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Nous avons effectué les mêmes opérations de transformation de la matrice de base que celles réalisées pour le réseau des participants, dans le but d’obtenir cette fois-ci une matrice one-mode reprenant uniquement les thèmes relevés au cours de l’analyse de contenu. Le terme de « thème » fait référence aux représentations sociales récurrentes détectées dans les arguments des participants. La matrice transformée indique sur la diagonale le nombre de participants total qui se sont positionnés sur un thème. Le chiffre à l’intersection de deux thèmes indique le nombre de participants qui se sont positionnés conjointement sur le thème en question. Les intersections comportant le chiffre « 0 » signifie qu’aucun participant ne s’est positionné de manière conjointe sur le thème (voir annexe 5). Sur le graphe, les sommets sont proches les uns des autres lorsque ces derniers ont été repris par les mêmes acteurs.

Structure générale du réseau des thèmes

Nous avons ensuite importé cette matrice one-mode dans Netdraw, ainsi qu’une matrice d’attributs, au sein de laquelle nous avons fait correspondre un code particulier à chaque thème, dans le but de parvenir à une meilleure lecture du réseau. Nous avons créé six catégories au total, auxquelles nous avons fait correspondre une couleur (voir figure 8) : les thèmes mettant en avant le bien-être de l’enfant dans la législation de l’adoption sont représentés par des nœuds bleus (codés 1) ; les thèmes soulignant un manque d’acceptation sociale vis-à-vis de l’union des couples homosexuels et/ou de leur accès à la famille sont en rose (codés 2) ; les thèmes statuant l’existence des nouvelles formes familiales et le besoin d’adapter la législation à leur sujet sont en vert (codés 3) ; les thèmes reprenant des valeurs traditionnelles et/ou conservatrices sont en rouge (codés 4) ; les thèmes accentuant la nécessité de supprimer une forme de discrimination sont en jaune (codés 5) ; enfin, les thèmes évoquant les éventuels comportements stratégiques des parents adoptifs sont en gris (codés 6).

A l’instar des opérations effectuées pour analyser le réseau des participants, nous avons créé une seconde matrice d’attributs pour le réseau des thèmes, en nous basant sur le nombre de fois que chaque thème a été évoqué. Nous avons donc construit une échelle, allant de un à cinq, dans le but de déterminer les thématiques qui ont été le plus – ou le moins – avancées par les participants au cours de la procédure de consultation. Si un thème a été soulevé cinq fois ou moins, nous lui avons attribué le code 1 ; le code 2 fait référence aux thèmes mentionnés six à dix fois ; le code 3 indique les thèmes mentionnés onze à quinze fois ; le code 4 désigne les thèmes reprise seize à vingt fois, et enfin le code 5 a été attribué aux thèmes évoqués plus de vingt fois. Nous avons ensuite importé cette matrice d’attributs dans Netdraw et généré une représentation visuelle du réseau. Chaque code de l’échelle mentionnée ci-dessus correspond à une taille de sommet : les thèmes les moins évoqués sont représentés par des sommets de petite taille, et à l’inverse, les sommets fréquemment soulevés se distinguent par des sommets de grande taille. L’idée n’est pas ici de hiérarchiser les thèmes, tout comme nous l’avons expliqué à propos du réseau des participants, mais d’identifier quels sont les thèmes sur lesquels les participants ont été plus nombreux à intervenir, et ceux qui ont suscité moins de réactions de la part des acteurs ayant pris part à la consultation (figure 11).

Figure 7 : Réseau des thèmes (one-mode) avec fréquence d’évocation

Légende

Lorsqu’un arc relie deux thèmes, cela signifie qu’au moins un participant a pris position sur les thèmes en question. Si l’on étudie le réseau (figure 7), on remarque tout d’abord qu’il n’y a pas de thèmes isolés au sein du réseau, à la différence du réseau des participants. Cela s’explique par la manière dont nous avons identifié les thèmes au cours de la lecture des prises de position, puisque nous avons retenu les sujets en lien avec les représentations sociales de l’accès des couples homosexuels à la famille qui étaient repris par au minimum un participant au sein de la procédure de consultation. L’épaisseur des arcs indique la multiplexité des relations : plus l’arc reliant deux sommets est épais, plus les thèmes concernés ont été repris par les mêmes participants. Cette manière de représenter les relations dans le réseau donne une indication supplémentaire (et complémentaire) à la fréquence d’évocation de chaque thème quant à l’importance des thèmes au sein de la procédure de consultation.

Si nous observons le réseau dans son ensemble, nous remarquons que certains thèmes sont marginaux, et que d’autres sont plus centraux, sans toutefois prendre la forme d’une nette structure en « cœur-périphérie ». Le thème 12, évoquant l'établissement d'une différence de traitement entre les couples liés par un partenariat enregistré et les couples vivant en concubinage, est à l’extrémité de la structure. Cela signifie que ce thème a été

Catégorie 1 (bleu) : Bien-être de l’enfant

Catégorie 2 (rose) : Manque d’acceptation sociale

Carégorie 3 (vert) : Existence de nouvelles formes familiales Catégorie 4 (rouge) : Valeurs traditionnelles

Catégorie 5 (jaune) : Suppression des formes de discrimination Catégorie 6 (gris) : Comportements stratégiques

avancé par un/des participant(s) ayant uniquement évoqué en commun le thème 2, qui affirme que les intérêts des parents adoptifs sont au premier plan de la proposition de modification de loi, au détriment des intérêts des enfants adoptés. Étant à la périphérie du réseau, et étant relié à un seul autre thème du réseau, le thème 12 peut être qualifié de

« marginal ». Par opposition, nous observons par exemple que les thèmes 1 et 10 occupent une position plutôt centrale au sein du réseau. En plus d’être représentés au cœur du graphe, ces thèmes sont avancés par de nombreux participants (comme indiqués par la taille des sommets et l’épaisseur des arcs) et sont reliés à une quantité d’autres thèmes, ce qui nous indique que ce sont des thèmes sur lesquels les acteurs ont largement émis leur opinion.

De manière générale, les thèmes qui soulèvent des valeurs traditionnelles et des arguments conservateurs se situent sur la droite du graphe, alors que les thèmes progressistes, avec une vision relativement moderne et inclusive de la famille se situent, eux, au centre et sur la gauche du réseau. Les premiers sont moins connectés entre eux que les seconds, et les relations de la partie gauche du graphe sont plus importantes (les arcs sont plus épais) que les relations situées sur la périphérie droite de la structure. Cela signifie que les participants sont a priori plus nombreux à partager des représentations sociales progressistes. Cette « répartition » coïncide avec celle du réseau des participants. En effet, nous avons vu que la structure prend la forme d’un cœur constitué majoritairement d’acteurs clés de la défense des droit homosexuels ainsi que de partis politique orientés de gauche, et d’acteurs plutôt conservateurs (dont des partis de droite et du centre) situées à l’extrémité droite de la structure. Par ailleurs, les thèmes ont tendance à être regroupés en fonction des catégories que nous avons construites et que nous leur avons ensuite attribué, ce qui tend à indiquer que ces catégories sont cohérentes.

Les thèmes qui ont été évoqués le plus fréquemment par les participants de la procédure sont les thèmes 1, 5, 6, 10 et 11. Ces thèmes se situent tous au centre et sur le côté gauche du graphe, ce qui correspond aux thèmes valorisant des valeurs progressistes et égalitaires, comme nous l’avons indiqué dans la partie de l’analyse structurale du réseau des thèmes. Le fait que ces thèmes soient fréquemment évoqués tend à appuyer l’idée selon laquelle les participants semblent dans l’ensemble enclins à modifier la loi pour inclure les couples homosexuels à la famille et ainsi supprimer certaines formes d’inégalités. Les thèmes 8, 13 et 19 sont également représentés par des nœuds de taille conséquente, ce qui indique qu’ils ont souvent été évoqués (dans une fourchette de seize et vingt reprises). Il est intéressant de relever que les thèmes 8 et 13 semblent jouer un rôle de « pont » entre les thèmes constituant le cœur du réseau ainsi que les thèmes plus marginaux, situé sur la droite de la structure

Maintenant que nous avons décrit la structure du réseau dans sa globalité, nous allons porter un regard plus approfondi sur les groupes qui se forment au sein du réseau des thèmes. Tout d’abord, nous relevons que les thèmes abordant le bien-être et les intérêts des enfants adoptés, représentés par les nœuds coloriés en bleu, sont très dispersés au sein du réseau. Cet agencement nous parait plausible, puisque c’est l’argument du bien-être de l’enfant peut être avancé autant par des acteurs avec une vision traditionnelle de la famille, que des acteurs mettant l’accent sur les formes familiales alternatives. D’ailleurs, le fait que le thème 1 (« Le bien-être de l’enfant doit être au centre des préoccupations de la législation sur l’adoption ») soit exactement au milieu du réseau n’est pas étonnant, étant donné que dans son message sur la révision du droit de l’adoption, le Conseil Fédéral exprime une volonté de prioriser le bien-être de l’enfant. La plupart des acteurs ayant pris part à la

logique. En revanche, une distance considérable entre le thème 21 et les thèmes 7 et 14 est à souligner. Cette distance vient du fait que les acteurs n’utilisent pas les mêmes arguments pour mettre en avant le critère du bien-être de l’enfant : en effet, l’un avance que des études scientifiques ont démontré que l’orientation sexuelle des parents n’influençait pas le bien-être des enfants élevés au sein de familles homoparentales, et les deux autres adoptent des points de vue plus radicaux en évoquant respectivement le rôle du législateur face aux nouvelles formes familiales et le danger de comportements stratégiques des parents adoptifs, potentiellement nuisibles pour l’enfant adopté.

Plusieurs sous-groupes se détachent au sein de ce réseau. C’est le cas de la triade de nœuds gris, indiquant les thèmes faisant acte du risque d’éventuels comportements stratégiques de la part des parents adoptifs. Cette triade (figure 8), qui se situe sur la partie droite de la structure, bien qu’elle soit toutefois également liée à d’autres thèmes plutôt axés sur une volonté de changement et un désir de progrès social (en vert et en jaune), est fortement associée à d’autres thèmes conservateurs (en rouge) et/ou des thèmes soulignant une certaine retenue de la part des participants quant à l’ouverture de l’adoption aux couples homosexuels (en rose). Par ailleurs, nous identifions très distinctement un autre sous-groupe : celui composé par des nœuds rouges, représentant des thèmes caractérisés par une vision traditionnelle de la famille (figure 9). A l’exception des thèmes 12 et 17, qui se situent à la périphérie du réseau, la totalité des thèmes catégorisés de cette manière appartiennent à ce sous-groupe. La position de ce petit bloc dans le réseau est consistant avec la structure globale du réseau décrite précédemment. Enfin, l’ensemble des thèmes rapportant une vision plus englobante de la famille ainsi qu’une revendication de suppression des inégalités se trouvent sur la partie gauche du réseau. Nous relevons d’une part une certaine concentration de thèmes à propos de la nécessité de modifier la loi pour éviter toute forme de discrimination en bas à gauche du réseau, et nous observons d’autre part que la position de ces thèmes dans le réseau semble coïncider fortement avec la concentration d’acteurs défendant les droits des personnes homosexuelles situés dans le cœur du réseau des participants.

Figure 8 : Détails du réseau des thèmes (I) Figure 9 : Détails du réseau des thèmes (II)

Mesure de la centralité d’intermédiarité

Une autre manière d’étudier l’importance de chaque thème au sein de la procédure de consultation peut se faire à travers le calcul de la centralité. Nous avons donc calculé les coefficients de centralité d’intermédiarité à l’aide du logiciel Ucinet (« Freeman Betweenness Centrality »). Du point de vue de cette mesure, les thèmes les plus centraux sont les thèmes 1, 2 et 10, avec respectivement des coefficients de 44.696, 33.559 et 17.949. Ces thèmes peuvent être considérés comme incontournables, et donc repris par des acteurs clés au sein du réseau. Quatre thèmes ont des coefficients égaux à zéro, car ils ne représentent des ponts pour aucun chemin le plus court reliant deux autres sommets. La variation entre les coefficients est donc non-négligeable (allant de zéro à 44.696, avec un indice de variation std.dev. de 10.366), mais tout de même moins importante que dans le réseau des participants (résultats en annexe).

Lorsque nous avions analysé la structure du réseau des thèmes, nous avions émis l’idée que les thèmes 8 et 13 semblaient représenter des « ponts » entre les thèmes conservateurs (à droite du graphe) et les thèmes progressistes (au centre et à gauche du graphe). Toutefois, le calcul des coefficients de centralité d’intermédiarité démontre que ce ne sont pas ces thèmes qui constituent des intermédiaires entre les deux types d’arguments, mais les thèmes 1 et 10. Le fait que le thème 1 ait le coefficient de centralité d’intermédiarité le plus élevé tend à confirmer l’unanimité des participants concernant la volonté de prioriser le bien-être de l’enfant dans le cadre de la modification de la loi sur l’adoption. Ce thème joue donc le rôle d’intermédiaire principal entre les thèmes conservateurs et les thèmes progressistes. Cela tend à prouver que ce sont des acteurs provenant de milieux différents, et ayant ainsi des opinions parfois contradictoires, qui mettent en avant l’argument du bien-être de l’enfant.

Gardons toutefois à l’esprit que cet argument est utilisé différemment par les acteurs, pour justifier des fins différentes, comme nous l’avons soulevé dans les chapitres précédents de ce travail.

Le thème 10 semble, quant à lui, représenter un argument intermédiaire entre la triade de thèmes évoquant les potentielles stratégies des parents adoptifs (en gris) avec les arguments progressistes de l’axe gauche du graphe. Ce rôle de thème intermédiaire nous semble cohérent avec l’analyse de contenu effectuée, puisque nous avions relevé que plusieurs participants évoquaient le besoin de reconnaitre la filiation entre l’enfant adopté et le partenaire enregistré du parent adoptif (thème 10), tout en faisant preuve d’une certaine retenue vis-à-vis de cette situation, qui pourrait potentiellement déboucher des comportements stratégiques de la part des parents adoptifs (sommets en gris des figures 7

& 8). Cette position est un bon exemple de l’ambivalence du discours de certains participants, qui sont enclins d’affirmer que le besoin de reconnaitre une forme de filiation existe, bien que cela entraine le maintien d’une certaine vigilance ; alors que d’autres participants estiment que ce besoin s’inscrit dans le sillage d’autres nécessités, ayant pour but la réduction des inégalités entre les couples mariés et les autres formes d’union (thèmes qui se situent sur la partie centrale et à gauche du réseau).

Enfin, le degré de centralisation du réseau est plutôt faible, puisqu’il est de 12.25%, ce qui appuie le fait qu’il n’y a pas une homogénéité au niveau des indice de centralité d’intermédiarité des thèmes. Autrement dit, le réseau n’est pas centralité autour d’un ou plusieurs thèmes en particulier, et les relations entre les thèmes sont inégalitaires.

Synthèse des résultats intermédiaires

Globalement, nous observons une cohérence du point de vue des thèmes progressistes, puisqu’ils se situent au centre et sur la partie gauche du graphe, tout comme dans le réseau des participants. Ces résultats vont dans le sens d’un consensus autour de la nécessité d’une adaptation de la loi sur l’adoption faisant acte d’une meilleure prise en compte des nouvelles formes familiales, limitant ainsi les discriminations et inégalités vécues par les couples homosexuels et assurant protection à l’enfant adopté. Notons que ce consensus est toutefois nuancé car, bien que la grande majorité des participants soit d’accord sur la nécessité de placer le bien-être de l’enfant au cœur de la législation sur l’adoption, la notion même du bien-être de l’enfant est interprétée différemment selon les groupes d’acteurs, comme nous avons pu le relever au cours de l’analyse de contenu. C’est la raison principale pour laquelle le thème du bien-être de l’enfant est central au réseau.

Maintenant que nous avons décrit les réseaux des participants et des thèmes dans leur ensemble, en nous focalisant sur leurs positions au sein du réseau et en essayant de distinguer des « alliances » et des sous-groupes se détachant visuellement de la structure, nous allons dès lors vérifier si ces observations se retrouvent dans une analyse de sous-groupes, également appelée analyse de cliques.