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La Méditerranée, espace de conflit, espace de rêve

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Academic year: 2022

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La Méditerranée,

espace de conflit, espace de rêve

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Du même auteur

Politique Economique et Planification au Liban, 1954-1964, 210 pages, Imprimerie Universelle - Beyrouth, 1964.

Contribution à l'étude des Sociétés multiconfessionnelles, elfet socio-juridiques et politiques du pluralisme religieux, 320 page, Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence, Paris, 1971 (publié aussi en arabe et en serbo-croate) ; nouvelle édition sous le titre Histoire du pluralisme religieux dans le bassin méditerranéen, Geuthner, Paris, 1998.

L'économie arabe au défi (en arabe), 250 pages, Dar al Talia't, Beyrouth, 1977.

La dépendance économique.. l'endettement des pays en voie de développement dans une perspective historique (en arabe), 173 pages, Dar al Talia't, Beyrouth, 1980. De larges extraits de cet ouvrage ont été publiés en français dans Dette et Développement, Publisud, Paris, 1981 et en anglais dans Debt and Development, Praeger, NY, 1982.

Le développement introuvable (en arabe), 303 pages, Dar al Talia't, Beyrouth, 1981.

Le Proche-Orient Eclaté, 1956-1991, 560 pages Folio/Histoire, Gallimard, Paris, 1991 (nouvelle édition revue et augmentée d'un précédent ouvrage publié aux éditions La Découverte, 1983); publié aussi en anglais sous le titre Fragmentation of the Middle-East - The last thirty years, Unwin Hyman-Hutchinson, London, 1988, ainsi qu'en arabe.

Liban: les guerres de l'Europe et de l'Orient, 1840-1992,350 pages - Folio/actuel, Gallimard, 1992 (nouvelle édition revue et augmentée d'un précédent ouvrage publié aux éditions La

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Découverte, sous le titre Géopolitique du Conflit libanais, 1986).

L'Europe et l'Orient, de la balkanisation à la libanisation, histoire d'une modernité inaccomplie, 380 pages, La Découverte, Paris, 1989; a aussi été publié en arabe, en allemand et en roumain.

L'avenir du Liban dans le contexte régional et international, 310 pages, sous la direction de P. BALTA et G. CORM, Les Editions ouvrières/E.D.I., Paris, 1990.

Identités et conflits au Moyen-Orient, 1919-1991, 203 pages, Arcantère, Paris, 1992 (ouvrage qui regroupe une série d'articles et d'études sur le Moyen-Orient publiés entre 1985 et

1992).

La Mue (Récit fantastique), 187 pages, Noel Blandin, Paris, FMA, Beyrouth, 1992.

Le nouveau désordre économique mondial, 180 pages, La Découverte, 1993 (publié aussi en arabe, italien, roumain, hongrois et portugais).

Le Moyen-Orient, 125 pages, Flammarion, ColI. Dominos, 1993.

Introduction au Liban et aux Libanais (en arabe), 219 pages, Dar el Jadid, Beyrouth, 1996.

La reconstruction et l'intérêt collectif; de la politique économique d'après guerre (en arabe), 244 pages, Dar el Jadid, Beyrouth, 1996.

Le Proche-Orient éclaté Il; 1990-1996, Mirages de paix et blocages identitaires, La Découverte, 1997. Ce volume a été regroupé avec le premier volume portant sur la période de 1956

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à 1990 en une seule édition revue et augmentée publiée par Gallimard (Folio/Histoire), Paris, 1999, sous le titre Le Proche- Orient éclaté; 1956-2000..

La réforme financière au Liban: une opportunité perdue (en arabe), Shirkat al matbou'at Jill tawzi waJ nashr, Beyrouth, 2001.

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Georges CORM

La Méditerranée,

espace de conflit, espace de rêve

L'Harmattan 5-7, me de l'École-Polytechnique

75005 Paris FRANCE

L'Harmattan Hongrie Hargita u. 3 1026 Budapest

HONGRIE

L'Harmattan Italia Via Bava, 37 10214 Torino

ITALIE

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Collection Comprendre le Moyen-Orient dirigée par Jean-Paul Chagnollaud

Dernières parutions

Joseph KHOURY, Le désordre libanais, ] 998.

Jacques BENDELAC, L'économie palestinienne, ] 998

Ephrem-Isa YOUSIF, L'épopée du Tigre et de l'Euphrate, ]999.

Sabri CIGERLI, Les Kurdes et leur histoire, ]999.

Jean-Jacques LUTHI, Regard sur l'Égypte au temps de Bonaparte, ] 999.

Fabiola AZAR, Construction identitaire et appartenance confessionnelle au Liban, 1999.

Akbar MOLAJANI, Sociologie politique de la révolution iranienne de 1979, ]999.

Hassane MAKHLOUF, Cannabis et pavot au Liban, 2000.

David MENDELSON, Jérusalem, ombre et mirage, 2000.

Elias ABOU-HAlDAR, Libéralisme et capitalisme d'État en Égypte, 2000.

Géra]d ARBOlT, Aux sources de la politique arabe de la France, 2000.

Jean-Pierre TOUZANNE, L'islamisme turc, 200].

Jama] AL-SHALABI, Mohamed Heikal entre le socialisme de Nasser et l'Yntifah de Sadate (1952-1981), 2001.

Amir NIKPEY, Politique et religion en Iran contemporain, 200].

Claude BRZOZOWSK], Dufoyer national juif à l'Etat d'Israël, 2001.

Annie CHABRY, Laurent CHABRY, Identités et stratégies politiques dans le monde arabo-musulman, 200].

Annabelle BOUTET, L'Egypte et le Nil, 2001.

Khalid HAJJI, Lawrence d'Arabie, 2001.

@L'Harmattan, 2001 ISBN: 2-7475-1601-6

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Avant-propos

Nous avons regroupé dans cet ouvrage un certain nombre de travaux et de contributions à des colloques ou des revues ou des textes de conférences. Le thème général qui parcourt ces écrits est tantôt informatif, tantôt interrogatif. Le but recherché est de sortir des problématiques simplificatrices qui trop souvent caractérisent les analyses des conflits de la Méditerranée proche-orientalel. Il s'agit, comme dans mes ouvrages antérieurs, de procéder à une lecture plus nuancée d'événements et d'évolutions ayant créé des situations conflictuelles graves.

Si les conflits méditerranéens sont largement encadrés et canalisés par la politique et la présence militaire américaine dans la région, l'Union Européenne, riveraine de la Méditerranée, entend ne pas être quantité négligeable. Au dialogue euro-arabe des années soixante-dix a succédé la politique méditerranéenne rénovée et la Charte de Barcelone (1995), sans toutefois que l'influence européenne parvienne à sortir du cadre étatique de la coopération économique et de la mise en place d'une zone de libre-échange. Pour la Palestine, comme pour l'Irak, comme accessoirement pour le Liban, les Etats-Unis continuent d'affirmer une hégémonie politique et militaire incontestée au Proche-Orient. Cette hégémonie s'exerce non seulement à travers une implantation militaire directe dans la Péninsule arabique et en Turquie, mais aussi à travers des relations privilégiées et multiforme, d'abord et au premier plan avec l'Etat d'Israël, mais aussi avec l'Egypte et

I Cette vision a aussi envahi les médias et les recherches académiques européennes.

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l'Arabie Saoudite, ainsi que le Kuwait, Bahrein, Oman et le royaume jordanien. La coopération avec ces pays est à la fois militaire et économique, plus accessoirement culturelle, bien qu'il ne faille pas sous-estimer l'influence exercée par les universités américaines sur les milliers d'étudiants du Proche-Orient qui étudient aux Etats-Unis. Les diplômes de ces universités confèrent d'ailleurs à leur détenteurs un prestige et une valeur de marché dans le secteur public ou privé, nettement plus élevés que des diplômes européens. Dans un monde globalisé, l'hégémonie culturelle américaine a avantageusement remplacé l'hégémonie économique des grandes multinationales américaines; en effet, le style de gestion économique et financière qui découle de l'hégémonie culturelle a envahi toute la planète.

Bien plus, la vision américaine des conflits qui privilégie l'identitaire ethnique et religieux au détriment des enjeux profanes de puissance et des principes classiques du droit international et de l'équité, est souvent la cause d'une exaspération ou d'une prolongation des conflits. Ainsi, son rôle

« d'arbitre », toujours favorable à Israël, a contribué àvider de leur sens les accords d'Oslo et a entraîné la nouvelle révolte palestinienne (la seconde intifada) ; dix ans après la libération de Kuwait, l'Irak est toujours bombardée et soumise à embargo, dix ans après l'éviction du Général Aoun au Liban, boutefeu anti-syrien, l'hégémonie syrienne continue de peser sur la politique intérieure et extérieure libanaise.

La Conférence pour la sécurité et le développement économique en Méditerranée tenue à Barcelone en 1995 n'a pas eu le moindre impact sur le déroulement des événements et l'évolution des conflits en Méditerranée proche-orientale. Dans le conflit yougoslave, en Bosnie, comme au Kossovo, se sont les Etats-Unis qui ont enlevé l'initiative aux pays européens embourbés sans pouvoir trouver de solution adéquate. Pour le Proche-Orient, l'Union Européenne a bien désigné un représentant spécial chargé d'aider à la solution du conflit israélo-arabe, mais son rôle reste secondaire comparé aux

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navettes incessantes des fonctionnaires américains chargés du dossier de ce conflit.

Nul ne peut dire combien durera cette situation aberrante où les riverains européens de la Méditerranée sont écartés de la gestion géopolitique de cet espace largement dominé par les Etats-Unis, pourtant situés à plusieurs milliers de kilomètres. Si du temps de la Guerre froide, cette situation pouvait s'expliquer, il n'en est plus de même aujourd'hui alors que la menace soviétique a disparu. Trop occupée à réaliser l'Union de ses pays membres et à préparer l'intégration de l'Europe centrale dans ses rangs, l'Union Européenne s'obstine à ne voir dans la Méditerranée qu'un espace économique et qu'un problème sécuritaire dont l'importance est exclusivement fonction des flux migratoires qui pourraient menacer son identité.

Les textes regroupés ici visent à donner une présentation différente des grands conflits du Proche-Orient qui secouent la Méditerranée, que celle que nous offrent les médias et la plupart des travaux académiques. Le religieux et l'identitaire n'y tiennent pas la place démesurée qu'on leur accorde en général, comme clé d'explication principale des violences. Ces textes écrits entre 1991 et 1998, prolongent et renouvellent le précédent recueil paru sous le titre Conflits et identités au

Moyen-Orient (J 9 J 9- J 99 J/ .

Le texte de la première partie qui vise à engager une critique des notions d'espace, de temps et de sujet historique au Proche-Orient, m'a servi de point de départ à la réflexion épistémologique globale que j'ai développée par la suite dans les quatre chapitres introductifs rédigés à l'occasion de la nouvelle édition du Proche Orient éclati. La plupart des confusions et des incompréhensions sur le mode de formation et la cristallisation des conflits du Proche-Orient proviennent, en effet, d'une insuffisance de réflexion critique sur les modes de délimitation de l'espace, sur la perception des temporalités et sur l'identité des sujets historiques étudiés.

I Edition Arcantère, Paris, 1993.

2 Editions Gallimard. Folio/histoire. 1999, chapitre 1 à 5.

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Les études regroupées dans la seconde partie visent toutes, sous différents angles, à mettre en relief les manipulations de l'identité religieuse au Proche-Orient par les grandes puissances.

Aujourd'hui où il n'est plus de bon ton d'évoquer le passé colonial sur lequel la plupart des conflits actuels sont bâtis, nous avons pensé utile de regrouper ces diverses approches des comportements occidentaux passés ou présents qui contribuent à perpétuer les conflits, même s'ils n'en sont plus les moteurs exclusifs. Certains de ces textes visent à montrer que ce sont les grandes puissances démocratiques, elles-mêmes, qui ont contribué largement à mettre des obstacles à l'épanouissement des valeurs démocratiques en Orient, en particulier en ne mettant pas en pratique ces valeurs dans leurs rapports avec les différents pays du Proche-Orient.

La troisième partie regroupe des textes relatifs aux trois plus grands conflits du Proche-Orient qui font le malheur de trois peuples: les Palestiniens, les Irakiens et les Libanais. Ces textes permettent, en fait de balayer l'ensemble des problèmes qui affectent la région, qu'ils soient d'origine externe ou interne.

Ils éclairent les questions des rapports conflictuels du nationalisme arabe avec les entités étatiques et communautaires du Proche-Orient, mais aussi les contradictions entre l'Etat et les communautés, sans parler du rôle historique de l'Europe, aujourd'hui totalement occulté dans la naissance et la formation du conflit israélo-palestinien.

La dernière partie est consacrée aux problèmes économiques de la région trop souvent ignorés des analyses portant sur l'évolution socio-politique des pays du Proche-Orient. L'analyse de ces problèmes m'a toujours amené à relativiser les aspects identitaires ou religieux des conflits dont ils sont souvent le soubassement réel et dynamique. La marginalisation économique est, en règle générale, la cause des délires identitaires ou religieux. Mais la peur de perdre des situations donnant accès à des privilèges économiques ou financiers peut être une autre raison pour construire des "mises

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en scènes identitaires" à destination des opinions publiques locales et internationales 1.

Il est tout à fait remarquable de constater dans ce domaine, qu'en dépit de la multidisciplinarité qui règne dans les sciences humaines, les analyses portant sur le Proche-Orient sont dénuées de toute référence à l'évolution des situations socio-économiques de la région et cela même lorsque ces situations sont caractérisées par des bouleversements majeurs, tels que l'explosion de la rente pétrolière à partir des années 70.

A la sous-estimation du poids du passé colonial, s'ajoute ainsi dans nombre d'analyses médiatiques des conflits et récits des événements ou de travaux académiques, l'absence de toute référence aux principaux facteurs socio-économiques qui caractérisent les situations conflictuelles en Méditerranée.

De ce point de vue, nous pensons que ce recueil peut permettre à un large public de mieux être informé des différentes facettes des conflits qui secouent cette région du monde, voisine de l'Europe et liée à elle par les liens historiques profonds. Une bonne information est à la base d'une bonne compréhension et une bonne compréhension est indispensable pour parvenir à réduire progressivement l'intensité des conflits et à trouver les solutions justes et durables. C'est ce à quoi invite le texte de conclusion de ce recueil qui, à travers la longue liste des conflits en Méditerranée appelle à placer le volet politique des conflits au premier rang de la coopération euro-méditerranéenne afin de donner tout leur sens aux efforts de partenariat économique que développe l'Union Européenne depuis des décades sans que pour autant les conflits ne s'apaisent et que le mieux vivre ne se généralise.

1 Sur la notion de mise en scène identitaire, voir ci-dessous p. 23.

Il

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Introduction générale

La contagion des replis identitairesl

A l'époque des affrontements idéologiques de type universel, transnationaux et transethniques, succède la multiplication des affrontements ethniques et religieux, régionaux et locaux. La fin de la guerre froide et l'effrondrement de l'Union soviétique et des systèmes étatiques marxistes semblent avoir ouvert une ère pleine de dangers du fait des fractures et des replis identitaires violents qui secouent les sociétés autrefois dominées par ces systèmes. Cela annonce un remodelage des frontières et des Etats qui bouleverse le paysage international. Le paradoxe apparent de cette situation est bien que tous les événements sanglants auxquels nous asssitons se déroulent alors que la puissance de l'Occident atteint une plénitude que seule, historiquement, l'Europe coloniale du XIXème siècle avait pu avoir.

Bien plus, et à la différence des types divers de domination coloniale, les valeurs, les idées politiques, les comportements économiques des Etats-Unis et de l'Europe de l'Ouest, en bref la démocratie et le capitalisme, n'ont jamais joui de par le monde d'une acceptation aussi pleine et entière. Même si, les replis identitaires avec leur kyrielle de violences se réclament des droits de l'homme, de la démocratie et de l'Etat-nation, de l'économie de marché - certains nationalistes, en particulier les

I Article paru dans Le Monde diplomatique, février 1993.

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Slovènes et les Croates, ne viseraient eux aussi paradoxalement qu'à rejoindre plus vite leur véritable patrie, le CEE; on se sépare du frère ou du cousin de sang slave (serbe, monténégrin ou bosniaque) avec lequel on a vécu sur la même terre durant des siècles pour mieux rejoindre la famille "spirituelle"

constituée par les démocraties occidentales.

Il est donc utile de s'interroger sur ce que sont, dans leur immense variété, ces replis identitaires, mais aussi sur la raison pour laquelle les valeurs démocratiques de l'Occident que les protagonistes de ces mouvements invoquent accouchent partout de violences contre lesquelles les Etats-Unis et l'Europe, tout- puissants militairement et moralement, ne trouvent guère de réponse. La complexité du problème ne saurait évidemment susciter de réponse simple. Tout au plus peut-on tenter ici de situer historiquement l'explosion de ces malaises dits

« identitaires» et de montrer combien le traitement politico- médiatique des violences qu'ils engendrent occulte la plupart des enjeux réels de pouvoir qui les provoquent.

En réalité, cette forme de contestation, qui redouble d'intensité depuis 1990, avait déjà fait surface en pleine guerre froide. Se déroulant loin de l'Europe, elle n'avait pas eu le retentissement que peuvent avoir aujourd'hui les événements de Yougoslavie, d'Ukraine, de Géorgie, de Moldavie, etc. On peut rappeler la chaîne des conflits à l'intérieur du continent indien:

sécession des musulmans de l'Inde en 1947 et création du Pakistan, dont se détacheront plus tard violemment les Bengalis musulmans pour former le Bangladesh (1971). Ce sera ensuite le tour des Tamouls, qui mettront en péril l'unité du Sri-Lanka, ainsi que celui des Sikhs, pilier traditionnel de l'empire indien.

En Afrique, on assiste à la tentative de sécession des Ibos au Nigeria en 1969, puis au conflit érythréen.

Enfin, encore plus près de l'Europe, le Liban, où le parti phalangiste, sous influence américano-israélienne, tente à partir de 1975 de mettre en place les éléments d'un Etat chrétien en invoquant l'existence d'une « société chrétienne»

fondamentalement distincte de celles des différentes communautés musulmanes ~ le HezboHah, dont la révolution

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iranienne favorise la création, lui donne à partir de 1982 la réplique en proclamant son objectif: la création d'un Etat islamique. Entre-temps, la milice se réclamant de la communauté druze, exaspérée des provocations cruelles des phalangistes, se livre à des massacres collectifs puis expulse, en 1983, la population chrétienne de la région du Chouf, avec le consentement tacite de l'armée israélienne occupant alors cette partie du Liban.

Tous ces événements ont souvent été alimentés par la guerre froide. Les replis identitaires de type islamique qui fleurissent depuis quinze à vingt ans plongent d'ailleurs en partie leurs racines dans l'affrontement entre les deux Grands.

Moscou d'abord puis Washington ont largement tenté de forger à travers certains régimes ou partis politiques des idéologies militantes islamiques à leur convenance: marxisantes, anti- impérialistes, révolutionnaires et sociales pour l'URSS;

conservatrices, antidémocratiques et en lutte contre l'athéisme marxiste pour les Etats-Unis. Les religieux dans la révolution iranienne ont d'ailleurs extraordinairement bien réussi à jouer sur les deux types d'islam et à mettre sur la défensive les deux Grands. En Afghanistan, la lutte contre l'occupant soviétique finit par favoriser la surenchère islamique, alimentée par les influences pakistanaise, saoudienne iranienne et même soudanaise, et à rendre encore plus difficile toute solution du conflit.

Mais l'islam n'a pas été seul en cause. La résistance à l'oppression soviétique en Pologne s'est faite par une véritable résurrection catholique, dont se sont émerveillés tous les démocrates laïcs occidentaux. L'Eglise de Rome a d'ailleurs si bien travaillé en profondeur les sociétés d'Europe de l'Est, au nom de la lutte contre le communisme, que ressurgissent aujourd'hui les rancoeurs entre catholiques d'un côté - jusqu'en

1918 sujets de l'Autriche-Hongrie marqués par la culture

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allemande - et orthodoxes de l'autre - sujets ottomans ou russes durant de longs siècles).

Les guerres balkaniques de la fin du siècle dernier et du début de ce siècle sont demeurées inachevées, aucun des groupes ethniques n'ayant pu réaliser l'ambition de tout Etat se voulant national, à savoir homogénéiser la population de son territoire et étendre ses frontières pour inclure toutes les personnes de même ethnie. Sur ce plan, la guerre froide a gelé des conflits que des grands Etats-nations européens coloniaux et la Russie tsariste avaient provoqués dès le XIXème siècle pour étendre leur influence.

Les replis identitaires actuels dans les sociétés de l'Europe danubienne et balkanique ne sont donc par beaucoup d'aspect historiques gommés des analyses, que la continuation des mouvements dits «nationaux» déclenchés par la France, l'Angleterre et la Russie au XIXème siècle. Les puissances occupantes dans les Balkans, alliées ou ennemies, ont par deux fois, à l'occasion des deux guerres mondiales, manipulé à loisir les dirigeants des micro-Etats mis en place à la fin du siècle dernier, aggravant les conflits. C'est donc une histoire inachevée, si malheureuse soit-elle, qui reprend inéluctablement son cours une fois le glacis soviétique disparu.

Si les grands Etats européens, de même que les Etats-Unis, sont aujourd'hui passifs, c'est qu'ils ont été pris de court. En particulier, les Etats membres de la CEE ont réagi sans aucune vision commune, divisés par d'anciens clivages et par le souvenir de leurs actions historiques contradictoires et de nature coloniale dans les affaires balkaniques. La CEE a donc été paralysée politiquement et moralement dans la crise yougoslave. Ce fut le cas de la France, dans les tragiques événements du Liban.

I Voir à ce sujet le dossier sur le problème du renouveau religieux dans les pays de l'Est dans Europ. avril-juin 1992.

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Ainsi toutes les valeurs démocratiques dominantes qui font l'orgueil des Etats-Unis et de l'Europe de l'Ouest ne parviennent pas à empêcher la Yougoslavie de flancher; ni peut-être l'Ukraine et la Russie de se déclarer demain la guerre, ni l'Ukraine et la Roumanie de s'affronter à propos de la Moldavie ou de la Bessarabie. L'envoi de quatorze mille

«casques bleus» sans l'existence d'un consensus sur une solution pour tous les Yougoslaves n'a pas réussi à éviter une extension des violences. Le coût financier de cet envoi est très élevé, et le précédent de la FINUL au sud du Liban n'est pas très encourageant: en l'absence de volonté ferme des grands Etats démocratiques qui dominent la scène internationale de restaurer l'indépendance et l'intégrité de l'Etat libanais face à Israël et à la Syrie, la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL) n'a pas été en mesure de remplir son mandat.

On peut s'interroger sur la nature des replis identitaires en Europe slave et balkanique dans un contexte où le modèle de démocratie libérale triomphe partout. La différence entre catholiques et orthodoxes permet-elle, à elle seule, de parler d'ethnies distinctes, comme on a tenté de la faire à propos du Liban pour les chrétiens et les musulmans enracinés dans le même terreau culturel depuis des siècles? le panserbisme autoritaire du dirigeant serbe, M. Milosevic, aurait-il pu perdurer dans un contexte où les valeurs démocratiques et libérales des droits de l'homme deviennent de plus en plus les valeurs dominantes?

Pourquoi, en sens inverse, là où une spécificité islamique perçue comme très forte par les démocraties européennes aurait dû provoquer de violents conflits, c'est-à-dire dans les Républiques dites «musulmanes» de l'ex-Union soviétique, rien jusqu'ici ne s'est produit, en dehors du Tadjikistan et du conflit du Haut-Karabakh, où Arméniens et Azéris s'affrontent pour le contrôle d'un territoire enclavé? Contrairement à toutes les «brillantes» prédictions, non seulement l'éclatement de l'URSS n'est pas venu de secousses provoquées par des replis identitaires islamiques, mais ces Républiques «exotiques» des

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confins russes ont massivement voté en 1990 pour le maintien de l'UnionI.

Par leurs attitudes hésitantes et inquiètes face à ce qui est perçu comme un vide de puissance dans ces régions, les Etats- Unis et l'Europe semblent appeler leurs vœux des interventions

« islamiques» dans les affaires de ces Républiques: Coran d'Arabie saoudite, laïcité de la Turquie, influence iranienne pour contenir les Azéris dans le conflit du Haut-Karabakh, etc.

Comme si, là encore, il fallait manipuler l'identité par le biais du religieux, quitte à engendrer des poussées de fièvre par la suite incontrôlables au lieu d'œuvrer à une généralisation des comportements et des aspirations démocratiques et donc laïcs.

Il faut en fait remonter plus loin encore pour comprendre les paradoxes que nous vivons et qui sont inscrits au cœur même de la problématique de l'Etat moderne et des valeurs démocratiques. En effet, entre les droits individuels et les droits collectifs d'une communauté dite « nationale », le patrimoine de la culture démocratique n'a jamais réussi à se déterminer.

L'essence de l'être mythologico-politique qu'est la nation n'a jamais pu être détectée clairement, et c'est pourquoi le

nationalisme n'a que trop souvent dégénéré en mysticisme belliqueux, sinon en racisme ravageur.

C'est d'ailleurs ce qui a donné naissance à la fin du XIXe siècle à un repli identitaire prôné par le mouvement sioniste. En dépit de toutes les promesses de la démocratie triomphante à cette époque, le sionisme s'est forgé dans l'affaire Dreyfus, dans les pogroms d'Europe centrale et de Russie, enfin dans l'indicible Holocauste. L'Etat d'Israël qui en est issu a naturellement développé lui-même une vision stratégique du Proche-Orient visant à favoriser l'explosion de tous les malaises identitaires afin d'encourager l'émergence de micro-Etats sectaires: maronite, druze, alaouite, chiite, etc?

I On se souviendra du célèbre best-seller d'Hélène CARRÈRE D'ENCAUSSE, L'Empire éclaté, PUP, 1990.

2 Voir notre analyse des principaux textes israéliens à ce sujet dans « La balkanisation du Proche-Orient entre le mythe et la réalité », Le Monde

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En fait, les démocraties de l'Occident partagent très souvent cette vision morbide et pessimiste de l'identité. Il est à la mode dans la culture moderne, par opposition au siècle des Lumières, d' « essentialiser» la moindre différence religieuse ou ethnique, dès qu'elle se manifeste en dehors des Etats- nations du monde «civilisé ». Entre la promotion des droits individuels et celle des droits collectifs de communautés ethniques ou religieuses, la réflexion démocratique reste encore prisonnière d'émotions, de passions, d'exotisme et de mythologies, dès lors qu'il faut analyser les évolutions hors de l'Europe de l'Ouest. Certains vont même jusqu'à décourager de l'utilité de penser non seulement le monde extra-européen, mais surtout le poids historique des relations inégales entre démocraties occidentales et le monde inquiétant et violent des

«barbares »1. Pourtant, plus que jamais aujourd'hui, les problèmes de replis identitaires n'expriment que les avatars de valeurs démocratiques qui se cherchent encore.

Le XIXe siècle des rivalités coloniales et nationales n'en finit plus en fait de mourir dans les soubresauts sanglants du XXème siècle. Même dans les cas, souvent clairement identifiables, où un groupe humain a été longtemps et de façon systématique opprimé par un autre, les replis identitaires qui en résultent ne servent trop souvent qu'à masquer les ambitions de puissance politique et matérielle de certains individus violents et peu scrupuleux ou de minorités agissantes qu'ils entraînent dans l'aventure. Leur action jette ceux même qu'ils prétendent protéger ou libérer dans les tourbillons de la violence, des massacres et des déplacements forcés de populations.

L'exploitation démagogique des droits collectifs, qu'il s'agisse de communautés ethniques ou religieuses, est une machine qui broie ces mêmes communautés impitoyablement. Combien de Liban et combien de Yougoslavie faudra-t-il encore pour que la culture démocratique de cette fin de XXème siècle retrouve

diplomatique, janvier 1983. repris dans notre ouvrage Liban: les guerres de l'Europe et de l'Orient, Folio-Actuel. 1992.

I Cf Jean-Christophe RUFIN, L'Empire et les nouveaux barbares, Lattès, 1992.

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enfin l'esprit du siècle des Lumières et arrête de penser la démocratie sur le mode colonial, quelle que soit l'élégance des nouveaux masques sous lesquels il secache?

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Première partie

Dynamiques identitaires et géopolitiques dans les relations entre le Monde arabe

et l'Europe

*

.

Communication faite au Colloque organisé par le CIDOB (Centre d'Informacio i Documentatio Internationals a Barcelona) en novembre 1997 sur le thème de l'immigration et des problèmes d'intégration des immigrés en Europe. Les actes du Colloque ont été publiés dans Revista CIDOB d'Afèrs Internationals, n° 43-44, décembre 1998/janvier 1999, fundacio CIDOB.

Zaragoza.

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La notion de dynamique identitaire est devenue un concept

« fourre-tout », employé intensivement et sans discernement. Il brouille donc, trop souvent, l'analyse proprement politique des nombreux conflits en Méditerranée ou dans d'autres zones géographiques. Son envahissement a atteint tous les prismes d'analyse et imposé son monolithisme aux médias comme aux cercles académiques. La dynamique identitaire est devenue la clé d'explication, non seulement des conflits entre sociétés, mais des malaises à l'intérieur des sociétés, y compris les sociétés européennes les plus industrialisées. Comme le suggère l'intervention de M. Delgado qui a précédé la mienne', l'identité est devenue un produit de consommation culturelle, une « mise en scène» qui s'étend à divers domaines.

J'irai moi-même plus loin, en tant qu'économiste, pour dire qu'il s'agit d'un « business », extrêmement prisé dans les médias et les universités. Ce « business» fait l'objet de nombreux financements: bourses d'études, reportages, chaires universitaires, lancement à grand frais d'ouvrages et d'expositions. Il y a une très forte production et consommation de « manifestations identitaires» qui est venu remplacer celle des idéologies qui a dominé la scène mondiale depuis la Révolution française. L'anthropologie, dans ses aspects de type colonial les plus criants, structure cette nouvelle production identitaire. Le culturalisme et l'essentialisme qui caractérisent si fortement les nouvelles philosophies conservatrices, et qui légitiment la nouvelle vague anthropologique, ont envahi tout le spectre de la culture contemporaine. L'idéologie du marché global trouve ainsi un contrepoids qui fait parfaitement illusion, souvent chez ceux qui se réclament encore des idées de gauche

I Manuel DELGADO RUIZ, Dynamiques identitaires et espaces publics, Colloque CIDOB de novembre 1997.

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et que l'on trouve, en règle générale, à l'avant-garde des mouvements militants identitaires.

Par ailleurs, il ne fait pas de doute non plus que la tendance académique et médiatique dans ce domaine est très fortement influencée par l'approche des Etats-Unis dans l'analyse des conflits de type identitaire. Les Etats-Unis sont, en effet, très marqué par la question des rapports entre la population d'origine européenne et la minorité d'origine africaine. Leur tendance naturelle est de considérer que les conflits identitaires ont une origine dans des. différences ethniques et anthropologiques irréductibles, et que le fonds du problème n'est pas politique ou social dans les tensions entre groupes d'origine ethniques différentes. I

Qu'est-ce qu'une identité collective? Aux origines des dynamiques identitaires en Méditerranée

Il Y a aujourd'hui, paradoxalement, une absence de réflexion sur la notion d'identité elle-même. La vision d'une stabilité et d'un monolithisme des identités collectives est celle que l'on trouve la plus répandue implicitement dans tous les discours, sous l'effet du culturalisme et de l'essentialisme anthropologique ambiants. On est toujours bien en peine de définir le noyau central d'une identité: s'agit-il du religieux, du linguistique, de l'ethnique, de la nation et, dans ce cas, dans quelle acceptation du concept de nation? C'est en général un de ces facteurs qui sera privilégié, sans que l'on explicite la raison du choix ainsi fait, et le facteur choisi qui est le plus à la mode aujourd'hui est l'identité religieuse. Ainsi, pour expliquer les conflits qui déchirent la Méditerranée, on ira jusqu'à parler de géopolitique de l'islam, du chiisme, de l'orthodoxie.

IOn verra sur ce point, P. BOURDIEU et L. WACQUANT, « Sur les ruses de la raison impérialiste», Actes de la recherche en sciences sociales. n° 121- 122, mars 1998, article qui montre très bien l'influence multi-forme de la pensée anthropologique et sociologique américaine sur l'ensemble des recherches et des analyses sur les conflits et tensions dans le monde.

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Peu de personnes se posent la question de savoir si l'identité est stable ou mouvante dans le temps et dans l'espace et, surtout, si elle fonctionne de façon complexe ou monolithique. Or, à notre sens, une des caractéristiques de la modernité est la capacité de changement rapide de l'identité collective, en raison même de la complexité sur laquelle elle est bâtie. L'identité, à notre sens, fonctionne non pas sur un noyau identitaire central et monolithique, mais sur une série d'identités partielles que l'on peut assimiler aux tiroirs d'une armoire. Ces identités sont celles résultant de l'appartenance familiale, régionale, sociale, professionnelle, idéologique, sportive, etc.; la religion ou la langue n'étant qu'un élément d'identité à l'intérieur de cette constellation d'autres facteurs identitaires, en fait non moins important que l'identité religieuse. A notre sens, cette approche de l'identité tiroir constitue une approche politologique beaucoup plus riche et féconde que celle de l'anthropologie.

De plus, dans ce cadre, on ne peut manquer de se pencher sur le système de pouvoir exercé dans chaque société; c'est lui, en effet, qui organise ou influence le plus fortement la structuration de l'identité. C'est pourquoi, il est fondamental d'analyser le fonctionnement du pouvoir établi, ainsi que celui de mouvements d'opposition au pouvoir en place et leurs jeux

« identitaires» pour conforter la légitimité existante ou, au contraire, la détruire et asseoir une légitimité nouvelle. Dans ces jeux croisés de légitimité, qu'il s'agisse des conflits à l'intérieur

d'une société ou des conflits entre Etats, l'affirmation d'idéologies « identitaires» fortes remplace, de plus en plus, le jeu plus classique, au cours des dernières décades, de heurts d'idéologies proprement politiques et sociales. Cette analyse est donc essentielle pour comprendre le fonctionnement moderne de l'identité collective.

On remarquera qu'autrefois, avant la Révolution française, l'identité d'une population était sa caractéristique régionale et linguistique, dont le pouvoir ne s'occupait pas. Les populations passaient d'un souverain à l'autre sans que cela ne constitue un problème. La culture en Europe était transethnique, le savoir

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n'était pas « nationalisé », c'est à dire devenu spécifique à telle ou telle groupe linguistique; bref, on ne distinguait pas entre une culture italienne ou française ou anglaise ou germanique.

C'est la mise en place progressive des Etats nationaux qui a amené à la fragmentation de la culture.l Pour être légitime, le pouvoir devait être craint et juste et les souverains dominaient des populations aux identités linguistiques et ethniques très différentes sans que cela ne pose un problème particulier de cœxistence entre elles.

La conception des royaumes ou des républiques comme devant être adossés à des populations à l'identité homogène est le double produit des guerres de religions entre catholiques et protestants en Europe, puis des guerres révolutionnaires et révolutions dites nationalistes. Le fait que la « nationalité », c'est à dire l'identité ethnique et religieuse des détenteurs du pouvoir souverain, doive coïncider avec celle de la population homogénéisé dans un même moule est une caractéristique principale de la culture européenne moderne qui s'est mise en place progressivement entre le début de la Renaissance et la Révolution française. L'invention de la notion de minorité ethnique ou nationale ou religieuse est le produit du développement de cette conception monolithique de l'identité collective et du pouvoir qui doit lui servir de support. Pour justifier de l'idée de J'existence naturelle de «nations », l'identité collective dans une société donnée doit devenir à la fois homogène et monolithique. 2

Le concept de la nation, cependant, dans ses différentes acceptations, reste très brumeux, qu'il s'agisse de la conception française, allemande ou anglo-saxonne. L'élément messianique et religieux en est rarement absent, même si dans le cas français le messianisme national est devenu au XIXè siècle totalement laïc, triomphant d'ailleurs des conceptions catholiques de la

I Sur ce processus, on pourra se reporter à G. GUSDORF, La révolution galiléenne, Tome J, chapitre J, Payot, Paris, J968.

2Nous avons largement développé cette analyse dans notre ouvrage L'Europe et l'Orient, De la balkanisation à la libanisation. Histoire d'une modernité inaccomplie. La Découverte, Paris, J989.

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nation française, fille aînée de l'Eglise. Le thème biblique de l'élection de la nation est omniprésent dans tous les mouvements nationalistes modernes, en particulier dans le nationalisme américain. Chaque nation se voit investie d'une mission, d'un destin particulier qui la distingue des autres nations et lui donne des privilèges dans l'ordre international, dont celui de coloniser et « civiliser» les autres peuples.

Cette évolution de la culture et des perceptions sur l'identité rend illégitime les systèmes de pouvoir bâtis sur le pluralisme identitaire. L'empire Austro-hongrois et l'empire Ottoman ne survivront pas à la Première Guerre mondiale, guerre « nationale» totale. C'est de cette évolution que naît la

« Question d'Orient» au XIXe siècle en Méditerranée.

L'abondante littérature européenne sur la Question d'Orient nous offre d'ailleurs un réservoir très riche des modes de perception de l'altérité qui me paraissent encore aujourd'hui être très vivants dans les dynamiques dites identitaires autour desquelles on légitime les conflits géopolitiques en Méditerranée. On peut faire ici un énoncé rapide de quelques préjugés et modes de penser que beaucoup d'observateurs, journalistes ou universitaires, continuent d'adopter

inconsciemment du fait de la prégnance de l'importante littérature sur la Question d'Orient.

- l'Islam, synonyme de «Turc », était vu comme l'élément identitaire central hors de l'Europe chrétienne; c'est l'ennemi du progrès et de la civilisation. L'héritage de Renan avec ses conceptions racistes sur l'esprit sémite, incarné dans l'Islam reste encore très prégnant, du fait de la stature culturelle très rayonnante qu'à eu cette homme de lettres et archéologue français.

- les Russes rêvent d'accéder aux mers chaudes et utilisent, dans leur politique d'expansion territoriale, le panslavisme et le christianisme orthodoxe hostile aux peuples catholiques ou protestants d'Europe de l'Ouest.

- l'Islam est un fait social global et total, une monolithique dont les comportements sont

société guidés

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exclusivement par le Coran et la Sunna; en conséquence, les Etats islamiques ont une tendance naturelle à écraser les nombreuses minorités, nations anciennes en voie de résurrection grâce à l'Europe (maronites du Liban, Chaldéens d'Irak, Arméniens, Hellènes, Roumains, etc.)

- les Balkans sont une poudrière du fait de la mixité de populations différentes.

La liste des problèmes que l'on retrouve dans tous les anciens manuels de la Question d'Orient est encore celle qui nous occupe encore aujourd'hui:

- Bosnie-Herzégovine - Albanie et Macédoine

- Statut du Liban et de ses communautés religieuses - Statut des Lieux-Saints et retour des Juifs en Palestine - Question arménienne

- Question kurde

- Rôle et statut régional de l'Egypte dans le «concert»

des grandes puissances

Si l'expansion de l'idéologie socialiste, la Guerre froide et la décolonisation en Méditerranée ont pu faire oublier durant quelques décades l'agenda de la Question d'Orient, tel que façonnée par l'anthropologie coloniale et les grandes thèses racistes de Gobineau ou Renan, celui-ci est aujourd'hui plus que jamais à l'ordre du jour, qu'il s'agisse des rapports gréco- turcs, de la question de la Macédoine, du sort de la Bosnie dans l'éclatement de la Yougoslavie, de la question kurde en Turquie (et en Irak), du statut diminué du Liban, de la Palestine et du statut des Lieux-Saints, du conflit chypriote, de la question du Kossovo, de la place de l'Egypte dans le monde arabe et de son statut d'alliée privilégiée des Etats-Unis.

La fin des conflits idéologiques à caractère laïc et profane, tels que la décolonisation puis la Guerre froide les avaient structurés et fonnulés, a entraîné en Méditerranée une explosion de conflits qualifiés «d'identitaires », sans que la moindre 28

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analyse des ressorts historiques et géopolitiques de ces nouveaux conflits ne soit menée. Il est intéressant de noter combien la géopolitique de ces « nouveaux» conflits recoupe celle des conflits tels qu'analysés dans tous les manuels de la Question d'Orient du XIXè siècle ou du début du siècle. La dynamique de ces conflits retrouve, à peu de choses près, la même que celle qui existait au début du siècle et les analyses reprennent le ton et l'approche anthropologique essentialiste qui était celle des grandes puissances européennes. L'irruption triomphale et hégémonique des Etats-Unis, vainqueurs de la Guerre froide, en Méditerranée, ne change pas fondamentalement les données du problème, ceux-ci reprenant le flambeau de la Grande-Bretagne impériale, avec son soutien le plus ferme et le plus constant.

Les Arabes dans les dynamiques identitaires de la Méditerranée

Dans les jeux de la géopolitique et des identités collectives, les Arabes sont passés d'une situation de conscience identitaire éclatée et dormante au début du XIXe siècle à l'affirmation d'une identité nationale forte au milieu du XXe siècle, puis à un nouveau reflux qui entraîne une involution de la conscience collective sous le coup des défaites militaires, pertes de territoire et déchirements entre Etats arabes eux-mêmes.

Sujets d'empires non arabes depuis des siècles, les Arabes d'Orient (Machrek) et d'Occident (Maghreb) n'avaient plus que des identités provinciales des allégeances familiales. Dès le premier quart du XIXe siècle, un cheikh d'AI Azhar, Rafa'at al Tahtawi, suite à un séjour en France, introduit dans la culture arabe la notion de patrie à propos de l'Egypte et celle de la nécessaire égalité entre musulmans et non-musulmans dans la même société. Un peu plus tard dans le siècle, face à la persistance de l'agression coloniale européenne et à la supériorité technologique et culturelle que l'Europe affirme avec éclat en Méditerranée, de nombreux penseurs, dont des

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hommes de religion, appelleront à une réforme religieuse des pratiques de l'Islam. La décadence est perçue comme celle de l'Islam (tous peuples confondus) par rapport à l'Europe chrétienne. Mais certains de ces penseurs (Al Kawakibi, en particulier) attribueront cette décadence au fait que le Califat est passé des mains des Arabes à celles des Turcs qui ont moins le souci des arts, des sciences et des lettres que les Arabes. Dans l'ensemble, cependant, pour faire face à la pression de l'Europe, qui paraît mener une nouvelle croisade en Méditerranée contre les « peuples musulmans », les Arabes réclament une solidarité islamique accrue, d'un côté, mais aussi la reconnaissance par le pouvoir turc ottoman du droits des Arabes à leur langue et leur culture, ainsi que leur participation, dans un cadre décentralisé, à la gestion des affaires de l'empire, d'un autre côté.

La fin de l'empire Ottoman, le contrôle franco-anglais sur toutes les provinces arabes de l'empire, la mise en place d'un Foyer national juif en Palestine suite à la déclaration de Balfour (1917), sont les ingrédients de base qui vont cristalliser progressivement une conscience nationale pan-arabe (et non plus pan-islamique), en particulier au Machrek. Il s'agira, à la fois, d'un phénomène politique et culturel, qui sera couronné, dans les années cinquante et soixante, par la domination de trois courants politiques révolutionnaires le nassérisme, le baa'thisme, le Mouvement des nationalistes arabes. Un peu partout dans le monde arabe des coup d'Etat interviendront sous l'influence de ces courants, tous les trois fortement anti- impérialistes et laïcs et se réclamant de la grandeur passée des Arabes et de la richesse de leur patrimoine culturel.

Le nationalisme arabe a toujours été très décrié, du côté européen, qui y a vu un phénomène artificiel, stimulé par la politique soviétique en Méditerranée. Les échecs retentissants des régimes arabes se réclamant de l'une ou l'autre de ces idéologies, l'impossibilité de concrétiser une solidarité durable entre eux, ont, évidemment, nourri le discours de ces analystes réfutant l'existence d'une identité collective arabe susceptible de s'incarner dans l'ordre politique. Il est intéressant de noter que les analyses occidentales de cet « échec identitaire»

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reprennent la plupart des arguments que l'on continue de trouver dans la littérature des mouvements islamistes, tous hostiles au nationalisme arabe, considéré comme un obstacle sur la voie d'une solidarité islamique, seule capable, à leurs yeux, de faire front à l'hégémonie occidentale. Pour les uns comme pour les autres, l'échec du nationalisme arabe est dû au fait qu'il résulterait de l'idéologie nationaliste et laïque européenne, artificiellement importée d'Europe, sur des structures mentales, religieuses et anthropologiques populaires qui seraient imperméables à la laïcité et l'idée démocratique. Le monde culturel islamique, le seul dont les Arabes seraient familiers, ne peut dans cette vision des choses accepter les notions modernes de liberté individuelles et de citoyenneté qui seraient le monopole du monde occidental. Le monde musulman auquel appartiennent les Arabes serait, par définition anthropologique axiomatique, un monde où seul compterait la solidarité familiale et clanique sous l'autorité charismatique d'un chef à forte légitimité religieuse.

Il est évidemment aisé de répondre à ces arguments que l'Occident et son allié israélien dans leur politique impérialiste en Méditerranée ont tout mis en œuvre pour faire échouer les essais de construction de l'indépendance et de l'unité des pays arabes. De l'expédition de Suez en 1956 contre l'Egypte et le régime nassérien à la Guerre du Golfe en 1991 contre l'Irak, la thèse du complot impérialiste permanent contre les Arabes n'est pas dénué de certains fondements. L'anti-arabisme paraît, sur ce plan, avoir remplacé l'ancienne phobie anti-turque que l'on trouve dans tous les essais sur la Question d'orient. Si le « pan- islamisme» de certains mouvements intégristes ou de l'Iran peut aussi servir d'épouvantail, le discrédit de l'arabité et du nationalisme arabe que l'on trouve dans la littérature sur le monde arabe est total en Occident. Chez les Arabes eux~mêmes, il est peu d'auteurs Uournalistes, professeurs, chercheurs, écrivains) qui se hasardent encore à tenter de réveiller la flamme du nationalisme arabe laïc. En réalité, sous l'influence de l'Arabie Séoudite et des moyens financiers considérables dont elle dispose, la culture arabe profane, extrêmement vivante

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dans la poésie, le théâtre, le roman (Naguib Mahfouz), a connu une éclipse au profit d'une culture de l'Islam dans tous les domaines. Le phénomène dit de « réislamisation » des sociétés arabes est intéressant et mériterait de plus longs développements, mais, comme nous allons le voir, il s'est inscrit dans le cadre de jeux géopolitiques. I

Il n'en reste pas moins vrai, au-delà des arguments pour l'une ou l'autre thèse (artificialité du nationalisme arabe finalement rejeté, de façon spontanée par les populations ou répression armée et terrorisme médiatique et intellectuel contre ce nationalisme laïc par l'impérialisme occidental ou les régimes autoritaires locaux soutenus par l'impérialisme), que la réalité des Etats arabes mis en place par les puissances coloniales européennes, suite à l'effondrement de l'empire Ottoman au début du siècle, s'est révélée plus forte, jusqu'ici, que toutes les aspirations populaires arabes à plus de dignité, de justice et d'unité ou de solidarité. Actuellement, s'est effacé des mémoires le succès connu au milieu du XIXe siècle par les idées socialistes et tiers-mondistes qui ont coloré les aspirations à l'unité arabe hors d'un cadre islamique plus large. Cette disparition a été aidée par de nombreuses actions dite de

« réislamisation» des sociétés arabes, ainsi que d'autres sociétés musulmanes du tiers-monde. Parmi ces actions, la création de fondations religieuses finançant le port du voile des femmes, l'impression et la distribution gratuite de livres religieux parmi les plus réactionnaires, la création de nombreux journaux quotidiens, hebdomadajres ou mensuels traitant des questions religieuses et du nationalisme musulman, la multiplication des émissions religieuses dans les radios et les télévisions, la création de banques dites « islamiques », le financement de chaires d'histoire islamiques par les riches hommes d'affaires arabes ou les princes et rois de la péninsule Arabique, la mise en place de comité destinés à proposer des

I Nous avons tenté une analyse de cette « réislamisation », telle qu'instrumentalisée dès l'origine avec le soutien actif des Etats-Unis, dans Le Proche Orient éclaté. folio/histoire, Paris. 2000, chapitre 20.

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changements dans les législations pour les rendre plus conformes à la sharia islamique, etc.

Toutes ces actions, largement financées par l'Arabie Séoudite, se sont inscrites dans le cadre de la dernière phase de la Guerre froide où les Etats-Unis ont soutenus partout des mouvements identitaires religieux, si marginaux et extrémistes soient-ils, pour contribuer à la lutte contre l'extension de l'influence soviétique et des différentes formes d'idéologie marxiste. L'Arabie Saoudite et le Pakistan, qui ont tous deux pour idéologie d'Etat l'intégrisme islamique, ont été les instruments privilégiés de cette politique. Ils ont été à l'origine de la mise sur pied de l'organisation de la Conférence des Etats islamiques (1969), ont multiplié les aides financières et militaires aux Etats abandonnant le socialisme et le neutralisme positif et adoptant des régimes basés sur l'adoption de la loi coranique et l'interdiction des partis marxistes. Sous leur impact, la guerre d' Afghanistan devint une guerre entre l'Islam et le marxisme athée au lieu d'être une lutte de libération nationale de caractère laïc.

La révolution religieuse iranienne, même si elle a pris une tournure anti-américaine qui n'était pas prévisible au départ, a ajouté une dynamique supplémentaire à cette vague très politique d'islamisation de la vie culturelle et sociale des Arabes, par l'impact de voisinage qu'elle a eue avec les pays arabes. Cet impact a été dû, bien plus, à la résonance prise par l'idéologie de défense des « opprimés» et de défiance vis à vis de l'impérialisme occidental que par un regain d'identité islamique spontané. D'ailleurs, l'aspect chiite et iranien du khomeinisme aurait dû, aux critères de l'essentialisme anthropologique, n'avoir aucun impact sur le monde arabe, majoritairement sunnite et historiquement hostile aux ambitions et politiques de puissance perses dans la région. En fait, le khomeinisme, combinant un anti-impérialisme traditionnel avec un anti-marxisme et une hostilité totale à la laïcité de la vie politique, a été plus efficace, dans le mouvement de réislamisation des sociétés arabes, que l'intégrisme islamique en provenance d'Arabie Séoudite, trop marqué par la

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soumission de la politique séoudienne aux intérêts des Etats- Unis au Moyen-Orient

C'est cette évolution qui a amplifié en Méditerranée, mais aussi dans d'autres régions du monde, des crises graves de légitimité politique et de conscience identitaire où le facteur religieux a fait l'objet d'une exploitation intensive, aussi bien dans les conflits internes que dans les conflits régionaux. La première victime fut l'île de Chypre en 1974, suivie des hostilités communautaires libanaises à partir de 1975, puis de l'arrivée au pouvoir du Likoud en Israël en 1997, celle de l'Imam Khomeiny en Iran, en 1979, qui séduit par son mélange d'anti-impérialisme et de mystique culturelle religieuse à coloration chiite, l' Afghanistan en 1980, la Yougoslavie et l'Algérie en 1992, la Tchéchénie en 1994, le Kossovo en 1999, enfin la Macédoine en 2001.

Les conflits sont chaque fois analysés et présentés de façon caricaturale et brutale, comme des affrontements identitaires de type essentialistes et anthropologiques, sans relation avec les enjeux géopolitiques réels des conflits, les ambitions cruelles des chefs de guerre financés et armés de façon occulte par les grandes puissances ou des puissances régionales. Pourquoi les Tchéchènes, si bien intégrés aux structures politiques soviétiques, quelques années au paravent, se rebellent-ils contre Moscou et non, par exemple, les Daghestanais voisins?

Pourquoi tant d'armées étrangères sont-elles attirées par le conflit libanais, le plus souvent présenté comme une simple guerre civile inéluctable entre Chrétiens et Musulmans?

Pourquoi l'unité des slaves du Sud pour former le Royaume des Slaves, des Croates et des Slovènes était-elle un impératif de morale internationale en 1917 pour les puissances européennes et pourquoi la rupture de cette unité devient-elle un objectif majeur de la politique occidentale en 1991/92? Pourquoi les Slaves musulmans de Bosnie doivent-ils avoir absolument un Etat et les Arabes palestiniens non moins musulmans doivent- ils toujours rester une société sans Etat et cela en dépit des Accords d'Oslo? Pourquoi le Liban peut-il continuer d'être librement occupé par la Syrie et Israël (depuis 1978, jusqu'en

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mai 2001) alors que l'Irak fait l'objet d'un châtiment sans pareil dans les annales des Nations-Unies pour avoir occupé la ville- Etat de Koweit,. libérée depuis dix ans par une expédition militaire occidentale au cœur de la péninsule Arabique?

y a-t-il véritablement dans tous ces conflits des dynamiques identitaires ou ne s'agit-il que de jeux de puissance parfaitement profanes où l' identitaire, drapé dans le «penser correct» d'une fausse morale internationale, est mis en avant pour mieux cacher les jeux de puissance? Dans l'escalade de la production et de la consommation médiatique et académique d'identité qui voile les enjeux réels des conflits que signifie le nouveau concept de racines judéo-chrétiennes de l'Occident qui remplace celui de racines gréco-romaines qui avait prédominé depuis la Renaissance européenne et jusqu'à ces dernières années? Les fantasmes des mouvements islamiques intégristes à propos d'une croisade de nature purement religieuse que l'Occident mènerait contre les Arabes ne prennent-ils pas une, consistance certaine lorsque l'Occident laïc se découvre des racines dites « judéo-chrétiennes» Ien lieu et place des racines

« gréco-romaines» invoquées jusqu'à peu de temps? Ces fantasmes sont encore plus renforcées lorsque les Etats-Unis continuent de permettre à leurs propres citoyens de partir coloniser, pour des motifs religieux, les territoires occupés par l'Etat d'Israël en Palestine et ceci avec le soutien de nombreuses églises chrétiennes fondamentalistes.

I L'expression, employée dans ce contexte, est un non sens absolu. Le

«judéo-christianisme» désigne historiquement les petites sectes orientales qui, dans les deux premiers siècles du christianisme au Proche-Orient, ont tenté la synthèse entre l'enseignement du Christ et le judaïsme. La culture européenne, elle, n'a pas de racines judaïques, sauf à considérer l'influence de la Bible. Le christianisme a, cependant fait un usage de l'Ancien testament totalement opposé à la lecture juive de la Torah. Parler des racines judéo- chrétiennes dans l'histoire du développement de la culture européenne de la fin du Moyen-Age à la Renaissance puis la Révolution française n'a pas de fondement historique réel. Il s'agit d'un effet de mode identitaire, visant à donner un parfum religieux fort à l'Occident, qui serait en opposition à l'Islam, comme le fait si bien S. HUNTINGTON dans son ouvrage superficiel et souvent incohérent sur les guerres civilisationnelles futures dont il se fait le prophète.

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L'Union européenne tente de calmer un jeu qu'elle ne maîtrise plus en lançant l'idée d'un retour à une identité méditerranéenne. Sa préoccupation est principalement sécuritaire, puisqu'il s'agit de freiner des flux migratoires des rives pauvres de la Méditerranée, travaillées par les

« nouveaux- anciens» conflits géopolitiques. Il s'agit aussi, pour elle, d'œuvrer à l'intégration d'Israël dans la vie économique et culturelle de la Méditerranée et, peut-être, de réduire la prépondérance de l'influence américaine en Méditerranée. L'Union Européenne n'a pas, cependant, de politique extérieure commune; à l'intérieur de l'Union, les pays favorables à l'axe israélo-américain en Méditerranée font contrepoids au timide désir des pays méditerranéens de l'Union d'émanciper la Méditerranée de l'hégémonie américaine. Face à ce blocage, c'est le dialogue des cultures et des religions qui est prôné par l'Union Européenne entre les deux rives de la Méditerranée, comme si les conflits qui déchirent la région étaient structurellement dus à des différences religieuses et culturelles et non à des problèmes de puissance et d'hégémonie tout à fait profanes. Ce dialogue, plutôt que de faire avancer la solution des conflits, contribue à notre sens, à obscurcir l'analyse et la compréhension des situations conflictuelles.

Aucune appréhension de la nature véritable des conflits, qui se servent des techniques modernes de dynamisation identitaire pour voiler leurs vrais enjeux, n'est possible tant que prédomineront la mode de multiculturalisme et des gesticulations identitaires au cœur de la culture de globalisation économique et de l'idéalisation des forces du marché.

Il serait cependant erroné, à notre sens, de considérer que l'identité collective des sociétés arabes restera dans l'état d'involution qui est le sien et que les idéologies de types islamiques dans leurs diverses variantes continueront de dominer la production et la consommation d'idéologie.

Toutefois, un changement rapide n'est pas forcément à envisager, car le conflit central dans la conscience des Arabes demeure celui de la spoliation subie par les Palestiniens et de t'arrogance avec. laquette l'Etat d'Israël se c.omporte au Moyen-

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Orient. Ce conflit est amplifié dans la conscience collective par l'arrogance du comportement américain vis à vis de la population irakienne souffrante et des effets dévastateurs de l'embargo. Or, l'image de croisade de type religieux, celle d'un Occident qui se définit désormais comme judéo-chrétien, continue d'accréditer les thèses islamistes et de nourrir une

« conscience islamique» malheureuse. Il ne sera donc pas facile de sortir de ce cercle vicieux identitairel.

Cependant, pour parvenir à une appréhension de la réalité des conflits en Méditerranée, il faut au préalable une remise en ordre épistémologique qui permette de dégager un langage historique et politique cohérent, dont la rationalité s'impose à toutes les parties en cause.

Problèmes d'épistémologie:

historique au Proche-Orient

espace, temps et sujet

La plupart des questionnements méthodologiques dans le récit des événements proche-orientaux tournent autour de la délimitation des cadres de l'analyse et l'explication des problématiques fondamentales à travers lesquelles ces événements sont saisis. La plupart des confusions et des interprétations contradictoires dans le choix et la résonance à donner aux événements qu'analysent les observateurs du Proche-Orient, me paraissent, en effet, être dues à une absence de rigueur intellectuelle dans l'élaboration des paradigmes qui sous-tendent les analyses. En fait, l'analyse historique du Proche-Orient à travers son univers conceptuel spécifique et son langage a-historique est une œuvre de combat, consciemment ou implicitement, qui abuse des concepts et notions identitaires;

elle est rarement une mise à plat des langages canoniques et concepts dominants qui organisent les différents systèmes culturels à travers lesquels l'événement est saisi.

ILes attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis ont évidemment solidifié encore plus ce cercle vicieux identitaire.

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C'est ainsi qu'il faut d'abord déterminer si l'analyse est entreprise à travers la grille de lecture de la culture qui a forgé l'orientalisme occidental ou bien si elle est faite à travers celle des différents groupes ou sous-groupes des sociétés proche- orientales; dans ce cas, il faut aussi mettre en évidence, au préalable, les influences subies par ces groupes du fait de leur contact avec les valeurs de la modernité occidentale et de leur adoption des traditions de langage anthropologique plus qu'historique. Il faut aussi bien cerner les influences réciproques pouvant exister entre les concepts et langages historiques utilisés par les idéologies religieuses du fondamentalisme musulman et ceux employés par la grille d'analyse de l'orientalisme et du néo-orientalisme.

C'est en interrogeant sans cesse le langage et les concepts employés comme grille de lecture ainsi que la méthode de délimitation du champ de l'observation au point de vue de la conceptualisation de l'espace, de celle de la temporalité et, enfin, du sujet historique à observer, que l'on est amené à prendre de plus en plus de précautions et à réduire le domaine de ses certitudes artificielles. Lorsque cet exercice salutaire est accepté, il est alors possible de poser de nouvelles problématiques plus fécondes et, vraisemblablement, de parvenir à une conceptualisation historique ouverte et donc susceptible de mieux lire le contemporain dans la pluralité de ses racines historiques, enfin mises àjour. Les voies de l'avenir, qui apparaissent aujourd'hui si sombres, peuvent alors s'éclaircir.

a) L'espace

Quel est l'espace que doit saisir l'analyse contemporaine du Proche-Orient? La notion même de Proche-Orient, ne l'oublions pas, est une notion géographique relevant des modes européens de saisie de l'espace. «Near East» des Anglais ou

«Levant» (en français comme en anglais), qui ne se confond pas avec « Middle East », puisqu'il exclut l'Iran, le Pakistan et l'Afghanistan qui sont, en règle générale chez les anglo-saxons

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