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Géographie Économie Société : Article pp.63-86 du Vol.8 n°1 (2006)

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Géographie, économie, Société 8 (2006) 63-86

GÏOGRAPHIE ÏCONOMIE SOCIÏTÏ GÏOGRAPHIE ÏCONOMIE SOCIÏTÏ

L’empowerment au Canada et au Québec : enjeux et opportunités

Empowerment in Canada and Quebec : issues and opportunities

Marguerite Mendell*

University Concordia

1455 boulevard de Maisonneuve Ouest, Montréal, QC H3G 1M8, Canada

Résumé

Cet article sur l’empowerment au Québec et au Canada met l’accent sur la capacité des citoyens à créer des nouveaux espaces insitutionnels dans lesquels ils jouent un rôle décisif à travers le développe- ment de stratégies socio-économiques. En faisant référence au concept de la « gouvernance participative et empowered » d’Erik Olin Wright et Archong Fung, l’accent est mis est sur les liens entre les dimensions politiques et économiques de l’action collective dans le contexte canadien. En explorant le concept « d’em- powered participation » à travers plusieurs expériences au Canada, et en particulier, au Québec, l’article fait la distinction entre l’engagement des citoyens et les initiatives communautaires intégrées comme source d’empowerment et d’innovation institutionnelle par rapport aux autres formes de consultations publiques.

La capacité des acteurs et des réseaux d’influencer et de transformer les institutions de l’Etat au cours des dernières 20 dernières années illustre l’importance de l’empowerment et du changement social.

© 2006 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

Summary

This article on empowerment in Quebec and Canada focuses on the capacity of citizens to create new institutional spaces in which they play a decisive role in designing socio-economic development strategies. Drawing on the concept of empowered participatory governance developed by Erik Olin

*Adresse email : mendell@alcor.concordia.ca

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Wright and Archon Fung, the focus is on the links between the political and economic dimensions of collective action, drawing on several examples of citizen based initiatives in the Canadian context.

In exploring the concept of “empowered participation” through several experiences in Canada, and particularly in Quebec, the article distinguishes between citizen engagement and comprehensive com- munity initiatives as sources of empowerment and institutional innovation in contrast to the growing number of public consultations that involve broad citizen participation. The capacity of actors and networks to influence and transform state institutions to advance the public interest in Quebec over the last twenty years is an important illustration of empowerment and social change.

© 2006 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

Mots clés : empowerment, mouvements sociaux, changement social, Canada, Québec Keywords: empowerment, social movements, social change, Canada, Québec

Introduction

En termes simples, l’empowerment fait référence aux situations dans lesquelles un individu ou un groupe retrouve ou obtient du pouvoir. Comme beaucoup de terme passe- partout largement utilisés de nos jours, sa traduction n’est guère aisée, si bien que la version anglaise du mot est très généralement utilisée dans d’autres langues, à quelques exceptions près. L’empowerment prend ses racines idéologiques dans l’anarchisme, le marxisme et la démocratie jeffersonnienne ; il traite des « individus en tant que sujets actifs de leur propre histoire » (Friedman, 1992 : vi). Il a fait l’objet de luttes politiques, comme le mouvement pour les droits civiques aux Etats-Unis, la pédagogie des opprimés de Paolo Freire, les luttes féministes ou encore les mouvements étudiants de protestation, pour ne prendre que quelques exemples récents. Actuellement, l’empowerment désigne à la fois des mouvements d’opposition contestant le système de l’extérieur ainsi que des associations, des groupes, des mouvements qui inventent et construisent des alternatives participatives à l’intérieur du système, souvent en partenariat et en forgeant des alliances avec divers acteurs, y compris l’État.

On assiste de nos jours au sein de l’arène politique à un intérêt renouvelé pour la société civile, les associations, le secteur communautaire aussi bien dans les partis de droite qui appellent à une renouveau de l’implication civique en vue de remplacer l’État- providence que dans les formations progressistes qui tentent de réinventer ce même État- providence afin de tenir compte de nouvelles réalités socio-politiques dans lesquelles les associations, le secteur communautaire ou la société civile jouent un rôle de première importance2. Pour Richard Sennett, le « nous collectif » refait surface, donnant naissance à de « nouvelles politiques de l’espoir » (Sennett, 1998 : 139). D’autres auteurs, tout en reconnaissant l’importance du secteur communautaire et associatif, nous rappellent que les efforts de mobilisation sont souvent compromis du fait du paradigme dominant qui relègue ce secteur aux marges : « le développement communautaire a été la seule straté-

En français, l’empowerment ne connaît pas de traduction. En espagnol, on le traduit par « empodermiento ».

2 Dans une article récent, B. Lévesque évoque une seconde génération d’État-providence (Lévesque, 2005).

D’autres auteurs parlent d’une nouvelle configuration d’État-providence (new welfare mix) (Evers, Laville, 2004).

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gie d’empowerment et s’est parfois (sic) soldé par des dynamiques inverses conduisant à la perte de pouvoir dans le domaine des politiques luttant contre l’exclusion sociale » (Byrne, 1999 : 111). L’empowerment doit au contraire avoir pour conséquence un trans- fert substantiel de ressources, l’apparition de nouveaux acteurs sur la scène politique.

A travers le monde, l’action collective a souvent eu pour objet de revendiquer davan- tage de ressources économiques, participant ainsi à l’émergence d’un nouveau paradigme remettant en question les schèmes précédents à travers lesquelles l’allocation et la dis- tribution de ces ressources s’opéraient. Ce processus est actuellement à l’œuvre dans de nouveaux espaces publics au sein desquels la ré-appropriation démocratique des res- sources par des groupes, des associations, des mouvements sociaux, en lien avec d’autres acteurs sociaux, constitue une activité sociale dans la mesure où les citoyens négocient de nouveaux compromis économiques hybrides qui correspondent aux besoins et aux attentes de leur milieu, contestant ainsi de manière radicale la nature et les déterminants de la création de la richesse à travers de nouvelles pratiques (Laville, 2005). Au Québec et dans d’autres provinces du Canada, ces nouveaux acteurs publics contribuent à la plu- ralisation des systèmes décisionnels, à l’émergence de nouveaux espaces de régulation multi-niveaux. Ils participent d’une dynamique d’innovation institutionnelle (Mendell, 2005). La construction de ces espaces publics, de ces nouveaux acteurs constitue l’insti- tutionnalisation de nouvelles pratiques politiques, de nouvelles dynamiques communau- taires reposant sur l’empowerment qui transforment l’action collective en action publique en ce sens que les nouveaux acteurs influencent l’allocation des ressources par le biais de stratégies négociées de développement socio-économique. Pour ce faire, ces nouveaux acteurs doivent se coordonner à l’intérieur de configurations institutionnelles hybrides se développant aux niveaux méso et macro3. Cet article est structuré en deux parties.

Dans un premier temps, il aborde l’empowerment sur un plan conceptuel. Dans un second temps, il traite de la réalité québécoise et canadienne.

1. La gouvernance participative à la base de l’empowerment

Toute dynamique d’empowerment conduisant à l’augmentation du nombre de démar- ches citoyennes sur la scène politique et aux revendications qu’elles portent doit, à notre avis, avoir pour objectif la construction d’alternatives économiques démocratiques4. Les nombreux espaces et arènes dans lesquelles ces dynamiques se développent sont le résultat d’action collective, d’initiatives basées sur la solidarité qui sont portées par des groupes, des associations, des mouvements très souvent marginalisés, abandonnés par un discours et des pratiques hégémoniques qui considèrent les problèmes liés à la pauvreté et à l’exclusion essentiellement comme résultant d’un problème d’information

3 Archon Fung et Erik Olin Wright évoquent une décentralisation coordonnée et les liens recombinés entre les différents niveaux de gouvernement (Fung et Wright, 2001 : 21-22, 32).

4 Nous partageons entièrement le commentaire général de J. Friedman sur ce point très important sans pour autant minimiser l’importance des mouvements de contestation. C’est la coordination entre ces derniers et les mouvements et acteurs agissant à l’intérieur du système qui fait toute la pertinence et la force subversive de l’empowerment dans la mesure où le développement d’alternatives économiques s’ancre dans des mouvements de contestation. Cependant, la solidarité entre les divers types d’acteurs et de mouvements n’est pas toujours aisée (Mendell, 2005).

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et de coordination et pouvant être résolu par le simple jeu du marché. Cependant, avec le temps, et même s’ils continuent de tenir ce même discours intransigeant, les acteurs politiques reconnaissent de plus en plus la capacité de la société civile à contester le paradigme dominant à travers la multiplication de pratiques innovantes comme les stra- tégies de développement socio-économique de type communautaire dont les résultats sont tangibles. Si certains auteurs progressistes restent dubitatifs face à la nécessité de construire des stratégies négociées impliquant tous les acteurs locaux – les acteurs éco- nomiques et les différents niveaux de gouvernement – d’autres reconnaissent que, pour pouvoir fonctionner sur un registre démocratique, ces dynamiques doivent pouvoir s’en- raciner dans de larges coalitions et intégrer le courant qualifié de dominant (Friedman, 1992). La construction d’organisations civiques est en soi un processus social alimentant l’empowerment même s’il convient de souligner l’extrême diversité de la société civile.

L’enjeu politique consiste précisément dans l’élaboration de stratégies qui traitent de cette diversité, tout en étant centrée sur la mise en place de dynamiques alternatives ayant pour objectif de générer des logiques de développement démocratiques. Pour ce faire, l’appui de la classe moyenne est indispensable (Friedman, 1992) : « pour créer un sens moderne de la communauté, nous avons besoin de créer de nouveaux espaces publics dans lesquels des individus aux intérêts, aux ressources et aux capacités divers peuvent se rassembler, débattre, écouter et coopérer afin de trouver des objectifs communs et de développer des valeurs communes » (Leadbeater, 1997 : 24).

Sur un plan plus conceptuel, ces stratégies alternatives très ancrées localement contri- buent à une réflexion théorique sur l’économie contemporaine. Pour ce faire, on dispose certes de l’héritage laissé par les utopistes, les marxistes autrichiens, les socialistes, les auteurs ayant contribué au débat théorique des années 1920 sur la détermination des prix, sur la planification économique dans les années 1930 comme modèle alternatif au diri- gisme étatique et au libéralisme, … (Mendell, 1990). De nombreux auteurs se référent à l’œuvre de K. Polanyi comme une source d’inspiration majeure (Polanyi, 1944, 1977).

Dans son modèle de planification négociée, l’économiste contemporain P. Devine montre ainsi que la démocratie et la planification ne sont pas incompatibles et s’inspire pour cela de cet héritage pour proposer un nouveau paradigme valorisant un développement écono- mique démocratique. Le concept d’économie négociée résume l’ensemble des pratiques auxquelles nous nous référons dans cet article. Dans son livre le plus récent, J.-L. Laville considère que ce processus de démocratisation de l’économie n’est pas suffisamment analysé par les chercheurs (Laville, 2005). Or, il s’agit à proprement parler d’un proces- sus d’empowerment qui intègre différentes dimensions. En effet, les initiatives issues du milieu associatif et communautaire sont souvent interprétées comme répondant aux échecs du marché, comme un moyen de résoudre les problèmes d’externalités, de générer des emplois et des entreprises. Si ces dimensions sont essentielles dans le cadre des opéra- tions de renouvellement socio-économiques qui affectent certains espaces en particulier, le développement de la solidarité à travers l’activité économique est rarement étudié.

L’action collective a donné naissance à une pléthore de stratégies innovantes, aussi bien dans les pays du « Nord » que du « Sud », plus particulièrement au cours des 30 derniè- res années, même si certaines expériences ont une épaisseur historique plus importante.

Comme le montrent les exemples du Québec et du Canada pris dans cet article, la solida- rité (souvent fragile car elle implique des groupes sociaux en compétition) qui sous-tend

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ces initiatives a suscité de larges mobilisations qui sont indispensables à la consolidation de ces dynamiques. La solidarité est ainsi à la fois la base et le produit de ces initiatives.

Le scénario de ce nouvel enchâssement (embedding) de l’économie dans les pratiques sociales est en cours d’écriture. Il est écrit par des citoyens qui ont une connaissance très fine de leur communauté. Ce faisant, ils alimentent un processus plus large d’apprentis- sage social, un processus cognitif radical qui déplace les espaces de régulation politique et les cadres de référence. Ce processus est encore mal connu. Le travail des chercheurs, à partir de la production de monographies, est une première étape. Cependant, les pratiques émergentes sont uniquement évaluées en fonction de leurs résultats, non en tant que pro- cessus. Elles restent sous analysées et font l’objet d’une théorisation insuffisante.

Comment les nouveaux espaces publics sont-ils construits ? Pourquoi ? Les acteurs coopèrent-ils uniquement pour faire face aux crises économiques ? Collaborent-ils dans la construction de stratégies de développement économiques alternatives tout en étant conscients de contribuer à un agenda beaucoup plus large portant sur la recomposition des rapports sociaux ? L’empowerment se produit-il uniquement quand il y a transfert de res- sources vers le secteur communautaire, aux associations, vers des « publics » plus nom- breux venant de la société civile (Friedman, 1999, Laville, 2005) ? Quels sont les liens entre les dimensions politiques et économiques de l’action collective ? Ces questions appellent des réponses d’ordre sociologique permettant d’identifier ces « publics » en émergence qui structurent les espaces publics dans lesquels ce débat prend corps (Laville, 2005). Pour analyser de l’empowerment, ces questions doivent faire l’objet d’un traite- ment analytique qui permette d’évaluer leur impact sur les transformations sociétales, aussi lentes et incrémentales soit-elles.

Dans leur livre Civic Innovation in America, C. Sirianni et L. Friedland avancent la conclusion suivante : « le choix de construire un mouvement non partisan ayant pour objectif de permettre l’apprentissage critique à partir d’un ensemble de pratiques et de modèles très disparates est, à notre avis, stratégiquement sage et politiquement juste » (Sirianni, Friedland, 2002 : 261). Les deux auteurs ne minimisent néanmoins pas la com- plexité de la tâche. Dans leur analyse approfondie des innovations de type communau- taire aux Etats-Unis qui les a amenés à interroger plus de 700 personnes sur une période de 7 ans, ils ont exploré les nouvelles formes d’organisations communautaires et d’em- powerment qui ont été construites durant 40 ans d’innovation civique. Les conditions pour mener une telle entreprise scientifique existent maintenant au Canada grâce, d’une part, à la création du réseau national sur des organisations de développement économique communautaire qui a développé une alliance avec un réseau des organisations en éco- nomie sociale au Québec, d’autre part, à la publication d’une vaste enquête approfondie sur le « secteur volontaire » à l’échelle canadienne et, enfin, au soutien de fondations privées et des différents niveaux de gouvernement. Dans la mesure où le processus en cours au Canada est le reflet de la transformation de l’État-providence dans ce pays et de la nouvelle importance prise par la société civile dans un environnement socio-poli- tique en voie de reconfiguration, le travail reste encore incomplet. En se fixant l’objectif d’analyser l’empowerment, il est nécessaire de partir des mêmes questions que celles posées par C. Sirianni et L. Friedland dans leur étude. En effet, comme aux Etats-Unis, on sait que l’activisme associatif est inégalement réparti au Québec et au Canada en fonction des enjeux. D’un point de vue historique, les sociétés canadienne et québécoise

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sont caractérisées par des dynamiques identitaires et sectorielles qui sont plus facilement mobilisables qu’une myriade d’associations émergentes traitant de conditions spatiales socio-économiques particulières. Comment ces liens, si indispensables pour passer à une véritable logique d’empowerment et à un changement socio-économique important, sont- ils créés (Giugni, McAdam, Tilly, 1998) ? L’institutionnalisation des mouvements, asso- ciations et autres groupes réduit-elle leur capacité innovatrice ? Est-il réaliste de faire l’hypothèse (et d’espérer) qu’ils ont un impact sur la transformation institutionnelle et si ce que nous observons n’est pas purement contingent? Quels processus et mécanismes les organisations issues de la société civile peuvent-elles influencer5 ? Dans les faits, elles peuvent participer à la fois d’un processus d’incorporation (institutionnalisation) et de transformation de certains aspects du système social et politique. Cette situation caracté- rise parfaitement la situation au Québec et au Canada même si les dynamiques à l’œuvre restent fragiles, et justifient d’autant plus un programme scientifique qui se pencherait sur leur dimension proprement politique.

S’intéressant à l’empowerment au Québec et au Canada, cet article mobilise nombre d’auteurs qui travaillent implicitement ou explicitement sur cette notion dans leur analyse du rôle transformateur des organisations de la société civile, en particulier le travail récent de Erik Olin Wright et Archong Fung qui analysent les nouveaux espaces institutionnels hybrides de gouvernance conçus par les citoyens avec l’appui de l’État, à la fois dans les pays du « Nord » et du « Sud » (Wright, Fung, 2001 ; Fung, 2005). Leur analyse s’avère très utile pour prendre en compte le nombre croissant d’espaces intermédiaires émergents dans lesquels les citoyens ne sont pas seulement représentés mais participent activement à l’élaboration de plans stratégiques touchant l’intérêt général par exemple dans les domai- nes de la sécurité publique, de la protection des espèces animales en danger, dans les acti- vités scolaires ou encore dans la construction des budgets municipaux. On peut élargir ces exemples tirés du travail de Erik Olin Wright et Archong Fung à d’autres processus qui ne visent pas uniquement à solutionner des problèmes collectifs à court terme mais à ren- forcer les capacités d’action de communautés locales pour leur permettre, dans un second temps, de s’impliquer plus fortement dans les politiques publiques. De fait, le travail politique des organisations locales s’avère extrêmement varié et porte aussi bien sur les activités de lobbying que sur l’élaboration de stratégies intégrées de développement com- munautaire6 (Sirianni, 32) La question soulevée par de nombreux chercheurs porte sur les conditions à réunir pour renforcer l’activisme social : « la construction communautaire ne suffit pas à elle seule à revitaliser les communautés marginalisées mais aucune initiative à leur endroit ne peut aboutir sans elle » (Sirianni, 84 ; Friedman, 1992 ; Laville, 2005 ; Laville, Lévesque et Mendell, 2005, Wright et Fung, 2001). De plus, l’État a besoin de

5 Dans leur travail, C. Sirianni et L. Friedland font référence aux « hiérarchies aplanies et à la démocratisa- tion » comme supports de l’innovation à la fois dans le secteur associatif et dans les administrations publiques qui sont engagées dans des rapports de partenariat. Il s’agit là d’un des principaux enjeux qui représente égale- ment un obstacle insurmontable dans la mesure où les cultures organisationnelles en présence sont difficilement transformables. La trahison des stratégies néo-libérales a cependant eu pour résultat de forcer les administra- tions publiques à s’adapter et à changer. Paradoxalement, ce sont souvent les associations et le secteur commu- nautaire de la société civile qui résistent le plus au changement quand celui-ci est vu comme une menace.

6 Aux Etats-Unis, ces organisations ont souvent pour origine les mouvements urbains de contestation. La situation est en fait très différente d’un pays à un autre.

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nouvelles formes de légitimation car les conséquences de ses politiques sont plus incer- taines à prédire. Ainsi un cadre normatif posant la possibilité d’une co-régulation est dans l’intérêt même de l’État car il permet à ce dernier d’avoir accès plus facilement à l’information et aux connaissances sur les espaces locaux afin d’élaborer des politiques publiques adaptées. La « collaboration conflictuelle » résultante qui caractérise très géné- ralement ces nouvelles relations entre l’État et la société civile représente une stratégie de gestion de la crise qui ne répond à aucune logique propre interne à l’administration public ou aux mouvements communautaires, pris indépendamment. Il s’agit bien plutôt d’un processus évolutif, limité et complexe de gouvernance des sociétés contemporaines.

Afin de mieux comprendre les expériences qui en résultent, on a besoin d’un nouveau vocabulaire qui soit commun aux différents réseaux et arènes politiques. Pour les groupes de citoyens, ceci implique de « reconstruire des identités et de reformater l’objectif et les moyens de l’action civique » (Sirianni : 234). D’un point de vue analytique, il faut se départir d’une approche localiste et sectorielle et au contraire opter pour une économie politique de la citoyenneté qui s’intéresse au rôle productif des citoyens dans la création de la richesse privée et publique (Sirianni : 236).

Cette perspective permet d’établir un lien avec le cadre d’analyse proposé par Erik Olin Wright et Archong Fung à propos de la démocratie délibérative structurée par les démarches d’empowerment dans la mesure où ces démarches sont appréhendées à la fois sous l’angle de leur spécificité, résultat de la contingence des luttes sociales inscrites dans des espaces déterminés, et de son universalité en ce sens qu’elles questionnent la capacité des mouvements sociaux à s’agréger sur la base de revendications très générales autour de la captation de ressources économiques et du renforcement de la capacité d’ac- tion des citoyens à participer à l’élaboration partenariale de stratégies de développement alternatives avec des acteurs privés et publics. Ce processus de restructuration génère des innovations dans la fourniture de services sociaux aux communautés locales, la création d’emplois, le développement de nouveaux secteurs d’activités, la mise en place de nou- veaux outils notamment financiers, de formation, de recherche, …

Le cadre d’analyse proposé par Erik Olin Wright et Archong Fung repose sur une recherche empirique approfondie. Les études de cas y sont très descriptives, donnant à voir les processus qui sous-tendent les configurations institutionnelles dans chaque cas.

Dans la partie théorique de leur travail, les deux auteurs détaillent les principes normatifs à la base de leur modèle en insistant notamment sur la nécessaire présence de contre-pou- voir dans les nouveaux dispositifs institutionnels qui sont à la fois porteurs de cultures alternatives et à l’origine des luttes initiales. Ces contre-pouvoirs sont indispensables pour le maintien d’une démocratie vigoureuse préalable à une gouvernance fondée sur la collaboration des acteurs, de démarches d’empowerment qui renforcent les capacités d’action des groupes qui résistent à la déréglementation, à la réduction du rôle de l’État.

Ces innovations politiques et institutionnelles se développent dans des environnements décentralisés favorisant le traitement local des problèmes7. Dans le même temps, la gou- vernance participative à la base de l’empowerment, telle que formalisée par Erik Olin Wright et Archong Fung, est de plus en plus souvent utilisée par les États pour solutionner

7 Retenons de la littérature sur le réétalonnage politique (political rescaling) que les processus de décentra- lisation répondent également à des impératifs liés à l’économie de marché (Brenner, 2004 ; Jessop, 2000).

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un grand nombre de problèmes dans différents contextes institutionnels. En tant que telle, cette instrumentalisation de pratiques démocratiques peut être une source de rupture par rapport aux politiques étatiques. Au Canada, lorsque les structures intermédiaires n’exis- tent pas, les gouvernements à la fois fédéral et provinciaux tentent de créer ces instances intermédiaires permettant aux citoyens de collaborer avec des représentants de la puis- sance publique. Les gouvernements sont ainsi obligés de développer des approches inté- grées entre ministères afin de répondre aux enjeux sociaux contemporains et sont amenés à délaisser une approche sectorielle classique. Comme C. Tilly et ses coauteurs l’ont noté, l’État moderne est conscient de ses propres limites, le conduisant à adopter une approche dialogique et réflexive qui nécessite d’intégrer des acteurs non institutionnels dans le système politique (Giugni, McAdam et Tilly, 87).

La co-production de politiques publiques dans les champs de l’économie sociale et du développement économique communautaire est le résultat de négociations intenses entre militants et gouvernements (Mendell, Lévesque, 2004). Les liens recombinés entre les acteurs sociaux et les niveaux de gouvernement locaux, régionaux et national ne s’inscrit pas dans un processus linéaire. Dans le cas du Québec et du Canada, il s’agit davantage d’un processus en cours, complexe et incertain qui prend ses racines dans l’existence de contre- pouvoirs souhaitant négocier et orienter le contenu des politiques publiques. La participation sur le registre de l’empowerment a pour résultat de remettre en question le paradigme éco- nomique dominant à travers de nouvelles pratiques. Les militants jouent en l’occurrence un double rôle d’interlocuteurs des gouvernements en vue d’initier le changement et d’acteurs du changement par le biais de la diffusion de nouvelles représentations collectives qui sont par la suite traduites dans des lois et des politiques qui intègrent un nouveau vocabulaire, un nouveau discours politique. Cette démarche oblige les militants à transformer leur registre d’action et à délaisser la contestation pour au contraire assumer de participer à l’élaboration de politiques et donc participer à l’exercice du pouvoir (Sen, 2004 : 15-16).

Erik Olin Wright et Archong Fung ont produit un cadre général de compréhension des transformations institutionnelles dans lesquelles les citoyens participent activement à l’élaboration de politique publique répondant à l’intérêt général. A travers les expériences concrètes qu’ils ont analysées, ils insistent notamment sur l’existence d’un enjeu public qui est résolu par le biais d’un processus de « délibération raisonnée » entre des citoyens ordinaires actifs et des décideurs, généralement au niveau local. C’est dans cette perspec- tive que l’empowerment est véritablement porteur de changement. Choisissant un autre registre d’action que la contestation, les citoyens initient un processus de transforma- tion dans lequel ils jouent un rôle central. Leur connaissance approfondie des enjeux est considérée comme une ressource inestimable par les pouvoirs publics. Cependant, cette reconnaissance ne suffit pas. L’empowerment ne se résume pas à la seule consultation des citoyens, même si cette dimension est importante. La participation au débat public peut en effet avoir peu de conséquences sur le renforcement de la capacité d’action réelle des citoyens. De même, une forme d’accommodement élitiste à l’exercice de la démocratie ne conduit pas à l’empowerment. L’ouvrage de Erik Olin Wright et Archong Fung permet d’identifier l’enjeu réel de cette démarche qui est de conduire à des réformes institu- tionnelles créant de nouveaux espaces politiques occupés par des citoyens aux capacités d’action renforcées et réelles. Ainsi ces nouveaux acteurs contribuent à démocratiser la démocratie ou, dit autrement, à élaborer un modèle démocratique radical.

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2. Engagement citoyen et renouveau démocratique au Canada

A l’heure actuelle, au Canada, on observe un renouveau démocratique. Plusieurs pro- vinces canadiennes ont mis en place des dispositifs afin de permettre une meilleure parti- cipation des citoyens au sein des politiques publiques. L’exemple le plus récent et le plus important est celui de l’assemblée de citoyens de Colombie-Britannique dans laquelle des individus désignés au sort ont reçu pour mandat de proposer une réforme électorale.

Il s’agit d’une démarche d’empowerment particulièrement intéressante dans la mesure où des citoyens ordinaires ont pris en charge des questions qui en temps normal auraient été traitées par des experts. Même si le processus a été initié par le gouvernement provincial, son déroulement a été entièrement dans les mains de la population. Le modèle proposé par cette assemblée – le scrutin uninominal transférable – a été soumis à référendum le 17 mai 2005. Ce référendum s’est soldé par un vote très largement positif mais un taux de participation inférieur à la limite fixée (60%) pour pouvoir être valide. L’Ontario s’est lancé dans un processus similaire de réforme électorale pendant que le gouvernement fédéral a mis sur pied un comité permanent sur la réforme électorale qui constitue une réponse aux attentes de nombreuses initiatives émanant de citoyens.

De même, ces dernières années, de nombreuses provinces ont lancé des exercices de

« dialogue politique » notamment en Ontario sur la question du budget provincial en 2004, sur la gestion à long terme des déchets nucléaires. Au niveau fédéral, la Commission Romanow créée en 2002 avait pour objectif de dégager des pistes sur l’avenir du système public de santé. La réforme de ce système est au centre des débats politiques à la fois au niveau provincial et fédéral. Les discussions internes à la Commission Romanow ont été très largement commentées à travers tout le pays, plus particulièrement à cause de la déci- sion du gouvernement fédéral de ne pas donner suite à ces recommandations.

Ces exemples démontrent la variété des initiatives citoyennes qui doivent être évaluées dans le cadre plus général des démarches favorisant l’empowerment c’est-à-dire dans leur capacité à conduire à des transformations institutionnelles qui créent et solidifient de nouveaux espaces et de nouveaux rôles pour les citoyens. Les processus d’engage- ment citoyen au Canada correspondent à des dynamiques d’apprentissage collectif dans lesquels les citoyens sont invités à se pencher sur des enjeux de société sur lesquels ils n’ont pas d’opinion définitive. L’objectif est d’aller au-delà de la simple collecte de l’opi- nion publique pour favoriser un processus d’apprentissage collectif et interactif à travers lequel les enjeux sont analysés en détail afin de tenir parfaitement informé les citoyens sur les conséquences des choix collectifs (MacKinnon, 2004). Il s’agit donc d’œuvrer à une citoyenneté plus active, mieux informée, capable d’influencer l’agenda politique.

Dans certains cas, les citoyens sont invités à participer directement à la mise en œuvre de politique, par exemple dans le domaine des stratégies de réduction de la pauvreté sur une base communautaire (Torjman, 1998). Dans d’autres, on demande, soit à l’initiative des gouvernements, soit de la société civile elle-même, de formuler des recommandations à propos de sujets d’actualité. Dans tous les cas, il s’agit de favoriser l’implication des citoyens dans l’élaboration de politiques et de générer des processus d’apprentissage et de dialogue social (Torjman, 2004).

Un certain nombre d’initiatives ont été prises par certaines organisations indépendan- tes dans le domaine de la recherche et par des organisations non gouvernementales. Parmi

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celles-ci, le Réseau canadien de recherche sur les politiques publiques (RCRPP) occupe une place importante dans le domaine des réflexions sur l’engagement communautaire.

Dans une série de rapports produits par le RCRPP sur la « nouvelle architecture sociale », les auteurs se sont intéressés aux transformations du marché, de l’État, des communautés et de la famille, c’est-à-dire aux quatre sources de bien être dans les sociétés contempo- raines (Jenson, 2004). Parmi les réflexions sur ces transformations, les auteurs ont mis de l’avant l’importance pour les canadiens de faire valoir leurs points de vue sur les modifi- cations de leur environnement socio-économique et politique par le biais d’une série de forums à travers le pays. Cette initiative peut être considérée comme participant d’une démarche d’empowerment. En évaluant cette dynamique particulière, les chercheurs ont ainsi révélé la tension existante au sein de la population entre les attentes très fortes en matière de participation active aux affaires publiques et le faible taux de participation lors des élections (Abelson, Gauvin, 2004), tension qui illustre les limites de la démocratie représentative. De même, ces recherches ont montré que les processus de consultation et de participation qui n’ont aucune incidence sur le contenu des politiques alimentent le cynisme généralisé l’endroit de la sphère politique. Il y a donc lieu d’utiliser avec circonspection et précaution des termes comme « engagement citoyen » ou « démarche citoyenne » qui sont des expressions particulièrement à la mode ces dernières années mais qui n’aboutissent pas toujours à un véritable processus d’empowerment et, de ce fait, alimentent le désaveu à l’égard de la « chose politique ».

2.1 De l’empowerment civique à l’empowerment économique

Les individus sont des agents du changement social. Ils ne sont pas des acteurs pas- sifs contraints par leur environnement institutionnel. Il existe un grand nombre d’expéri- mentations institutionnelles qui remplacent les formes hiérarchiques de gouvernement au profit de processus délibératifs dans lesquels des représentants des secteurs public, privé, populaire et communautaire négocient la formulation de stratégies socio-économiques, tout particulièrement dans les régions en déclin. Au Canada, et en particulier au Québec, ces forums institutionnalisés se sont multipliés ces 20 dernières années et ont eu des impacts importants à la fois sur le gouvernement provincial et fédéral. En tant que sous- système de régulation émergents (Amin, 2001), ces arrangements institutionnels remet- tent en question les formes classiques de gouvernance dans la mesure où ils fonctionnent à la fois sur un registre horizontal et vertical. Compte tenu de leur diversité, l’ensemble du tableau peut paraître incohérent et donne à voir un patchwork de stratégies localisées situées à la marge des principaux modes de régulation sociétale, ayant peu de rapports entre elles et sans impact majeur sur les institutions en place. Cependant, l’analyse de ces processus et des réagencements institutionnels auxquels ils donnent lieu permet de met- tre à jour les « formes organisés de désordre » (Hollingsworth 2001 : 613) ou encore le

« désordre dans l’ordre » (Amin, 2001 : 567) qui caractérisent la complexité institution- nelle des sociétés contemporaines. Pour paraphraser, K. Polanyi, ces dynamiques illus- trent « la liberté de changer les institutions ». Il s’agit de formes de résistance qui font au delà de revendications en faveur d’espaces politiques et de ressources, au delà d’une politique contestatrice visant à négocier de nouveaux arrangements sociaux avec une plu- ralité d’institutions qui s’entrecroisent et ce faisant contribuent à rendre plus floues les

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limites entre société civile et institutions publiques. Le résultat est un mélange d’arran- gements politiques, sociaux et économiques qui varient d’une communauté à une autre à l’intérieur des régions du Canada et entre les pays. Ceci s’opère à différents niveaux de gouvernement dans le cadre de réseaux de politique publique faisant intervenir une pluralité d’institutions.

Ces configurations institutionnelles sont le résultat d’un processus de co-évolution (Paquet 1999), d’une combinaison d’apprentissage et de résilience, d’adaptations cultu- relles dans la mesure où les acteurs les plus habitués à la logique de confrontation chan- gent de registre pour faire le choix d’une démarche collaboratrice permettant d’atteindre des objectifs partagés. L’expérience montre que l’incorporation de groupes, de mouve- ments sociaux, d’associations dans des espaces institutionnels dans lesquels ils cohabi- tent et travaillent en partenariat facilite la transition vers des modes de gouvernance plus démocratiques. L’institutionnalisation de ces pratiques et processus aide également à leur intégration dans l’agenda politique (Giugni, McAdam et Tilly, 1998). Conscient de ses limites, l’État se tourne vers les acteurs non institutionnels et participe aux innovations institutionnelles en initiant des processus de co-régulation, tout spécialement lors que des initiatives venant de la société civile en matière de développement socio-économique réussissent là où des politiques publiques ont échoué. Des exemples de ce type existent dans plusieurs régions canadiennes et depuis peu sont promus au niveau fédéral du fait de la reconnaissance récente de l’importance de l’économie sociale8. Cette dynamique est davantage présente au Québec en raison de la forte présence des mouvements sociaux et du réseautage des acteurs qui sont capables de négocier directement avec les différents niveaux de gouvernement en parlant d’une seule voix.

Les acteurs locaux transforment leurs communautés en réclamant davantage de savoir, en luttant contre le discours dominant qui pose le caractère inévitable de l’adaptation au néolibéralisme et à travers des pratiques innovantes dans un contexte institutionnel dans lequel le dialogue et la négociation transforment les régimes de gouvernance, remettant en question l’autorité de l’État. Les organisations de citoyens, les mouvements sociaux, les associations sont les architectes de ces nouveaux sous-systèmes de gouvernance parti- cipative. Ils instituent des processus de démocratisation économique, ré-enchâssent l’éco- nomie dans son contexte social, élaborent des stratégies durables qui correspondent aux attentes et aux besoins des communautés locales et développent les outils les plus adap- tés pour ce faire. La propriété collective, l’entrepreneuriat social, l’investissement social entrent ainsi en compétition avec la propriété privé et le profit individuel.

2.2 Les initiatives communautaires intégrées

Il s’agit de démarches communautaires adaptées à la résolution de problèmes sociaux, économiques et environnementaux. Elles incorporent des processus de gouvernance par- ticipative impliquant différents types d’organisations, secteurs d’activités, des citoyens et l’Etat, misant sur l’expérience locale, sur l’expertise et la connaissance locale. Elles génèrent de nouvelles ressources nécessaires à la prise de décision stratégique élaborée

8 Le gouvernement fédéral a explicitement reconnu le rôle de l’économie sociale dans le discours du Trône du Premier Ministre de 2003 faisant suite à l’élection de Paul Martin.

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au niveau local (Torjman, Levitan-Reid, Cabaj, 2004). Contrairement aux démarches citoyennes, elles ne reposent pas sur des consultations élargies. Elles nécessitent un cadre institutionnel permettant la négociation, le débat et les prémisses d’une stratégie de développement socio-économique reflétant les besoins des communautés locales. Elles requièrent une innovation institutionnelle. Cette approche remet en question les théo- ries en vigueur sur la création de la richesse qui considèrent l’allocation des ressources comme l’un des produits du libre marché et la fourniture de services sociaux comme une obligation étatique. Elle démontre la capacité transformatrice de la collaboration et du partenariat entre citoyens. La lutte contre la pauvreté est très souvent l’enjeu de ces dyna- miques qui concerne tous les membres d’une communauté. Or, les citoyens peuvent être mobilisés pour contribuer à l’élaboration du bien commun concernant leur communauté.

Dans cette perspective, les pauvres ne sont pas les cibles passives de programmes gouver- nementaux ; ils doivent être inclus dans un processus qui transforment leur vie9.

Le Canada compte de nombreux exemples d’initiatives communautaires intégrées0. C’est au sein de ces espaces institutionnels de gouvernance participative horizontale que les liens nécessaires entre la santé, l’éducation, l’emploi et le développement durable, entre des dynamiques sociales et économiques sont créés ; liens que ne peuvent construire les gouvernements de manière cohérente à un niveau macro.

Le développement économique communautaire (DEC) représente une initiative com- munautaire intégrée qui agrège des objectifs sociaux, culturels, économiques et écolo- giques. On compte environ 3000 organisations ou initiatives de ce type au Canada. Le DEC permet aux acteurs locaux de se faire entendre et de faire connaître les besoins des communautés locales : « le DEC peut être défini comme des mesures prises par des acteurs locaux pour créer des opportunités économiques et rehausser la qualité de l’environnement social de leur communauté sur une base durable et inclusive, particu- lièrement vis-à-vis de ceux qui sont les plus marginalisés. Il repose sur l’idée que les problèmes auxquels sont confrontées les communautés – sous-emploi, pauvreté, perte d’emploi, dégradation environnementale – ont besoin d’être traités sur une base holis- tique et participative » (http://www.ccednet-rcdec.ca).

9 Voir par exemple le chapitre de G. Baiocchi dans l’ouvrage de Erik Olin Wright et Archong Fung sur l’empowerment des populations pauvres dans le processus d’élaboration du budget participatif de Porto Alegre (Baiocchi, 2003).

0 Pour ne citer que les plus connus, on peut faire référence au RESO à Montréal (voir plus loin), au British Columbia, au Community Social Planning Council à Victoria et le Saskatoon au Core Neighborhood Council en partenariat avec le Saskatoon Anti-Poverty Coalition and Saskatchewan Social Services. Au Manitoba, le gouvernement provincial a créé le Community Economic Development Committee of Cabinet. Le Nova Scotia Sustainable Community Initiative agrège les gouvernements fédéral, provincial, municipal et les Premières Nations. Pour plus de détails sur ces initiatives, on peut utilement se référer au site internet du Caledon Institute on Social Policy and Tamarack Institute (Torjman, Leviten-Reid, Cabaj ; Toye, Infanti, 2004).

Il existe plusieurs travaux qui remettent en question l’idéologie dominante portée par l’école néo-classi- que et sa tendance à séparer l’économique du social. On a déjà fait référence au travail de K. Polanyi. Les tra- vaux de A. Sen ont conduit à la création de l’Indice de Développement Humain qui a établi un lien direct entre la santé, l’éducation, la nutrition et la discrimination dans le renforcement des capacités des individus. Celui de J. McKnight sur les initiatives communautaires a été très influent pour permettre d’aller au delà du modèle qui se concentre sur les besoins et les déficiences des communautés à bas revenu en élaborant de nouveaux outils comme le community mapping qui est en soi une procédure contribuant à l’empowerment (McKnight, 1995).

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Beaucoup d’initiatives en DEC font l’objet d’une institutionnalisation de la part de l’État dans le cadre de structures hybrides. D’autres ont été créées par des orga- nisations de la société civile en partenariat avec l’État et le secteur privé. Ainsi, en 1987, le gouvernement fédéral a reconnu le besoin de planifier ces initiatives en créant le Community Futures Development Corporations (CFDC) c’est-à-dire des associations sans but lucratif dont l’objectif est de renforcer les capacités d’action des communautés locales, dans les régions rurales. Il s’agit d’une « initiative visant au renouveau économique, assistant les communautés rurales du Canada dans la mise en œuvre d’initiatives innovatrices adaptées à un environnement économique en voie de transformation. Cette approche repose sur l’idée que la prise de décision locale est la clé qui permet aux communautés locales de concevoir leur avenir » (http://www.

communityfutures.ca). Les CFDC fournissent de l’assistance technique, de la forma- tion et des prêts. Elles initient un processus de planification stratégique et produisent des études de faisabilité relatives au DEC. Les chercheurs participent activement à la production de connaissances sur les communautés et à la structuration du système décisionnel. Les CFDC jouent également un puissant rôle de levier dans la captation de ressources budgétaires additionnelles.

Il s’agit d’instances partenariales impliquant tous les acteurs locaux dans l’iden- tification des priorités locales. Un groupe informel canadien a été créé en 2000 qui structure un réseau de 268 CFDC à travers le pays. Cette démarche faisait suite à la création en 1999 d’un autre réseau national – le Réseau canadien de développement économique communautaire (RCDEC) – institué à l’initiative d’acteurs de la société civile oeuvrant dans le domaine afin d’élaborer un « agenda communautaire » et de légitimer cette pratique en tant que stratégie efficace de développement socio-écono- mique. Son objectif est de promouvoir le développement communautaire et de s’en faire le défenseur. Le RCDEC fournit à ses membres des informations, un état des lieux des pratiques, des études de cas, de nouveaux outils de développement et plus généralement se fait l’avocat de ce type de développement auprès de l’opinion publi- que et des acteurs gouvernementaux (Toye, Infanti, 2004). A la suite d’une consulta- tion généralisée menée en 2000-200, le RCDEC a produit un cadre politique national.

La création de ce réseau a créé de nouvelles possibilités qui n’existaient pas aupa- ravant par exemple en rendant possible l’institutionnalisation de structures hybrides associant les différents niveaux de gouvernement, le secteur privé et la société civile dans les domaines de la lutte contre l’exclusion sociale, de la revitalisation socio-éco- nomique aussi bien en milieu rural qu’urbain.

Le soutien des trois niveaux de gouvernement (fédéral, provincial et municipal) au développement économique communautaire est variable selon les régions. Une étude menée en 2003 par le RCDEC montrait que 5 ministères fédéraux et 4 agences de déve- loppement régionale venaient en appui au DEC. Une étude similaire menée en 2002- 2003 révélait que 12 des 13 provinces et territoires que compte le Canada s’étaient engagées en faveur du DEC, 8 d’entre eux ayant mis en place des politiques particuliè- res. De même, les municipalités s’impliquent dans le secteur. Cependant, malgré cette implication gouvernementale, les programmes sont bien souvent contingents à une communauté spécifique et non coordonnés entre eux. Il est également indéniable que l’augmentation de ce type d’initiative démontre l’intérêt pour les différents niveaux de

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gouvernement d’ouvrir de nouveaux champs de politique2. De plus, les acteurs com- munautaires jouent un rôle central dans la formulation des programmes locaux, dans la co-production de politiques innovatrices.

Si le nombre d’initiatives relevant du DEC est en constante augmentation, la réalité de ce secteur est plus connue d’un large public, on sait encore peu de choses sur les capacités transformatrices du DEC. C’est la raison pour laquelle le RCDEC a lancé un programme de recherche de 2 ans et demi visant à mieux comprendre comment le DEC contribue à la lutte contre l’exclusion sociale (Toye, Infanti, 2004). Même si les nouvel- les conditions de l’exclusion sociale remettent en question la pertinence des indicateurs dont on se servait auparavant pour mesurer la pauvreté, l’objectif du RCDEC avec ce programme de travail est de faire connaître les cas et les programmes efficaces, qui ont connu un succès réel et ainsi de permettre une meilleure circulation de l’information entre les acteurs locaux. L’absence d’évaluation et de mesure précise de l’impact réel du DEC est en soi un paradoxe qui s’explique par le fait que les militants oeuvrant dans le secteur se sont donnés pour objectif de mettre l’accent sur les résultats concrets et visibles pour inscrire le DEC au cœur de l’agenda politique des différents niveaux de gouvernement. Il s’agissait de modifier les pratiques politiques afin de promouvoir l’empowerment des individus et des communautés locales. Cet objectif a été atteint mais la nécessité de justifier l’efficacité des initiatives relevant du DEC est toujours présente. Il faut, donc, jouer sur deux registres : un qui rend visible les acquis des ini- tiatives en DEC, un autre, plus réflexif, qui porte sur la manière d’augmenter la capacité du DEC à atteindre les populations exclues.

L’acquisition et la transmission du savoir est un processus social qui peut être compris comme s’inscrivant dans une démarche d’empowerment (McCormick, 2004). Selon R. Williams, pour qu’un changement s’opère, il est nécessaire de faire appel à l’imagination des acteurs de telle sorte qu’ils croient que ce changement est possible13. Ce processus n’est guère aisé dans des milieux confrontés au déclin économique et miné par le désenchantement par rapport aux politiques gouverne- mentales. Cependant, on sait à partir des pratiques d’éducation populaire que l’ex- périence quotidienne des individus mobilise l’imaginaire individuel et collectif et peut être un puissant vecteur d’apprentissage. Aussi, l’un des projets du RCDEC qui s’intitule « des collectivités dynamiques » a été initié par le Tamarak Institute, le Caledon Institute of Social Policy et la Fondation McConnell en partenariat avec le gouvernement fédéral. L’objectif de ce programme est de renforcer les capacités d’action des communautés locales en regard des problématiques très complexes que sont la réduction de la pauvreté et la revitalisation économique (Torjman, Levitan- Reid, Cabaj, 2004).

Prenant son inspiration dans la table-ronde sur le développement communautaire inté- gré organisé par l’Institut Aspen en 1992, ce programme lancé en 2002 s’étale sur 4 ans et

2 Le secrétariat à l’économie sociale récemment créé à l’intérieur du Ministère du développement social est responsable du secteur. Le gouvernement a alloué 134 millions de dollars canadiens à l’économie sociale : 100 millions sous forme de capital d’investissement, 17 millions pour le développement des compétences (capacity building) et 15 millions pour favoriser la recherche/action sur l’économie sociale (Mendell, Lévesque, 2004).

13 Cité dans Harvey, 2000.

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concerne 4 villes canadiennes4. La nature des enjeux qui y sont abordés est très variable, d’une province à une autre. Y sont traités notamment les questions d’accès au logement mais aussi des thématiques plus transversales comme la transmission du savoir des acteurs de terrain vers les décideurs et le renforcement de la capacité des communautés locales qui résulte d’un tel processus. Il s’agit de délibérations multi-sectorielles impliquant des représentants de la sphère économique, des syndicats, des organisations communautaires, des citoyens et des acteurs gouvernementaux. Le projet est coordonné par un secrétariat national. Les villes qui y participent partagent leurs stratégies à travers un site internet mis à jour mensuellement et qui abrite un espace de discussion virtuel (Torjamn, 2004).

De nouveaux outils et de nouveaux cadres de référence comme les modèles de définition communautaire de la pauvreté, le community mapping ou encore de nouveaux indicateurs socio-économiques sont élaborés à l’intérieur de cette vaste procédure de concertation.

L’intégration des expériences et des innovations réalisées dans chacune des villes partici- pantes à travers la mise en place d’un réseau d’information permet la mise en œuvre d’une démarche ascendante valorisant le local et construisant une nouvelle épistémologie du développement à partir des communautés locales. Le plus important est la participation de 10 ministères fédéraux à cette démarche qui les oblige à délaisser leur logique d’interven- tion sectorielle pour au contraire favoriser une approche intégrée.

Les espaces institutionnels dans lesquels se développe le projet constituent des envi- ronnements favorables à l’apprentissage collectif, tout particulièrement de la part des autorités gouvernementales. La valeur ajoutée de ce programme consiste indéniablement dans la mise en réseau d’expériences locales qui auraient été isolées sans lui (Torjman, Levitan-Reid, 2004). Les très nombreuses initiatives locales à travers le pays et dans les différentes régions demandent en effet à être reliées institutionnellement. Ce projet constitue ainsi une première étape importante dans la mesure où la constitution de cette mise en réseau représente une décision politique essentielle qui participe de l’empower- ment des communautés locales en les sortant de leur isolement et en les transformant en espaces politiques à part entière.

De nombreuses expériences de développement communautaire intégré au Canada ont pris comme exemples les pratiques mises en place au Québec. Les références au Québec et aux mouvements sociaux qui ont structuré ces pratiques sont très fréquentes.

Le développement économique communautaire s’y est développé en pleine crise éco- nomique dans les années 1980. Des militants sociaux ont tout d’abord agi dans les quar- tiers ouvriers frappés par le chômage et la pauvreté à l’instar des actions qu’ils avaient menées dans les années 1960 dans les secteurs de la santé et des services sociaux15. Le secteur du développement économique constituait un domaine entièrement nou- veau pour ces acteurs. La transformation d’une logique de confrontation avec l’État

4 Ce programme intègre un sous-programme « genre et pauvreté » afin de prendre en compte et de mieux traiter la dimension sexuée de la pauvreté. Des femmes à bas revenus participent ainsi dans les activités de recherche et au sein des ateliers de ce sous-programme.

15 Les cliniques communautaires ont été à l’origine des Centres Locaux de Santé Communautaire (CLSC) à travers le Québec. Il aura fallu 30 ans pour que les Centres de la Petite Enfance qui permettent la garde des enfants en bas âge et relèvent de cette même logique communautaire institutionnalisée par le gouvernement provincial, restent toujours autonomes et dirigés par des comités des parents. Ils sont actuellement menacés par la position de l’actuel gouvernement de Québec qui veut privatiser ce secteur parmi d’autres.

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québécois et le secteur privé en une logique de collaboration a été rendue possible par le fait que le leadership de cette césure a été assuré par des militants engagés du côté des mouvements sociaux. Il était dans l’intérêt général de travailler de concert afin de transformer des communautés locales très durement frappées par la crise. Ces militants ont été les architectes de cette transformation. Ceci a également été possible en raison du climat politique qui régnait au Québec et qui invitait les principaux acteurs de la société québécoise à élaborer un modèle de développement reposant sur la notion de concertation, ce mode de médiation recevant par la suite la dénomination de « modèle québécois » qui incluait alors l’Etat, le secteur privé et les syndicats. A partir de cette période, le Québec s’est distingué du reste du Canada par plusieurs « révolutions tran- quilles » qui ont accordé à la société civile une influence et une crédibilité importante comme partie prenante au développement de l’économie québécoise6. L’implication directe des acteurs communautaires dans la revitalisation économique des quartiers en difficulté et dans les régions périphériques de la province à partir des années 1980 marque le début d’un processus d’innovation institutionnelle, de construction de nou- veaux espaces politiques oeuvrant au changement économique et social. Les initiatives communautaires intégrées ont représenté au Québec des réponses pragmatiques visant à solutionner des situation d’urgence. Elles sont devenues, chemin faisant, des sous- systèmes de gouvernance participatif enchâssés dans la société québécoise.

Prenant exemple sur les Corporations de Développement Communautaire créées dans les années 1960 aux Etats-Unis dans le cadre de la politique de l’adminis- tration Johnson de « guerre contre la pauvreté » (voir l’article de M.-H. Bacqué dans ce volume), des citoyens montréalais ont institué la première Corporation de Développement Economique Communautaire (CDEC) en 1984 à Pointe-Saint-Charles située au Sud-Ouest de la ville, dans un quartier qui avait été le creuset de l’indus- trialisation au Canada mais qui, dans les années 1980, était confronté au marasme économique et aux affres de la transition post-fordiste, au même titre que les autres villes du Nord-Est du continent américain, et pour lequel les modèles d’intervention classiques de l’État s’avéraient inadaptés. Les fermetures d’usine, la stigmatisation ont été des problématiques majeures. Pour les habitants et les entreprises restants dans ces quartiers, la collaboration avec les militants et les responsables syndicaux (la plupart des entreprises de ces quartiers connaissant un fort taux de syndicalisation) constituait la seule solution envisageable. Les trois niveaux de gouvernement allaient

6 La « révolution tranquille » qui débute dans les années 1960 représente un point tournant pour la société québécoise jusqu’alors dominée par l’église catholique dans tous les aspects de la vie sociale et économique.

Ce processus historique a reposé sur la construction d’un État provincial fort, centralisateur et la création de plusieurs sociétés d’Etat dans différents secteurs économiques. L’économie sociale a une longue histoire au Québec. Le mouvement coopératif était déjà un acteur important de la scène provincial au début du XXe siècle avec la création du Mouvement Desjardins qui est actuellement la principale institution financière coopérative au Québec. De nombreuses coopératives ont émergé dans les années 1930 formant ainsi ce que l’on qualifie d’« ancienne économie sociale » qui allait se transformer dans les années 1970 pour donner naissance à la

« nouvelle économie social » à la faveur d’un renouveau de la dynamique coopérative initié par la société civile.

L’implication directe des syndicats de salariés au début des années 1980 dans le développement économique à travers la création du Fonds de Solidarité des Travailleurs (euses) du Québec, le premier fonds de solidarité contrôlé par un syndicat de salariés, a transformé les syndicats en partenaires économiques puissants pour solu- tionner la crise économique renforçant leur rôle dans le « modèle québécois de concertation ».

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également s’associer à la création de cette première CDEC. Deux autres allaient être créées deux ans plus tard17.

On compte actuellement 15 CDEC à travers le Québec qui sont coordonnés par deux réseaux dont l’objectif est d’être les porte-parole du développement économique com- munautaire, InterCDEC pour la région de Montréal et le Regroupement des CDEC du Québec pour le reste de la province. Les CDEC ont établi des liens étroits et systématiques avec les différents niveaux de gouvernement ce qui les distingue des autres initiatives en DEC au Canada qui en général entretiennent des relations ponctuelles et contingentes avec les autorités gouvernementales. Il s’agit d’un des enseignements tirés d’une étude du RCDEC mené sur l’ensemble du territoire canadien et qui montre que les acteurs locaux regrettent très souvent l’absence d’un régime politique cohérent venant en appui à leurs initiatives. La situation est donc différente au Québec où un tel régime existe et constitue l’une des traductions du « modèle québécois de concertation ». L’institutionnalisation des relations entre les syndicats, le gouvernement municipal, les acteurs locaux depuis plus de 20 ans rend très difficile la remise en question de ces structures hybrides que sont les CDEC, quel que soit le parti politique au pouvoir au niveau fédéral et provincial.

L’expérience de Pointe-Saint-Charles constitue une référence en matière de dévelop- pement économique communautaire aussi bien au Québec qu’au Canada. Le RESO est une organisation locale dynamique qui arrive à concilier son engagement en faveur de la

« participation de la communauté dans l’identification de ses priorités, de ses activités et du développement de projets dans le Sud-Ouest »18 et son implication dans la conduite de projets de rénouvellement urbain de plusieurs millions de dollars canadiens. La croissance et l’évolution du RESO n’a pas été sans peine car il a fallu gérer politiquement une tension évidente entre l’objectif initial qui était de sauver des quartiers en extrême difficulté par le biais de la participation populaire et l’apprentissage de nouveaux savoir-faire comme la gestion de portefeuille d’activités très larges. C’est notamment cette transition qui fait du RESO un exemple pertinent illustrant la façon dont le développement communau- taire peut concilier des registres d’action apparemment inconciliables et contradictoires19. Dans la mesure où le RESO est devenu un acteur crédible, il participe activement dans de nombreux projets de revitalisation urbaine. Certains d’entre eux ont été très fortement contestés par les habitants du Sud-Ouest et ont du être abandonnés. D’autres ont réussi à concilier les impératifs démocratiques et la poursuite de logiques commerciales20. Pour ce faire, le RESO organise régulièrement des assemblées dans lesquelles les habitants

17 Il s’agit du CDEST dans Montréal-Est créée en 1985 et du Centre-Sud/Plateau-Mont-Royal en 1986 qui couvre un large territoire située sur un axe Nord-Sud traversant Montréal. En 1987, à la suite de fermetures d’usines dans le sud-ouest de la ville, des habitants de ces quartiers ont formé Urgence sud-ouest et le Comité pour la Relance de l’Economie et de l’Emploi dans le sud-ouest de Montréal (CRESSOM) en proposant d’agré- ger les différentes initiatives existantes dans 6 quartiers. Cette démarche allait donner naissance au RESO (Regroupement pour la relance économique et social du sud-ouest)

18 http://www.resomtl.com

19 Le RESO constitue l’un des exemples les plus fréquemment cités mais il convient également de mention- ner les 56 sociétés d’aide au développement des activités (CFDC au Canada) qui interviennent dans les régions rurales du Québec et qui agissent selon des modes opératoires comparables.

20 Il s’agit notamment du projet du Canal Lachine qui traverse la totalité du Sud-Ouest de Montréal et qui fédère des initiatives privées et de l’économie sociale (portées par des coopératives ou des entreprises sans but lucratif) dans les secteurs touristiques et de la culture.

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des quartiers du Sud-Ouest ainsi que des représentants du secteur privé et des différents niveaux de gouvernement sont invités à faire valoir leur point de vue sur les projets en cours afin d’aboutir à des compromis.

En tant qu’arrangements institutionnels innovants permettant une forte implication du public, le RESO et les CDEC constituent des exemples particulièrement pertinents de démocratie participative et délibérative. Il s’agit de sous-systèmes institutionnels repo- sant sur l’empowerment qui sont porteurs de revendications politiques en faveur d’une meilleure allocation des ressources économiques. Le développement des quartiers dans lesquels les CDEC sont implantées se pense et est négocié selon le même cadre de réfé- rence qui prévalait déjà dans les années 1980 et 1990 alors que les conditions étaient très différentes. Les premiers outils de développement social et économique, comme le financement communautaire, la formation à l’entrepreneurariat, la promotion des entre- prises communautaires et l’économie sociale restent à la base de l’activité des CDEC. Les quartiers du Sud-Ouest de Montréal connaissent actuellement une seconde transforma- tion relative à la gentrification face à laquelle les habitants résisteraient beaucoup moins bien si des structures comme le RESO qui génèrent un espace public de délibération et de négociation n’existaient pas.

Le mouvement en faveur du développement économique communautaire au Québec a du faire face ces dernières années à des menaces de réduction du soutien budgétaire du gouvernement provincial et au risque d’être supplanté par de nouvelles structures régio- nales et locales mises en place dans sa politique de décentralisation. Ce mouvement a cependant survécu grâce en grande partie à sa légitimité politique et à son inscription dans la société civile québécoise. Cependant, les CDEC agissent actuellement dans un envi- ronnement politique et administratif en voie de décentralisation2 avancé qui a tendance à revenir à des pratiques très classiques en matière de développement économique local. Le maintien de la dynamique communautaire demande davantage de négociation même si les acteurs locaux ont acquis une expérience non négligeable pour faire valoir leur point de vue alternatif au sein des nouvelles structures. Ainsi, les risques d’instrumentalisation de ces nouvelles instances locales et régionales en faveur d’un agenda servant avant tout les intérêts de la libre entreprise sont freinés du fait de leur présence. Fait notable, les CDEC survivent à l’hostilité du gouvernement actuel de la province du Québec à l’égard des ini- tiatives de la société civile et d’un mode de gouvernance privilégiant la délibération22.

Le développement économique communautaire agit sur les représentations collectives et mobilise « l’imagination des individus afin qu’ils pensent que le changement est possible ».

C’est la raison pour laquelle ces expériences ne sont pas qu’éphémères car dépendantes uniquement du soutien des autorités gouvernementales ou encore des risques que fait peser

2 En 1997, le Parti Québécois, alors au pouvoir, a créé les Centres Locaux de Développement sur l’ensemble du territoire provincial sur la base du modèle des CDEC mais accordant plus de poids aux élus locaux dans ces nouvelles structures. Dans les régions où des CDEC existaient déjà, elles ont rempli le rôle des nouveaux CLD au risque de se voir imposer une approche bureaucratique et technocratique de leur mode de gouvernance.

22 En 2003, le Parti Libéral Québécois a institué les Conseils Régionaux des Elus (CRE) qui réduisent très fortement le rôle de la société civile dans l’élaboration des stratégies locales et régionales de développement au profit des élus locaux qui pilotent ces nouvelles structures, tournant ainsi le dos à ce qui avait été à la base du modèle québécois de concertation. Cette décision s’intègre dans un vaste plan de « réingénierie » décidé par le Premier Ministre afin de transformer la nature et le fonctionnement de l’État au Québec.

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