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Après avoir analysé les différentes positions regardant le projet de modification du droit de l’adoption, nous pouvons affirmer que les représentations et les images de la famille en Suisse sont plurielles, et qu’elles jouent un rôle capital dans les prises de position des acteurs impliqués. De manière générale, plusieurs arguments apparaissent de manière récurrente dans les propos et les discours des personnes s’opposant à l’homoparentalité. Certains estiment que les enfants nés dans des familles homosexuelles auraient tendance à développer des comportements homosexuels, à cause du contexte familiale au sein duquel ils ont grandi. Par ailleurs, les enfants éduqués dans ce type de configuration familiale auraient tendance à faire preuve de dérangements psychologiques liés à un chamboulement des symboles « naturels » liés à l’identité, notamment par le manque de référant de l’autre sexe dans les familles homoparentales. Cette idée de famille “naturelle” ou “biologique” est reprise par d’autres, qui estiment qu’étant donné que la nature ne permet pas aux couples homosexuels d’avoir des enfants, il ne faudrait pas leur reconnaître un statut parental. Cet argument renvoie aux craintes concernant le développement de l’enfant, bien que la majorité des études menées sur le développement des familles homoparentales ne permettent de confirmer ce genre d’inquiétudes. Ces marques de réticence envers les personnes et les couples homosexuels sont probablement le reflet d’une méconnaissance du sujet. En parallèle à cette crainte du développement de l’enfant, nous pouvons également

relever une méfiance quant au respect des intérêts de la société : il faut être vigilant à maintenir le modèle traditionnel de la famille, car les familles homosexuelles représenteraient une menace pour l’ordre social. Enfin, d’autres avancent l’idée que la société actuelle ne reconnait pas les enfants de parents homosexuels. Par conséquent, ces enfants sont considérés comme différents, du fait de leur situation familiale inhabituelle, et sont donc exposés à des réactions négatives, comme par exemple le rejet ou les moqueries.

Ces différents arguments mettent en avant le fait que l’adoption nécessite un réel travail de visibilité et de reconnaissance, puisque la société actuelle ne semble globalement pas favorable aux familles homoparentales (Delaborde, Lavanchy, et al., 2008).

Ces arguments se retrouvent dans les positions de certains participants à la procédure de consultation. De manière générale, nous pouvons dégager deux positionnements centraux relatifs à la famille en Suisse : d’un côté il y a ceux qui favorisent les valeurs traditionnelles de la famille nucléaire (hétérosexuelle), fondée sur une vision naturelle et biologique de la constitution d’une famille, et de l’autre côté il y a ceux qui mettent en avant les évolutions de la société et de ses valeurs en matière de configurations familiales, allant de pair avec une plus grande intégration des familles homosexuelles dans la législation suisse. L’adoption représente une dimension primordiale, faisant le lien entre ces deux conceptions de la famille, puisque c’est principalement à travers l’adoption que les couples homosexuels peuvent accéder à la parentalité et à la famille nucléaire. Comme le soulève la Commission fédérale de coordination pour les questions familiales, l’adoption a toujours remis en question l’image de la famille et de la parentalité. En effet, le droit suisse de la famille repose sur l’unité du mariage (hétérosexuel) et sur l’idéal de la famille nucléaire, qui représente encore aujourd’hui la famille de référence du point de vue de la législation. Puisque, les conditions et les effets de l’adoption tendent à s’inspirer du modèle de la famille nucléaire, l’adoption peut être considérée comme la forme de famille qui imite la nature. Cependant, seul un couple marié de sexe opposé a le droit d’adopter dans le droit suisse en vigueur. Notons que les participants qui sont en faveur d’une modification de la loi allant dans le sens d’une meilleure prise en compte des familles homoparentales semblent avoir plus de légitimité que les participants qui s’y opposent. Du moins, nous avons l’impression que les participants ayant des valeurs traditionnelles et conservatrices se sentent moins légitimes, et se réfugient par conséquent derrière des arguments faisant intervenir des opinions extérieurs aux leur, tels que le manque d’acceptation sociale de la population relatif à l’homoparentalité, déjà invoqué à l’occasion du processus de législation de la LPart, ou l’existence d’études scientifiques mettant en garde sur le développement identitaire des enfants grandissant au sein de familles homoparentales.

Le sujet de l’image de la famille est repris par l’association des Femmes Juristes Suisses, qui estime pour sa part que la législation de l’adoption reflète les images liées à la famille et que la loi ne doit pas établir une image fixe de la famille avec des rôles particuliers attribués, notamment en fonction du genre, mais se doit de fournir un cadre procurant équilibre et protection nécessaire aux personnes concernées. Ce refus d’une image fixe de la famille soutient cette pluralité des représentations de la famille évoquée cette dessus. Par ailleurs, le Forum de la Session des Jeunes souligne que le modèle familial traditionnel, qui idéalise le rôle de mère attribué à la femme, tend à être plus flexible et à s’adapter aux configurations relationnelles actuelles. Cela appuie l’idée d’une plus grande souplesse des rôles des hommes et des femmes, allant dans le sens d’un progrès de l’égalité entre les sexes.

Enfin, si nous portons notre attention sur la sémantique et la terminologie des prises de

Parfois, ces organisations utilisent des termes et des expressions similaires, voire les mêmes formulations, dans leurs prises de position. Nous pouvons donc se demander s’il n’y a pas une démarche de consultation entre pairs (entre les partis et/ou les organisations intéressées) au sein-même de la procédure de consultation. Par exemple, l’argument suivant : « l’adoption conjointe par des partenaires enregistrés devrait être autorisée non seulement pour éliminer la discrimination, mais aussi pour des raisons de politique sociale.

Comme indiqué dans le rapport explicatif, on peut supposer qu’une majorité de la population approuvera l’adoption pour les couples homosexuels » est repris presque mot pour mot par les associations Network et Familles arc-en-ciel, ainsi que l’Organisation suisse des lesbiennes.

C’est à la lumière de l’analyse de contenu et de ce regard global porté sur les différents arguments mis en avant par les participants, et en se basant sur les principes de la théorie ancrée, qu’il nous parait justicieux d’émettre une théorie sur les représentations sociales liées à la famille. En nous basant sur les données récoltées dans le cadre de la procédure de consultation sur l’avant-projet de modification du droit de l’adoption, nous pouvons affirmer qu’il existe bel et bien un discours sur la différence et sur la similitude touchant à la construction de la famille en Suisse. Les participants se basent sur un cadre de pratiques hétérosexuelles hégémonique, pour définir et légitimer l’ensemble de formes de relations.

C’est donc une approche hétéronormative, avec une comparaison quasiment constante des formes de familles alternatives à la famille nucléaire, qui est utilisée par la majorité des participants pour comprendre les réalités familiales. En effet, les groupes en faveur d’une limitation de l’accès des couples homosexuels à la famille ont un discours axé sur l’importance de valeurs traditionnelles et sur le danger des différences existantes au sein des familles homoparentales, pouvant avoir des répercussions négatives sur l’enfant adopté. Ce qui est particulièrement intéressant, c’est que les groupes en faveur de l’égalité des formes familiales, et donc d’une plus grande intégration des couples homosexuels à la famille, font également preuve d’un discours marqué par les différences et les similitudes entre les formes de familles, en accentuant le fait que ces dernières représentent un moyen de maintenir des discriminations, en empêchant les familles homoparentales d’accéder aux mêmes droits, et donc au même statut que la famille nucléaire traditionnelle. Ce que nous désirons souligner ici, c’est que les représentations sociales liées aux questions familiales se construisent principalement en comparaison de la famille nucléaire classique, de la part de la majorité des groupes sociaux.

Nous allons dès lors tenter de voir si les liens évoqués entre les organismes, ainsi que les divergences de positionnements selon certains groupes se retrouvent dans l’analyse de réseau.