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La toute première phase de notre analyse a été de nous renseigner sur les différentes mesures politiques proposées et adoptées au niveau fédéral9. Cette étape nous a permis d’avoir une idée générale du contenu des débats autour de l’accès des couples homosexuels à la famille en Suisse. Cette contextualisation nous a attiré l’attention sur les éléments clés de ce débat, ce qui nous a été utile pour la suite de la phase de recherche, à savoir la lecture et le choix de la procédure de consultation de l'avant-projet de modification du droit de

7 https://www.admin.ch/opc/fr/classified-compilation/20032737/index.html

8 https://www.admin.ch/gov/fr/accueil/droit-federal/procedures-consultation.html

l'adoption comme matériel de base de notre travail. A la lumière de cette étape, nous avons sélectionné le corpus pertinent de l’étude dans le but de réaliser une analyse thématique.

Tout d’abord, nous nous sommes intéressés aux participants de la procédure : les 26 cantons suisses, 12 partis politiques, 41 organisations et 13 personnes ont pris position au cours de cette consultation, soit 92 participants au total (voir tableau 1). Quatre organisations ont renoncé expressément à formuler un avis : la Conférence des directrices et directeurs des départements cantonaux de justice et police (CCDJP), la Société suisse des employés de commerce (SEC Suisse), l’Union patronale suisse (UPS) et l’Union des villes suisses (USS). Notons tout d’abord que, bien que la majorité des participants à la procédure ont été invités par le Conseil Fédéral à exprimer un avis sur le sujet de la consultation, certaines associations et l’ensemble des individus dont il est question ici n’ont pas été invités à se prononcer. Ce n’est pas parce que ces derniers n’ont pas été sollicités par les autorités que leurs prises de position ne sont pas prises en compte. Au contraire, elles font partie intégrante de la procédure et sont mentionnées dans le rapport rendant compte des résultats de la procédure, ce qui justifie le fait que nous avons décidé de les inclure dans notre étude.

En effet, nous avons fait le choix d’exclure aucune des lettres envoyées dans le cadre de la procédure. En adoptant cette façon de procéder, appelée Full network method (Hanneman, 2001), nous recueillons des informations sur les relations de la totalité des acteurs du réseau.

En effet, cette méthode consiste à recenser les liens existants au sein d’une population, et non pas d’un échantillon d’acteurs, et permet d’obtenir une image complète des relations formées au sein du réseau, et donc de la structure de ce dernier. Notons également qu’il est indiqué dans la synthèse des résultats de la procédure de consultation rédigée par l’Office fédéral de la justice que treize individus au total ont exprimé leur avis, toutefois certains ont écrit une lettre conjointement avec une autre personne, généralement leur partenaire. Nous avons décidé de regrouper les individus dans de tels cas de figures, en considérant que les lettres envoyées représentent la position de la famille. Cette façon de faire nous semble plus juste d’un point de vue méthodologique, puisque cela nous évite de comptabiliser deux opinions identiques, et d’analyser une opinion commune à la place. Cela signifie qu’au lieu des treize individus, nous obtenons un total de dix individus, comprenant trois regroupements de deux personnes, que nous appelons « familles » (voir tableau 1).

Les participants ont donc chacun envoyé une lettre exprimant leur avis sur plusieurs thématiques relatives à l’avant-projet de modification du droit de l’adoption, de manière plus ou moins élaborée et formelle. Avant de pouvoir débuter la lecture minutieuse des lettres, et l’analyse thématique de ces dernières, il a fallu les traduire de l’allemand (et de l’italien) au français. Une fois la traduction réalisée, la première étape de l’analyse thématique a consisté à repérer les opinions et les idées pertinentes dans le cadre de l’étude. Nous avons donc tout d’abord effectué une première lecture de l’ensemble des lettres envoyées dans le cadre de la procédure de consultation, afin d’avoir une vue d’ensemble des arguments mis en avant par les participants. Cette première étape nous a permis de dégager des thématiques globales comme le bien-être de l’enfant et sa protection juridique, la discrimination et l’inégalité de traitement des couples homosexuels, les nouvelles formes familiales, ou encore l’affaiblissement de la notion de famille. Nous avons ensuite effectué une deuxième lecture de ces lettres, plus en profondeur, en dégageant cette fois-ci des thèmes précis et ciblés issus de l’argumentaire des participants, en utilisant une démarche inductive. Ce type démarche permet de rendre compte de l’existence des représentations sociales actuelles liées à la vision de la famille - et de la famille homoparentale particulièrement – sans devoir partir d’hypothèses construites, à vérifier par la suite sur la base des données récoltées.

La démarche inductive une méthodologie de recherche en sciences sociales qui consiste à construire la problématique au cours de la recherche, sur la base d’informations et d’éléments collectés par le chercheur (d’Arripe, Oboeuf, et al., 2014). La démarche inductive s’oppose à la méthodologie hypothético-déductive, qui consiste à construire des hypothèses dans un premier temps puis récolter des données, et enfin tester les résultats obtenus en validant ou en infirmant les hypothèses de base. En effet, la démarche inductive est un outil méthodologique permettant de générer une théorie à partir d’une recherche systématique, dans le but d’expliquer un phénomène propre à un contexte spécifique. Lorsque le chercheur utilise l’analyse inductive, il commence généralement par condenser des données brutes et variées dans un format résumé. Cette étape permet d’identifier des catégories issues des données brutes, et d’établir des liens entre ces dernières et les objectifs de la recherche (Blais et Martineau, 2006). Ce type de démarche a pour avantage de « conserver un esprit assez ouvert pour ne négliger aucune explication ou direction » (d’Arripe, Oboeuf, et al., 2014, p.99), ainsi que de saisir tous les aspects potentiellement pertinents au fur et à mesure de la recherche, puisque l’analyse commence dès que les premières données sont recueillies. C’est ce que nous avons fait lors de la première lecture des lettres : nous avons résumé les informations perçues et identifié des concepts, tout d’abord considéré comme provisoires. Lors de la seconde lecture des lettres, nous avons vérifié si chaque concept provisoire relevé était présent de façon répétée dans les lettres, et s’il était possible de regrouper les concepts se rapportant à un même phénomène, dans l’idée de former par la suite des catégories. Les catégories construites sont ensuite développées et reliées les unes aux autres, dans le but de produire une théorie propre au sujet de notre analyse.

Il est important d’avoir en tête que tous les concepts relevés ne deviennent pas des catégories. Selon ce principe, nous avons effectué un choix quant aux thèmes relevés, en nous basant sur ce que l’on considérait comme des représentations récurrentes liées à l’accès des couples homosexuels à la famille et à l’adoption uniquement, dans l’optique de construire des catégories cohérentes par la suite. En effet, les participants n’ont pas pris position uniquement sur l’accès des couples homosexuels à l’adoption au cours de la consultation en question : d’autres sujets ont été traités, comme les thématiques de l’âge minimum pour adopter un enfant ou encore le secret de l’adoption. Cette étape de repérage

« en deux temps » nous a permis d’identifier vingt-sept thèmes, que nous avons catégorisés et codés, afin de faciliter l’analyse de contenu d’une part et surtout afin d’obtenir des données utilisables pour effectuer une analyse de réseau (voir tableau 2 ci-après).

Tableau 1 : Liste des participants

Cantons Madeleine Schmid (MS)

Argovie (AG) Individus & familles (suite)

Appenzell Rh.-Int. (AI) Virginie Bermond & Mirjam Dunkel (VB+ MD) Appenzell Rh.-Ext (AR) Fabienne Forny + Nicole Berchtold (FF+ NB)

Berne (BE) Silvia Van de Velde & Wanda Van de Velde (SVV + WVV)

Bâle-Campagne (BL) Associations et organisations intéressées

Bâle-Ville (BS) Association des autorités centrales cantonales en matière d'adoption (AACA)

Fribourg (FR) Association des communes suisses (ACS)

Genève (GE) Association d'aide à l'adoption (AA)

Glaris (GL) Familles Arc-en-ciel (AEC)

Grisons (GR) Association suisse des curatrices et curateurs professionnels (ASCP) Jura (JU) Association suisse des magistrats de l'ordre judiciaire (ASM) Lucerne (LU) Association suisse des officiers de l'état civil (ASOEC)

Neuchâtel (NE) Conférence des autorités cantonales de surveillance de l'état civil (CEC) Nidwald (NW) Commission fédérale pour l'enfance et la jeunesse (CFEJ)

Obwald (OW) Association Christianity for Today (CFT)

Saint-Gall (SG) Conférence latine des autorités centrales en matière d'adoption (CLACA) Schaffhouse (SH) Commission fédérale de coordination pour les questions familiales (COFF)

Soleure (SO) Conférence des cantons en matière de protection des mineurs et des adultes (COPMA)

Schwyz (SZ) Centre Patronal (CP)

Thurgovie (TG) Conférence suisse des délégué-e-s à l'égalité entre femmes et hommes (CSDE)

Tessin (TI) Association Espace Adoption (EA)

Uri (UR) Freundinnen, Freunde, Eltern von Lesben und Schwulen (FELS)

Vaud (VD) Fédération suisse des psychologues (FPS)

Valais (VS) Fédération suisse des avocats (FSA)

Zug (ZG) Juristes démocrates de Suisse (JDS)

Zürich (ZH) Commission nationale suisse Justice et paix (JP)

Partis politiques Femmes juristes Suisse (JUCH)

AL-ZH (AL-ZH) Organisation suisse des lesbiennes (LOS)

Jeunes Verts (JV) Associations NETWORK (NETWORK)

Les Verts (VERTS) Association faîtière Pinkcross (PINKCROSS)

Parti bourgeois-démocratique (PBD) Association Pro Etiopia- Infanzia (PROETIO)

Parti chrétien-conservateur (PCC) Association faîtière des organisations familiales de Suisse (PROFAM) Parti démocrate-chrétien (PDC) Association de droit privé Croix-Rouge Suisse (REDCROSS) Parti évangélique suisse (PEV) Réseau évangélique suisse (RES)

Parti Libéraux-Radicaux (PLR) Forum de la Session des jeunes (FSJ) Parti socialiste suisse (PS) Agence suisse pour l'adoption (SFA) Parti vert-libéral (PVL) Ligue suisse des femmes catholiques (SKF) Union démocratique du centre (UDC) Fondation suisse pour la famille (SSF)

Union démocratique fédérale (UDF) Fondation suisse du service social international (SSI) Individus & familles Fondation Terre des Hommes (TDH)

Markus Trachsel (MT) Université de Genève, Faculté de Droit (UNIGE) Esteban Bestilleiro (EB) Université de Lausanne, Faculté de Droit (UNIL)

Pascal Eschmann (PE) Union syndicale suisse (USS)

Dominique Graf (DG) Association FreikirchenSchweiz (VFG)

Hannah Gaywood (HG) Association Wyber-Net (WYBERNET)

Simona Liechti (SL) Fondation d'utilité publique Zukunft-CH(ZUKUNFT)

Tableau 2 : Liste des thèmes

Thème Mots-clés Description Catégorie

1 Bien-être enfant Le bien-être de l’enfant doit être au centre des préoccupations 1 2 Intérêts parents Les intérêts des parents adoptifs sont au premier plan de la proposition de modification

de loi

6

3 Discrimination enfant L’adoption conjointe par des couples homosexuels engendre des problèmes de discrimination des enfants

2

4 Promesses LPart Le Conseil Fédéral rompt certaines promesses faites au sein de la LPart 2 5 Nouvelles réalités Les nouvelles formes de familles sont des réalités sociales ayant besoin d’un cadre

juridique

3 6 Orientation sexuelle L’orientation sexuelle d’une personne ne devrait pas être prise en compte lorsqu’il est

question d’accès à l’adoption

3 7 Rôle législateur Le rôle du législateur n’est pas s’adapter au développement social, mais de protéger les

intérêts de l’enfant

1 8 Stabilité mariage Le mariage représente l’unique gage de protection et de stabilité pour l’enfant. 4 9 Solidité relation Le taux de divorce le prouve, le mariage n’est plus aujourd’hui garant de stabilité ; c’est

plutôt la solidité de la relation et la cohésion des parents qui importe.

3

10 Suppression inégalité Le besoin de reconnaître juridiquement une filiation pour supprimer une inégalité 5

11 Discrimination enfants partenariat

Une modification de la loi est nécessaire pour éviter la discrimination des enfants nés au sein d’un partenariat enregistré

5 12 Différence traitement Etablir une différence de traitement entre couples liés par un partenariat enregistré et

couples vivant en concubinage

4 13 Stratégie parents L’adoption de l’enfant du partenaire peut être une stratégie des parents adoptifs pour

conduire un parent biologique en dehors de la vie de l’enfant

6 14 Exclusion famille

origine

L’adoption de l’enfant du partenaire entraine le danger de tirer un trait sur sa famille d’origine (famille biologique) et doit donc être catégoriquement refusée

1 15 Comportements

stratégiques

L’adoption par une personne seule peut entrainer d’éventuels comportements stratégiques de la part des couples homosexuels

6

16 Multiparentalité La multiparentalité devrait être envisagée 3

17 Adoption, pas PMA L’adoption de l’enfant du partenaire devrait être autorisée, mais sans la possibilité de recourir à la procréation médicalement assistée

4 18 Adoption et PMA Annuler l’interdiction d’adopter conjointement et de recourir à la PMA pour les couples

homosexuels dans une optique de supprimer une inégalité entre couples homosexuels et hétérosexuels

5

19 Adoption tous L’adoption conjointe devrait être ouverte à tous les couples 5

20 Entourage direct L’adoption conjointe ne devrait pas être refusée aux couples homosexuels, puisque que l'absence de parent de sexe opposé dans l’entourage direct de l’enfant est acceptée

5 21 Études scientifiques Des études scientifiques sur le bien-être des enfants élevés dans des familles

homoparentales vont dans le sens d’une ouverture de l’adoption conjointe à tous les couples

1

22 Argument biologique L'argument "biologique" de la reproduction entre deux personnes de sexes opposés est mis en avant pour refuser l'adoption conjointe par les couples homosexuels

4 23 Meilleure égalité La révision du droit de l’adoption représente un progrès concernant l’égalité de

traitement entre partenaires enregistrés et couples mariés

5 24 Bonne direction La proposition de modification de loi représente un pas dans la bonne direction, mais

n’est pas suffisante

5 25 Mariage pour tous Le mariage pour tous devrait être instauré, principalement dans le but d’éviter toute

forme de stigmatisation des couples homosexuels.

5 26 Pas d’inégalité Il n’y a pas d’inégalité de traitement entre couples mariés et couples liés par un

partenariat enregistré, puisque l’adoption par une personne seule est refusée à ces deux formes d’union.

4

27 Reproduction Le mariage étant fondé sur une loi naturelle orientée vers la reproduction, le partenariat enregistré ne devrait pas être autorisé.

4