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Un espace unique, des représentations sociales multiples : le cas de l'espace riverain de la Garonne

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Academic year: 2021

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Un espace unique, des représentations sociales

multiples : le cas de l’espace riverain de la Garonne

Laurent Grange

To cite this version:

Laurent Grange. Un espace unique, des représentations sociales multiples : le cas de l’espace riverain de la Garonne. Sciences de l’environnement. 2012. �hal-02597390�

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Muséum national d’histoire naturelle

Master « Évolution, patrimoine naturel et sociétés »

Master 2 Spécialité

« Environnement, développement, territoires et sociétés »

Parcours

« Anthropologie, environnement, agricultures

»

2011-2012

UN ESPACE UNIQUE, DES REPRESENTATIONS SOCIALES MULTIPLES

Le cas de l’espace riverain de la Garonne

Présenté par : Lucile Grangé

Stage encadré par Sophie Le Floch (CR)

Irstea – Unité Aménités et dynamiques des espaces ruraux

Responsable pédagogique MNHN : Marie Roué (DR – CNRS)

UMR 7206 – Eco-anthropologie et Ethnobiologie

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I

R

ESUME

Les rives de cours d'eau ont de tout temps concentré les activités humaines. Dans deux villages français du Tarn-et-Garonne, Mas-Grenier et Finhan, une enquête anthropologique de terrain aborde les représentations que les principaux acteurs se font de l’espace riverain de la Garonne. Trois catégories d’acteurs, les habitants originaires, les néo-ruraux et les institutions territoriales ont été interrogées sur leurs manières de nommer et de pratiquer l’espace riverain ainsi que sur leur perception des changements qui l’affectent. Chacun en a une vision différente. Alors que les habitants originaires perçoivent un espace changeant chargé symboliquement, les néo-ruraux et les institutions territoriales y voient un espace de potentialité, en référence à leur relation avec des univers différents. Pour finir, ces représentations variées d’un espace ordinaire traduisent aussi les relations que ces acteurs entretiennent avec la nature et reflètent leurs relations sociales.

Mots clés : Vallée de la Garonne, espace, habitants, institutions, peuplier, activités récréatives, représentations sociales, relations sociales, anthropologie de la nature, ethnoscience

Riverbanks have always been a favored location for human activities. In two French villages in the department of Tarn-et-Garonne, Mas-Grenier and Finhan, the anthropological study tackles through fieldwork, the different pictures the main instigators of the area have of the riverside of the Garonne. The study targeted three categories of the riverside population, the native inhabitant, the neo-rural population, and the territorial institutions, which were asked to provide their feedback concerning their designations and practices of the riverside habits, as well as their perception of the changes taking place and modifying their environment. Each group voiced a different opinion. While a strong symbolic content was outlined by the native inhabitants, the neo-rural population and the territorial institutions mainly focused on the potential of the area, considering their previous relations to different environments. Subsequently, the variety of pictures of an ordinary space reflect also the interaction of each instigator with nature, and are also a reflection of their social connections.

Keywords : Garonne Valley, space, inhabitants, institutions, poplar, recreational activities, social representations, social relations, environmental anthropology, ethnoscience

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II

R

EMERCIEMENTS

Ce travail de fin de master fut riche à de nombreux égards. J’ai beaucoup appris explicitement, et surtout, implicitement de l’anthropologie, des rencontres qu’elle fait naître et des émotions qu’elle suscite.

Je tiens tout d’abord à remercier avec la plus grande sincérité mes encadrantes, Sophie Le Floch et Marie Roué, pour m’avoir aidé à mener à bien ce travail. Vous avez su me laisser être autonome tout en étant présentes chaleureusement lorsque j’en avais besoin. Merci pour votre écoute, vos conseils, votre patience et votre soutien.

J’adresse également mes remerciements à Claudine Friedberg pour avoir répondu à mes interrogations et pour ses encouragements.

Je voudrais aussi exprimer toute ma gratitude à Richard Dumez et Jeanne Le Duchat pour leur bienveillance, l’honnêteté de leurs conseils et l’esprit convivial qu’ils font régner au sein du Master « EDTS » du Muséum national d’histoire naturelle de Paris. Merci de m’avoir fait confiance jusqu’au bout !

Mes remerciements vont aussi aux membres de l’unité ADBX du Cemagref de Bordeaux pour leur bel accueil. Je mesure qu’il est rare de pouvoir effectuer une recherche dans de si bonnes conditions de travail et dans une si bonne ambiance. Plus particulièrement, merci à Sarah-Jane, Chantal, du centre de documentation et Jacques, du service informatique pour leur soutien moral.

Ma pensée et ma reconnaissance s’adresse aussi aux communes de Finhan et de Mas-Grenier ainsi qu’à toutes les personnes qui m’ont livré leurs expériences quotidiennes, qui m’ont ouvert leur porte ou qui ont accepté de me faire partager une promenade en bord de Garonne. A ce titre, je remercie aussi le SMEAG et le Conseil général du Tarn-et-Garonne et le Domaine public Fluvial.

Merci à mes amis de m’avoir accompagné dans cette étape. Tout particulièrement, merci à Fany, Marie-Charlotte & Laurène, Maëla et Camille. Merci d’avoir trouvé les mots justes pour me donner du courage, de près comme de loin.

Enfin, j’aimerais adresser une attention spéciale à mes parents, à ma sœur et à Loup, qui ont su être là, aux bons comme aux mauvais moments, et qui m’ont constamment encouragée dans ce travail.

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Le voyage de la découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages mais à voir les choses différemment Marcel Proust

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III

S

OMMAIRE

RESUME ... I

REMERCIEMENTS ... II

SOMMAIRE ... III

LISTES DES ACRONYMES ET DES ILLUSTRATIONS ... V

INTRODUCTION ... 1

–CHAPITRE I–PRESENTATION GENERALE DE L’ETUDE ... 2

I.1.CONTEXTE DE L’ETUDE ... 3

I.1.1. Substrat théorique ... 4

I.1.2. Problématisation ... 5

I.2.DEROULEMENT DU STAGE ET METHODOLOGIE EMPLOYEE ... 7

I.2.1. Les coulisses de l’enquête de terrain ... 7

I.2.2. L’analyse des données ... 17

I.3.DESCRIPTION DU TERRAIN D’ETUDE ... 18

I.3.1. Localisation géomorphologique et hydrographique ... 18

I.3.2. Eléments de démographie ... 21

I.3.3. Deux villages, deux modes d’accès à la Garonne ... 21

I.3.4. L’ambivalence de la Garonne ... 22

–CHAPITRE II–LE RAMIER : UN ESPACE DOUBLE ... 26

II.1.AUX FONDEMENTS DU RAMIER ... 27

II.1.1. La dimension transversale ... 27

II.1.2. La dimension longitudinale ... 29

II.2.LE RAMIER A L’EPREUVE DES CHANGEMENTS ... 31

II.2.1. Les ronces ... 31

II.2.2. Le maïs ... 34

II.2.3. Les « nouvelles eaux » ... 41

II.3.L’AGE D’OR DU RAMIER ... 46

II.3.1. Le recul de l’homme, la nostalgie d’antan ... 46

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IV

–CHAPITRE III–LE BORD DE GARONNE : UN ESPACE DE POTENTIALITE ... 51

III.1.LES NOUVEAUX ARRIVANTS, POUR UN ESPACE RECREATIF AMENAGE... 52

III.1.1. Un cadre de proximité agréable ... 53

III.1.2. Un espace récréatif parmi d’autres ... 55

III.1.3. « Des changements ? Non, pas vraiment. » ... 58

III.2.LA RECONQUETE DU BORD DE GARONNE PAR LES ACTEURS INSTITUTIONNELS ... 59

III.2.1. Une ambition patrimoniale et sociale ... 59

III.2.2. La résurgence du ramier ... 63

–CHAPITRE IV–UN ESPACE DYNAMIQUE ... 67

IV.1.HOMME, ESPACE ET NATURE : QUELS LIENS POUR QUELLES ETHIQUES ? ... 68

IV.1.1. L’espace de long en large ... 68

IV.1.2. Obtenir une « nature-type » ... 69

IV.1.3. « Anthropo-centrisme » ou « anthropo-circonférencialisme » ? ... 71

IV.2.D’HOMME A HOMME ... 72

IV.2.1. Une différenciation sociale ... 72

IV.2.2. Quels regards sur l’espace riverain ? ... 74

CONCLUSION ... 77

(12)

V

L

ISTES DES ACRONYMES ET DES ILLUSTRATIONS

Liste des abréviations

CATeZH Cellule d’Assistance Technique à la gestion des Zones humides du corridor garonnais

CG Conseil Général du Tarn-et-Garonne DPF Domaine public fluvial

SMEAG Syndicat mixte d’études et d’aménagement de la Garonne

SMEPAG Syndicat mixte d’études et de programmation pour l’aménagement de la Garonne

Liste des tableaux

Tableau 1. Récapitulatif des entretiens réalisés

Liste des cartes

Carte 1. Tronçon de la « Garonne débordante », aussi appelé « Garonne des terrasses »

Carte 2. Localisation géographique de Mas-Grenier et de Finhan

Carte 3. Projet de sentier du « corridor garonnais » à Mas-Grenier et Finhan

Liste des figures

Fig. 1. Coupe géomorphologique au niveau de la Garonne débordante

Fig. 2. Évolution des principaux cultivars de peupliers en Moyenne vallée de Garonne

Fig. 3. Extrait de la charte du randonneur

Fig. 4. Extrait du topoguide de Mas-Grenier. PR9 : « Le chemin des ramiers »

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VI

Liste des photographies

Page de garde

Vue aérienne de la Garonne au niveau du méandre entre Finhan et Mas-Grenier, Tarn-et-Garonne. Photothèque du SMEAG

Photo 1. Le clocher de Mas-Grenier vu de l’espace riverain de la Garonne

Photo 2. Enrochements des berges de Finhan

Photo 3. Epis sur la rive gauche, à Mas-Grenier

Photo 4. Vaste peupleraie à Mas-Grenier

Photo 5. Peupleraie embroussaillée d’un propriétaire « étranger » Photo 6. Sol d’une peupleraie entretenue

Photo 7. Culture de noix à Mas-Grenier

Photo 8. Vaste champ de maïs qui « vide » le ramier

Photo 9. Triptyque maïs-peuplier-pommiers

Photo 10. Culture de kiwis et de peupliers

Photo 11. La Gravette (1 ha)

Photo 12. Le camp de Mothe (2 ha)

Photo 13. Pêcheur sur le canal latéral à la Garonne

Photo 14. Berges de la Garonne embroussaillées

Photo 15. Fenêtre sur la Garonne formée par les « broussailles »

Photo 16. Banc vide au cœur de l’espace riverain de la Garonne Photo 17. Tableau d’affichage du club du 3ème âge de Mas-Grenier

Photo 18. Sentier emprunté pour « descendre à la Garonne »

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(15)
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1

I

NTRODUCTION

La Garonne traverse cinq cent cinquante kilomètres sur notre territoire national et est à ce titre l’un des principaux fleuves de France. Le long de son cours, elle traverse des agglomérations importantes comme Toulouse, en amont, et Bordeaux, en aval. Notre étude s’est intéressée à deux villages qui se font face de part et d’autre des rives de la Garonne, en retrait de l’agitation de ces grandes villes. Ces villages s’inscrivent sur un territoire ordinaire français, qui n’a rien à envier aux terrains exotiques. Un de nos objectifs est de montrer qu’il n’est pas nécessaire de chercher l’exotisme « ailleurs » pour y être confronté. « L’anthropologie du proche » (Abélès et Rogers, 1992) ne s’oppose pas à celle du lointain et ne se choisit pas par défaut (Augé, 2002). En éloignant notre regard sans y être obligé par la distance physique, nous avons découvert sur ce terrain des attachements matériels et symboliques à la Garonne et à son espace riverain.

Notre approche, centrée sur la relation homme/milieu, questionne la diversité des systèmes de représentations qui s’élaborent sur un même espace. En effet, nous partageons l’idée que « toute société se situe dans un espace qu’elle particularise et qui la particularise » (Paul-Lévy et Ségaud, 1983). Ce mémoire de fin d’études cherche à comprendre plus précisément comment les principaux acteurs du territoire, les habitants et les institutions territoriales, s’approprient et se représentent l’espace riverain de la Garonne.

Après avoir présenté le contexte général de notre étude (I), les chapitres qui suivent distingueront la vision des habitants originaires de l’espace riverain de la Garonne (II), de celles des habitants récemment installés et des institutions territoriales, qui agissent aussi sur l’espace (III). Enfin, un dernier chapitre sera l’occasion d’en apprendre davantage sur les rapports que ces riverains ont noués avec la nature et entre eux (IV).

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(18)

2

C

HAPITRE

I

P

RESENTATION GENERALE DE L

ETUDE

Photo 1. Le clocher de Mas-Grenier vu de l’espace riverain de la Garonne

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(20)

3

I.1.

C

ONTEXTE DE L

ETUDE

Cette étude est née de l’intérêt initial que je porte aux espaces ordinaires, dits « banals » (Sansot, 1989), qui furent l’objet d’un état de l’art, dans lequel a été questionné le regard de l’habitant sur son lieu de vie quotidien (Grangé, 2010). Ce fut alors naturel d’aborder ce stage de deuxième année de master sur le thème de l’appropriation et de la représentation qu’ont les habitants d’un espace, a priori, ordinaire : l’espace riverain de la Garonne.

Pour mener à bien ce stage, je fus accueillie dans le laboratoire de l’unité ADBX (Aménités et dynamiques des espaces ruraux) du Cemagref de Bordeaux, récemment devenu Irstea (Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture) . Notre enquête s’inscrit dans l’axe 2 du projet de recherche PERI-Scope : « Représentations des risques liés aux événements extrêmes (crues / étiages), vulnérabilités et stratégies d’adaptation à l’échelle des espaces fluvio-estuariens ». Il s’agit d’identifier et de comprendre comment des habitants et des usagers de l’espace riverain vivent et se représentent les changements affectant l’environnement fluvio-estuarien, selon une approche de géo-anthropologie (tâche 3 du projet).

Mon encadrante pour ce stage, Sophie Le Floch, lors d’une enquête menée il y a une quinzaine d’années, avait elle-même entrepris de comprendre comment des habitants d’une portion de la vallée de la Garonne percevaient l’espace riverain et les changements qui l’affectaient. Etant entrée par la culture du peuplier pour interroger les rapports, non seulement productifs mais aussi identitaires, des habitants à l’espace attenant à la Garonne, elle avait choisi deux communes du Tarn-et-Garonne se faisant face de part et d’autre de ce fleuve : Finhan, située rive droite, et Mas-Grenier, située rive gauche, où un massif de peupleraies d’environ 500 hectares couvrait les bords de Garonne (Le Floch et Deuffic, 1999). Dans son article de 2002 intitulé « Les ramiers : un espace inaccessible de la Garonne ? », elle propose une relecture de ses entretiens depuis la question de l’accessibilité telle qu’elle est exprimée par les personnes interrogées. Elle a ainsi mis en évidence les points suivants :

- l’existence d’une catégorie vernaculaire, « les ramiers », presque systématiquement nommée pour désigner l’espace riverain de la Garonne ;

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4 - deux catégories d’acteurs qui se distinguent selon qu’ils apprécient et fréquentent, ou non, cet espace. Monde hostile, inaccessible et dépeuplé pour certains, il est un monde diversifié, accessible et vivant pour d’autres ;

- des façons contrastées de qualifier les ramiers, renvoyant à l’idée que ces acteurs se font de ce qui est à sa place et de ce qui ne l’est pas ;

- dans le temps et globalement, la distanciation croissante des habitants vis-à-vis de l’espace riverain.

I.1.1. Substrat théorique

Sur la base de ces résultats nous avons souhaité, dans notre propre étude, revisiter la perception de l’espace riverain par ses habitants et connaître la façon actuelle qu’ils ont d’aborder les changements qu’ils appréhendent. Nous nous sommes attachés à en savoir davantage sur la manière dont les habitants pratiquent et parlent de cet espace, et à questionner plus précisément le terme vernaculaire « ramier ». Pour ce faire, nos inspirations sont pluridisciplinaires : nous ferons référence aux concepts de l’anthropologie sociale, de l’ethnoscience, à ceux de la psychologie sociale, de la géographie sociale, et enfin, de la sociologie de la connaissance.

Considérant que « Parler, ce n’est pas seulement délivrer un message, c’est aussi

proposer un certain classement du monde qui nous entoure » (Chauvier, 2011), nous faisons

l’hypothèse que les différentes façons de nommer l’espace attenant au fleuve peuvent nous renseigner sur la diversité des représentations attachées à cet espace.

Le champ de l’ethnoscience nous aidera à tester cette supposition. Ce courant s’intéresse à la connaissance qu’ont des populations locales de leur environnement naturel. Dans sa thèse, R. Dumez (2004) résume clairement l'histoire de la formation de cette discipline. D’abord envisagées sous l’angle taxonomique, les premières recherches visent à étudier la manière dont les populations nommées « indigènes » parlent de leur environnement. Ainsi, l’ethnobotanique et l’ethnozoologie naissent à la fin du XIXème

siècle. C’est à partir des années 50 qu’évolue l’ethnoscience. L’étude des modes de classification du vivant adopte un angle ethnologique grâce aux études de H. Conklin (1954), aux Etats-Unis, et de C. Lévi-Strauss (1962), en France. Leurs travaux ne décrivent plus seulement comment la flore ou la faune est nommée et catégorisée par les populations indigènes, elles s’intéressent aussi aux savoirs naturalistes populaires qui leurs sont associés. Le langage reste néanmoins l’expression privilégiée pour accéder à ces savoirs.

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5 Selon cette démarche ethnoscientifique, C. Friedberg (1986) s’est intéressée à l’organisation des végétaux par une population d’Indonésie : les Bunaq. Selon elle, il existe des liens intimes entre catégoriser, pratiquer et se représenter un environnement. Classer le monde qui nous entoure procède de trois opérations : « l’identification, la dénomination et

l’insertion dans un système de référence ». L’environnement nommé et catégorisé est, pour

celui qui y vit, le résultat de ses pratiques qui reflètent son système de représentation et qui propulse en retour les pratiques (Friedberg, 1992).

Au cours de l’étude, nous nous appuierons sur la définition des représentations sociales donnée par D. Jodelet (1989) pour qui elles constituent « une forme de connaissance,

socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la construction d’une réalité commune à un ensemble social ». Plus simplement, nous partageons l’idée « qu’il n’existe pas de perception pure. Nous n’avons affaire qu’à des représentations du réel, plus ou moins déformées par les filtres individuels et sociaux » (Di Méo, 1998). A. Schütz

(1987) insiste sur la notion de pertinence. Pour cet auteur, la réalité du monde se construit sur la base d’expériences quotidiennes, parmi lesquelles, des faits sont « sélectionnés » ; « nous

n’en saisissons que certains aspects, notamment ceux qui sont pertinents pour nous ». Selon

une même conception, P. Berger et T. Luckmann (1986) écriront que « la sociologie de la

connaissance doit avant tout s’intéresser à ce que les gens ‘connaissent’ comme réalité dans leurs vies quotidiennes ». Ainsi, les expériences spécifiques de chacun dans un environnement

donné contribuent à modeler les représentations que peuvent avoir les habitants à l’égard de leur espace de vie. Dès lors, il apparaît logique que les nouveaux venus dans une commune, n’ayant pas encore partagé une histoire collective, aient une conception et des attentes différentes vis-à-vis de cet espace que les habitants anciennement établis dans un village.

I.1.2. Problématisation

Notre problématique générale s’énonce de la manière suivante : l’étude des discours des habitants sur leurs pratiques de l’espace riverain (thème 1) et sur leur perception des changements qui l’affectent (thème 2) peut-elle nous renseigner sur la relation qu’ils entretiennent avec cet espace ? Au-delà de cette relation à l’espace, ces pratiques peuvent-elles nous renseigner sur les relations sociales que ces habitants entretiennent entre eux ?

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6 Nos questions de recherche, réparties selon deux thèmes, sont les suivantes :

Thème 1 : Pratiques et représentations de l’espace riverain de la Garonne par les habitants

- De quoi parlent spontanément les habitants lorsqu’ils évoquent le fleuve et ses abords ? Quelles expériences les habitants ont-ils de cet espace, qu’il soit ou non nommé « ramier » ?

- Quelles portions d’espace désignent-ils plus précisément ? Quels éléments concrets nomment-ils ? Quels jugements de valeurs portent-ils sur ces objets ?

- Le terme « ramier » est-t-il toujours utilisé par les habitants pour décrire l’espace ? Si oui, qui l’utilise ? Dans quel contexte apparaît-il ? Quels sont les autres éléments du vocabulaire local autour de cette catégorie « ramier » ? Utiliser ce terme vernaculaire renseigne t-il sur les relations à l’espace riverain ?

Thème 2 : Perceptions des changements de l’espace riverain de la Garonne

- Quels changements perçoivent les habitants dans cet espace ? Quels éléments sont concernés ? Comment ces changements sont-ils interprétés ?

- La tendance à la distanciation vis-à-vis du fleuve est-elle toujours actuelle ou, au contraire, les habitants vont-ils aujourd’hui vers un mouvement de réappropriation ?

- Face aux éventuels changements perçus de l’espace, la catégorie « ramier » demeure-t-elle pertinente ou est-elle en cours de redéfinition ? Qu’en est-il des relations sociales à cet environnement ?

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7

I.2.

D

EROULEMENT DU STAGE ET METHODOLOGIE EMPLOYEE

Le stage s’est déroulé du 1 mars au 31 août 2011.

Après une étude bibliographique qui me familiarisa avec mon terrain et avec l’état de l’art sur ce sujet, je partis pendant dix jours, début avril, recueillir le témoignage des premiers habitants. J’avais fait le choix de réaliser le travail de terrain en deux temps, afin de préciser mes questions de recherche par une phase d’analyse des discours dans l’intervalle.

Afin de valoriser ultérieurement la dimension comparative, le site d’étude retenu fut le même que celui de S. Le Floch, lors de sa précédente enquête. Ces villages furent sélectionnés pour leur proximité immédiate avec la Garonne, facteur susceptible de faciliter le discours des habitants. C’est donc sur un terrain déjà défriché que je me lançai dans les enquêtes.

Enquêter sur des sentiers battus est un atout, car le regard des chercheurs précédents apporte à l’étude un gain de recul et d’éventuelles hypothèses quant à la situation actuelle. Mais face à ma jeune expérience d’anthropologue, cette caractéristique m’a créé des difficultés supplémentaires, dans la mesure où je ne pouvais m’empêcher de comparer mon travail de novice à celui d’un chercheur averti.

I.2.1. Les coulisses de l’enquête de terrain

Je me suis d’abord rendue dans les mairies des deux villages pour présenter mon projet, qui a immédiatement suscité curiosité et sympathie. Dès lors, j’ai pu obtenir mes premiers contacts, principalement des personnes anciennement établies et originaires des lieux. Je décidai de les contacter par téléphone, plutôt que d’opter pour le porte-à-porte. Je me présentai succinctement, comme étudiante stagiaire venue dans la région pour comprendre le rapport des habitants de leur commune à l’espace situé entre la Garonne et leur village. Je leur proposai une rencontre pour qu’ils « m’aident » à en savoir plus autour d’une « discussion ». J’insistai sur le fait que je n’avais pas un nombre de questions prédéfini et que je voulais avoir leur vision « à eux », avec leurs « propres mots », de cet espace. Tous ont accepté cette rencontre.

Nous avons privilégié autant que possible les entretiens individuels, afin de favoriser la liberté de parole et d’opinion de chacun. Ces entretiens avaient pour objectif de recueillir une diversité de discours sur l’espace riverain. J’ai donc cherché à rencontrer un panel d’habitants varié :

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8 - certains installés depuis longtemps dans le village ou qui en sont originaires, majoritairement des hommes ;

- d’autres récemment installés et rarement originaires de la région, majoritairement de jeunes couples d’origine urbaine.

Lors de la rencontre, pour entamer la discussion, je proposai à la personne interrogée de se présenter pour qu’elle se sente en « terrain connu ». De cette manière, je l’invitai ensuite à témoigner librement de ses expériences - d’habitant, de promeneur, de populiculteur, de chasseur, de pêcheur, etc. - vis-à-vis de cet espace et à décrire les évolutions qu’elle y aurait perçues. Chacun fut libre de développer ces deux thèmes dans l’ordre qu’il souhaitait. Il tenait ensuite à moi de rebondir sur les paroles des enquêtés, tout en gardant le cap pour faire surgir l’autre thème au moment opportun. J’ai donc mené des entretiens peu directifs au cours desquels j’ai cherché à faire se dévoiler par la parole l’univers de référence de chacune des personnes rencontrées. Dans cette perspective, j’attendais que le terme « ramier » soit employé spontanément avant d’interroger mon interlocuteur sur sa manière d’en parler. Si le mot ne surgissait pas, je l’introduisais en fin d’entretien pour faire réagir l’enquêté.

Lorsque le contexte d’entretien le permettait, tous ont accepté d’être enregistrés anonymement sur dictaphone. Je mettais également à leur disposition une carte topographique IGN au 1/25000 des communes concernées. Plusieurs auteurs ont attribué à la carte la qualité d’ « objet transitionnel », car elle donne aux discours des personnes enquêtées une dimension plus affective (Martouzet et al., 2010). Elle sert aussi d’intermédiaire entre le corps et le paysage, elle permettrait de se projeter plus facilement du « dedans » vers le « dehors » (Lorimer et Lund, 2003). Dans une moindre mesure que dans les travaux rapportés par ces auteurs, la carte nous permit d’encourager, de soutenir et de spatialiser le discours des enquêtés. Certains déployaient d’eux-mêmes la carte. Je dus parfois proposer à certains d’entre eux de la consulter. Ils me montrèrent ainsi le parcours de leurs promenades à pied ou en voiture, leurs parcelles cultivées, me décrivirent la topographie, me parlèrent de la Garonne, etc. Cette technique d’enquête me permit d’alimenter les témoignages, la carte étant un simple support pour mener plus loin le discours, pour le projeter spatialement. Je n’ai cependant pas annoté les cartes sur la base des descriptions spatiales entendues car le temps proposé pour réaliser l’étude ne me permettait pas d’aborder la thématique des cartes mentales.

Outre les rencontrer à domicile ou sur leur lieu de travail, j’ai pu accompagner et observer in situ les personnes qui fréquentent l’espace attenant au fleuve dans leur

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9 cheminement quotidien, au cours de promenades dans les ramiers à pied et en voiture. Ma démarche ne relève toutefois pas de « l’observation participante », nom attribué à une méthode de collecte de données ethnographiques développée en particulier par B. Malinowski (1963). De fait, il est de plus en plus délicat à notre époque de pratiquer une pure participation à la vie quotidienne et intime d’une société, principalement pour des contraintes de temps. Sur mon terrain, les activités sociales relatives à l’espace sont par ailleurs de moins en moins collectives et vouées au partage. Néanmoins, je me suis rendue directement sur place en m’efforçant de rompre avec mes propres jugements de valeurs et mes pré-acquis culturels.

Suite à la première phase de terrain, une analyse des entretiens m’a permis de préparer la seconde phase de terrain, plus longue (du 9 au 30 mai), sur la base des deux constats qui suivent :

- Tous ne nomment pas spontanément l’espace sous le terme « ramier ». Cette qualification apparait plutôt dans le discours des personnes établies anciennement dans les villages. Les autres personnes le nomment instinctivement « bord de Garonne ».

- Dès les premiers entretiens, j’ai découvert que les résidents n’étaient pas les seuls à s’approprier cet espace. Il y a aussi des acteurs économiques ou institutionnels qui, de par le développement d’activités ou d’aménagements du territoire, ont en fait développé, eux aussi, un univers de référence à l’égard de cet espace. Attentive à celui-ci, j’ai décidé d’appliquer mes analyses à leur discours.

Le matériau assemblé en un mois de terrain est constitué de 28 entretiens, qui nous ont permis de recueillir le témoignage de 32 personnes différentes (environ 35 heures d’entretiens). Sur les 19 entretiens enregistrés, 15 ont été transcrits intégralement. Ces personnes se répartissent comme suit :

- 8 habitants de Finhan ; - 10 habitants de Mas-Grenier ;

- 3 habitants de communes voisines, l’une possédant des peupleraies sur Finhan, les autres étant le couple chez qui je logeais

- 11 acteurs économiques ou institutionnels représentant les entreprises ou organismes suivants : le SMEAG ; le directeur d’une base nautique ; les responsables et les

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10 membres d’associations de randonnée ; les personnels du Conseil général, du Domaine public fluvial, d’offices de tourisme et de communautés de communes.

Au cours de ce mois, j’aurais souhaité pouvoir rencontrer des maïsiculteurs et une catégorie d’habitant intermédiaire entre ceux rencontrés : des habitants non-originaires des villages mais qui y vivent depuis longtemps. Dans ce cas, cette catégorie d’habitant est susceptible de ne plus se considérer - et être considérés ? - comme de nouveaux arrivants. Ces deux types d’acteurs m’auraient permis d’étayer la perception qu’ont les habitants d’un espace de proximité.

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11 Du 1 au 10 avril 2011 Sexe Age Lieu de résidence (Cf. légende) Profession et Caractéristiques Durée de

l’entretien Lieu de l’entretien

Enregistrement (Oui/Non) Transcription (Oui/Non) Entretien 01 H ≈ 60 ans MG (A, OV)

Adjoint au maire de Mas-Grenier, retraité de la maçonnerie 1 h Mairie de Mas-Grenier N - Entretien 02 F ≈ 45 ans FI (R depuis 2003) Secrétaire de mairie à

Finhan 30 min Mairie de Finhan N -

Entretien 03 a) H ≈ 55 ans FI (R 2002, NO) et b) H ≈ 60 ans FI (A, OV) Maire de Finhan, propriétaire du bar-restaurant de Finhan - Conseiller municipal à Finhan, agriculteur retraité

1h Mairie de Finhan O O Entretien 04 F ≈ 50 ans FI (R depuis 2002) Secrétaire de l’office de tourisme de Verdun-sur-Garonne 1h30 A l’office de tourisme de Verdun-sur-Garonne N - Entretien 05 F ≈ 58 ans Bouillac (OD) Habitante originaire de Bouillac, travaille à Toulouse 1h30 Au domicile de Mme X N -

(29)

12

Entretien 06

H ≈ 80 ans MG (A, OV)

Accompagné par la personne de l’entretien 01)

Ancien passeur du bac (avec son père décédé), habitant des rives immédiates de la

Garonne pendant son enfance

2h Salle du Conseil de la mairie de

Mas-Grenier O O Entretien 07 a)H ≈ 75 ans MG (A, OV) et b)F ≈ 70 ans MG (A, OV)

Populiculteur de père en fils (100 Ha)

et

Sa femme, gérante de grande surface retraitée, action au Secours populaire

de Montauban

2h30 Au domicile de M. et Mme X O O

Entretien 08

Rdv commun avec les personnes de l’entretien 01 et

entretien 06

(Cf. entretiens 01 et 06) 2h

Découverte commentée en voiture avec arrêts successifs de

l’espace entre MG et la Garonne, puis retour à la mairie

de Mas-Grenier pour consultation cadastrale N - Entretien 09 H ≈ 60 ans FI (A, OV) Président de l’association du « Musée de Finhan – Métiers d’autrefois », artiste

peintre, photographe, retraité de la SNCF

1h Au musée, accolé à l’église de

Finhan N - Entretien 10 a)H ≈ 45 ans et b)F≈ 45 ans MG (R 2002, NO) Propriétaires de chambres

(30)

13

Entretien 11

H ≈ 70 ans FI (A, OV)

Retraité, chasseur, pêcheur en Garonne et en lacs, cueilleur de champignons et ramasseur d’escargots, promenade en voiture quasi quotidienne dans les ramiers de Finhan

1h30

Découverte commentée en voiture avec arrêts successifs de l’espace entre Finhan et la Garonne N - Du 9 au 30 mai 2011 Sexe Age Lieu de résidence (Cf. légende) Profession et Caractéristiques Durée de

l’entretien Lieu de l’entretien

Enregistrement (Oui/Non)

Transcription (Oui/Non)

Entretien 12

Mme X et M. X Domaine public fluvial 1h

A la Direction Départementale des Territoires (DDT), Montauban O N Entretien 13 H ≈ 75 ans MG (R≈2000, OD)

Ouvrier agricole retraité, habitait Bouillac chez des propriétaires fermiers. Se promène quotidiennement

en bord de Garonne

1h

Au cours d’une promenade à pied au bord de la Garonne, à

Mas-Grenier

O O

Entretien 14

H ≈ 80 ans FI (A, OV)

Exploitant de bois retraité 1h10

Découverte commentée en voiture avec arrêts successifs de

l’espace entre Finhan et la Garonne

(31)

14

Entretien 15

M. X et M. X

Conseil général du Tarn-et-Garonne, service Environnement et service

des Espaces Naturels Sensibles, projet de sentier de randonnée du « corridor

garonnais »

2h Au Conseil général, Montauban O O

Entretien 16

Personne de l’entretien 03, b)

Conseiller municipal à Finhan, agriculteur retraité,

a conservé des plantations de kiwis

30 min A la mairie de Finhan O O

Entretien 17

F ≈ 65 ans Verdun s/Garonne

(R ≈2000, OD)

Membre de l’association de

randonnée Long del Camin 2h45 Au domicile de Mme X O N

Entretien 18

Personne de l’entretien 09

Président de l’association du « Musée de Finhan – Métiers d’autrefois », artiste

peintre, photographe, retraité de la SNCF

1h Au musée, accolé à l’église de

Finhan N - Entretien 19 H ≈ 40 ans FI (A, OV) Président de la Société de pêche de Finhan, responsable du syndicat mixte de la Gimone (rivière)

1h10 Sur son lieu de travail, à

Beaumont-de-Lomagne O O

Entretien 20

H ≈ 45 ans Moissac (A, OD)

Propriétaire de la base nautique « Rand’eau Loisirs » de Moissac (installée avant à

Verdun-sur-Garonne)

2h Au cours d’un déjeuner, à

(32)

15

Entretien 21

F ≈ 75 ans Montech (A, OD)

Propriétaire de peupleraies à Finhan, pharmacienne à la

Sécu. Sociale retraitée, lègue des parcelles de peupliers à ses enfants

1h30 Au domicile de Mme X O O Entretien 22 M. X Directeur de la communauté de commune de Verdun-sur-Garonne, responsable du projet de petites randonnées dans le canton

1h

Dans son bureau, à l’office de tourisme de Verdun-sur-Garonne O O Entretien 23 a)H ≈ 40 ans Et b)F≈ 40 ans FI (R 2006, NO) Mutation professionnelle de M.X à Toulouse (aéroport), Conseiller municipal, originaire de la région parisienne

Mme X est femme au foyer

30 min Au domicile de M. et Mme X O O

Entretien 24 M. X Comité départemental de randonnée 45 min Au bureau du comité départemental de randonnée, Moissac O N Entretien 25 F ≈ 35 ans MG (R 2002, OD) Affectation professionnelle dans le Tarn-et-Garonne : enseignante à Verdun-sur-Garonne, originaire de Castelsarrasin

35 min Au domicile de Mme X O O

Entretien 26 a)H ≈ 40 ans et b)F≈ 35 ans MG (R 2005, NO) Mutations professionnelles à Toulouse (aéroport), originaires de Poitiers

20 min Au domicile de M. et Mme X O O

Entretien 27

Mme X et Mlle X

Syndicat mixte d’étude et d’aménagement de la

Garonne (SMEAG)

(33)

16

Entretien 28

M. et Mme POLI (x2) H ≈ 65 ans et F ≈ 58 ans

Idem que entretien 05

Mme travaille à Toulouse et M. est électricien retraité, Membres de l’association

Long del Camin

1h15 Au domicile de M. et Mme X O O

Tableau 1. Récapitulatif des entretiens réalisés Légende :

Sexe : H/F = Homme/Femme ; Lieu de résidence :

- MG = Mas-Grenier, FI = Finhan ;

- R = Récemment installé, A = Anciennement installé ;

(34)

17 I.2.2. L’analyse des données

Analyser un matériau ethnographique nécessite une lourde organisation. J’ai fait le choix de retranscrire intégralement les entretiens enregistrés, hormis ceux qui ne concernaient que des données factuelles, auquel cas j’ai pris note des informations essentielles. Cette technique permet d’être fidèle aux mots et aux expressions des personnes interrogées lors de l’analyse des discours et évite ainsi les interprétations trop approximatives de leur pensée. Dans le cas présent, la transcription nous a fait voir les conditions précises d’émergence du terme « ramier ».

L’analyse de contenu consiste en une analyse fine de la parole de l'interlocuteur, en vue de reconstituer son cadre de référence.

Dans un premier temps, j’ai analysé individuellement tous les entretiens transcrits, afin de dégager la logique de pensée propre à chaque personne rencontrée. Lors de ce travail, j’ai insisté sur les associations et les oppositions d’idées et sur les jugements de valeurs propres à chaque thème et à chaque mot récurrent. J’ai cherché à analyser ces messages à la manière d’une traductrice de la pensée de mes interlocuteurs (Mormont, 2007) et à cerner les « îlots de

rationalité » de chacun d’entre eux (Fourez, 1944 ; 1997), qui correspondent aux diverses

dimensions auxquelles chacun s’attache pour construire sa propre connaissance du monde qui l’entoure.

Dans un second temps, j’ai analysé transversalement les entretiens, en regroupant ensemble les extraits d’entretiens d’individus différents qui traitaient d’un même thème à l’aide d’îlots de rationalité très proches.

Les deux étapes réunies m’ont ainsi permis de dégager des grandes visions de l’espace riverain de la Garonne selon des groupes d’acteurs, que l’on retrouvera dans l’exposé des résultats de l’étude.

Compte tenu de ma période de stage de six mois, un mois de présence sur le terrain m’est apparu suffisant. En effet, la méthode d’analyse de contenu sur la base d’entretiens enregistrés et transcrits nécessite beaucoup de temps. Certaines données recueillies n’ont d’ailleurs pas pu être analysées dans le détail.

Enfin, je tiens à préciser les limites de ce travail, qui n’est qu’une lecture de l’espace riverain de la Garonne dépendante, d’une part, des personnes que j’ai rencontrées dans le

(35)

18 temps qui m’était imparti et, d’autre part, de ma sensibilité personnelle et de la subjectivité inhérente à tous les individus, scientifiques compris.

I.3.

D

ESCRIPTION DU TERRAIN D

ETUDE

I.3.1. Localisation géomorphologique et hydrographique

Du Val d’Aran en Espagne où naît la Garonne jusqu’à l’océan Atlantique en France où elle se jette, ce fleuve façonne le long de son cours des paysages très différents. Classiquement, on distingue sept tronçons d’amont en aval : la Garonne montagnarde, du Val d’Aran à Montréjeau, la Garonne de Piémont de Montréjeau à Carbonne, la Garonne

naturelle de Carbonne à l’entrée de Toulouse, la Garonne débordante de Toulouse à Malause

(confluence du Tarn), la Garonne encaissée de Malause à Port Sainte-Marie, la Garonne

endiguée de Port Sainte-Marie à La Réole et enfin, la Garonne maritime (SMEPAG, 1989).

Au sein de ce vaste territoire que parcourt la Garonne, notre étude porte sur la portion médiane du fleuve appelée « Moyenne Garonne » en ce qu’elle « s'individualise facilement

entre une haute Garonne languedocienne et une Gironde bordelaise » (Deffontaines, 1932).

Plus précisément, nous nous situons dans le tronçon qui correspond hydrographiquement à la Garonne débordante qui est, comme son nom l’indique, « le grand champ d’épandage des

crues de la Garonne Pyrénéenne » (SMEAG, 2005). Cette plaine inondable s’oppose ainsi

aux espaces peu submersibles en amont de Toulouse et en aval de la confluence du Tarn avec la Garonne. Du point de vue de la géomorphologie, la rive gauche rencontre rapidement une terrasse haute d’environ 100 mètres, constituée de molasse (CG, 1998) tandis que la rive droite laisse s’étendre davantage la plaine alluviale avant de rencontrer, elle aussi, une terrasse. Entre ces deux terrasses se trouve la plaine inondable (Valette et Carozza, 2010). Ce secteur est ainsi couramment appelé « Garonne des terrasses » (SMEAG, 2008a). Ici, le lit de la Garonne est large et sinueux, ponctué d’îles, comme celle de Saint Cassian, classée en Protection de Biotope notamment pour sa héronnière (CATeZH, 2008).

(36)

19

Carte 1. Tronçon de la « Garonne débordante », aussi appelé « Garonne des terrasses » Source : http://www.eptb-garonne.fr/pages/garonne.htm. Arrangements : L. Grangé

Les communes de Finhan et de Mas-Grenier sont situées entre deux agglomérations importantes : Montauban, à 30 kilomètres au nord, et Toulouse, à une quarantaine de kilomètres au sud. Les habitants de Finhan se sont établis à même la plaine, à la limite des zones inondables, alors que ceux de Mas-Grenier se sont installés sur la première terrasse qui surmonte la plaine et qui forme au-delà les coteaux de Gascogne.

(37)

20

Carte 2. Localisation géographique de Mas-Grenier (rive Gauche) et de Finhan (rive droite) Source : http://www.europa-planet.com/france/cartes/carte_midi_pyrenees.htm et Géoportail IGN

(38)

21 I.3.2. Eléments de démographie

Les villages de Finhan et Mas-Grenier comptent respectivement 1320 et 1099 habitants (INSEE, RP 1999-2008). Comme en témoignent les graphiques de répartition de la population par tranches d’âge, les évolutions les plus frappantes entre 1999 et 2008 concernent les tranches d’âge des 30-44 ans et des 60-74 ans.

Dans les deux villages, elles suivent le même profil :

- une tendance à l’augmentation de la classe des 30-44 ans (+ 4 points à Finhan et + 7 points à Mas-Grenier), classe d’âge qui se trouve majoritaire parmi les autres classes d’âge représentées ;

- à l’inverse, une tendance à la diminution de la classe des 60-74 ans (- 6 points à Finhan et - 5 points à Mas-Grenier).

D’après ces données, on peut donc supposer que, dans la région de Montauban et plus particulièrement Toulouse, le développement de l’emploi lié aux secteurs de l’aéronautique et l’aérospatial a attiré une population d’actifs, d’où l’augmentation de la tranche des 30-44 ans. Ces nouveaux arrivants se sont installés principalement à la périphérie des villages, dans des lotissements situés derrière le cimetière à Mas-Grenier et entre l’espace riverain et le village à Finhan.

I.3.3. Deux villages, deux modes d’accès à la Garonne

L’accès aux berges de la Garonne ne se fait pas de la même façon dans l’un et l’autre des villages. A Finhan, rive droite, il faut pénétrer dans le cœur du village et suivre l’Avenue du ramier, d’où s’échappent plusieurs chemins carrossables issus de l’exploitation de gravier qui proposent de sillonner l’espace attenant au fleuve. A Mas-Grenier, qui compte parmi les villages perchés de la rive gauche, pour parvenir à la plaine inondable, il faut quitter le bourg en direction du sud et traverser le ruisseau du Lambon. De part et d’autre, une boucle de petite randonnée emprunte ces chemins, moins nombreux de ce côté que de l’autre. On accède dans les deux cas à un espace agricole, où se mêlent la populiculture (environ 375 ha, bien que cette surface soit difficile à estimer), l’arboriculture (pommes, kiwis, noix, et noisettes) et l’agriculture céréalière (maïs et blé).

(39)

22 Mais cet espace n’est pas uniquement le domaine des propriétaires privés. Les rives immédiates de la Garonne, sur lesquelles se développe une ripisylve, appartiennent au domaine public fluvial, dont une partie des terres situées en zone cultivable sont amodiées.

Fig. 1. Coupe géomorphologique au niveau de la Garonne débordante Source : SMEAG, 2008a

I.3.4. L’ambivalence de la Garonne

Souvent personnifiée, « Garonne » est devenue un élément au double visage, à la fois source de richesses et de désagréments pour ceux qui peuplent ses berges. Les eaux de la Moyenne Garonne se nourrissent de trois sources : la fonte des neiges des Pyrénées, l’eau de ses principaux affluents des deux rives (l’Ariège, le Tarn et le Lot) et l’eau de pluie (SMEAG, 2003).

La richesse de la Garonne...

La présence de l’eau a toujours attiré l’homme, tout comme les terres alluviales qui la bordent. Cette partie de la Garonne mobile et débordante est attractive pour de nombreuses activités économiques et récréatives. Le fleuve est propice à la navigation commerciale et touristique, à l’extraction des granulats de son lit, aux activités de loisirs telles que la pêche et les sports nautiques. Mais la conquête majeure qui concerne ses berges est agricole.

(40)

23 Une populiculture intensive occupe de nos jours la plaine inondable de la Garonne débordante. Pourtant, la peupleraie n’était pas destinée à s’installer durablement sur cette terre. P. Deffontaines (1932) nous explique comment a été conquis le bord de la Moyenne Garonne.

L’objectif principal était alors d’accumuler la terre alluviale sur les berges en vue d’accueillir des cultures céréalières. La terre a d’abord été rehaussée en coupant les saules sauvages de la ripisylve, qui formaient alors des taillis qui retenaient la terre. Par la suite, des ormeaux ont été plantés au Moyen-Âge, puis abandonnés au profit de saules cultivés, mieux adaptés à la navigation tractée à l’époque par une corde, le long d’un chemin de halage. Le peuplier leur a succédé et a permis de faire des cultures intercalaires entre les rangs de peupliers, notamment du maïs. Une fois les arbres devenus grands, leur ombre couvre les cultures sous peupleraies et on arrive, avant qu’ils ne soient coupés, à un régime de prairies sous arbres. Après plusieurs années de plantation de peuplier, le sol surélevé permettra de faire définitivement de la culture céréalière. Le peuplier n’était, à cette époque, qu’un vecteur transitoire permettant de « ronger » l’excès de fertilité de la terre pour ces futures cultures. «

Un véritable système d'assolement agroforestier, arbre/culture/prairie » (Le Floch et Deuffic,

1999) destiné à stabiliser les berges fut donc mis en place, comme l’a explicité P. Deffontaines.

Aujourd’hui, à l’amont de la confluence du Tarn, la ripisylve naturelle a régressé (81% en deux siècles) à la faveur de la culture de peupliers, qui privilégie seulement quelques cultivars. Avant la Révolution Française, les peupliers noirs, le peuplier d’Italie et de Caroline prédominaient. Depuis 1968 et aujourd’hui encore, deux cultivars de peupliers hybrides priment : le cultivar femelle I214 et le cultivar mâle I45/51 (Muller et al., 2002).

(41)

24

Fig. 2. Évolution des principaux cultivars de peupliers en Moyenne vallée de Garonne Source : Muller et al., 2002

Même si l’homme est souvent intervenu pour tirer le meilleur parti de la Garonne, notamment en colonisant les berges par une espèce végétale, le peuplier, cette conquête de l’espace riverain reste modérée car « Garonne » a conservé son caractère vivant et imprévisible.

...n’est pas sans désagréments

La vallée de la Garonne est un vaste champ d’expansion des crues et des inondations. Elles ont parfois même été dévastatrices, comme en 1875. Plus récemment, les crues de 1930, 1952 et 2000 restent mémorables. En Garonne débordante, les populations riveraines ont donc dû s’y adapter et s’en protéger.

Pour ce faire, un projet de fixation des berges du fleuve a été engagé par le département du Tarn-et-Garonne en 1959 (Valette et Carozza, 2010). La portion de Garonne qui nous intéresse n’est cependant pas équipée de digues ou de barrages, contrairement aux autres parties de son cours. Malgré tout, la construction d’enrochements et d’épis a permis de stabiliser les berges du fleuve, de favoriser l’atterrissement, de maîtriser les mouvements des courants, limitant ainsi l’érosion des berges. L’extraction massive de granulats dans le lit mineur de la Garonne est accusée d’avoir enfoncé et incisé son lit, entre 50 cm et 1 mètre 70 ces cinquante dernières années (SMEPAG, 1989).

(42)

25

Photo 2. Enrochements des berges de Finhan Photo 3. Epis sur la rive gauche, à Mas-Grenier

En conséquence, les terres alluviales auparavant inondables se trouvent surélevées par rapport au lit de la Garonne et peuvent de moins en moins recevoir ses débordements. La moindre fréquence des crues contribue à l’assèchement du milieu (Muller et al, 2002). La configuration du fleuve a changé d’aspect, la sinuosité et l’instabilité du fleuve étant fortement atténuées. Il se trouve maintenant plus rectiligne et moins long (SMEAG, 2008a).

Les dynamiques écologiques et fluviales de la Garonne ont été profondément simplifiées du fait de l’artificialisation progressive des berges. En cherchant, dans le même temps, à s’approprier le fleuve et à s’affranchir de ses désagréments, les hommes ont modifié cet espace pour satisfaire leurs besoins.

(43)
(44)

26

C

HAPITRE

II

LE RAMIER

:

UN ESPACE DOUBLE

Photo 4. Vaste peupleraie à Mas-Grenier

(45)
(46)

27 Pour parler de leurs expériences à l’espace riverain, certains habitants font

spontanément appel au terme vernaculaire « ramier », plus souvent employé au singulier qu’au pluriel. Il s’agit des personnes installées depuis longtemps dans le secteur de ces villages et qui en sont pour la plupart originaires.

Au cours des entretiens, ils ont été invités à expliciter ce que le « ramier » représente pour eux, un exercice qui a souvent généré des hésitations.

Nous découvrirons d’abord les éléments historiques de base qui structurent le ramier aux yeux des enquêtés (II.1). Nous verrons ensuite que des éléments plus récents composent aussi la vision actuelle qu’ils ont de l’espace (II.2) et contrarient leur représentation du ramier, fondée sur une époque idéalisée (II.3).

II.1.

A

UX FONDEMENTS DU RAMIER

Qu’ils soient de Mas-Grenier ou de Finhan, les habitants évoquent les mêmes éléments matériels, communs aux deux rives, qui fondent véritablement le ramier.

Nous avons pu dégager deux dimensions de leurs descriptions :

- l’une transversale, qui décrit la nature du sol du ramier. Elle concerne des éléments naturels : la topographie du terrain associée aux dynamiques fluviales de la Garonne ;

- l’autre longitudinale, qui se concentre le long la Garonne. Elle est relative à l’usage traditionnel du sol par l’homme : la culture du peuplier.

II.1.1. La dimension transversale

Difficile à expliquer en soi-même par les villageois, le terme « ramier » est défini par sa situation topographique et édaphique, qui s'oppose dans leurs conceptions aux terrasses qui surplombent la rive gauche de la vallée de la Garonne, où Mas-Grenier est implanté. La nature du sol silico-argileuse de ces terrasses est aussi localement nommé « boulbène ».

Contrairement à celles-ci, le ramier correspond à la plaine inondable riche en alluvions. La topographie de ces deux entités spatiales détermine ainsi une nature différente des sols, comme nous l’explique ce populiculteur de Mas-Grenier :

« On appelle le ramier toute la zone qui est ici...Ici vous avez la topographie du terrain : la vallée de la Garonne, là vous avez un talus, là vous avez la 1ère terrasse, ici vous avez une autre terrasse, et en allant sur Saint-Sardos, vous en

(47)

28

avez encore une autre, vous avez trois terrasses. [...]La nature du sol change selon la terrasse. Dans la vallée, vous avez les terres d’alluvions qui sont siliceuses, sable quoi. Et plus vous montez, et plus vous avez de l’argile. Et puis vous avez des mélanges : des terres silico-argileuses qui sont ce qu’on appelle « les boulbènes » qui sont relativement légères, qui se travaillent très facilement et qui contiennent davantage de silice que d’argile, et très peu de calcaire » - 07a.

Les déplacements et les débordements de la Garonne ont été indispensables à l’existence du ramier. Lorsqu’elle regagne son lit, la Garonne dépose au sol des alluvions, favorables à la fertilité de la terre. Le ramier est donc au départ une zone au bord du fleuve qui a bénéficié d’une Garonne historiquement et naturellement mobile, emportant dans ses mouvements la terre d’une rive à l’autre, comme en témoignent plusieurs interlocuteurs :

« La Garonne elle s’est déplacée, elle avait un espace de liberté relativement large. Certains ont gagné des terres, d’autres en ont perdues » - 19

« La Garonne dans le coin c’était un genre de déesse, elle apportait beaucoup de bien lorsqu’elle débordait, notamment dans les ramiers » - 07a

« C’est-à-dire que quand il y avait un méandre, elle se déplaçait, elle déplaçait son cours d’eau, elle prenait de la terre et des fois elle allait en déposer en face » - 03a.

La Garonne apparaît autonome et libre de ses mouvements. En changeant le cours de son lit, elle a déplacé ses berges et façonné ses rives. L’ensemble de ses caractéristiques a créé des « dégâts » - 06 pour certaines cultures installées dans la vallée qui, cependant, se sont atténués grâce à l’enrochement d’une partie des berges.

Les riverains personnifient ce fleuve au point que, dans leurs discours, il est simplement nommé « Garonne ». Même s’ils s’approprient ses rives et son lit, ils n’en restent pas moins vigilants. Une pierre gravée trouvée dans le fleuve témoigne de la dualité de la Garonne : « La

déesse nous frappe en ses débordements. Pourtant, elle peut faire notre prospérité, à chaque tourbillon, elle répand ses bienfaits ».

Malgré certains désagréments, les bords de Garonne ont pu accueillir une culture bien adaptée à sa dynamique fluviale : la peupleraie.

(48)

29 II.1.2. La dimension longitudinale

Dans la présentation générale qu’ils me font du ramier, les habitants intègrent systématiquement le vaste « bassin de peupleraies » - 16 qui borde la Garonne.

Un propriétaire de peupliers de Mas-Grenier indique sur la carte topographique que le ramier est tout ce qu’il y a « en vert » - 07a le long de la vallée de la Garonne, en dessous du « talus », où se trouvent précisément les plantations de peupliers. Un autre masséen précise que « vous ne voyez que ça. Ici, il y a que du peuplier » -13 au point que personne ne sait et n’éprouve le besoin de dater l’apparition des premières plantations. Elles semblent avoir été toujours présentes au bord de la Garonne et ce, depuis des temps lointains : « Oui, y’a très très très longtemps qu’on les a. Et on les a

toujours exploités. Mes parents, mes grands-parents en profitaient, mon père aussi, moi aussi, vous voyez ! » - 07a. Elle symbolise donc le lien entre les générations familiales

et intervient également lors de traditions culturelles, comme le précise une populicultrice : « On considérait qu’un arbre planté lorsqu’un enfant naissait, au

moment où il se marierait, à 20-25 ans, ça constituerait sa dot. Moi-même j’ai hérité de ces terrains » - 21.

Malgré la présence d’une diversité de cultures dans l’espace riverain de la Garonne, les habitants décrivent le ramier uniquement par un usage spécifique du sol : la populiculture. Il semble parfois que le terme local « ramier » se confonde avec les plantations de peupliers au point qu’il soit parfois employé comme le synonyme de « peuplier » : « Alors nous, ma

famille possède environ 10 ha de ramiers, de peupleraies depuis... plus 100 ans quoi ! » - 07a ; « on allait où il y a les arbres, les plantations d’arbres, dans le ramier, voilà ! » - 06.

Le peuplier semble donc être la « maille élémentaire » (Le Floch et Deuffic, 1999) créatrice du ramier. La confusion des termes exprime en fait l’idée que la culture du peuplier fut la seule à pouvoir apprivoiser ce milieu inondable : « Ces arbres étaient plantés là parce que la

Garonne sortait au moins trois ou quatre fois par an. Et il était absolument impossible de faire autre chose sur ces terrains » - 21 ; « le peuplier lui, accepte bien de vivre les pieds dans l’eau même un mois ou deux » - 19.

En effet, les débordements fréquents de la Garonne ont obligé les habitants à s’adapter à ce milieu en développant la culture des peupliers. En colonisant de cette manière les rives du fleuve, les cultivateurs sont devenus dépendants de ses mouvements mais ont fini par y

(49)

30 trouver leur avantage : « On a constaté que lorsque la Garonne déborde elle inonde toutes les

peupleraies du coin, le peuplier dans l’année il prend 10 cm de circonférence ! Vous comprenez ! Et si y’a pas de crue, ben ça pousse moins vite ! Le peuplier il lui faut de l’eau ! » - 07a. Une culture intensive a donc été développée, et la vente du bois de peuplier est

devenue une source de revenus pour les hommes, qui ont su tirer parti de cet espace.

Pour les habitants qui témoignent de cette catégorie « ramier », le peuplier est devenu l’emblème qui retrace l’histoire socio-économique de cet espace.

Les habitants qui parlent du « ramier » pour décrire l’espace entre les villages et la Garonne expriment en fait une des fonctions remplie par les représentations sociales : la nécessité cognitive de nommer et de catégoriser leur environnement. Comme l’a écrit B. De Vanssay (2003), « nommer, c’est déjà représenter ».

La notion de ramier correspond à ce qui a été appelé dans la littérature ethnoscientifique une « catégorie complexe ». Influencée par la linguistique, C. Friedberg (1997) considère les catégories en général comme des outils de base pour comprendre la « grammaire culturelle » qui compose les représentations. Nommer et catégoriser le monde qui nous entoure reflète la manière qu’ont les habitants d’être à l’espace qu’ils habitent.

Plus précisément, le qualificatif « complexe » traduit le fait que « pour maîtriser son

action sur ou avec la nature, l’homme a dû mettre au point des catégories conceptuelles qui conservent la complexité des situations auxquelles il doit faire face, c'est-à-dire des catégories tenant compte en même temps d’éléments floristiques, écologiques, foncier, etc. »

(Friedberg, 1990). R. Dumez (2004) ajoute que cette forme de catégorisation « le plus souvent

est organisatrice de l’espace ».

Pour être plus concrète, Friedberg (1992) donne un exemple de catégorie complexe. « C’est le cas en France de la lande définie par une certaine composition floristique, mais

aussi certaines propriétés édaphiques, un type d’utilisation et en outre souvent un statut foncier particulier ». Dans notre étude, la catégorie « ramier » fait sens pour ces habitants, car

en plus de décrire une zone topographique et édaphique précise, elle rend compte de l’écologie de la Garonne. Elle expose la complexité de la situation car elle mêle aux critères précédents le rôle que le ramier joue dans leur vie économique et socio-culturelle, à travers la populiculture.

(50)

31

II.2.

L

E RAMIER A L

EPREUVE DES CHANGEMENTS

Malgré l’omniprésence des peupliers dans le discours des habitants vis-à-vis du ramier, de nouveaux éléments viennent s’ajouter à sa composition lorsqu’on approfondit la discussion.

Nous en avons distingué trois, auxquels sont attachés certains jugements de valeur, qui contrastent avec la perception que ces habitants ont des éléments historiques constitutifs du ramier. Nous verrons successivement qu’il s’agit des ronces, du maïs et de « nouvelles eaux ». Nous découvrirons que ces trois objets entrent en fait en opposition avec les éléments de base qui fondent le ramier tels que l’herbe, les peupliers et la Garonne. Ces couples d’opposition nous permettront de comprendre que les habitants qui utilisent le terme « ramier » perçoivent de nombreux bouleversements dans l'espace riverain de la Garonne.

II.2.1. Les ronces

Parmi les riverains qui parlent du ramier, une partie d’entre eux décrivent aussi la présence de « ronces » dans les parcelles de peupliers, aussi appelées « broussailles ». Il s’agit des interlocuteurs les plus âgés, principalement des propriétaires de peupleraies et des exploitants de bois.

Pour eux, ce sont les autres propriétaires qui vivent éloignés de leurs peupleraies qui sont désignés comme responsables du développement des ronces. Moins présents, ils sont donc moins disposés à entretenir leurs parcelles.

« Si vous avez des plantations qui ne sont pas travaillées, les gens bon ils sont loin... Bah c’est une forêt, vous ne pouvez pas y rentrer dedans ! Il pousse de tout quoi, il pousse des ronces, des petites ronces... » - 07a

« Ah...c’était plus propre avant ! C’est à un autre propriétaire ! Je crois qu’il est dans le Lot, il n’est pas à la porte d’à côté ! » - 13.

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Photo 5. Peupleraie embroussaillée d’un propriétaire Photo 6. Sol d’une peupleraie

« étranger » entretenue

L’embroussaillement trouble le ramier et s’accompagne de jugements de valeur négatifs. Ils sont de différents types :

- hygiéniste : « C’était plus propre avant ! » - 13 ; - esthétique : « Ce n’est pas joli » - 14 ;

- moraux : « C’est tracassant » - 07b.

De telles expressions soulignent que pour eux, la peupleraie n’est pas un simple élément productif, source de bénéfices lors de la coupe des arbres. Elles rendent compte d’une véritable relation entre l’homme et l’espace, qui se développe lors de l’entretien des peupleraies. Entretenir sa peupleraie, c’est en fait exprimer sa sensibilité et sa proximité physique avec le ramier.

Perception de changements L’ensemble de ces jugements de valeur négatifs traduisent leur perception d’une modification des techniques d’entretiens du sol des peupleraies, comme en témoignent plusieurs habitants :

« Maintenant on le travaille [le ramier], avant on ne travaillait pas. On plantait et puis on nettoyait, on coupait l’herbe, on tenait propre mais on ne travaillait pas. Tandis que maintenant on passe les outils pour travailler un peu la terre, on passe des cover crops, on passe des lames. Enfin pour travailler la terre pour que le peuplier pousse beaucoup plus vite » - 07a

Figure

Fig. 1. Coupe géomorphologique au niveau de la Garonne débordante  Source : SMEAG, 2008a
Fig. 2. Évolution des principaux cultivars de peupliers en Moyenne vallée de Garonne  Source : Muller et al., 2002
Fig. 3. Extrait de la charte du randonneur. Source : FF de randonnée
Fig. 5. Extrait du guide « Les sentiers d’Emilie »  Source : Siréjol, 2008

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