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H OMME , ESPACE ET NATURE : QUELS LIENS POUR QUELLES ETHIQUES ?

III. 1.3. « Des changements ? Non, pas vraiment. »

IV.1. H OMME , ESPACE ET NATURE : QUELS LIENS POUR QUELLES ETHIQUES ?

IV.1.1. L’espace de long en large

Comme nous l’avons remarqué dans le deuxième chapitre, les rapports de l’homme à l’espace riverain s’établissent selon deux mouvements, qui se dégagent des pratiques de l’espace : l’un transversal, l’autre longitudinal.

Dans l’ensemble, nous avons pu constater que l’aspect transversal des rapports à l’espace a perdu du relief, particulièrement pour les usagers de la catégorie « ramier ». Il n’existe plus d’interdépendance entre les villages, le ramier et la Garonne : ces trois entités spatiales s’expriment maintenant de manière isolée.

Cette forte transversalité des rapports à l’espace naissait de la Garonne. Elle organisait l’espace à la manière d’un organe vital qui répand dans le reste du territoire son fluide vital. En s’asséchant et en se renfermant sur elle-même, la Garonne a perdu une partie de ses liens avec ses rives et avec la population qu’elle attirait. Même s’il existe toujours, le rapport transversal des habitants originaires et des cultivateurs au ramier est moins marqué qu’avant, tant du point de vue productif que récréatif. Là où les habitants originaires traversent le ramier pour rejoindre la Garonne, les nouveaux habitants empruntent des chemins pour se promener le long du fleuve.

A contrario, l’aspect longitudinal des rapports à l’espace prend de plus en plus de

place dans les modes d’appropriation des nouveaux habitants. L’espace riverain n’est qu’une voie d’accès pour parvenir au bord de Garonne. Cette pratique de l’espace est d’ailleurs encouragée par les collectivités territoriales, qui proposent à tous les habitants de découvrir ou de redécouvrir le « corridor », c'est-à-dire, le « cordon » écologique formé par la Garonne. Selon P. Valette (2002), nous serions entrés dans une « période charnière où les réflexions et

les actions sur les fleuves et les cours d’eau tendent à les préserver, les réhabiliter ou les restaurer ». A travers leur stratégie de réhabilitation écologique du fleuve, les institutions

69 incitent considérablement à développer cette vision longitudinale. Elles concentrent le regard des habitants sur la Garonne, en ouvrant des chemins faciles d’accès au bord de l’eau. En pensant rapprocher les hommes de la Garonne pour mieux la préserver, le CG engage en fait une séparation entre l’espace habité du village et l’espace inhabité de la Garonne. Les cheminements intermédiaires qui vont-et-viennent de l’un à l’autre ne sont effectivement pas au cœur du tracé du sentier du « corridor garonnais ». Là encore, s’ils existent déjà grâce aux petites randonnées, ces chemins ne représentent qu’un mode d’accès aux rives de la Garonne. L’espace entre le village et la Garonne est quelque peu délaissé par ce projet, qui s’éloigne donc de la possibilité de voir se redéployer des rapports transversaux avec l’espace.

IV.1.2. Obtenir une « nature-type »

Nous dégagerons ici les types de rapports à l’environnement qu’ont développé chacun des acteurs qui pratiquent l’espace.

R. Mathevet (2004) avance quatre formes de « nature » différentes suivant l’influence croissante que l’homme a sur son environnement :

- la « nature spontanée » se régule par elle-même selon des contraintes écologiques, sans que l’homme n’ait eu à intervenir ;

- la « nature recomposée » se développe seule, sur la base d’un environnement anthropique abandonné, comme une friche ;

- la « nature composée » existe du fait de l’homme, qui agit en qualité d’adjoint comme dans les environnements agropastoraux traditionnels ;

- la « nature surcomposée » est « calculée, provoquée et imposée » par l’homme, qui produit et fait fonctionner une nature factice qui nie les fonctionnements écologiques, comme dans les espaces de production.

Pour la catégorie d’habitants qui parle du « ramier », l’environnement fluvial joue le rôle de substrat productif et symbolique, qui résulte d’une nature civilisée, contrôlée, travaillée et ordonnée. Il est au fondement d’une nature « de tous les jours » qui représente un idéal perdu. Cette nature-type se réfère à la « nature composée » décrite par R. Mathevet. A titre d’exemple, la réaction des populiculteurs face à l’embroussaillement et à la diversification des cultures exprime l’idée que, pour faire exister l’ordre mis en place,

70 l’homme doit fortement s’y adjoindre. S’il s’en détache, l’espace pourrait glisser vers une « nature recomposée », propice aux ronciers qui gagnent du terrain sur l’homme, ou vers une « nature surcomposée », propice aux cultures céréalières qui sous-estiment certains fonctionnements écologiques comme les risques de crues.

Pour ceux qui parlent du bord de Garonne, les néo-ruraux voient aussi dans la nature garonnaise un support, mais cette fois, récréatif. Elle correspond à l’idée qu’ils se font d’une nature « pour tous ». L’environnement est là aussi dédié à l’homme : il accueille les moments conviviaux en famille dans un environnement propre et facile d’accès et qui plus est, nourricier (pêche de poissons, cueillette de fruits et de champignons). Ce modèle de nature correspond à la « nature surcomposée » de R. Mathevet et admet alors les projets d’amélioration soumis par les néo-ruraux, puisque ce type de nature est « calculé ». Il représente un idéal en cours de construction, reproductible à d’autres espaces aménagés où la proximité avec l’eau tient une place centrale.

Bien que l’espace riverain résulte d’une « composition » humaine c'est-à-dire, d’une construction sociale issue d’un travail anthropique, donc largement artificialisé, il est devenu dans le même temps un paysage à forte valeur patrimoniale pour les institutions territoriales. Pour ces acteurs, le fleuve et son espace riverain apparaissent comme un « front écologique », qui se définit comme « un type d’espace, réel ou imaginaire, dont la valeur écologique et

esthétique est très forte. Ces ressources écologiques sont convoitées, appropriées, voire conquises par des acteurs extérieurs à l’espace considéré » (Afeissa, 2009). Dans cette

perspective de reconquête de l’espace riverain, les idéaux-types de nature construits par les habitants passent au second plan voire, ne sont simplement pas pris en compte. Les riverains sont invités par les collectivités territoriales à visiter un espace à fort potentiel écologique et esthétique, avec l’espoir qu’ils s’investissent à leurs côtés dans cette « zone de combats » écologiques (op. cit. : 2009). Comme le propose la charte du randonneur, les habitants sont conviés à fréquenter de manière restrictive leur propre environnement. Cette démarche de « tourisme vert local » se distingue complètement de la promenade habituelle de certains riverains et du fait d’être simplement présent dans l’espace. Les habitants qui ont développé ces formes de fréquentation savent où ils vont et ne craignent pas de s’égarer s’ils ne suivent pas de balises colorées. Dans cette perspective, le terme « ramier » est instrumentalisé. C’est un argument pédagogique, qui donne un peu plus de poids à ce site en satisfaisant la soif de références historiques lointaines et vernaculaires des démarches patrimoniales. La construction d’un front, qui concentre l’attention de plusieurs acteurs institutionnels, révèle aussi la vision d’une nature « surcomposée », plus compatible avec la vision des néo-ruraux

71 qu’avec celle des habitants originaires. Cette optique cherche à reconstruire une « nature des bords de Garonne » par l’homme et pour l’homme.

IV.1.3. « Anthropo-centrisme » ou « anthropo-circonférencialisme » ?

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