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Les syndromes mononucléosiques

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Correspondances en Onco-Hématologie - Vol. XI - n° 2 - mars-avril 2016 85

R a c o n t é à J u l i e t t e

Les syndromes mononucléosiques

M.C. Béné*

* Service d’hématologie biologique,

CHU de Nantes.

I l y a quelque temps, Juliette, nous avons parlé des virus qui font des ravages chez les sujets immuno- déprimés. À cette occasion, je t’avais raconté l’étonnante histoire de Denis Burkitt, Anthony Epstein et Yvonne Barr.

Tu te souviens, Burkitt envoyait des biopsies de lymphomes d’enfants afri- cains à Londres, et un échantillon qui avait erré en route semblait contaminé par des bactéries lorsqu’il finit par arri- ver. Au lieu de le jeter, Epstein et Barr ont tout de même regardé, vu des mil- lions de cellules mais pas un microbe.

Et la microscopie électronique de 1963 a révélé sous leurs yeux ébaubis un virus jusque-là inconnu. Je t’ai alors dit rapidement que dans d’autres contextes que celui du dossier auquel s’adossait notre papotis, le virus d’Epstein-Barr (EBV [Epstein-Barr Virus]) était respon- sable de maladies bénignes. C’est de cela que nous allons parler aujourd’hui, si tu veux bien, puisque cette fois le dossier de ce numéro a pour sujet les virus en hématologie.

Cliniquement, les syndromes mono- nucléosiques (nous verrons plus loin pourquoi ils portent ce nom) sont globa- lement une “grosse angine”. Les amyg- dales sont gonflées, parfois couvertes d’un exsudat blanchâtre comme dans les angines à streptocoques, mais on n’y retrouve pas ces bactéries. Le patient est très fatigué, fiévreux, et, outre les amygdales, il développe des adéno- pathies cervicales parfois très volumi- neuses. Ça te paraît banal et te rappelle ton enfance, Juliette, mais, bizarrement, il a fallu attendre que la Russie des tsars éduque un pédiatre, plus tard fort renommé, pour identifier ce syndrome qui doit remonter à la nuit des temps

mais n’émouvait pas plus les médecins que cela. Nil Fedorovich Filatov fait ses études à l’université de Moscou à la fin des années 1860, puis il exerce pendant 2 ans en tant que médecin de campagne dans sa province de Mordovie.

Il poursuit son éducation en parcourant l’Europe – Vienne, Berlin, Heidelberg, Prague –, et finit par soutenir sa thèse sur la bronchite et la pneumonie. En 1887, à l’âge de 40 ans, il décrit une

“adénite idiopathique” qui reçoit vite le nom de “maladie de Filatov”, identifiant les symptômes décrits ci-dessus comme une entité particulière. Comme tu le sais, Juliette, les idées tournent bizarrement sur la planète, et, 2 ans plus tard, de façon apparemment indépendante, un infectiologue allemand, Emil Pfeiffer, suspecte une origine infectieuse pour ce qu’il rapporte sous le nom de “fièvre glandulaire” (Drüsenfieber), qui est juste la même maladie, sauf qu’il a aussi remarqué la fréquence d’une grosse rate.

On en reste là un bon moment, et on ne parle toujours pas de mononucléose, jusqu’à ce que 2 américains travaillant à l’université Johns Hopkins à Baltimore, Thomas Sprunt et Frank Evans, voient sous leur microscope, en 1920, dans le sang de 6 patients présentant ces symp- tômes, un nombre important de globules blancs de grande taille, atypiques, qu’ils identifient comme des lympho- cytes activés ou “lymphocytes mono- nucléés”. Parmi ces 6 cas, colligés sur 6 années, il y a 3 étudiants en méde- cine, et les 3 autres sont également de jeunes adultes. Tous ont présenté cette angine particulière. Les lympho- cytes sont de morphologie variée, très différente du caractère monomorphe observé dans les leucémies. Les méde-

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cins notent l’absence d’anémie et de syndrome hémorragique, ainsi que la guérison spontanée, qui écartent le diagnostic de leucémie. Ils constatent aussi, chez l’un des 3 patients, une réponse inflammatoire classique à poly- nucléaires lors d’une infection bacté- rienne subséquente. Ils concluent qu’il s’agit d’une réponse particulière à un agent pathogène spécifique. Ils parlent ainsi de “mononucléose infectieuse”, souvent abrégée “mono” en anglais et MNI en français. Le nom est né, mais la cause reste inconnue.

En 1923, à l’université du Minnesota, Hal Downey, professeur de zoologie, et Chauncey Angus McKinlay, profes- seur assistant de médecine, tentent sans succès de rebaptiser la maladie en “lymphadénite aiguë avec lympho- cytose”. Ils démontrent également les différences entre ces cellules et les lymphoblastes leucémiques. Downey décrit minutieusement ces lympho- cytes activés, les regroupe en 3 caté- gories, et ils finissent par être appelés

“cellules de Downey”. Avec l’imagination des morphologistes, les lymphocytes de type II, dont le cytoplasme s’étale radialement autour du noyau, sont parfois appelés “ballerina skirt cells”, littéralement “cellules en tutu” ! En 1932, 2 médecins basés respectivement à Yale et au New Haven Hospital (Connecticut), John Paul et Walls Willard Bunnell, s’in- téressent aux anticorps hétérophiles.

Drôle de nom, n’est-ce pas Juliette ? En fait, l’étymologie stricto sensu nous parle d’anticorps “qui aiment l’autre”, ce qui est bien le propre d’un anticorps, à la recherche de son antigène ! En fait, ce terme consacré désigne des IgM humaines se fixant à des hématies d’animaux et entraînant leur agglu- tination. Ces anticorps hétérophiles, et les antigènes correspondants, ont été découverts par un bactériologiste Suédois, John Karl August Forssman, en 1930, et ont longtemps porté son nom.

L’antigène de Forssman, décrit sur les hématies d’oiseaux, est présent sur les

globules rouges du chien, du cheval, du chat, de la tortue et du mouton ainsi que sur certains micro-organismes tels que les pneumocoques. Israel Davidsohn avait déjà décrit la présence de tels anticorps, agglutinant les hématies de mouton, chez des patients ayant déve- loppé une maladie sérique après injec- tion de sérum de cheval. Revenons à Paul et Bunnell, très intéressés par cette récente découverte, et qui cherchent des anticorps chez des patients atteints de rhumatisme articulaire aigu. Ils choi- sissent les hématies de moutons, et, parmi les sujets contrôles, ils décèlent un sérum ayant un titre très élevé de ces anticorps hétérophiles. Il se trouve que ce sujet avait récemment présenté une mononucléose infectieuse. Trois autres patients permettent de confirmer cette caractéristique, absente notamment du sérum de patients leucémiques. Le test de Paul-Bunnell devient un test diagnostique extrêmement utilisé pour confirmer une suspicion de mono- nucléose infectieuse. Davidsohn se met de la partie en 1937 en démontrant qu’une absorption préalable du sérum sur du rein de cobaye élimine ces anti- corps hétérophiles, ce qui accroît la spécificité du test, qui prend alors le nom de Paul-Bunnell-Davidsohn, en France le “MNI test”, qui perdure pour le dépistage précoce de la maladie devant un tableau d’angine, de fatigue, d’adéno pathies et de splénomégalie.

On a donc des anticorps pour le diag- nostic, mais on ne connaît toujours pas l’antigène. Pendant les 30 années suivantes, on comprend que cette maladie – finalement bénigne – est transmise par la salive, qu’elle survient surtout chez les jeunes adultes, et on la baptise judicieusement la “maladie du baiser”. On a cherché et tout trouvé dans la gorge des patients, mais rien de tangible. Le mystère va être levé de façon, là encore, assez anecdotique…

En 1964, un couple de virologues alle- mands ayant émigré en Pennsylvanie en 1936, Gertrude et Werner Henle,

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Les syndromes mononucléosiques

est contacté par Klaus Hummeler, un virologiste de Philadelphie qui vient de passer une année sabbatique avec Anthony Epstein. Avec Yvonne Barr, ce dernier vient de découvrir ce qu’ils pensent être un nouveau virus, et ils souhaitent obtenir une confi rmation dans un autre laboratoire. Ils envoient donc un échantillon en Pennsylvanie, mais Hummeler, sans crédits de recherche, n’a plus de laboratoire. Il transmet l’échantillon aux Henle, qui confi rment qu’il s’agit d’un nouveau virus du groupe Herpès. La présence du virus est démontrée dans tous les cas de lymphome de Burkitt. Des tests séro- logiques sont développés, et les anti- corps sont retrouvés chez ces patients.

Mais, curieusement, ils sont également présents dans la majorité de la popu- lation normale, dès l’enfance. On pense donc que l’EBV est à l’origine de ces lymphomes mais qu’il peut aussi être responsable d’infections bénignes, non reconnues comme y étant associées.

En 1966, les Henle montrent que les lymphocytes des patients prolifèrent en culture, et ils recherchent la présence du virus en immunofluorescence.

Comme c’est d’usage à l’époque, le personnel du laboratoire donne régu- lièrement son sang pour ces tests. L’une des techniciennes, Elaine Hutkin, a des lymphocytes qui ne prolifèrent pas et fait partie des quelques personnes du laboratoire qui n’ont pas d’anticorps.

Elle a 19 ans, et quelques semaines plus tard, en août 1967, elle doit s’ar- rêter de travailler parce qu’elle est très fatiguée, et qu’elle a une grosse angine et des ganglions. Le diagnostic de mononucléose infectieuse est posé par la démonstration de la présence d’anticorps hétérophiles ; elle se réta- blit et retourne au laboratoire 6 jours plus tard. Elle développe alors un rash morbilliforme, et du sang est prélevé.

Son plasma contient maintenant des anticorps contre l’EBV. Ses lymphocytes, mis en culture, prolifèrent, et, au bout de 4 semaines, 1 à 3 % des cellules contiennent du virus. Les Henle dressent

l’oreille et contactent des collègues médecins intéressés par la mono- nucléose infectieuse, James Corson Niederman et Robert W. McCollum. Ils avaient eu la riche idée de prélever du sang sur une cohorte d’étudiants de Yale à leur arrivée à l’université, en raisonnant qu’une bonne propor- tion d’entre eux développeraient une mononucléose infectieuse pendant leurs études. Ils disposaient à la fois de ces échantillons et de sérum prove- nant d’étudiants ayant effectivement présenté la maladie à l’université. Les tests sont réalisés en aveugle, mais, à l’analyse, parmi les 50 échantillons de sérum de départ, seuls 12 ont des taux faibles d’anticorps anti-EBV, alors que les 42 étudiants venant de présenter une MNI sont positifs, à des titres élevés. Chez eux comme chez la jeune Elaine, ces anticorps persistent même lorsque les anticorps hétérophiles ont disparu. Cette belle aventure est publiée en janvier 1968 dans Proceedings of the National Academy of Sciences . Une particularité de cette revue est qu’un membre de l’Académie doit présenter les manuscrits lors de leur soumission.

Figure. Signes cliniques d’un syndrome mononucléosique.

Toux

Photophobie

Gorge rouge et douloureuse Nausées

Splénomégalie Douleurs abdominales

Frissons Fièvre Courbatures

Fatigue Malaise Perte d’appétit

Migraine

Ganglions Amygdales volumineuses rouges couvertes

d’un enduit blanchâtre

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Cela avait été fait le 21 novembre 1967, 3 mois après la MNI d’Elaine par… John Paul ! Un article compagnon publié dans le Journal of the American Medical Association associe les médecins et les virologues. L’étude épidémiologique menée chez les étudiants est publiée en novembre 1968. Des 268 bizuths sans anticorps anti-EBV, 15 % ont présenté une MNI et ont développé des anticorps, alors qu’aucun des 94 sujets séroposi- tifs au départ n’a été malade. Dans ces 3 articles, les auteurs sont convaincus que l’EBV est bien le micro-organisme resté si longtemps mystérieux à l’ori- gine de la maladie de Filatov et de la “fièvre glandulaire” de Pfeiffer.

L’affaire est close…

Close ? Pas vraiment, car les recherches se poursuivent pour mieux comprendre ce qui se passe. Le virus est ubiquitaire, présent dans les cellules épithéliales du pharynx et transmis par la salive, le plus souvent dans la petite enfance. Il est alors asymptomatique ou associé à un syndrome pseudogrippal banal d’in- fection pédiatrique. Chez les jeunes adultes séronégatifs développant la maladie du baiser, les lymphocytes B sont infectés par le virus et prolifèrent dans les amygdales et les ganglions, voire la rate. Cette infection virale stimule une réponse immunitaire cellu- laire, et les lymphocytes T prolifèrent aussi, mais sans être infectés. Les cellules décrites si minutieusement par Downey, parfois confondues avec des monocytes atypiques, sont en fait des lymphocytes T CD8+ activés. Ces cellules cytotoxiques tuent les lymphocytes B infectés, et ce sont elles qui viennent à bout de la maladie. Évidemment, si le système immunitaire est défaillant, tout va mal. Nous avons déjà vu, dans l’autre dossier auquel je faisais allu- sion au début de cette histoire, Juliette, que les sujets immunodéprimés sont à risque de développer une réactivation du virus et de présenter un lymphome.

C’est le cas pour les patients VIH+, mais aussi dans les suites d’immunodé-

pressions iatrogènes comme après une greffe d’organe ou de cellules souches hématopoïétiques.

L’EBV est ainsi l’agent infectieux respon- sable de la majorité des syndromes mononucléosiques. Des tableaux proches peuvent être observés lors d’infections par le cytomégalovirus (CMV), par T. gondii, par l’herpèsvirus humain de type 6 (HHV-6) ou par le VIH. Dans les 3 premiers cas, comme dans la mononu- cléose infectieuse classique, le système immunitaire contrôle la maladie, qui reste bénigne, et le traitement est pure- ment symptomatique. Il est cependant important de qualifier le syndrome mononucléosique chez une femme enceinte pour écarter une toxoplasmose ou une infection par le VIH. Les signes cliniques de ces autres syndromes mononucléosiques sont généralement moins marqués et le tableau moins complet. C’est l’infection par le CMV qui ressemble le plus à une MNI, avec cependant une angine moins importante ou absente, et une splénomégalie plus rare, alors qu’une atteinte hépatique est plus fréquente. La toxoplasmose fatigue moins, implique peu les amygdales et se caractérise souvent par une adénopathie isolée et l’absence de fièvre. Le HHV-6 peut parfois donner les mêmes signes cliniques que l’EBV, mais avec une moins grande fatigue. Enfin, les syndromes mononucléosiques du VIH n’entraînent pas de splénomégalie, et l’apparition de ganglions chez un patient séro- positif doit plutôt faire penser à un lymphome qu’à une manifestation aiguë de la pathologie VIH. La leucocytose de la MNI, de l’ordre de 12-20 G/L, avec plus de 60 % de lymphocytes et au moins 10 % de lymphocytes atypiques, est caractéristique, alors que les autres étiologies sont plutôt associées à une lymphopénie. On y observe cependant les mêmes lymphocytes atypiques réac- tionnels.

Voilà pour aujourd’hui, Juliette, une belle saga hématologique et virologique du

xxe

siècle, n’est ce pas ? ■

M.C. Béné déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.

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