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5.2 Synthèse des entretiens

5.2.2 Utilisateurs

5.2.2.4 Écoles

Du côté des écoles, on relèvera que l'intérêt pour le patrimoine de la bande dessinée peut être lié à l'orientation de la formation. Au Ceruleum, par exemple, la formation délivrée étant une formation pratique, avec un minimum d'enseignement théorique, l'intérêt pour de tels documents et les ressources d'une institution patrimoniale semble moindre. On y reconnaît néanmoins l'intérêt potentiel d'un lieu d'information documentaire relatif à la bande dessinée pour la démarche de recherche et de documentation qui est attendue des étudiants. A l'EPAC en revanche, la transmission d'une culture de la bande dessinée et une appréhension du medium dans son

74 Les personnes ayant été interrogées pour cette catégorie sont des responsables d'écoles ou de formation de bande dessinée : Patrizia Abderhalden, directrice, EPAC (Saxon), Nicole Rossi, responsable du Bachelor Illustration, BD et graphisme, Ceruleum (Lausanne). Voir annexes 26 et 27 pour les compte-rendus de ces entretiens.

historicité semblent occuper une certaine place. On affirme donc que l'existence d'une institution documentaire consacrée à la BD représente un soutien pour la formation. Des besoins concrets sont identifiés, tels que l'accès à une littérature spécialisée dans le cadre des recherches effectuées par les étudiants et les enseignants, l'existence d'une base de données online classifiée pour permettre les recherches à distance, la mise à disposition de supports didactiques et autres dossiers documentaires. L'école se montre très intéressée du reste à entretenir une collaboration avec une telle institution en vue par exemple de communiquer aux étudiants les archives existantes, de réaliser des expositions en commun et d'organiser le soutien aux jeunes talents. De ces retours semble émerger le besoin d'une centre d'information documentaire sur la bande dessinée, dont le profil serait plus proche d'une bibliothèque scientifique / centre de documentation. Ce ne sont pas les archives ou les documents patrimoniaux qui sont mis spécifiquement en avant, même si on perçoit, du côté de l'EPAC en tout cas, un intérêt pour le patrimoine et la volonté affirmée de développer la collaboration avec le Centre BD.

5.2.3 Conclusion

Bien que les limites de cette enquête ne permettent pas de tirer des conclusions définitives et de dégager des tendances marquantes, ces résultats invitent à certains constats. Du côté des producteurs, on constate que tout le monde conserve et a une certaine considération pour ses archives. Mais il y a de nombreuses différences quant à ce que l'on conçoit comme appartenant aux archives. Cela tient notamment à la nature du producteur, la production documentaire n'étant pas du même ordre pour un individu – un artiste en l'occurrence – et une organisation. Ces différences influent sur la perception de la valeur des archives. Les auteurs, pour lesquels les archives sont avant tout les documents artistiques, sont conscients de leur valeur, tandis que les organisations, pour qui les archives sont de nature fonctionnelle et administrative avant tout, sont plus sceptiques quant à l'intérêt de ces archives. La tendance est en effet de juger de la valeur des archives en fonction de l'intérêt des documents en soi, ce que l'on peine à reconnaître à des documents de nature administrative. Par conséquent, presque tout le monde trie, sélectionne selon des logiques diverses (gagner de la place, se débarrasser de l'inutile, de l'encombrant, trier le bon du mauvais) et détruit des parties (parfois massives) de ses archives. De manière générale, les individus n'abordent pas spontanément leurs documents dans une perspective documentaire et

il n'est pas certain qu'il y ait une pleine compréhension de ce qui fonde la valeur de l'archive aux yeux des archivistes. Une forme de sensibilisation, d'éducation à l'archive, serait nécessaire pour qu'ils puissent entrer de plein pied dans la question de l'archivage institutionnel et y réfléchir en connaissance de cause. Cette connaissance par les producteurs des enjeux et intérêts de l'archivage est essentielle aussi pour aménager, le cas échéant, le passage des archives de la conservation personnelle vers la conservation professionnelle. Aux producteurs qui seraient disposés à entrer dans un processus d'archivage, on pourrait suggérer certaines pratiques, proposer une liste de documents à conserver, les informer de la typologie documentaire concernée, etc. Cela implique aussi de proposer une alternative à la sélection et à la destruction qui réponde aux besoins concrets des producteurs, de proposer des solutions pratiques pour la conservation de ces documents à ceux qui ressentent le besoin de se débarrasser des archives devenues inutiles à leur activité.

Concernant l'archivage institutionnel, j'ai pu constater aussi que les motivations des producteurs à être impliqués dans un tel processus dépendent de multiples facteurs, qui diffèrent d'une personne à l'autre. Le service d'archives doit y être attentif et chercher, dans sa démarche de prospection, à montrer de quelle manière il peut répondre à ces intérêts. Les attentes qui sont le plus souvent exprimées concernent l'accessibilité, la valorisation et la capacité de l'institution à assumer cette fonction (en termes de sécurité, de conditions de conservation, de compétences). Même si le centre d'archives ne peut pas répondre à toutes les exigences des différents producteurs, il doit mettre le producteur en confiance, en informant clairement sur les conditions de conservation et d'accès et en présentant les garanties de son professionnalisme. Quant à la question de la valorisation, un centre d'archives n'est pas un musée et sa compétence première est la conservation et la mise à disposition. Il n'est que l'un des maillons de la chaîne du patrimoine. Mais il peut expliquer la place qu'il y occupe et comment sa fonction s'articule avec d'autres, celles des chercheurs et des musées qui travaillent, eux, à la communication et à la valorisation. C'est pourquoi il importe de rechercher des partenaires et d'envisager des collaborations.

L'axe de l'enquête qui concerne les utilisateurs semble indiquer que le groupe d'intérêt pour lequel les ressources documentaires patrimoniales sont d'une utilité avérée est celui de la recherche. Celle-ci se concentre à l'Université et est en plein développement, ce à quoi la disponibilité des ressources documentaires contribue de

manière essentielle. Ces utilisateurs ont du reste un rôle à jouer pour la valorisation des fonds et de la démarche patrimoniale et peuvent également être impliqués dans la définition de cette démarche et de ses objectifs. Si l'association – classique dans le domaine des archives – entre les pôles conservation et recherche est une des pistes principales, la recherche de collaboration avec d'autres partenaires, pour la communication et la diffusion auprès du public est également une voie à prendre. Les musées et les festivals semblent a priori les partenaires idéals et deux entités ont manifesté leur intérêt à une collaboration avec le Centre BD dans le cadre de cette enquête : le Cartoonmuseum et BD-FIL (du moins par les projets de son nouveau directeur). L'effort doit être poursuivi pour développer le réseau et travailler à la coordination entre les différents acteurs. La piste des écoles mériterait par exemple d'être explorée.

J'aimerais revenir pour conclure sur le fait que l'archivage n'est pas l'apanage des seuls conservateurs. Il existe une chaîne du patrimoine – comme il existe une chaîne du livre, par exemple – à laquelle participent à part égale producteurs, conservateurs et utilisateurs. Il importe, me semble-t-il, pour le succès de la mise en place d'un processus d'archivage, qu'il soit conçu comme un projet commun, qui reflète les intérêts des différents acteurs et qui s'appuie sur une vision commune ; une vision commune de ce qu'est le patrimoine, ce que sont les archives, de leur intérêt, de l'enjeu qui s'y rapporte. Je crois pourtant avoir perçu au cours de cette enquête comme un malentendu par rapport à l'archivage. Les producteurs perçoivent-ils véritablement la dimension archivistique de cette démarche de constitution et de conservation du patrimoine ? Ils constituent des archives qui représentent la « mémoire » de leur activité et se montrent sensibles, le cas échéant, à la conservation à long terme de leur fonds dans l'idée que cela correspond à conserver cette mémoire là. Ont-ils conscience que la démarche archivistique ne s'intéresse pas directement à leur mémoire, mais à celle de la bande dessinée à travers leurs archives ? Que, pour schématiser, elle ne s'intéresse pas à leur histoire, mais à leur témoignage ? Il me semble pourtant qu'une vision, une compréhension commune de la démarche et de ses objectifs est indispensable, parce qu'elle est un point de départ pour se comprendre, se mettre d'accord sur ce qui est intéressant comme document, ce qui a valeur d'archive dans une perspective patrimoniale. N'est-ce donc pas la priorité que de chercher les outils pour construire cette vision commune ?