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Accès des couples homosexuels à la famille en Suisse et représentations sociales : la procédure de consultation comme outil de recherche

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Master

Reference

Accès des couples homosexuels à la famille en Suisse et représentations sociales : la procédure de consultation comme outil

de recherche

ABERLE, Marion

Abstract

Accès des couples homosexuels à la famille en Suisse et représentations sociales : la procédure de consultation comme outil de recherche

ABERLE, Marion. Accès des couples homosexuels à la famille en Suisse et

représentations sociales : la procédure de consultation comme outil de recherche. Master : Univ. Genève, 2019

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:132049

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A CCES DES COUPLES HOMOSEXUELS A LA FAMILLE EN S UISSE ET REPRESENTATIONS SOCIALES : LA PROCEDURE DE CONSULTATION COMME OUTIL DE RECHERCHE

Marion Aberlé Novembre 2019

Mémoire de Master en sociologie sous la direction du Prof. Eric Widmer

Université de Genève – Institut de Recherches Sociologiques www.unige.ch/sciences-societe/socio

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Aberlé Marion (2019), Accès des couples homosexuels à la famille en Suisse et représentations sociales : la procédure de consultation comme outil de recherche, Mémoire de Master, Université de Genève : Institut de recherches sociologiques, mimeo.

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T

ABLE DES MATIÈRES

LISTE DES FIGURES 5

LISTE DES TABLEAUX 6

INTRODUCTION 7

CONTEXTE DE LÉTUDE 10

LA FAMILLE NUCLÉAIRE ET LÉVOLUTION DES FORMES FAMILIALES 10 LE DEBAT POLITIQUE AUTOUR DE LACCES DES COUPLES HOMOSEXUELS A LA FAMILLE, EN

SUISSE ET AILLEURS 12

La filiation entre deux adultes : le partenariat enregistré et l’ouverture du mariage 13 La filiation entre des adultes et un enfant : les techniques de procréation médicalement

assistée et l’adoption 14

L’ADOPTION PAR DES COUPLES HOMOSEXUELS : UN POINT SUR LA SITUATION JURIDIQUE 17

QUESTION DE RECHERCHE ET PROBLEMATIQUE 18

CADRE THEORIQUE 21

LA THEORIE DES REPRESENTATIONS SOCIALES 21

L’ANALYSE DE CONTENU 23

LES RÉSEAUX DAFFILIATION 24

DONNEES ET METHODE 26

TERRAIN DE LETUDE : LA PROCEDURE DE CONSULTATION EN SUISSE 26

SELECTION ET CATEGORISATION DU CORPUS 27

CODAGE DES THÈMES 32

ANALYSE DE CONTENU 33

LES THEMES RELEVES 33

REGARD GENERAL SUR LES ARGUMENTS RELEVES 42

ANALYSE DE RESEAU 45

REPRESENTATION VISUELLE DU RESEAU DES PARTICIPANTS 48

Structure générale du réseau des participants 48

Analyse cœur-périphérie 55

Mesure de la centralité d’intermédiarité 57

Synthèse des résultats intermédiaires 58

REPRESENTATION VISUELLE DU RESEAU DES THEMES 59

Structure générale du réseau des thèmes 59

Mesure de la centralité d’intermédiarité 63

Synthèse des résultats intermédiaires 64

ANALYSE DE SOUS-GROUPES COHÉSIFS 65

Analyse de cliques 66

Analyse de classification hiérarchique 66

Clusters au sein du réseau des participants 67

Clusters au sein du réseau des thèmes 70

Synthèse des résultats intermédiaires 72

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CONCLUSION 73

SYNTHESE DES RESULTATS 73

FORCES ET FAIBLESSES 75

OUVERTURE 76

BIBLIOGRAPHIE 77

ANNEXES 83

ACRONYMES 90

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L

ISTE DES FIGURES

Figure 1 : Réseau de la matrice d'adjacence (two-mode) 47

Figure 2 : Réseau des participants (one-mode) avec fréquence de prise de position 50

Figure 3 : Détail du réseau des participants - cœur 52

Figure 4 : Périphérie (droite) du réseau des participants 54

Figure 5 : Périphérie (gauche) du réseau des participants 54

Figure 6 : Analyse cœur-périphérie du réseau des participants 56 Figure 7 : Réseau des thèmes (one-mode) avec fréquence d’évocation 60 Figure 8 : Détails du réseau des thèmes (I) Figure 9 : Détails du réseau des thèmes (II) 62

Figure 10 : Clusters au sein du réseau des participants 69

Figure 11 : Clusters au sein du réseau des thèmes 70

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L

ISTE DES TABLEAUX

Tableau 1 : Liste des participants 30

Tableau 2 : Liste des thèmes 31

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I

NTRODUCTION

« Parler des droits et de la reconnaissance de la communauté LGBT, c’est parler de nous en tant que société, une société que je rêve tolérante, ouverte, moderne et protectrice des minorités quelles qu’elles soient. Vivre une histoire d’amour, habiter en couple, fonder une famille, autant d’étapes de vie importantes pour la plupart des gens, nettement plus compliquées lorsque l’on est homosexuel(le), bi ou transgenre, même en 2017, même en Suisse1 » (Pauline Gygax, productrice de cinéma suisse).

Les droits des personnes LGBTIQ+ et l’accès des couples homosexuels à la famille font l’objet de nombreux débats, en Suisse et ailleurs, depuis plusieurs années. En effet, à l’échelle internationale, les familles arc-en-ciel ont gagné en visibilité politique en se battant pour les droits et les formes de protection dont elles étaient auparavant exclues (Peterson, 2013). En Suisse, des pétitions sont lancées à l’échelle nationale dès la deuxième moitié des années 1990, dans le but de légaliser la reconnaissance et l’acceptation des couples homosexuels. Bien que la Suisse soit réputée pour ses valeurs traditionnelles, on relève un certain climat de lutte contre les inégalités de traitement envers les couples de même sexe.

Cette atmosphère de luttes a notamment débouché sur un article dans la nouvelle constitution suisse, entrée en vigueur en janvier 2000, interdisant toute discrimination liée au mode de vie, incluant les discriminations en rapport avec l’orientation sexuelle2. La Cour européenne a également adopté en 2008 une nouvelle jurisprudence, statuant qu’il est interdit de refuser une adoption en se basant sur le critère de l’orientation sexuelle du candidat à l’adoption, car cela représente une violation des articles 8 et 14 de la convention européenne des droits de l’homme (CEDH)3 (Schwenzer et Bachofner, 2009).

Comme l’évoque Anne Cadoret dans son article L’homoparentalité, construction d’une nouvelle figure familiale (2000), « L’homoparentalité fait l’objet de débats sociaux et politiques houleux en tant qu’elle touche non plus à un comportement sexuel individuel ne relevant que du privé mais à une demande de reconnaissance publique par une reconnaissance légale » (p.39). Dans ce contexte, divers projets de révision et modifications de la loi voient le jour en Suisse, dans l’optique de s’adapter aux différentes évolutions sociétales, tant au niveau cantonal que fédéral. Ces divers projets visent, entre autres, une meilleure prise en compte ainsi qu’une intégration plus large des personnes LGBTIQ+, notamment dans le domaine de la famille. En effet, plusieurs motions et initiatives parlementaires ont été déposées par des politiques suisses au cours de ces dernières années afin d’améliorer les droits des couples homosexuels, comme par exemple le partenariat enregistré, l’accès à la procréation médicalement assistée et à l’adoption, ou encore le mariage pour tous.

Parallèlement à ce climat de luttes, qui tend à indiquer que la société suisse se montre encline à une plus grande intégration des familles homoparentales, nous observons une prédominance de la famille nucléaire. En effet, le modèle classique de la famille nucléaire

1 https://www.femina.ch/societe/actu-societe/lgbt-les-mentalites-peinent-a-evoluer-en-suisse

2 Art. 8.2 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse entrée en vigueur le 1er janvier 2000 https://www.admin.ch/opc/fr/classified-compilation/19995395/index.html

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semble perdurer en Suisse, d’une part puisque mariage et procréation sont dans la plupart des cas liés, et d’autre part parce que les individus continuent de s’identifier à des valeurs traditionnelles comme la fidélité, la pérennité et la fécondité (Kellerhals & Widmer, 2008).

La prédominance de la famille nucléaire, qui se caractérise par un couple composé d’un homme et d’une femme vivant ensemble avec leur(s) enfant(s), fonctionnant de manière relativement autonome et connaissant une répartition genrée et inégalitaire des tâches professionnelles et privées (Levy, Kellerhals & Widmer, 2002), peut être envisagée comme une conséquence du contexte institutionnel helvétique. Dès lors, il nous paraît naturel et essentiel d’interroger la notion de famille, en déterminant qui cette notion inclut ou au contraire exclut, et en portant ainsi notre attention sur la situation juridique des couples homosexuels dans un tel contexte. En effet, dans une société connaissant - et reconnaissant - tout de même une certaine diversité familiale, avec l’essor des familles monoparentales et recomposées (Belleau, 2004), tout en accordant de l’importance à des valeurs traditionnelles, nous pouvons nous demander d’une part quelles sont les normes familiales auxquelles les couples homosexuels se réfèrent : est-ce qu’ils cherchent à reproduire les normes traditionnelles ou est-ce qu’ils cherchent plutôt à les transgresser (MA, 2008) ? D’autre part, nous pouvons nous interroger sur la place de la famille homoparentale au sein de cette constellation de formes familiales : est-ce que la famille homoparentale aspire à remplacer le modèle traditionnel de la famille nucléaire - qui occupe encore aujourd’hui une place prépondérante en Suisse - ou est-ce qu’elle cherche plutôt à être acceptée et à s’intégrer en disposant, elle aussi, d’un statut familial légitime ? C’est notamment parce que le contexte institutionnel a un impact sur les différentes façons de faire famille en Suisse que nous avons choisi dans le cadre de ce travail de nous focaliser sur la procédure consultation lancée par le Conseil fédéral fin 2013, relative à l’avant-projet de modification du droit de l’adoption dans le Code Civil pour tenter de répondre à cette question.

A travers cette consultation, les membres du Conseil fédéral ont invité les gouvernements cantonaux, les partis politiques représentés à l’Assemblée fédérale, les organisations intéressées, ainsi que les citoyens suisses à prendre position sur le sujet. Cette procédure nous a semblé être un outil pertinent pour identifier et répertorier les différentes opinions et représentations sociales prédominantes autour de la question de l’accès des couples homosexuels à la famille, par le biais de l’adoption. En effet, comme nous le verrons ultérieurement, l’adoption constitue l’unique moyen pour les couples de même sexe d’accéder légalement à la coparentalité, étant donné que les techniques de procréation assistée leur sont interdites. Par ailleurs, cette procédure nous permet d’avoir une vision assez complète des représentations liées à l’accès des couples homosexuels à la famille, puisqu’elle suit de quelques années l’introduction de la loi fédérale sur le partenariat enregistré (LPart) en 2007, et reprend donc des éléments liés à l’introduction de cette nouvelle forme d’union.

L’objectif de ce travail est donc de cibler les différentes représentations sociales relatives à la famille et aux évolutions des formes familiales, qui influencent – selon nous - les prises de positions des acteurs impliqués dans la procédure de consultation de 2013 relative à la modification du droit de l’adoption. Dans un premier temps, nous effectuerons un état des lieux de la situation des couples homosexuels aujourd’hui et de leur accès à la famille, et plus précisément à l’adoption, en effectuant une revue de la littérature. Cette étape sera suivie d’une partie analytique, permettant de déceler quelles théories sont utilisées pour justifier certaines résistances. Nous tenterons également d’identifier quelles sont, au contraire, les valeurs derrière les arguments des acteurs en faveur d’une ouverture des droits

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des couples homosexuels à l’adoption. La procédure de consultation nous semble représenter une façon originale d’aborder ces questions, car elle permet de mettre en avant les opinions d’acteurs variés : politiques, organisations et groupes de pression, ou encore citoyens suisses investis. En plus de capturer les opinions et les représentations sociales d’une palette d’acteurs de différents milieux, la procédure de consultation permet d’appréhender cet échantillon comme un réseau d’acteurs concernés par une même problématique, et d’analyser ainsi quels groupes se forment au sein de ce réseau en fonction de leurs caractéristiques et de leurs valeurs.

Par conséquent, cette partie analytique sera suivie d’une analyse de réseau, dans le but d’examiner les liens entre les organismes ayant pris part à la discussion ainsi que les thèmes relevés dans l’analyse de contenu des arguments relevés dans la procédure de consultation.

Nous analyserons quels organismes défendent quels thèmes, et inversement, quels thèmes sont évoqués par quels participants. Cette étape nous permettra d’avoir une vision plus globale du réseau formé par les individus et les groupes ayant participé à la procédure de consultation. Notons par ailleurs que nous faisons ici le choix d’utiliser les termes de

« participant » ou d’ « acteur » sous leur forme masculine, bien que ces derniers incluent l’ensemble des genres des personnes ayant pris part à la procédure de consultation, dans un souci de légèreté et de fluidité à la lecture du texte

Enfin, dans l’ultime partie de ce travail, nous effectuerons une synthèse des résultats obtenus au cours de cette étude. Nous établirons ensuite les points forts et les limites du travail avant d’ouvrir la discussion sur d’éventuelles perspectives en lien avec les différents éléments abordés.

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C

ONTEXTE DE L

ÉTUDE

Au printemps 2018, le Forum de recherche sociologique de l’Université de Genève s’est tenu sur le thème des vulnérabilités familiales. Les conférences données dans le cadre du forum ont fait intervenir des personnes de milieux variés, allant de l’académie aux organisations internationales, et passant par les administrations publiques, dans le but d’établir des constats de la recherche et de proposer des explications provenant de différents courants théoriques. Ce forum représente le point de départ de ce travail, puisque c’est l’ensemble de ces interventions qui nous a amené à réfléchir sur la situation des couples homosexuels dans le domaine de la famille, ainsi que des avancées et des obstacles rencontrés s’agissant de l’accès de ce groupe social particulier à la famille. L’originalité de ce forum se trouve dans son interdisciplinarité. Nous souhaitons donc aborder la question de l’accès des couples de même sexe à la famille de la même manière, en utilisant des points de vue provenant de différentes disciplines : la sociologie pour la manière d’aborder un problème public et pour la notion de groupe en tant qu’entité sociale à étudier, la psychologie pour la théorie des représentations sociales et la conceptualisation de la parentalité, ou encore les sciences politiques pour les aspects juridiques d’accès à la famille.

Dans cette optique, nous avons choisi d’étudier les interactions entre le droit de la famille, les politiques familiales et les réalités sociales au cours de ce travail, à travers le prisme des représentations sociales.

L

A FAMILLE NUCLÉAIRE ET L

ÉVOLUTION DES FORMES FAMILIALES Dans le rapport statistique 2017 de l’OFS « Les familles en Suisse », les familles sont appréhendées sous la forme de ménage, « c’est-à-dire d’unités de logement habitées par des personnes seules ou des groupes de personnes, dont la grande majorité forment des noyaux familiaux. Un noyau familial est constitué, au minimum, d’un couple (marié ou en partenariat enregistré fédéral ou non, hétéro- ou homosexuel), avec ou sans enfants, ou d’un parent seul avec au moins un enfant. La typologie des ménages se base sur la présence et le type de noyaux familiaux, sur le sexe et l’état civil des partenaires, ainsi que sur l’âge du plus jeune enfant4 ». Ces différents éléments à prendre en compte lorsque l’on définit un type de ménage mettent très clairement en évidence le fait que les relations de couple sont plurielles et complexes. En effet, toujours selon le rapport de l’OFS, la population suisse se répartit de nos jours en plusieurs catégories : à part le couple marié classique, nous pouvons également mentionner les couples qui vivent ensemble sans se marier (appelés concubins), les couples qui ne vivent pas dans le même logement, ou encore les couples homosexuels. En Suisse, un peu plus de trois quarts des individus adultes (ayant entre 18 et 80 ans) sont identifiés comme étant en couple. Selon les chiffres de l’OFS, les couples homosexuels sont un peu moins de 20 000 en 2013. Parmi eux, 6’087 sont répertoriés comme des couples liés par un partenariat enregistré, et seulement 3% affirment avoir un ou des enfant(s) âgés de moins de 25 ans. Dès lors, nous pouvons nous demander si ce

4 Les familles en Suisse. Rapport statistique 2017 de l’OFS, p.10

(https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/catalogues-banques- donnees/publications.assetdetail.2347881.html)

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chiffre de 3% est relativement faible parce que la législation suisse actuelle représente un frein pour les couples homosexuels désirant accéder à la parentalité, et si ce chiffre serait plus élevé si l’accès des couples homosexuels à l’adoption (ainsi qu’aux méthodes de procréation médicalement assistée) était moins fermement règlementé.

C’est à la lumière de ces éléments que nous pouvons affirmer que le terme de famille peut revêtir des significations variables et faire référence à différents types de configurations familiales. Dans leur étude, Delaborde, Lavanchy, et al. (2008) s’intéressent à l’évolution du sens donné au mot « famille » et montrent la place donnée dans notre société aux formes familiales qualifiées de « non-classiques », c’est-à-dire les types de familles qui dévient de la famille nucléaire, composée d’un père, d’une mère et d’un enfant (minimum). Selon eux, il est capital de prendre en compte les mutations de l’institution familiale à partir des années 1960, avec notamment la hausse du nombre de divorces, la diminution du nombre de mariages et l’augmentation de la cohabitation, ouvrant ainsi la porte à des formes de familles inédites, comme les familles recomposées, monoparentales, mais aussi homoparentales.

Dès lors, le mariage apparaît comme une institution fragilisée, qui ne représente plus le point de départ unique pour la constitution d’une vie familiale. En effet, certains auteurs, comme Beck ou Giddens, mettent en avant une modernisation des modes de vie dans les sociétés post-industrielles, synonyme de diversification des manières de faire famille. C’est dans ce contexte, constitué d’une constellation de formes familiales due à des évolutions démographiques mais également à un changement des normes et des valeurs relatives à la famille (Levy, Widmer, et al., 2002), qu’il nous semble important d’étudier la position des ménages qui s’éloignent du modèle familial traditionnel. Lorsqu’il est question des différentes formes familiales qui existent, Delaborde, Lavanchy, et al. (2008) relèvent, très intelligemment, que ce n’est pas parce que ces dernières existent et cohabitent qu’elles sont pour autant reconnues et admises. La forme familiale la plus récente - et la plus contestée - dans notre société est la famille homoparentale, qui ébranle les modèles familiaux traditionnels, et qui rencontre de difficultés de légitimité au sein de la société. La question que nous devons alors nous poser est la suivante : qu’est-ce que l’homoparentalité, comment est-elle vécue et intégrée dans notre société et quels sont les enjeux politiques liés à cette dernière ?

L’anthropologie s’est beaucoup intéressée aux conceptions qu’ont les sociétés de la parenté. Dans son article sur l’homoparentalité comme nouvelle figure familiale (2000), Cadoret note que les sociétés occidentales ont une conception de la parenté accordant de l’importance aux aspects biologiques, comme la consanguinité, dans la construction de la filiation. Dans ce modèle occidental, le lien entre parenté et engendrement de l’enfant est capital. Cependant, cette conception de la parenté entre en conflit avec l’existence des diverses configurations familiales que l’on connaît aujourd’hui, au sein desquelles la filiation n’est pas forcément fondée sur l’alliance matrimoniale des géniteurs. La psychologie apporte elle aussi des éléments de réponse intéressants sur la question de la parentalité, à travers l’étude du coparentage. La famille est alors envisagée comme un système fonctionnel au sein duquel la façon dont les parents (biologiques ou non) se coordonnent pour effectuer les tâches qui incombent au rôle de parent, à savoir éduquer, protéger et aimer son enfant dans le but de lui transmettre des valeurs, et prendre soin de lui afin qu’il ne manque de rien. Dans cette perspective, l’engagement et la coordination des parents importent plus que la structure effective du système, ce qui remet en question l’hégémonie du modèle traditionnel de la famille « naturelle », composée du père et de la mère biologique avec enfant(s). Dans ce champ de recherche, le « coparent » désigne soit le parent biologique de

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l’enfant, soit le parent social, concernant les couples dans lesquels un des partenaires a conçu l’enfant. Le terme coparentalité réfère à l’ensemble des partenaires impliqués dans un projet d’enfant. Cela signifie qu’un homme et une femme n’étant pas en couple mais ayant un enfant ensemble forment une coparentalité. Par ailleurs, il est possible que l’un et/ou l’autre des deux parents soit engagé(s) dans une relation homosexuelle pour former une coparentalité. Nombreux sont les travaux dans le domaine de la psychologie qui démontrent que ce n’est pas tant la structure de la famille qui influe sur la satisfaction conjugale et donc sur le bien-être des enfants, mais plus la gestion du coparentage. Ainsi, un couple heureux dispose des moyens nécessaires pour donner lieu à une coparentalité heureuse, et ce indépendamment de la composition de la famille. Cela signifie que la famille

« traditionnelle » n’est pas forcément gage de bien-être de l’enfant, ou qu’une famille homoparentale ou recomposée n’est pas forcément synonyme de perturbation de l’enfant.

En effet, le coparentage dans les familles homoparentales, qui sont souvent en Suisse des familles recomposées, ne semble pas être différent que dans les familles hétéro-parentales : de manière générale, elles adoptent des comportements de soutien et de conflit similaires aux familles de première union, et ont tendance à répartir les tâches de manière plus égalitaire qu’au sein des couples hétérosexuels (Favez et Frascarolo, 2013).

La présence de ces nouvelles formes de famille et de modèles de parentalité, qui remettent en question l’institution du mariage et le principe de la filiation pour les couples hétérosexuels, font l’objet de nombreux débats politiques. En effet, il est d’une part nécessaire que la loi tienne compte des évolutions en matière de filiation et de parentalité, notamment dans un souci de protection et de bien-être de l’enfant, mais aussi dans une optique de reconnaissance légale des nouvelles réalités sociales pour éviter toute forme de discrimination (Cadoret, 2000). En plus de l’ambition d’éliminer certaines inégalités de traitement, l’instauration de nouveaux droits revêt une composante symbolique, en permettant également de doter les nouvelles formes familiales d’une légitimité, en tenant compte des réalités vécues par les familles homosexuelles (Escoda, 2011). Parallèlement à cette préoccupation de protéger les intérêts de l’enfant, nous observons une tendance des régimes juridiques à réserver l’adoption aux couples mariés, dans un souci de protéger le mariage en tant qu’institution (Schwenzer et Bachofner, 2009). Nous verrons dès lors que le droit de la famille a fait l’objet de plusieurs projets et initiatives, et a également subi plusieurs modifications au cours de ces dernières années.

L

E DEBAT POLITIQUE AUTOUR DE L

ACCES DES COUPLES HOMOSEXUELS A LA FAMILLE

,

EN

S

UISSE ET AILLEURS

De manière générale, nous constatons une montée en généralité des lois sur la famille et une inclusion des groupes de plus en plus différenciés. C’est dans ce contexte de luttes pour la reconnaissance des droits homosexuels, que l’on observe un processus de réforme des droits relatifs à l’homosexualité en Europe depuis la deuxième moitié des années 1990. En effet, la question de l’égalité juridique entre les droits de couples hétérosexuels et ceux des couples homosexuels se pose. Alors que certains pays envisagent (ou ont déjà mis en place) la filiation homosexuelle comme une extension de l’institutionnalisation des familles homosexuelles, et donc des mesures d’ouverture du mariage aux personnes de même sexe, la Suisse se montre assez réfractaire, en renforçant le caractère hétéronormatif du mariage. Nous allons dans ce chapitre évoquer les mesures législatives récentes - proposées

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et adoptées - dans le droit suisse pour s’adapter aux réalités vécues par les nouvelles formes de familles, engendrées notamment par les avancées technologiques en matière de procréation (Escoda et Engeli, s. d.), dans le but de parvenir à une vision claire de la situation juridique actuelle des familles homosexuelles.

LA FILIATION ENTRE DEUX ADULTES : LE PARTENARIAT ENREGISTRE ET LOUVERTURE DU MARIAGE

Nombreux sont les pays d’Europe, dont la Suisse, qui connaissent des transformations au sein de l’institution de la famille depuis les années 1960. On assiste, selon Kellerhals et Widmer (2007), à un processus de privatisation de la famille, laissant l’État (et l’Église) en dehors de sa gestion. En effet, la famille est dès lors considérée comme faisant partie de la sphère privée. Si nous revenons sur les formes familiales « contemporaines » évoquées plus haut, le développement des unions libres représente un exemple de l’évolution de la famille, qui peut alors être envisagée plus comme un groupe que comme une institution. Il est important de garder à l’esprit que la Suisse représente un terrain marqué par la présence de valeurs traditionnelles (prédominance de la famille nucléaire et répartition inégalitaire des tâches domestiques), et par une gestion individuelle de la famille. Parallèlement à cette gestion privée du couple et de la famille, on observe des transformations juridiques, notamment liées au droit au mariage, qui ont des implications importantes dans le domaine de la famille et des nouvelles formes de parentalité. Les auteurs évoquent la séparation des trois piliers de la parenté - juridique, biologique, et sociale - donnant ainsi lieu à de nouvelles formes de parentalités. Cette fragilisation du mariage va donc de pair avec une adaptation du droit par rapport aux nouvelles réalités sociales : à la fin du XXème siècle, la famille homoparentale existe déjà mais est très peu reconnue socialement.

C’est à cette période qu’un certain nombre de pays d’Europe introduisent diverses formes de légalisation de l’union des couples homosexuels. Plusieurs pays nordiques, l’Allemagne, le Royaume-Uni, instaurent un partenariat réservé aux couples de même sexe

; la France, la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg créent, eux, un dispositif d’union alternatif au mariage concernant les couples hétérosexuels et homosexuel (que nous connaissons sous le terme de Pacte civil de solidarité en France) (Festy, 2006 ; Takács, Szalma, et al., 2016). En Suisse, la discussion autour d’une nouvelle forme de contrat de la vie à deux est plus tardive : en 1999, une procédure de consultation pour évaluer la situation juridique des couples homosexuels dans le droit suisse a été lancée : au total, 25 cantons, 10 partis, 25 organisations et 178 participants non-officiels ont déposé leurs prises de position.

A l’issue de cette procédure, le Conseil fédéral a été informé des résultats par la conseillère fédérale Ruth Metzler-Arnold, cheffe du Département fédéral de justice et police (DFJP).

Les participants à la procédure de consultation ont jugé qu’il était impératif que la législation relative aux couples homosexuels soit modifiée. Dans le rapport rédigé par le Conseil Fédéral, soumis à l’occasion de la procédure de consultation, plusieurs variantes de solutions ont été avancées. Une grande majorité a admis sa préférence pour l’instauration du partenariat enregistré, tel qu'il est déjà pratiqué à l’époque à l'étranger dans les pays du Nord. C’est un modèle de partenariat enregistré proposant des effets relativement autonomes (et non pas similaires au mariage) qui a été préféré. Relevons que parmi les autres solutions proposées, l'ouverture du mariage aux couples homosexuels est catégoriquement refusée. Le Conseil fédéral a donc chargé le DFJP de préparer un projet de loi en ce sens : une reconnaissance étatique d’une nouvelle forme d’union, réservée aux

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couples homosexuels. Notons également que les réponses reçues à l’occasion de cette procédure de consultation indiquent que les partenaires enregistrés ne sont pas autorisés à avoir accès à l'adoption commune, contrairement aux couples mariés, et que les partenaires lesbiennes ne doivent pas avoir accès à la procréation médicalement assistée. La loi fédérale sur le partenariat enregistré des personnes de même sexe (LPart) voit le jour en juin 2004.

Cette forme d’union est réservée aux couples homosexuels, et donc en un sens discriminatoire. L’étude de Ginier et Jaffé (2016) relève le fait que cette loi est le résultat des luttes des associations comme Pink Cross et LOS, qui sont des acteurs clés dans la défense des droits homosexuels, et qui sont d’ailleurs également des participants à la procédure de consultation relative à la modification du droit de l’adoption. Les partis politiques jouent un également un rôle clé dans la lutte pour la reconnaissance des droits homosexuels. L’initiative parlementaire « Mariage civil pour tous » le démontre. Cette initiative, déposée en décembre 2013 par le Groupe Vert’libéral, demande au législateur

« d'ouvrir les différentes formes d'union régies par la loi à tous les couples, quels que soient le sexe ou l'orientation sexuelle des partenaires. Les couples de même sexe doivent pouvoir se marier, et les couples de sexe différent doivent pouvoir eux aussi conclure un partenariat enregistré, comme c'est le cas en France. [...] Les êtres humains se marient surtout pour donner une base durable à leur union, s'assurer une sécurité financière réciproque et exprimer leur engagement face à la société. En Suisse, ces droits sont refusés à une partie de la société »5. La commission des affaires juridiques du Conseil National a donné suite à cette initiative, en décidant de prolonger le délai imparti pour mettre en œuvre l’initiative jusqu’en été 2019, bien qu’une minorité proposait de classer l’initiative, jugée inadaptée et exagérée. L’introduction du mariage fait toujours face à certaines résistances et réticences a encore du chemin à parcourir avant d’être acceptée, mais le fait que la commission ait accepté de prolonger ce délai démontre toutefois une lueur d’espoir.

Ces exemples suisses montrent clairement que le droit a considérablement évolué au cours des dernières décennies, et a permis aux différentes configurations familiales de bénéficier d’un appui juridique. Cela étant, certaines lacunes persistent tout de même dans la législation suisse, et les unions homoparentales sont généralement peu légitimées. En effet, bien que la LPart représente une avancée dans les droits des personnes homosexuelles, elle reste en revanche muette ou lacunaire dans de nombreux domaines, notamment celui de l’homoparentalité (Ginier, 2016). Un article constitutionnel de la Constitution fédérale de 1992, complété par la loi fédérale sur la procréation médicalement assistée en 2000, exclus notamment les couples homosexuels de faire recours aux méthodes de procréation en Suisse. Cette réserve à propos de l’homoparentalité se retrouve dans plusieurs pays européens : de manière générale, l’homoparentalité fait face à une réticence plus grande que les différentes formes d’unions homosexuelles (mariage ou partenariats) (Takács, Szalma, et al., 2016).

LA FILIATION ENTRE DES ADULTES ET UN ENFANT : LES TECHNIQUES DE PROCREATION MEDICALEMENT ASSISTEE ET LADOPTION

Dans notre société, la parenté se compose d’un lien entre une femme (la mère), un homme (le père) et un enfant. Cette représentation “naturelle” de la parentalité est d’ailleurs inscrite dans l’État civil réglementant le droit de la filiation. En revanche, nous verrons qu’il y a

5 https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20130468

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plusieurs manières de créer un lien de filiation entre un enfant et ses parents, comme l’adoption ou les techniques de procréation médicalement assistée. Comme nous l’avons vu, le droit suisse reconnaît et régit la filiation entre deux adultes, en normalisant certaines formes d’union - comme le mariage et le partenariat enregistré et d’autres pas, comme la communauté de vie (cohabitation). De la même manière, il réglemente également les relations parent-enfant. Ce lien de filiation se crée différemment en fonction du parent : la parenté est créée “automatiquement” entre la mère et son enfant à la naissance, mais la situation est plus complexe du côté du père : la parenté peut être crée par présomption de paternité de l’époux, par reconnaissance du père non marié, ou encore par adoption (Ginier et Jaffé, 2016). Les couples homosexuels ne bénéficient pas des mêmes droits que les couples hétérosexuels mariés pour ce qui est de l’adoption et de la procréation médicalement assistée.

Les développements plutôt récents de nouvelles technologies dans le domaine de la reproduction humaine ont entraîné l’apparition de systèmes de filiation inédits. Cet ensemble de pratiques médicales fait notamment référence à la procréation médicalement assistée (PMA) et la gestation pour autrui (GPA). La question de la reconnaissance de l’homoparentalité et de l’encadrement juridique de ces nouvelles formes de filiation sont alors apparues comme une nécessité. Cette évolution a été accompagnée d’un mouvement de mobilisation prenant la forme de luttes homosexuelles pour la reconnaissance des nouvelles réalités familiales. Dans son article intitulé « La problématisation de la procréation médicalement assistée en France et en Suisse : Les aléas de la mobilisation féministe » (2009), Engeli affirme que la question de la procréation médicalement assistée a été fortement politisée au cours de ces dernières décennies. Le développement des nouvelles technologies reproductives a fortement perturbé les normes traditionnelles liées à la reproduction, entraînant ainsi un certain scepticisme en Suisse. En effet, une initiative populaire - « Contre l’application abusive des techniques de reproduction et de manipulation génétique de l’espèce humaine » - est lancée en 1987 au niveau fédéral, problématisant pour la première fois la question de la réglementation de la procréation médicalement assistée. Déjà, nous pouvons relever une inquiétude des abus potentiels, et une volonté de la part des promoteurs de l’initiative de fournir un cadre juridique clair afin de respecter le principe de protection de la famille. Les résultats de la procédure de consultation relative à cette initiative montrent des préférences politiques très divergentes.

D’un côté, des groupes d'intérêt féministes et écologiques, ainsi que plusieurs organisations religieuses conservatrices font preuve d’une attitude critique à l'égard des technologies de reproduction. De l’autre côté, les associations de patients sont peu organisées, et les organisations du corps médical ne jouissent pas d'un accès privilégié au processus d'élaboration des politiques, les arguments médicaux ont de la peine à se faire entendre dans le débat. Dès lors, c’est l’argument de la protection contre les abus qui domine le processus d'élaboration des politiques (Varone, Rothmayr, et al., 2006). Nous verrons ultérieurement que cette inquiétude liée à des éventuels abus, qui oppose certains partis politiques et organisations, se retrouve également dans la question de l’accès des couples homosexuels à l’adoption.

Par ailleurs, la possibilité d’une maternité de substitution soulève ainsi une question primordiale : celle de la distinction entre la notion de « désir de l’enfant » et celle de « droit à l’enfant ». Cette distinction est importante, car ces deux conceptions renvoient à des représentations différentes de l’accès à la famille : l’une, le « désir d’enfant » est souvent considéré comme légitime et valorisable. La médecine représente dans ce cas de figure un

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moyen d’aider les couples souffrant de stérilité à fonder une famille. A l’inverse, le « droit à l’enfant » est utilisé pour qualifier les éventuels détournements des nouveaux modes de reproduction, et ouvrant ainsi l’accès à la parentalité pour les personnes célibataires et les couples homosexuels. Que ce soit du côté de l’Église catholique (Donum Vitae de 1987, prise de position de l’Église sur « le respect de la vie humaine naissante et la dignité de la procréation »), ou du côté du corps médical, la structure familiale traditionnelle - c’est à dire un homme et une femme, idéalement mariés - devrait être la norme, voire la condition, pour accueillir un enfant. C’est dans ce cadre que des individus se sont révélés nombreux à réclamer une intervention de l’État concernant la régulation des pratiques médicales de procréation médicalement assistée, en mettant en avant l’importance de la famille traditionnelle : « le lancement de l’initiative populaire marqua le début du débat public qui se focalisera très rapidement sur la légitimité de la procréation médicalement assistée » (Engeli, 2009, p.214).

Finalement, notons que la dimension de la légitimité évoquée par Engeli (2009)fait notamment référence à la multiplicité de parents potentiels engendrés par le recours aux techniques de procréation médicalement assistée ou à l’adoption : les donneurs-euses, la mère porteuse et son conjoint, et les parents d’intention. Cela pose ainsi la question de la définition des parents « juridiques » : est-ce le lien biologique qui doit être pris en compte ou l’intention d’être parent ? Cette question, qui est au cœur du débat autour de l’accès aux techniques de procréation médicalement assistée, et également au centre des discussions à propos de l’accès à l’adoption. Cette idée de légitimité soulève donc le problème de la vulnérabilité des familles dont l’enfant n’est pas juridiquement reconnu. L’interdiction de la GPA en Suisse peut être contournée par le recours au tourisme reproductif, ce qui engendre une situation de vulnérabilité pour les familles homoparentales. En effet, les enfants nés par GPA à l’étranger et dont la relation de parenté n’est pas reconnue en Suisse ne sont pas protégés juridiquement, menant ainsi à un effet pervers, puisque le but recherché de l’interdiction est contredit par l’effet sur la réalité sociale. Nous verrons que ce cas de figure, tout comme la distinction entre le désir d’enfant et le droit à l’enfant, sont des éléments importants à garder en tête lorsque nous traitons du droit de l’adoption.

Les techniques de procréation médicalement assistée et l’adoption représentent donc une opportunité d’accéder à la parentalité pour les couples homosexuels, qui peut dès lors se décliner de différentes manières : il peut s’agir d’une famille constituée d’un couple gay ou lesbien avec des enfants issus d’une précédente union hétérosexuelle (situation où un des partenaires a adopté l’enfant biologique de son partenaire), de l’adoption d’un enfant par une seule personne du couple homosexuel (situation où seulement un des deux parents est reconnu comme parent légal), ou encore le recours aux nouvelles techniques de reproduction pour engendrer un enfant. Toutefois, l’ensemble de ces configurations n’est pas reconnu dans la législation suisse. Nous nous sommes jusqu’ici principalement intéressés à l’accès des couples homosexuels aux techniques de procréation assistée, dans le but d’avoir un aperçu du débat politique et de certains obstacles rencontrés par les couples homosexuels. D’autre part, cela nous permet de fixer le décor des mentalités et d’avoir un aperçu de certaines représentations sociales liées à l’accès des couples de même sexe à ces techniques de reproduction, afin d’être en mesure par la suite de déceler si certaines se retrouvent dans le débat autour du droit de l’adoption.

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L’

ADOPTION PAR DES COUPLES HOMOSEXUELS

:

UN POINT SUR LA SITUATION JURIDIQUE

Comme nous l’évoquions, la question de l’homoparentalité est de manière générale sujette à de plus grandes résistances que celle de l’union des couples homosexuels.

Toutefois, plusieurs pays d’Europe ont franchi le pas d’introduire l’adoption par des couples de même sexe dans leurs législations respectives. C’est le cas de la majorité des pays nordiques, comme la Suède en 2003, la Norvège et la Finlande en 2009, ainsi que des Pays- Bas en 2001, de l’Espagne en 2005, de la Belgique en 2006, ou encore de la France en 2013.

D’autres pays européens ont également introduit la possibilité pour les couples liés par un partenariat d’adopter l’enfant de leur partenaire dans le courant des années 2000, comme l’Autriche, l’Allemagne et la Slovénie. La Suisse, comme à son habitude, prend son temps pour réfléchir à la question de l’accès des couples homosexuels à la parentalité (Takács, Szalma, et al., 2016).

En 1973, le droit suisse a connu une grande révision, distinguant les trois formes d’adoption qui sont encore en vigueur aujourd’hui : l’adoption conjointe (réservée aux époux), l’adoption de l’enfant du conjoint (réservée aux couples mariés également) et l’adoption par une personne seule. Par la suite, la Convention des droits de l’Homme (CEDH, 1974) et la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant (1997), ont largement participé à la direction prise par les réformes en matière de droit de l’adoption, en mettant l’accent sur le bien-être de l’enfant. Plus récemment, la Convention de La Haye (CLaH93) est ratifiée par la Suisse et entre en vigueur en 2001. Cette convention, appliquée dans 90 États, prend la forme d’un accord régissant les conditions des adoptions internationales. Enfin, la loi sur le partenariat (LPart) pour les personnes de même sexe, qui est entrée en vigueur en Suisse en 2007, a prévu un article excluant l’adoption pour les personnes liées par un partenariat enregistré. Étant donné que la société s’est considérablement transformée au cours de ces dernières années, notamment dans le domaine de la famille, il semble que la législation suisse ne soit pas en accord avec les besoins actuels. Cette inadéquation se traduit notamment dans le fait que seules les personnes mariées peuvent adopter un enfant en regard du droit suisse, alors que la proportion de personnes menant de fait une vie de couple, aussi bien hétérosexuelles qu’homosexuelles, est de plus en plus importante.

En réponse à ce manque d’adéquation, plusieurs motions et initiatives ont vu le jour dans la politique suisse au cours de ces dernières années, dans l’optique d’une meilleure inclusion des couples homosexuels à la formation d’une famille. En mars 2008, Mario Fehr, du Groupe socialiste et du Parti Socialiste suisse, dépose un interpellation intitulée « Levée de l’interdiction d’adopter faite aux personnes homosexuelles ». En juin 2010, Mario Fehr toujours dépose la motion « Possibilité pour les couples homosexuels d’adopter l’enfant de son partenaire », qui sera ensuite reprise par Chantal Galladé, appartenant au Groupe socialiste et au Parti Socialiste suisse. A cette même période, la motion « Lever l’interdiction d’adopter un enfant pour les personnes qui vivent en partenariat enregistré” est déposée par Katarina Prelicz-Huber, du Groupe des Vert, PES), également reprise par Antonio Hodgers (Groupe des Verts, PES). En novembre 2011, la Commission des affaires juridiques CE dépose la motion « Droit de l’adoption. Mêmes chances pour toutes les familles ». Cette motion est originale, car il est question de familles de manière générale, insinuant l’inclusion des familles homoparentales aux autres formes familiales. Le but de ce projet est de mettre les couples liés par un partenariat enregistré et les couples mariés sur un pied d’égalité du point du vue des droits de parentalité et d’adoption. Le Conseil fédéral

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accepte l’idée d’une adoption de l’enfant du partenaire enregistré, mais il est réticent à l’idée d’ouvrir l’adoption sans restriction à tous les couples. La motion est donc modifiée dans ce sens et acceptée le 4 mars 2013 par le Conseil fédéral. Cette retenue tient principalement au fait que, selon le Conseil fédéral, un enfant ne doit pas être l’objet de préjudice du fait de l’homosexualité de ses parents. Cette avancée est la preuve d’une forme de reconnaissance de la situation sociale de ces enfants, alimentée d’une volonté de consolider protection juridique de ces derniers (Ginier et Jaffé, 2016). Finalement, en novembre 2014, le Conseil fédéral rédige un message concernant la modification du code civil, qui est transmis aux participants à la procédure de consultation lancée fin 2014. En octobre 2016, les modifications du Code Civil relatif au droit de l’adoption sont adoptées, donnant un nouveau visage au droit de l’adoption.

Q

UESTION DE RECHERCHE ET PROBLEMATIQUE

C’est à la lumière de ces éléments sur la situation juridique de couples en Suisse et de leur accès à la famille que nous nous sommes interrogés sur la place occupée dans notre société par les couples homosexuels, et plus précisément les parents homosexuels. Nous avons vu que le contexte suisse est encore aujourd’hui caractérisé par une prédominance du modèle traditionnel de la famille nucléaire (hétérosexuelle). Parallèlement à ce phénomène, les techniques de procréation médicalement assistée, les débats autour de l’accès des couples homosexuels au mariage - ou à d’autres formes d’union - et le fait que seules les personnes mariées puissent adopter un enfant nous invitent à nous questionner sur le niveau de reconnaissance des familles arc-en-ciel, ainsi que sur leur légitimité notamment du point de vue juridique. En ce sens, il nous semble raisonnable d’affirmer que le droit n’est pas forcément en adéquation avec les réalités vécues par certaines formes de familles en Suisse.

En effet, nous avons mentionné les nouvelles dispositions prises ces dernières années par la CEDH, allant dans le sens d’une réorientation du droit de l’adoption. La Suisse, qui n’a jusqu’à présent pas pris en compte ces évolutions, dispose donc d’une législation de l’adoption ne correspondant plus aux exigences actuelles.

D’un point de vue normatif, la Suisse représente un terrain original, dans le sens où la société continue d’accorder de l’importance à des valeurs traditionnelles comme le mariage et la répartition genrée des tâches au sein du couple, mais semble à la fois assez ouverte face aux développements liés à la famille homoparentale. La réflexion sur la situation juridique des couples homosexuels dans le droit suisse (procédure de consultation de 1999), l’introduction du partenariat enregistré en 2004, les débats sur l’ouverture du mariage pour tous et le projet de modification du droit de l’adoption en témoignent. Dans un contexte d’évolution et de cohabitation de diverses formes familiales, ces différents éléments nous amènent donc à nous demander quelles représentations de la famille et quelles normes sont mises en avant pour justifier la prédominance de la famille nucléaire, au détriment des autres formes familiales ? Ou au contraire, quels sont les arguments utilisés pour appuyer l’adaptation de la loi suisse aux nouvelles formes familiales ? Comme le soulève Peterson dans son article The Lies That Bind: Heteronormative Constructions of “Family” in Social Work Discourse, “social work employs multiple discourses of sameness and difference that work together to construct “family” as a set of heteronormative practices, thus maintaining a heterosexual hegemonic frame from which all relationships are understood and assessed.

This analysis concludes that social work can only imagine “family” relationships through a

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heteronormative lens—tethered to insidious, nuclear family “truths” about what does and does not make a family—while also unaware of its production and continuation of these disciplining norms” (Peterson, 2013, p.503). Dans cette perspective, nous estimons pertinent d’interroger l’existence de tels discours sur la similitude et de la différence ainsi que l’éventuelle présence de normes hétéronomatives ancrées relatives à la question de législation sur la famille en Suisse, ainsi que leur utilisation au sein du discours politique et du discours des individus intéressés par le sujet.

Avant la modification du droit de l’adoption en 2016, les personnes liées par un partenariat enregistré étaient complètement exclues de toute forme d’adoption commune (selon les dispositions de la LPart). Les couples homosexuels n’avaient donc pas la possibilité de faire reconnaître juridiquement une parenté commune. En effet, seule une des deux personnes du couple pouvait faire reconnaître une parenté biologique ou recourir à l’adoption par une personne seule. Dans cette perspective, un enfant en Suisse ne pouvait pas avoir légalement deux pères ou deux mères, posant ainsi des problèmes non seulement du point de vue de la non reconnaissance du statut de parent social, mais aussi au niveau de la protection accordée par les droits de la filiation (Ginier et Jaffé, 2016). La proposition de modification du droit de l’adoption, comme détaillée dans le Message du Conseil Fédéral de 2014, conçoit l’ouverture de l’adoption de l’enfant du partenaire dans le cadre d’un partenariat enregistré, dans la perspective d’adapter le droit aux nouvelles formes de vie de famille. Dès lors, est-il juste d’affirmer que la législation suisse cherche à éliminer la prédominance de la famille nucléaire, au profit des nouvelles formes familiales, comme la famille homoparentale ? Et quel est l’opinion de la population suisse face à cette position ? Dans un contexte où les couples homosexuels doivent défier la construction normative des enfants comme résultat d’un amour romantique et le discours normatif de la parentalité génétique pour devenir parents (MA, 2008), comment l’ouverture de l’adoption aux couples homosexuels est-elle envisagée par les différents individus et groupes d’acteurs ? Est-ce que cette dernière est appréhendée comme une transgression ou une reproduction des valeurs et des normes familiales ?

Nous estimons qu’il est pertinent d’utiliser la procédure de consultation de 2014 relative à la modification du droit suisse de l’adoption comme outil de mesure sociologique pour tenter de répondre à ce questionnement. Cet outil nous permettra de repérer les différentes représentations sociales liées à l’accès des couples homosexuels à la famille, et plus précisément à la question de l’orientation sexuelle dans le droit sur l’adoption. Nous essayerons de voir comment ces dernières se retrouvent dans l’argumentaire des individus et des groupes qui ont pris part au processus politique de la législation suisse sur l’adoption, et comment elles sont utilisées par des derniers pour se positionner en faveur ou en défaveur de l’inclusion des couples homosexuels à la famille. Dans cette optique, nous serons attentifs à distinguer quels sont les arguments en faveur d’une plus grande inclusion des couples homosexuels à la famille, des arguments en défaveur, représentant ainsi des obstacles à une ouverture des droits concernant les familles arc-en-ciel. C’est en utilisant une perspective de sociologie politique ainsi que la théorie des représentations sociales que nous analyserons les lettres envoyées dans le cadre de la procédure de consultation, comme un état de l’opinion des groupes et des individus intéressés en matière d’accès des couples de même sexe à la famille et à la filiation.

La combinaison d’une analyse de contenu et d’une analyse de réseau nous permettra de déceler d’une part les éléments utilisés dans l’argumentaire concernant la modification du

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argumentaire se structure, en fonction des individus, des groupes, des associations ou encore des partis concernés. L’analyse de contenu nous sera utile pour déterminer si la société suisse est ouverte à l’idée d’inclure les familles homoparentales aux formes familiales juridiquement reconnues, en fonction des représentations de la famille en Suisse et des opinions relatives à l’accès des couples homosexuels à l’adoption. L’analyse de réseau nous permettra d’avoir une vision plus détaillée des groupes en faveur ou en défaveur d’une telle adaptation du droit aux nouvelles réalités sociales.

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C

ADRE THEORIQUE

Plusieurs modèles et concepts scientifiques ont été nécessaires pour donner une structure ainsi qu’un cadre théorique à ce travail. Nous allons tout d’abord présenter la théorie des représentations sociales, qui est centrale à notre analyse en servant de fil conducteur à notre travail, puis nous aborderons différents aspects de l’analyse de contenu et de l’analyse de réseau, qui ont guidé notre méthode de recherche et d’analyse.

L

A THEORIE DES REPRESENTATIONS SOCIALES

Les représentations sociales peuvent être abordées comme le résultat du processus d’interprétation de la réalité. « Une représentation sociale est l’ensemble organisé et hiérarchisé des jugements, des attitudes et des informations qu’un groupe social donné élabore à propos d’un objet. Les représentations sociales résultent d’un processus d’appropriation de la réalité, de reconstruction de cette réalité dans un système symbolique.

Elles sont intériorisées par les membres du groupe social, et donc collectivement engendrées et partagées » (Abric, 2003, p. 13). Elles prennent la forme de jugements et d’attitudes hiérarchisés qu’un groupe social élabore à propos d’un objet particulier, circulant à travers les messages, le prises de paroles ou encore les images. Il est donc possible de les observer en effectuant une analyse de discours, et dans notre cas en effectuant une analyse de contenu de lettres. Les représentations sociales peuvent être abordées comme des

« systèmes d’interprétation régissant notre relation au monde et aux autres, [qui] orientent et organisent les conduites et les communications sociales » (Jodelet, 2015, p.53). Les représentations s’appuient en général sur des composantes idéologiques et/ou politiques particulières et des valeurs qui diffèrent selon les individus et les groupes sociaux, puisqu’elles sont des visions du mondes spécifiques à des groupes sociaux. Par conséquent, les comportements politiques sont souvent mis en rapport avec les représentations sociales propres à certains groupes sociaux, comme nous le verrons dans une partie ultérieure de ce travail.

D’une part les représentations sont des formes de connaissances s’apparentant au sens commun, socialement construites et partagées par certains groupes sociaux. D’autre part, représentations sociales et pratiques sociales sont liées, puisque les représentations façonnent les pratiques (Abric, 2003). Ce dynamisme propre aux représentations sociales avancé par Doise et repris par Valence et Roussiau, envisage la pensée sociale non pas comme une juxtaposition de représentations, mais comme une combinaison de symboles, images et valeurs qui s’imbriquent au sein de la vie sociale. Les auteurs proposent même d’aborder les représentations sociales comme un réseau, puisque ces dernières ne sont, selon eux, jamais isolées : au contraire, des champs sémantiques relieraient les diverses représentations sociales (Roussiau et Valence, 2005). Dans cette optique, « les représentations sont étudiées moins pour ce qu’elles font dans la vie sociale que pour ce qu’elles peuvent nous apprendre de la société. Elles sont un guide des codes, valeurs, modèles, idéologies que la société véhicule et des systèmes d’interprétation qu’elle propose » (Jodelet, 1989, p.20). Ces différents éléments nous amènent à penser qu’il est alors judicieux de capturer les différentes représentations sociales liées aux questions d’accès à la famille en Suisse au travers de la procédure de consultation de modification du droit de l’adoption, dans l’esprit de comprendre pourquoi la situation des familles homoparentales est celle

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qu’elle est aujourd’hui, et comment elle est appréhendée par différents groupes sociaux dans l’avenir.

Si Durkheim parle de « représentations collectives » pour différencier la pensée individuelle de la pensée sociale, Moscovici introduit le terme de « représentations sociales », visant à se rendre compte de la représentation du savoir au sein de la société.

L’idée est donc de comprendre comment les membres d’une société partagent un savoir commun, sous forme de théories du sens commun. Dans ce sens, les représentations sociales peuvent prendre la forme de prises de position, structurées de différentes façons, comme des opinions, des attitudes ou des stéréotypes (Jodelet, 1989 ; Negura, 2006). Cette conception des représentations sociales nous intéresse particulièrement, car elle nous permet d’appréhender les arguments utilisés à l’occasion de la procédure de consultation comme des formes de connaissance, et plus précisément comme un état des lieux des représentations de la société face à l’accès des couples homosexuels à la famille. Par ailleurs, Jean-Blaise Grize nous rend attentif à l’importance des mots dans le discours ou la prise de position : « Comment ce que dit ou ce qu’écrit quelqu’un peut-il renseigner l’observateur sur les représentations qu’il a - ou qu’il se fait, des choses et des phénomènes dont il traite ? Toute représentation, de quelque façon que l’on en spécifie le sens est la représentation de quelque chose » (Jean-Blaise Grize in (Jodelet, 2015, pp.170-171). Dans le cadre de notre travail, nous verrons que le choix des termes utilisés est capital dans l’argumentaire, et que ces termes positionnent les acteurs, dans le sens où ils peuvent être associés à des partis ou des associations défendant les mêmes intérêts.

Dans le cadre de notre étude, nous porterons notre attention sur les représentations sociales liées à la famille et à l’homosexualité. Delaborde, Lavanchy, et al. (2008), mettent en avant plusieurs représentations sociales autour de la famille, notamment le fait que le conjugal est dissocié du parental, ce qui a pour conséquence une différenciation du couple et de la famille. L’émergence de nouvelles formes familiales, comme les familles recomposées, les familles adoptives ou les familles homoparentales, contribue à l’évolution du système de la parenté, puisque la construction du lien de filiation est différente en fonction de la situation et de la structure familiale. Cette idée d’émergence d’une diversité de formes familiales est également avancée par Levy, Widmer, et al. (2002), dénotant l’existence de possibilités d’évolutions, où famille traditionnelle et famille « modernisée » cohabitent. Dans ce contexte, les nouvelles formes de famille « remettent en question un fondement de notre culture chrétienne concernant l’institution du mariage [...]. Il est question du principe de la filiation indivisible dans le mariage que respectent la filiation adoptive ainsi que la PMA pour les couples hétérosexuels. A l’inverse, ce n’est pas le cas des familles concubines, recomposées, d’accueil et homoparentales » (Delaborde, Lavanchy, et al., 2008, p.20). Dans cette optique, la filiation entre les liens du sang (liens biologiques) et les liens librement décidés (choix personnels) serait source de conflit. En effet, l’idéologie dominante de la famille nucléaire biologique, considérée comme la forme de famille légitime (« real family »), engendre une image déviante de la famille basée sur des liens non-génétiques : dans ce sens, la famille adoptive a été socialement construite comme une forme de famille stigmatisée (Wegar, 2000).

La différenciation entre liens du sang et liens choisis représente par ailleurs un repère fondamental, puisqu’elle est reconnue par la société au regard du droit en vigueur. C’est la raison pour laquelle il est capital que les textes de loi évoluent en fonction des mentalités de leur société. En ce sens, ils incarnent les représentations sociales et les valeurs de celle- ci. Comme l’avance Charlotte Patterson, chercheuse de l’Université de Virginie : « Quand

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les mœurs sociales changent, les lois doivent être interprétées de façon à évoluer dans le même sens et de façon à ce que les décisions de justice n’aillent pas à l’encontre du but recherché. Refuser aux enfants de partenaires du même sexe, sous prétexte que leurs parents appartiennent à un certain groupe, la sécurité d’une relation légalement reconnue avec second parent ne sert aucun intérêt légitime de l’État » (Delaborde, Lavanchy, et al., 2008, pp.24-25). Lorsqu'un ménage devient fonctionnellement équivalent à une famille, la loi ne devrait pas le traiter différemment de la famille traditionnelle. Au même titre, les personnes se trouvant dans une situation similaire devraient être traitées de la même manière (Melton, 1990). Ce rapport entre mœurs sociales et législation tend ainsi à valider la pertinence de notre étude, visant à déceler les représentations sociales liées à l’accès des couples homosexuels à la famille dans le processus de modification du droit de l’adoption en Suisse.

L’

ANALYSE DE CONTENU

L’analyse de contenu est une méthode d’analyse essentielle dans l’étude des représentations sociales d’après Moscovici. En effet, la communication, qui est le processus au sein duquel la représentation sociale se développe, est l’objet principal de l’analyse de contenu. La procédure de consultation peut donc être appréhendée comme une forme de communication, au sein de laquelle différents groupes sociaux émettent des opinions sur un sujet donné. Par ailleurs, « l'analyse de contenu par son objet est alors un outil qui doit prendre en considération les dynamiques des représentations sociales et tenir compte du rôle important qu’elles ont dans la production/réception des énoncés » (Negura, 2006, p.2).

Cette perspective nous invite ainsi à porter une attention particulière aux représentations sociales des participants à la procédure de consultation, ainsi qu’à leur utilisation pour aborder la question de la modification du droit de l’adoption (envisagé alors comme

« l’énoncé » évoqué par Negura).

L’outil standard pour étudier les opinions est l’analyse thématique, qui consiste à repérer les idées et les représentations de différents individus relatives à un sujet particulier, et de les répertorier sous forme d’énoncés, ou autrement dit, de catégories d’analyse. Ces énoncés prennent généralement l’aspect d’un message qu’une personne ou un groupe d’individus souhaite transmettre, que l’on peut classifier comme des opinions, des attitudes ou encore des stéréotypes. Si les opinions sont caractérisées par la présence d’un jugement sur un objet donné, les attitudes se distinguent par leurs composantes évaluative et affective, et le fait qu’elles possèdent une direction et une intensité particulières. Généralement, les attitudes se distinguent par leur caractère soit positif (favorable), soit négatif (défavorable). Enfin, les stéréotypes, qui nous intéressent moins dans le cadre de ce travail, sont des idées fixes résultant d’une communication de propagande (Negura, 2006).

Lorsque l’on effectue une analyse de contenu des représentations sociales, il est capital d’avoir en tête d’une part les travaux de Moscovici, qui est un des premiers à avoir utilisé cette méthode d’analyse pour étudier les représentations, et d’autre part la théorie de l’ancrage des représentations développée par Moscovici également, et repris par de nombreux auteurs par la suite, comme Doise. Le processus d’ancrage des représentations met en relief la formation d’une représentation en se basant sur ses conditions de circulation. Ainsi, l’ancrage « rend compte de la façon dont des informations nouvelles sont intégrées et transformées dans l’ensemble des connaissances socialement établies et dans le

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