestation d'une onde acoustique dont la source se trouve au sein d'un matériau subissant une modification microstructurale lors d'une sollicitation quelconque (déformation plastique localisée ou non, création et propagation de fissures, transformation de phases sans diffusion dans les métaux …). Ainsi chaque fois qu'il se produit un dégagement subit et irréversible d'énergie dans le matériau, une partie de cette énergie est restituée dans le matériau sous forme d'ondes élastiques qui se propagent de manière isotrope ou privilégiée (selon les propriétés du matériau) jusqu'aux frontières de la structure (éprouvette, structure, massif …) en fonction de l'atténuation du milieu. Le signal acoustique peut ainsi être récupéré à partir de la surface de la structure étudiée.

L'analyse des signaux acoustiques permet de déterminer quantitativement des paramètres décrivant leur dénombrement, les localisations spatiales et temporelles des sources émettrices, et de relier ces signaux à des mécanismes physiques de modifications microstructurales. Les données ainsi fournies sont des informations volumiques acquises simultanément à la sollicitation de l'éprouvette, sans perturbation engendrée, la sollicitation pouvant avoir des origines diverses (thermique, hydrique, mécanique …).

Le phénomène de l'émission acoustique est connu, sous sa forme audible, depuis longtemps par les forgerons en particulier pour l'étain lors de sa mise en forme (cris de l'étain lors du pliage) ou par les mineurs qui parlent du chant de la mine. Les premiers travaux importants ont été réalisés par Kaiser en 1950, qui a observé des émissions acoustiques et les a associées à des phénomènes de glissement aux joints de grains pour des matériaux métalliques tels que le zinc, l'aluminium ou le cuivre. Il a montré que les émissions acoustiques accompagnent des déformations irréversibles.

La détection du signal acoustique se fait par l'intermédiaire d'un capteur dont l'élément sensible est une céramique piézoélectrique. Le contact entre le capteur et l'éprouvette doit être intime afin d'assurer une transmission correcte des ondes de l'éprouvette vers les capteurs. Ce contact est généralement réalisé grâce à un couplant.

Les capteurs sont caractérisés par leur diamètre et leur fonction de transfert. Pour les applications aux géomatériaux, les capteurs utilisés sont résonnants ce qui leur confère une grande sensibilité ; leurs bandes-passantes en fréquence sont typiquement comprises entre 5 et 1000 kHz. Les signaux acoustiques en sortie du capteur sont ensuite amplifiés et acquis (Figure 6.12). La carte de détection possède un seuil en amplitude. Le réglage de ce seuil est très important car il convient de travailler à la fois avec des seuils suffisamment élevés afin d'éliminer le bruit continu parasite, et avec des seuils pas trop élevés pour conserver des signaux d'énergie faible mais pouvant être associés à des phénomènes précurseurs en tout début de l'endommagement.

Figure 6.12 – Principe d'une chaîne d'acquisition d'émission acoustique.

amplificateur carte d'acquisition interfacée

capteur acoustique

couplant acoustique

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Un signal acoustique ainsi acquis a la forme typique illustrée en Figure 6.13 et possède des paramètres caractéristiques qui sont déterminés afin d'identifier et de discriminer des familles de signaux acoustiques, dans le but de les relier à des mécanismes physiques. On définit par salve (ou hit) tout signal acoustique détecté par un capteur acoustique (dont l'amplitude est donc supérieure au seuil de détection). Sans être exhaustive, une liste de paramètres usuels décrivant une salve acoustique est présentée :

- le comptage de coups au dessus du seuil, - l'amplitude maximale (en dB),

- l'énergie du signal acoustique : plusieurs façons de déterminer l'énergie d'un signal coexistent et sont liées historiquement à la limitation des moyens de calculs. L'énergie réelle correspond à l'intégrale du signal au carré sur la durée de la salve et s'exprime en Joule. D'autres définitions de l'énergie existent, basées par exemple sur le calcul de l'enveloppe du signal.

- la durée de la salve,

- le temps de montée (ou rise time) qui se définit par la durée pour atteindre l'amplitude maximale de la salve,

- son horodage par rapport à une origine des temps que nous prenons comme le début de l'essai (mise en succion, mouvement de la traverse de la machine d'essai).

Figure 6.13 – Forme d'une salve acoustique acquise et paramètres caractéristiques extraits.

Une première approche d'analyse de l'activité acoustique consiste en un simple dénombrement des signaux acoustiques en fonction, par exemple, de l'application d'une charge (ou de la mesure des déformations induites) au cours d'une sollicitation mécanique.

En utilisant plusieurs capteurs acoustiques judicieusement disposés sur l'éprouvette (Figure 6.14), il est possible de localiser les sources acoustiques. Cette localisation nécessite de connaître les positions relatives des capteurs acoustiques, les temps d'arrivée des signaux sur chacun des capteurs (les salves provenant de la même source sont détectées sur les différents capteurs à des temps différents) ainsi que la célérité des ondes acoustiques dans le milieu. Un algorithme de localisation permet alors de déterminer la possibilité d'associer ces différentes salves à une seule source acoustique par reconstruction des trajets suivis par l'onde. Si les temps de vol sont compatibles avec les positions géométriques des capteurs, les différentes salves acoustiques sont associées à une seule source et constituent alors un événement acoustique (ou event).

De plus, dans le cas du suivi acoustique lors d'essais mécaniques, la localisation permet de rejeter les signaux acoustiques qui ne sont pas émis par l'éprouvette mais qui proviennent du montage mécanique (lignes d'amarrage, rotule …) ou de la presse de compression elle-même. Ce dernier point est important car il permet de s'affranchir du type de presse utilisée (de par leur asservissement, les presses hydrauliques sont plus bruyantes que les presses électromécaniques).

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Figure 6.14 – Positionnement des capteurs ultrasoniques sur une éprouvette cylindrique de compression (représentation planaire).

Les coordonnées planaires (en mm) des quatre capteurs acoustiques sont mentionnées pour une éprouvette cylindrique (de diamètre 36 mm et de hauteur 72 mm). Les trajets des ondes élastiques de la source (position TS, LS)

vers les capteurs sont reportés schématiquement en projection planaire.

La connaissance de la célérité de propagation est la principale difficulté de la localisation des sources émettrices. En effet, d'une part les célérités évoluent au cours du chargement par modification microstructurale du matériau (par exemple, lors d'une sollicitation mécanique de compression, la refermeture des fissures et pores pendant la phase de serrage, l'expulsion de l'eau des pores ou l'apparition de nouvelles fissures modifient fortement la célérité de propagation des ondes acoustiques), et d'autre part, la célérité est très dépendante de l'orientation de la direction de propagation par rapport à la stratification dans des roches comportant à la fois des hétérogénéités mésoscopiques de constitution et une anisotropie marquée comme pour les argilites.

Pour pallier ce problème, Dill-Langer et al. [DIL 02] ont développé une procédure expérimentale de localisation des sources EA sur des éprouvettes de bois16 (matériau fortement anisotrope) sollicitées en traction uniaxiale. La première phase consiste à établir une abaque de la célérité des ondes élastiques de compression en fonction de l'angle par rapport aux plans de stratification. L'éprouvette est équipée de six capteurs acoustiques lors de l'essai mécanique. Un algorithme de reconstruction en 2D a été développé pour établir le chemin des ondes dans l'éprouvette à partir de la position des capteurs, des temps d'arrivée des impulsions ultra-soniques et de l'abaque des célérités en fonction de l'angle par rapport à l'anisotropie structurelle. Les résultats montrent une corrélation satisfaisante entre la localisation calculée des sources acoustiques et la position connue de certains défauts et des zones de rupture finale.

Nous n'avons pas mis cette méthode en application sur nos essais17, mais, dans le futur, il faudrait développer un tel algorithme intégrant les évolutions de célérité et la dépendance angulaire de la propagation des ondes. Actuellement, nous avons seulement accès à une localisation des sources par projection linéaire sur deux génératrices de l'éprouvette, soit les segments A-B et C-D de la Figure 6.14. Ainsi, par exemple, nous pouvons visualiser les projections des sources selon la contrainte appliquée et les corréler aux déformations mesurées en surface par Macro DIC. La hauteur de l'éprouvette étant de 72 mm et les capteurs ayant des diamètres de l'ordre du centimètre, la zone utile de localisation des sources acoustiques se situe entre les positions 10 et 60 mm sur l'axe L de la Figure 6.14. L'incertitude de la localisation spatiale est déterminée par des cassés de mine de crayon réalisés sur la surface de l'éprouvette et dont la position géométrique est repérée par du papier millimétré.

16 De par sa forte anisotropie, de la dépendance de ses propriétés par rapport à son état de saturation hydrique et

de son utilisation en traction et en compression, le bois présente de fortes analogies avec les argilites, en terme de propagation des signaux acoustiques.

17 Nous nous sommes fixés comme premier objectif de valider les enregistrements EA sur les argilites, c'est-à-

dire de récupérer et traiter des signaux et de les relier à des mécanismes physiques.

t0 t1 t3 t2 (0,0)A (0,70)B C(36,0) D(36,70) T L source (TS,,LS)

Le repère (T,L) est défini par rapport à la géométrie de l'éprouvette comme indiqué sur la Figure 7.3.

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Ainsi, nous estimons que la position des sources est connue à ± 2,5 mm à partir de la reconstruction des chemins des ondes acoustiques.

Des mesures d'activité acoustique peuvent aussi être réalisées lors de sollicitations triaxiales comme décrit dans certaines études récentes sur roches [CHAN 04] [DON 04].

6.2.2 - Description de la chaîne d'acquisition

L'équipement utilisé au cours de l'étude provient de la société Euro Physical Acoustics. La chaîne d'acquisition (Figure 6.15) se compose de :

- une carte d'acquisition (PCI-DSP4) disposant de quatre entrées de données acoustiques. Cette carte numérise les signaux EA amplifiés par des pré-amplificateurs, et procède à l'extraction des paramètres EA. Ces données sont ensuite transmises à l'ordinateur pour affichage, stockage et traitement. De plus, la carte dispose de quatre entrées de voies paramétriques (-10/+10 V) afin d'acquérir les voies des grandeurs mécaniques (force, déplacement, déformation ...) au cours de l'essai dans le but de corréler l'ensemble des données.

- des capteurs piézoélectriques : Nano 30 (de diamètre 8 mm et de bande passante 125-750 kHz).

- un logiciel d'acquisition AEWIN (EPA) qui permet d'effectuer la localisation spatiale des sources émettrices.

Au cours de nos essais, nous avons utilisé quatre capteurs diamétralement opposés, disposés aux extrémités de l'éprouvette soit pour le suivi en cours d'isotherme hydrique, soit lors de sollicitation mécanique à degré de saturation imposé (Figure 6.15). A l'état hydrique initial, les célérités en mode principal sont de l'ordre de 2 700 m/s pour la direction perpendiculaire aux strates et de 3 000 m/s pour dans les plans de strates (rapport de ~1,1). Toutefois, nous avons fait en première approximation l'hypothèse d'une célérité de propagation isotrope (mesurée sur chaque éprouvette avant essai) comme donnée d'entrée de la détermination spatiale de la source acoustique (la valeur considérée de célérité est celle mesurée perpendiculairement au strates en mode P). Le couplant utilisé est une pâte lubrifiante à base de silicone. Le seuil de détection est fixé à 32 dB.

Les données se présentent sous forme d'un tableau comportant les caractéristiques des ondes (amplitude, énergie, durée, nombre de coups …) ainsi que leur temps d'arrivée. Cet horodatage des données permet d'associer les évènements acoustiques aux données physiques et mécaniques acquises par ailleurs, comme les évolutions pondérales et géométriques lors des essais de transfert hydrique, ou comme les contraintes et les déformations lors des essais mécaniques.

Figure 6.15 – Installation des capteurs acoustiques dans la configuration de l'essai de compression uniaxial.

Les quatre capteurs acoustiques sont diamétralement opposés deux à deux, placés par paire en haut et en bas de l'éprouvette cylindrique à base circulaire. Les méplats aménagés pour l'extensométrie optique permettent de positionner correctement les capteurs acoustiques. Lorsque les éprouvettes ne sont pas suivies en extensométrie optique (absence de méplats), de petits méplats sont alors réalisés par limage.

σ

capteur EA

LVDT rotule

amplificateurs

carte d'acquisition PDI-DSP4 interfacée

capteur acoustique

tableau de données horodatées

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- II.57 6.2.3 - Traitements des données acoustiques

Une première étape dans le traitement des données est de les compiler avec les données soit de sorption (masse et déformations) dans le cas du transfert hydrique, soit aux paramètres mécaniques (contrainte, déformations) lors des sollicitations mécaniques. Dans ce dernier cas, un dénombrement sur la courbe σ−ε est effectué, ce qui permet de définir des densités d'événements en fonction du chargement. Pour cela, une routine spécifique sous Labview a été développée.

Un des paramètres acoustiques souvent corrélé aux courbes de comportement est l'amplitude des signaux acoustiques. Citons par exemple, des travaux récents de Meille [MEI 01] qui a effectué des enregistrements acoustiques lors d'essais de propagation de fissures sur éprouvette entaillée de plâtre sec, sollicitée en flexion. Lors de la propagation de la fissure, le nombre d'événements acoustiques apparaît bien corrélé à l'évolution de la courbe charge-flèche : la partie linéaire de cette courbe ne comporte pas d'activité acoustique ; par contre lorsque de la non-linéarité apparaît, des signaux acoustiques sont émis et les décrochements observés dans la courbe de charge se traduisent par une forte activité acoustique et sont associables à de la propagation soudaine de la fissure. Les amplitudes des signaux acoustiques sont analysées selon les phases de la propagation de la fissure et montrent que, à l'approche de la rupture dans la zone des décrochements, le nombre de signaux et leur amplitude augmentent fortement avant la rupture finale.

Mais l'amplitude n'est pas le seul paramètre intéressant des salves. Par exemple, Ohtsu et al. [OHT 03] proposent un critère de classification des signaux d'émission acoustique à partir de données obtenues sur des structures en béton soumises à des sollicitations externes (thermique, hydrique, vibrations mécaniques). Les auteurs proposent deux paramètres RA et Fa définis respectivement comme le rapport entre le temps de montée et l'amplitude maximale, et le rapport entre le nombre de coups et la durée en temps (Fa a la dimension d'une fréquence). Les auteurs distinguent ainsi des évènements associés à des modes en traction qui favorisent la création de nouvelles fissures, et des modes de cisaillement qui se développent à partir de fissures existantes. D'autres auteurs utilisent une discrimination sur le nombre de coups par salves et sur les durées des salves [WU 00]. Les différentes classes de signaux sont ensuite associées à des mécanismes de déformation. Ces paramètres présentent l'avantage d'être insensibles à l'atténuation du matériau, ce qui n'est pas le cas de critères en énergie ou en amplitude.

En nous inspirant de quelques travaux récents de la littérature, menés sur des matériaux similaires aux nôtres et sous sollicitation mécanique instantanée, nous essayons de mettre en évidence les mécanismes produisant de l'endommagement à chaque stade des courbes de déformabilité sous chargement mécanique uniaxial (Partie V). De plus, les enregistrements acoustiques sont dans la mesure du possible couplés aux distributions spatiales des déformations, mises en évidence par extensométrie optique.

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