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DU MEME AUTEUR. Paris 1958.

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LES DIEUX

PATAMBA DU

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DU MEME AUTEUR LES LONDINIENNES, Bordeaux 1935.

CONTES DU PAYS GRIS, Bordeaux 1936.

HISTORIA DE LA LITERATURA FRANCESA, FONDO DE CULTURA ECO NO MICA, Mexico 1948.

DE QUOI VIVAIT BYRON ? (Deux Rives), Paris 1951.

PRÉCIS D'HISTOIRE DE LA LITTÉRATURE ANGLAISE, (Hachette), Paris 1953.

RUDYARD KIPLING (Hachette), Paris 1955 (Servitudes et Grandeurs Impériales).

GUIDE ANGLAIS (Hachette), Paris 1954 (Ed. anglaise, Me et Britain, 1957).

L'ANGLETERRE DANS L'ŒUVRE DE M DE STAËL (Didier), Paris 1954.

CONTES ET LÉGENDES DU MEXIQUE (Nathan), Paris 1956.

LORD BYRON, UN TEMPÉRAMENT LITTÉRAIRE (Le Cercle du Livre), Paris 1957.

CONTRACORRIENTES MEXICANAS (Antigua Librairia Robredo), Mexico 1957.

SOCIOLOGIE DE LA LITTÉRATURE (Presses Universi- taires), Paris 1958.

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ROBERT ESCARPIT

LES DIEUX PATAMBA DU

LIBRAIRIE ARTHÈME FAYARD

18 RUE DU SAINT-GOTHARD PARIS XIV

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Il a été tiré de cet ouvrage : VINGT-CINQ EXEMPLAIRES SUR ALFA NAVARRE NUMÉROTÉS DE 1 A 25 - CINQ EXEMPLAIRES SUR ALFA NAVARRE NUMÉROTÉS

H.C. 1 A H.C. 5.

Si vous désirez être tenu au courant des ouvrages publiés par La Librairie Arthème Fayard, 18, rue du Saint-Gothard, faites-nous connaître votre nom et votre adresse. Vous recevrez régulièrement, sans frais, ni engagement de votre part, un bulletin d'informa- tion qui vous donnera toutes les précisions désirables sur les nouveautés mises en vente chez votre libraire.

© Librairie Arthème Fayard, 1958.

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La fille courait le long de la plage. Elle ne fut d'abord qu'un point noir à la lisière des tamaris. Puis on distingua son châle bleu qui flottait lourdement dans l'air immobile. Pendant quelques minutes, un repli de la dune la dissimula.

Quand elle reparut sur la crête, elle s'arrêta et mit sa main en visière au-dessus des yeux. Le soleil métallique couvrait le sable et la mer d'un voile éblouissant.

A quelque distance devant elle, des pêcheurs, plongés jusqu'à la taille dans l'eau grise, halaient une seine.

Elle se dirigea vers eux. Le premier à l'apercevoir fut un jeune homme qui portait un grand chapeau de paille aux rubans jaunes et verts.

— Maria ! Maria ! Maria ! cria-t-il, où cours-tu donc si fière ?

Les autres pêcheurs dressèrent leurs torses ruisselants et firent des signes d'amitié à la jeune fille.

— Hola, Felipe ! répondit-elle. Je vais chez Evita, lui porter un peu de piment.

— Dépêche-toi, alors, car tout à l'heure cela va souffler. Sens-tu comme le soleil picote ?

— Crois-tu que j'aurai le temps de rentrer ?

— Peut-être, si tu cours assez vite. Rentre par la route. Ici, les vagues seront trop fortes.

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— Entendu ! A ce soir, vous autres !

En deux bonds elle disparut derrière un éperon de rocher. Les pêcheurs reprirent leur travail en silence.

Un quart d'heure plus tard, ils achevaient de ramasser leur pêche dans des paniers d'osier quand un coup de sirène leur fit tourner la tête vers la haute mer.

A quelques encablures on devinait dans la brume la silhouette d'un cargo.

— Il se dépêche de franchir la barrière de corail, dit un des pêcheurs. Tout à l'heure, ce ne sera pas drôle de chercher l'entrée.

Felipe leva les yeux vers le ciel bleu de zinc où le soleil paraissait une éclaboussure de métal en fusion.

— Cela ne va plus tarder maintenant. Le mieux est que Juan et Miguel portent les paniers à la pêcherie.

Nous autres, nous tirerons la barque au sec.

De nouveau, la sirène hurla.

— C'est un Français, dit le pêcheur en observant le navire. On l'attendait hier, mais il a été retardé par une avarie de machine.

— Ce n'est pas souvent qu'on voit un Français faire escale à Puerto Grande, remarqua Miguel en chargeant un panier sur sa tête.

— Si c'est comme la dernière fois, dit un autre, ils auront de l'eau-de-vie à échanger contre des peaux d'iguane et des manoques de tabac.

— Sans compter les pourboires pour enseigner les bons endroits du port aux matelots.

— Ils donnent moins que les Américains, mais plus facilement.

— Viendras-tu, Felipe ?

Le jeune homme, qui était occupé à plier le filet au fond de la barque, leva les yeux vers le navire.

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— Non, dit-il.

Et, ostensiblement, il cracha dans la mer.

En haut de l'échelle, Jean Fouras serra la main du commandant et s'épongea le front.

— Voilà donc les tropiques, commandant. La tem- pérature dépasse mes espérances. Fait-il toujours aussi chaud que cela ?

— En été, beaucoup plus. Mais nous sommes en décembre. Cette température est un peu anormale et ne présage rien de bon.

— Ah oui, le fameux cyclone que vous redoutiez ?

— Fameux est le mot. Mon baromètre n'en revient pas. Inutile de vous dire que je suis content d'être à quai. Avec notre avarie, nous n'aurions pas eu bonne mine. Heureusement Puerto Grande est une rade sûre.

— Sûre mais chaude. Je commence à me demander si je n'ai pas eu tort de choisir cet endroit pour y passer mes vacances.

— Non, non, rassurez-vous, la république de San Fernando est un pays charmant. Vous aurez vite épuisé les charmes de Puerto Grande, mais Pueblo, la capitale, est une ville passionnante... et vous y aurez moins chaud, car elle est à deux mille mètres d'altitude.

Un marin s'approcha et salua.

— La valise du passager est à la douane, comman- dant.

— Alors il ne faut pas faire attendre les autorités.

Si l'ouragan ne me donne pas trop de chiendent à bord, je vous retrouverai sans doute ce soir au bar du Patamba.

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— Pourquoi au bar du Patamba ?

— Parce que c'est là qu'on retrouve tout le monde à Puerto Grande.

Le préposé aux douanes et à l'immigration était un grand diable triste en uniforme caca d'oie. D'une main molle, il fourragea longuement dans la valise.

— Passeport, dit-il enfin.

Fouras tendit le document.

— Habla Ud. castellano ?

— Sí.

— Que venez-vous faire à San Fernando ?

— Me reposer, visiter le pays. Je viens de terminer mes études.

Un éclair d'intérêt parut dans les yeux du fonction- naire fernandin.

— Des études pour être ingénieur ?

— Non, non...

Fouras cherchait un moyen de faire comprendre à son interlocuteur les notions de sciences politiques et d'Ecole Nationale d'Administration.

— Des études pour être... diplomate.

— Alors comment se fait-il que vous n'ayez pas un passeport diplomatique ?

Il était clair que son cas devenait suspect.

— Je ne suis qu'élève-diplomate.

— Les diplomates qui viennent ici n'arrivent pas sur des cargos. Pourquoi n'avez-vous pas pris l'avion ? Notre aéroport est un des plus importants du continent.

— Parce que je ne suis pas pressé, répondit Fouras avec une pointe d'irritation. Je me repose, je prends mon temps...

Méditativement, le préposé feuilleta le passeport.

— Señor, dit-il, je crains de ne pouvoir vous laisser pénétrer sur le territoire national... à moins que vous

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n'acceptiez de verser une caution de cent pesos qui vous sera rendue à votre départ.

Fouras réprima un sourire. Il s'en tirait à bon compte.

D'après le camarade qui l'avait renseigné sur les cou- tumes fernandines, la mordida traditionnelle était de cinq cents pesos. Il y avait sans doute un tarif réduit pour les passagers de cargos.

Gravement, il tendit un billet de cinq dollars qui, au cours du peso fernandin, représentait un peu plus que la somme demandée. Non moins gravement, le fonctionnaire plaça le billet dans la poche de sa vareuse.

Un sourire amène tordit sa moustache.

— Vous comprenez, senor, dit-il en manière d'excuse, que nous sommes obligés de prendre nos précautions contre l'immigration clandestine. Il ne me reste plus qu'à vous souhaiter un agréable séjour dans notre pays.

Voulez-vous que je fasse appeler un taxi ?

— Non, merci, je préfère marcher un peu et regarder autour de moi.

Mais à peine Fouras eut-il atteint la rue qu'il changea d'avis car le cyclone se déclencha sans crier gare. Avec le fracas d'un coup de canon, l'air stagnant s'ébranla soudain et, en quelques secondes, atteignit une vitesse d'ouragan. Le voyageur eut tout juste le temps d'entre- voir les façades ocre d'une grande place entourée d'arcades. Des nuées basses sautèrent la ligne des toits et fondirent sur la ville qui disparut dans des tourbillons de poussière et de sable.

Assourdi, cinglé, larmoyant, Fouras vit une longue voiture américaine émerger du néant et se ranger devant lui.

— Taxi, señor?

Sans répondre, valise en avant, il fit claquer la por- tière et s'enfonça dans les coussins avec un soupir de

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soulagement. La radio de la voiture crachotait une rumba fêlée.

— Patamba ? demanda le chauffeur.

A en juger par la couleur de la nuque grasse qui faisait saillie entre la casquette et le col du blouson, ce devait être un mulâtre.

— Patamba ? répéta-t-il.

Fouras s'aperçut alors que la voiture s'était remise en marche à vitesse réduite. La rue où elle s'était engagée ne recevait pas la tempête de plein fouet. De part et d'autre, hangars et bicoques jaunâtres défilaient interminablement.

Ce n'est pas ainsi qu'il avait imaginé son arrivée.

Dans la gloire d'un soleil couchant, il aurait touché terre sur un vieux quai bruissant, niché entre les cocotiers et les mangroves. Fendant la foule bigarrée, il aurait, jusqu'à la nuit, parcouru les venelles du port, humant l'air tropical, tiède et parfumé. A la terrasse d'un bar, une belle fille lui aurait servi un alcool épicé tandis qu'au loin une guitare aurait égrené des notes mélancoliques. Puis, sans hâte, il aurait choisi, dans une rue tranquille, un hôtel à la façade claire. Il le voyait, cet hôtel, il voyait le rond de lumière que faisait sur le pavé la lanterne en fer forgé accrochée au-dessus de la porte. Derrière le vantail de chêne clouté, il apercevait en longues enfilades de frais couloirs carrelés avec, au bout, les palmes d'un jardin plein de lune.

Hélas, ce maudit cyclone avait tout gâté. Le Patamba devait être un de ces palaces cosmopolites où l'inertie du tourisme préfabriqué pousse inexorablement le voyageur moutonnier. « C'est là qu'on retrouve tout le monde », avait dit le commandant. Fouras sentit monter en lui comme une nausée. Une nostalgie pro-

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fonde l'étreignit. Il fut sur le point d'ouvrir la portière et de s'enfuir. Mais une bourrasque plus violente que les autres s'écrasa sur la voiture, faisant vibrer les tôles.

— Patamba, dit-il résigné.

— Caray, grogna Felipe en jetant un coup d'œil dans la rue, j'espère que Maria aura eu le temps de rentrer.

— Si elle est passée par la route, elle ne risque pas grand-chose, dit un vieil Indien qui sirotait un verre de rhum à la table voisine.

— Sauf une charretée de grains de sable incrustés sous la peau. Ça pénètre comme des balles, ces saletés-là.

— De toute façon, ça ne durera pas. Vent qui entre fort est tout près de la mort, murmura le vieux avec sagacité.

La porte s'ouvrit avec violence. Visage poupin, rosi par le vent, un matelot français entra, suivi d'un marchand de souvenirs qui essayait désespérément de l'intéresser à ses peignes en simili-écaille et à ses bijoux de pacotille.

— Mire que fuerte, señor!...

Saisissant un peigne, il le cogna vigoureusement contre le comptoir. Le matelot ne l'écoutait pas. Avec précaution, il tira de sous son chandail une bouteille enveloppée dans un morceau de journal.

— No se rompe nunca...

Le peigne se brisa net. Felipe eut un petit rire et haussa les épaules. Le matelot se dirigea vers lui, sa bouteille à la main. Il montra le mot cognac sur l'étiquette.

— Quiere? dit-il. Dos kilos tabaco... dos... une bou- teille pour toi, para ti una... dos kilos... quiere ?

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Felipe le regarda froidement et lui tourna le dos. Le marchand s'approchait avec un autre peigne.

— Tu ne les aimes pas beaucoup, fils, ricana le vieil Indien.

Felipe s'assit à côté de lui sur le banc de bois.

— Ils m'aiment, eux ?

— Pourquoi pas ?

— Ça ne se voit guère.

Le vieux hocha la tête.

— Fils, tu as tort. Les Américains, je te les aban- donne, c'est tout mauvais. Les Espagnols, on en repar- lera quand ils nous auront rendu l'or qu'ils nous ont volé. Les Anglais, ce sont des brutes. Mais les Allemands et les Français, fils, non, ce n'est pas la même chose...

La main de Felipe balaya la table.

— Oui, je sais ! Ça fait vingt ans que j'entends cette chanson. Don Ramon, l'ancien patron de l'hacienda avant la Révolution, avait une automobile allemande et une maîtresse française. Le licenciado Velez a fait ses études à Paris et le colonel Miranda a été décoré parce qu'il ravitaillait les sous-marins allemands pen- dant la guerre. Et alors ? Que veux-tu que ça me fasse ? J'ai une automobile, moi ? J'ai fait des études ?

— Tu as fait des études plus que nous tous, Felipe.

Tu es allé à l'école jusqu'à treize ans.

— Parlons-en ! A peine si j'ai eu le temps d'y prendre goût, et il a fallu que je me mette à la pêche pour ne pas crever de faim. Le matelot s'était rabattu sur le marchand de souve- nirs et négociait l'échange de sa bouteille contre une demi-douzaine de broches en filigrane d'argent. Le mar- chand ne désespérait pas de lui vendre un peigne. De temps en temps, il en cognait un contre le comptoir.

— Mire que fuerte...

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Mais maintenant il tapait avec le dos du peigne et prenait soin d'amortir le choc.

Finalement, le marché fut conclu. Le matelot empo- cha ses broches et s'empressa de sortir. Quand il ouvrit la porte, une rafale de vent chargé de sable s'engouffra dans la pièce. Le vieux s'essuya les yeux en pestant.

— Porqueria, grogna-t-il, fils de la mule ! Felipe ne put s'empêcher de rire.

— Je croyais que tu les aimais ?

Le marchand de souvenirs vint s'asseoir à côté d'eux.

Soigneusement, il rangea sa bouteille au fond du cabas où il gardait sa marchandise.

— Bonne affaire, dit-il. J'en tirerai soixante-quinze ou quatre-vingts pesos au bar du Patamba. Il n'y a rien à boire dans cette maison ? Où est la patronne ?

— Dans l'arrière-boutique, je crois, répondit Felipe.

Les clients sont rares à cette heure-ci. Pourquoi ne bois-tu pas ton cognac ?

— Tu n'es pas fou ? A ce prix, ce n'est pas pour nous, pauvres Indiens.

— Tu vois la différence ? ricana Felipe en se tour- nant vers le vieux. Lui, il achète et il vend le cognac, mais c'est le Français qui le boit.

— Je ne vois pas la différence, fils. Le matelot fran- çais a probablement volé le cognac, il l'a passé en contrebande et il l'a vendu, mais il ne l'a pas bu lui non plus.

Sans répondre, Felipe se leva et reprit sa faction devant la fenêtre.

— Ça semble diminuer un peu, dit-il. Dans un instant il va pleuvoir. Il faut que je rentre.

Il se dirigea vers le fond du bar et cria dans l'arrière- boutique : — Evita!

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— Oui, Felipe ? répondit une voix lointaine.

— Je rentre. Tu n'as pas de commission pour le village ?

— Non. J'ai donné ce que j'avais à Maria.

— A demain.

— A demain, Felipe !

En passant devant la table où le vieux regardait le marchand de souvenirs compter sa recette de la journée, il s'arrêta. — Combien en veux-tu de ta bouteille ?

— Tu as l'intention de l'acheter ?

— Pourquoi pas ? Si je paie le prix.

— Au Patamba, on m'en donnerait cent, peut-être cent vingt pesos.

— Tu disais soixante-quinze tout à l'heure. Je t'en donne cinquante et je t'évite le voyage.

— Soixante-cinq pour toi.

— En voilà soixante.

Felipe enveloppa la bouteille dans un pan de sa blouse.

— Pour une fois, dit-il, c'est un Indien qui boira le cognac.

Quand il fut sorti, le marchand se frappa le front.

— Ça représente au moins sa part de pêche de trois jours. Il est complètement fou.

— Peut-être, dit le vieux en hochant la tête, peut- être, mais je connais sa folie. Elle vient de loin.

La voiture longea une avenue plantée de palmiers trapus qui ressemblaient à des ananas géants posés à même la terre. Puis, ayant franchi une voie ferrée, elle

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s'engagea sur une sorte de corniche en bordure de la mer.

Entre la plage et la route, des dunes basses formaient un glacis désert où poussaient quelques figuiers de Barbarie. Le vent y arrachait d'immenses volutes de sable jaune qui donnaient au ciel une teinte de fin du monde. Mais la visibilité était un peu meilleure qu'à l'intérieur de la ville.

A droite, des pins d'Australie ployés sous la tempête balayaient l'eau grisâtre d'un marigot. La voiture obliqua vers la mer. La route semblait avoir disparu sous le sable. La poussière était devenue si dense que le chauffeur collait son nez au pare-brise, cherchant à distinguer la trace des pneus qui l'avaient précédé.

— Vaya, grommela-t-il, pour peu que je me trompe d'un mètre, me voilà ensablé.

Une silhouette surgit soudain, presque sous les roues de la voiture. Poussant un juron, le chauffeur donna un coup de volant et l'évita.

— Arrêtez ! cria Fouras. Qui est-ce ?

— C'est une Indienne, señor, répondit le chauffeur en bloquant les freins. Elle a l'habitude du vent, mais pas des voitures.

— On ne peut pas la laisser dans cette tourmente ! Il ouvrit la portière et passa la tête au dehors. Sous le fouet du sable, ses yeux clignotèrent douloureuse- ment. Il aperçut un bout d'étoffe bleue qui flottait.

— Montez ! cria-t-il.

Une main saisit la sienne, et il tira la femme à bord.

Elle murmura un remerciement et se blottit dans l'espace vide entre Fouras et sa valise. C'était une toute jeune fille — dix-huit ou dix-neuf ans peut-être — vêtue d'une jupe rouge et noire. Le grand châle bleu

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qui avait protégé son visage dans la tempête enve- loppait sa tête et ses épaules.

Le mulâtre coula vers elle un regard humide.

— Tu es de Soledad ? demanda-t-il.

— Oui.

— Soledad est tout à côté du Patamba, senor. Nous pourrons la laisser à l'entrée du village.

Discrètement, il augmenta la puissance de la radio et reprit sa route avec précaution. Le vent semblait avoir faibli, mais il s'était mis à pleuvoir. De grosses gouttes boueuses s'écrasaient sur les vitres de la voiture.

Fouras observait sa passagère. Entre les replis du châle, il distinguait la courbe pure du front et un coin de tempe où jouait une mèche noire et luisante. Il fut déçu de ne pas ressentir plus d'excitation. C'était une Indienne, se répétait-il niaisement, une vraie Indienne, une fille des tropiques, toute pareille à celles qui avaient accueilli les Conquérants, quatre siècles auparavant. Mais le dépaysement le fuyait. Rien n'était plus ordinaire que cet épisode. Il l'imaginait aisément dans un autre pays — en Italie, en Espagne, par exemple, ou même chez lui, sur quelque route pou- dreuse du causse de Larzac.

Les plis du châle s'agitèrent légèrement. Un œil se montra et disparut aussitôt. Fouras ébaucha un sourire et devina qu'un sourire lui répondait.

— Comment vous appelez-vous ? demanda-t-il ? La réponse vint aussitôt, d'une voix basse et légère- ment chantante :

— Maria Belen, señor.

Maria Belen... Marie de Bethléem... bien sûr ! En voilà, de l'exotisme, songea-t-il amèrement. Le châle bleu aux replis mystiques, le front bombé, la passante

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dans le sable. C'était le plein poncif de l'imagerie biblique. Dire qu'il avait failli s'y laisser prendre ! Il attendait une fille des îles, et on lui donnait une madone — réussie, à coup sûr.

— Maria Belen, dit-il poliment, cela vous va bien.

Du moins je le suppose, car je ne vous ai pas encore vue.

Sans hâte, mais sans hésitation, elle écarta son châle et le regarda.

Fouras espérait un choc. Il ne se produisit pas. Le visage était attendu, étonnamment conforme aux ima- ges qu'évoquait toujours chez lui la musique tropicale.

L'idée d'un disque microsillon s'imposa soudain à son esprit avec d'autant plus de netteté que la radio de la voiture jouait maintenant une guaracha familière et très parisienne.

L'incongru de l'évocation lui arracha un petit rire.

La jeune fille le regardait curieusement.

— Vous ressemblez..., commença-t-il.

Il s'arrêta. A quoi ressemblait-elle ?

— Vous ressemblez à un songe tropical.

De nouveau, un sourire anima les lèvres charnues.

Mais les yeux demeuraient graves, presque durs. « Des pierres, songea-t-il, des pierres précieuses, des étoiles fixes dans une nuit très noire. »

Et le choc lui arriva, comme une vague attardée qui déferle posément. La jeune fille fut soudain à la fois très réelle et très étrange. Il n'y eut plus rien d'ordi- naire, ni le cri du vent, ni le mouvement de ce châle bleu, ni la magie de ces odeurs chaudes que Fouras sentait monter en lui et qu'il s'étonnait de n'avoir pas senties plus tôt. Pour la première fois depuis son débarquement, il eut le sentiment d'un autre monde,

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comme si l'horizon lointain d'où il venait s'était refermé sur lui.

— Voici Soledad, dit la jeune fille.

La voiture franchit à grand bruit un pont de madriers et s'arrêta à l'entrée d'un chemin au bout duquel on distinguait deux ou trois cabanes couvertes de palmes.

Fouras se pencha pour ouvrir la portière.

— J'espère que nous nous reverrons, Maria Belen.

Sans répondre, elle ramena son châle sur les épaules et descendit.

— Gracias, señor.

Elle fit un petit geste amical et s'en fut en courant sous la pluie.

— Je la reconnais maintenant, dit le chauffeur en remettant sa voiture en marche. Sa sœur tient le bar du Farolito, là-bas sur le port. C'est une bonne fille.

Il montra une grande construction qui apparaissait sur la gauche, au delà d'un petit bois de pins. — Nous arrivons, señor, voici le Patamba.

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Lorsque le conquérant Don Miguel de Briviesca fonda Puerto Grande en 1524, il ne prétendait pas rivaliser avec la Villa Rica de la Vera Cruz d'où son chef Hernan Cortès était parti à la conquête de la Nouvelle Espagne. Mais au fond de son cœur dormait sans doute le secret désir de se faire oublier et peut-être l'ambition de se tailler un petit royaume à l'abri de la Cordillère qui bouchait l'horizon de l'ouest.

Selon les instructions reçues, il fit d'abord construire sur un récif de corail le fort de San Miguel qui garde encore l'entrée de la rade. Puis il se préoccupa de trouver un site pour y élever une résidence à la mesure de ses espoirs royaux. A une lieue du village indien dont Puerto Grande a maintenant pris la place, il découvrit, tout près de l'embouchure d'une petite rivière, une longue bande de sable que des barrières rocheuses protégeaient de la mer et qui formait un excellent bastion naturel avec des vues dégagées de toutes parts.

En quelques semaines, ayant réquisitionné la popu- lation des villages voisins, il se fit construire là une belle demeure castillane, avec un jardin à l'andalouse, un patio dallé et une vaste cour entourée d'étables et d'écuries. En prévision des ouragans, il fit planter des pins au nord et des tamaris à l'est, le long de la mer.

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Il n'eut pas le temps de voir ses arbres grandir. En vain avait-il donné à son futur royaume le nom de San Fernando, en l'honneur de son chef Cortès, il n'ama- doua point la jalousie du redoutable capitaine. Il était à peine installé depuis un mois dans sa nouvelle rési- dence qu'une expédition punitive envoyée de Mexico descendit des hautes terres, balaya son escouade d'arque- busiers et sa garde indigène, le fit prisonnier et l'expédia sur Cuba, chargé de chaînes. Reconnu innocent après un long procès, il fut renvoyé en Espagne et y mourut au bout de quelques mois. Pendant une trentaine d'années l'ambitieuse construc- tion de Don Miguel resta inoccupée. La forêt de pins et de tamaris prospéra malgré les vents marins, et les cactus du jardin andalou envahirent les arcades du patio.

Sous Philippe II, le comte de Miranda y Pelayo installa des plantations de tabac dans la plaine avoisi- nante. Il fit nettoyer les bâtiments qui lui servirent d'entrepôts. Dans les écuries et les étables, il logea les esclaves noirs qu'il avait fait venir de Saint- Domingue. Ces derniers donnèrent à l'endroit le nom de Patamba, qui lui resta.

Les comtes de Miranda y Pelayo exploitèrent la plantation du Patamba pendant trois siècles — sans d'ailleurs jamais y faire une visite. Un petit village naquit légèrement en amont sur la rivière. Comme il était loin de tout, on l'appelait Soledad. En deux géné- rations, les esclaves noirs disparurent, minés par les fièvres, mais ils laissèrent un peu de leur sang africain dans les veines des travailleurs indiens de Soledad.

La révolution de 1815, au cours de laquelle la répu- blique de San Fernando conquit l'indépendance, emporta les comtes de Miranda y Pelayo, leurs encargados et leurs

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capataces. Pendant plus d'un demi-siècle, les Indiens furent laissés à eux-mêmes. Tout naturellement, ils retrouvèrent leurs habitudes d'avant la Conquête. Rame- née à la mesure de leurs besoins, la plantation fut divisée en parcelles et exploitée en commun sous l'autorité du chef du village. La maigre production était aisément écoulée sur le marché de Puerto Grande.

De temps en temps une révolution ou un coup d'Etat partis de la capitale venaient mourir dans les rues tranquilles du port où s'embarquaient les exilés de marque. Mais il était bien rare que Soledad en eût même l'écho.

En 1880, Don Ramon Minondo arriva. C'était un homme jeune, énergique et, par surcroît, un philan- thrope. Ayant racheté pour une bouchée de pain l'hacienda de Patamba, il se jura de vivre parmi ses Indiens et de les tirer bon gré mal gré de leur routine anachronique. Il s'installa dans la vieille résidence de Don Miguel de Briviesca, mise à neuf et agrandie. Il fit aménager une route, jeter un pont sur la rivière et assainir en partie le marigot qui séparait Soledad de Puerto Grande. Il fut un des premiers hacendados de San Fernando à faire électrifier son domaine en 1915 quand d'importants contrats passés avec les belligérants européens pour la fourniture de tabac de troupe lui permirent un accroissement de capital. Il fut certaine- ment le premier à utiliser les camions automobiles pour le transport de ses marchandises. Bref, grâce à lui, le progrès pénétra dans la région. L'énorme fortune qu'il amassa au cours de sa longue vie fut sa récompense.

Mais les Indiens se montrèrent ingrats. Lors de la Révolution de 1925, ils égorgèrent le vieux Don Ramon, sa fille, son gendre et ses cinq petits-enfants.

Après quoi ils se remirent à cultiver la terre pour

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Dépôt Légal N° 1920. 3 Trimestre 1958.

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