• Aucun résultat trouvé

Les savoirs écologiques des chasseurs de gibier d'eau girondins : étude de leur validité pour une gestion de l'avifaune des zones humides.

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "Les savoirs écologiques des chasseurs de gibier d'eau girondins : étude de leur validité pour une gestion de l'avifaune des zones humides."

Copied!
288
0
0

Texte intégral

(1)

UNIVERSITE DE PAU ET DES PAYS DE L’ADOUR

Ecole Doctorale 481, Sciences Sociales et Humanités

Laboratoire « Société, Environnement, Territoire » UMR 5603 – CNRS/UPPA

THESE

Pour obtenir le grade de Docteur de l’Université de Pau et des Pays de l’Adour Discipline : Géographie spécialité aménagement

Sébastien FARAU

Soutenue publiquement le 29 février 2016 à 14h00

LES SAVOIRS ECOLOGIQUES DES CHASSEURS DE GIBIER D’EAU GIRONDINS :

ETUDE DE LEUR VALIDITE

POUR UNE GESTION DE L’AVIFAUNE DES ZONES HUMIDES

Sous la direction d’Yves Poinsot

Professeur à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour

Présenté devant un jury composé de :

Véronique ANDRÉ-LAMAT, Maître de Conférences, Université Bordeaux-Montaigne Examinatrice Xavier ARNAULD DE SARTRE, Chargé de recherche HDR, CNRS Examinateur

Jean-Paul MÉTAILIÉ, Directeur de recherche, CNRS Rapporteur

Daniel WEISSBERG, Professeur, Université de Toulouse Jean Jaurès Rapporteur Yves POINSOT, Professeur, Université de Pau et des Pays de l’Adour Directeur

(2)

2

(3)

3

REMERCIEMENTS

Je tiens à adresser mes premiers remerciements aux membres du jury qui me font l’honneur d’évaluer ce travail. Un grand merci à Messieurs Daniel Weissberg et Jean-Paul Métailié, rapporteurs de cette thèse, ainsi qu’à Madame Véronique André-Lamat et Monsieur Xavier Arnauld de Sartre, tous deux examinateurs. Tous ont passé du temps à relire ce travail, dans des plannings où les disponibilités sont rares.

Je remercie également chaleureusement et sincèrement Yves Poinsot, directeur de recherche de cette thèse. Le chemin fut long, souvent fastidieux et encore plus sur la fin, et j’ai pleinement conscience que ce travail n’aurait pu aboutir sans lui. Nos intérêts pour certaines thématiques de recherche nous amèneront peut-être à continuer à échanger. Cela sera fait, en tout cas, avec plaisir.

Ma situation contractuelle a fourni un contexte très particulier à cette thèse mais m’a aussi permis de l’enrichir de certaines facettes qui auraient été, autrement, difficiles à dessiner.

Je remercie tout d’abord la Fédération Départementale des Chasseurs de la Gironde, son Président Henri Sabarot, et son conseil d’administration, d’avoir accepté de financer cette thèse.

Les thématiques étaient nouvelles pour le « monde de la chasse » et je reste convaincu de la pertinence de ce choix. De fait, je me dois également de remercier les deux cofinanceurs de cette thèse, la Fédération Nationale des Chasseurs ainsi que le Conseil Général de Gironde. Mes remerciements vont également au Groupement des Associations de Sauvaginiers de la Gironde, qui m’a permis d’effectuer deux colloques internationaux très enrichissants, mais j’y reviendrai.

Mes remerciements s’adressent aussi à l’ensemble de mes collègues de la FDC33 pour les moments passés pendant les trois premières années de cette thèse, et celles d’avant, et encore celles d’aujourd’hui. Merci à Caro pour les multiples aides dont les cartos à distance, Laetitia pour pas grand-chose, Christine pour les gâteaux, Stéphane pour tes savoirs et savoir-faire dont je reste admiratif, Julien pour les bonnes chasses, de l’histoire au coup de fourchette… La liste est longue et comporte même des chiens, merci à tout le monde, pour ces années passées, ponctuées de bons moments et d’anecdotes.

Etant donné qu’ils ont quand même rythmé mes journées pour préparer une bonne partie rédactionnelle de cette thèse, le soir et les week-end, merci à tous mes nouveaux collègues de la Fédération Départementale des Chasseurs de la Vendée. En Gironde, nous avons – notamment - de meilleurs vins, une vraie équipe de foot (si si), du foie gras, etc., mais je vous concède une convivialité et un sens de l’accueil que je n’ai rencontré nulle part ailleurs. J’espère pouvoir encore longtemps partager quelques préparations locales et parties de palets avec vous.

Mes allées et venues n’ont été que ponctuels à Pau et au labo, mais à chaque fois les échanges furent intéressants et rassurants (non, je n’étais pas le seul à galérer). Merci aux membres du SET, à tous les doctorants avec qui j’ai pu échanger, j’aurais réellement aimé mieux connaître l’ambiance de labo.

(4)

4 Je remercie également les différents chercheurs, autres doctorants, spécialistes cynégétiques, que j’ai pu croiser tout au long de cette thèse ou lors de colloques plus que passionnants, au NADS à Memphis ou à l’IUGB à Bruxelles en particulier. Je ne vais pas me risquer à citer de noms car c’est aussi prendre le risque d’en oublier (et on sera sûrement amener à se recroiser), mais ils se reconnaîtront tous pour savoir que j’en garde des souvenirs plus que positifs.

Cette thèse n’aurait pu avoir lieu sans ceux qui « portent » les savoirs étudiés : un énorme remerciement à tous les chasseurs qui ont participé aux prêts de carnets, aux entretiens ou aux échantillonnages de jabots et de gésiers. Ils sont très nombreux, du simple tonnayre au responsable d’association. Je remercie particulièrement les membres du GASSAUGI et leur président Jean-Francis Séguy. Mon seul regret est de ne pas avoir pu collaborer plus longuement avec vous tous, tant la dynamique était positive. Je continue à suivre de près ce que vous faites et j’ose espérer que des intérêts communs pour la gestion des oiseaux d’eau et des zones humides feront que nos chemins se recroiseront.

Un grand merci à tous les ami(e)s qui ont plus qu’animer cette thèse en parallèle. J’aimerais me lancer dans une énumération de vos noms, mais il est tard à la Roche-sur-Yon et demain je dois lire des ailes de canards. Je peux seulement vous dire à tous (et vous vous reconnaîtrez bien évidemment !) ces quelques indices quant à pourquoi finir cette thèse a été possible grâce à vous : 42 rue de la Devise, le House, le Vintage, le Café Brun, le 41, le PDV, le Rigoletto, la cave du Parlement, le Franchouillard, le basket et le champagne derrière, et bien sûr, CBC la Tonne. J’aimerais vous écrire plein d’autres choses, mais on en discutera dans des discussions plus appropriées, autour de Blaye Côtes de Bordeaux – Remarquable -.

Un grand remerciement à ma famille, en tout premier lieu Katia et Jean, et Romain. On ne se lance pas dans une thèse par hasard, sans un soutien de longue durée comme le vôtre. Merci aussi d’avoir été les seuls à ne pas vous relayer tous les jours pour savoir quand je finissais ma thèse, je savais où me planquer du coup. Plus de soucis à se faire désormais, si ce n’est celui de profiter. Et vous n’avez pas d’obligations de lire tout ça, quelques bouteilles de rouge et une bonne entrecôte iront tout aussi bien pour marquer le coup !

Je tiens enfin à dédier cette thèse à Jésus Veiga, ancien directeur, « mentor » et surtout ami.

J’aurais aimé produire bien mieux, mais elle est en tout cas le fruit de la persévérance (« Ce n’est pas le chemin qui est difficile, c’est ‘’difficile’’ qui est le chemin », Kierkegaard). Elle n’aurait jamais pu voir le jour sans cette forte suggestion à poursuivre encore plus loin dans cette éthique, morale comme professionnelle, qui m’ont permis de lier ma passion à mon métier.

Je retrouve celle-ci dans chaque ligne d’Aldo Léopold et je ne peux m’empêcher de la rattacher à une forme de sagesse.

(5)

5

SOMMAIRE

INTRODUCTION GENERALE

... 7

Première partie – Gérer la faune sauvage : la mobilisation d’informations et de moyens différents selon les espèces

... 15

CHAPITRE 1 - LA GESTION DE LA FAUNE SAUVAGE EN FRANCE : DES FINALITES, DES METHODES ET DES NIVEAUX D’INFORMATIONS DIFFERENTS SELON LES ESPECES 19 CHAPITRE 2 - SAVOIRS SAVANTS ET SAVOIRS LOCAUX : ANTAGONISME OU PERMEABILITE? ... 45

Deuxième partie – Savoirs locaux des chasseurs de gibier d’eau et gestion de l’avifaune

... 63

CHAPITRE 3 - LES SAVOIRS DES CHASSEURS DE GIBIER D’EAU GIRONDINS COMME ELEMENTS DE GESTION DE L’AVIFAUNE MIGRATRICE ... 67

CHAPITRE 4 - LES CONDITIONS DE CONSTRUCTION ET D'ECHANGE DES SAVOIRS SUR LE GIBIER D’EAU ... 105

Troisième partie - Collecter et évaluer observations et savoirs pour identifier informateurs et experts

... 133

CHAPITRE 5 - COLLECTER, PUIS TRIER POUR LES EVALUER, LES INFORMATIONS ENREGISTREES PAR LES CHASSEURS DE GIBIER D’EAU ... 137

CHAPITRE 6 - DE L’INFORMATION AUX SAVOIRS : L’IDENTIFICATION D'EXPERTS LOCAUX DE L’AVIFAUNE ET DE SES MILIEUX ... 161

CONCLUSION GENERALE

... 217

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES ... 229

ANNEXES ... 249

TABLES DES ILLUSTRATIONS ... 275

TABLE DES MATIERES ... 281

(6)

6

(7)

7

INTRODUCTION GENERALE

1. LA PROTECTION DE LA NATURE PAR DES SANCTUAIRES TROUVE SES LIMITES EN EUROPE.

Le XXème siècle est marqué par la diffusion d'une vision de "la nature-patrimoine », qui intègre l’idée d’une valeur immatérielle de la nature, à conserver, voire à gérer parfois en la restaurant. Cette volonté de conserver la Nature trouve notamment son origine dans le concept américain du « wilderness », c’est-à-dire d’une nature « sauvage », non contrôlée ou modifiée par l’Homme. De ce concept vient l’idée de protéger pour conserver. Et les mesures liées à la protection ont en premier lieu concerné les espaces. C’est ainsi qu’en 1872, à Yellowstone, nait le premier parc national au monde, où la nature est sanctuarisée et l’homme un acteur contemplatif. La France suivra cet exemple près d’un siècle plus tard1, avec la création de six parcs nationaux dans les années 1960 (Héritier, 2007 ; Larrère, 2009). Parallèlement, le nombre d’aires protégées s’accroit avec la création des premières réserves naturelles nationales et régionales dès 19702. Par ces actions, on cherche à soustraire des espaces à l’influence humaine (Lepart et Marty, 2006 ; Couderchet et Amelot, 2010), toujours dans un objectif proche de la sanctuarisation, avec comme objectif sous-jacent de conserver une nature définie

« par ce qui échappe à la volonté humaine » (Génot, 2008).

Ce mode de protection par les "espaces propres", emprunté aux précurseurs nord- américain, a fonctionné en Europe depuis les années 20 (notamment dans les milieux montagnards d'Italie, comme le Parc National du Grand Paradis ou celui des Abruzzes, Latium et Molise, ou encore d’Espagne, avec le Parc National d’Ordesa et du Mont-Perdu…) et dans quelques massifs montagnards français depuis les années 60 (les Parcs Nationaux de la Vanoise, du Mercantour, ou encore des Pyrénées…). Dans ces aires protégées, d'incontestables succès de protection ont été obtenus. Dans celui de la Vanoise, les populations de Bouquetin des Alpes, en déclin, se sont ainsi stabilisées puis ont significativement augmenté (Leca et al., 2013), tandis que le loup s’est réinstallé en France par le Parc du Mercantour (Houard et Lequette, 1994). Néanmoins, cette transposition à l'Europe d'un modèle issu du Nouveau Monde a dû subir des adaptations dans deux dimensions essentielles.

La première tient au fait que les milieux naturels protégés européens se sont avérés largement humanisés, notamment par le biais d'activités pastorales qu'il a fallu prendre en compte. La seconde tient à la répartition des milieux naturels les plus riches, absolument pas exclusivement montagnards puisque zones humides et littoraux abritent aux aussi une considérable biodiversité. Or, le souhait d'étendre le modèle des aires protégées sanctuarisant initialement des milieux montagnards, à la nature bordant les cours d'eau et les littoraux

1 Loi de 1960 sur la création des parcs nationaux.

(8)

8 lacustres ou maritimes, s'est avéré impossible, l'humanisation considérable qui les caractérisait rendant l'ambition irréalisable. Il a donc fallu faire évoluer ce modèle de protection par les sanctuaires pour peu à peu inventer un modèle "européen", acceptant l'idée que les biotopes des espèces que l'on souhaitait protéger soient largement issus d'un façonnement social, et donc d'intégrer celui-ci, à travers ses acteurs, dans la gestion de la nature qu'on souhaitait préserver.

Dans le même temps, l'écologie voyait sa vision de la nature évoluer, l'approche

"statique" de l'écologie odumienne (centrée sur le concept de climax, nature idéale dont la recréation devait constituer l'objectif des gestionnaires ; voir Odum, 1969) se trouvant contestée par les acquis de l'écologie des perturbations (Auclair, 2006). Cette dernière montrait en effet que la nature connaissait naturellement des crises, donc des bouleversements profonds, et donc que la vrai richesse naturelle d'un lieu ne résidait pas tant dans la collection des espèces qu'on y trouvait que dans la capacité des biocénoses à se reconstituer après une crise (tempête, incendie…). Cette vision renouvelée de la nature conduisant à l'émergence du concept de biodiversité, c'est à la préservation de cette dernière que les nouveaux modèles de protection s'attachent donc peu à peu. A l'échelle planétaire, c'est l'UNESCO, à la suite du programme MAB (Men and Biosphère) qui a proposé le statut de "Réserve de biosphère", tandis que dans l'UE, le programme "Natura 2000" privilégiait par sa directive "Habitat" que l'on s'intéresse autant, sinon plus, à la préservation de milieux de vie capables d'abriter une biodiversité suffisante pour résister aux crises qu'à la protection nominative des espèces menacées qu'ils abritaient (Milian, 2001).

Dans ce contexte, le paradigme de protection de la nature en Europe, et donc en France, évoluait considérablement. Si les parcs nationaux poursuivaient leur mission sur les faibles étendues qu'ils couvraient, de très vastes superficies de nature jusqu'alors non protégées se voyaient définies comme "Zone Natura 2000", et à ce titre sortaient de l'anonymat d'une nature banale pour devenir "objet de gestion écologique". Le bouleversement que ce nouveau statut engendrait pour ceux qui jusqu'alors façonnaient librement une nature-ressource qu'on définissait soudain comme une nature-patrimoine fut considérable. La question des modalités de cogestion de ces aires Natura 2000 par le biais des DOCOB3 suscita donc de multiples recherches (e.g. Rémy, 2001 ; Pinton et al., 2007 ; Welch-Devine, 2008). Au-delà des situations de tension, voire de conflits ouverts entre les acteurs de la protection et ceux de la production (Charbonneau, 2000 ; Alphandéry et Fortier, 2007), la question de la connaissance de ces milieux et de leur dynamique émergeait alors comme un nouvel enjeu majeur.

2. L'ENJEU DE LA CONNAISSANCE DES MILIEUX PROTEGES NON SANCTUARISES.

En effet, les parcs nationaux avaient fait naître un modèle de gestion fondé sur l'existence d'une équipe de professionnels de la nature (les gardes) adossée à un conseil scientifique (chaque parc national en possède un, doté de pouvoirs conséquents). Ce dernier

3Documents d’objectifs.

(9)

9 élaborait une doctrine de protection du parc, mettant en exergue la protection d'espèces emblématiques (les vautours dans le Parc des Cévennes ou les aigles royaux dans le Parc des Ecrins…) dont les quelques dizaines de gardes devaient assurer un suivi (des recensements réguliers, des cartographies de présence, une évaluation des taux de reproduction, etc…).

Largement couronné de succès en termes de protection d’habitats et d’espèces, ce modèle n'était cependant pas transposable aux aires Natura 2000 nouvellement créées. Aucun pouvoir de gestion au nom de l'Etat français ne pouvait en effet être conféré aux gestionnaires de ces zones, d'autant que les surfaces qu'elles couvraient, sans commune mesure avec celles des parcs nationaux4, interdisaient que des gardes professionnels en nombre suffisant puissent y exercer l'étroite police de la nature qui prévaut dans ces derniers. Comment gérer ces milieux en l'absence d'un dense réseau de professionnels chargés d'assurer les suivis écologiques puis de faire appliquer les réglementations édictées par l'organisme gestionnaire?

Pour exécuter la politique de gestion décidée, le principe d'un recours préférentiel aux actions incitatives (Lepart et Marty, 2006) devait se substituer à l'emploi des réglementations coercitives qui prévaut dans les parcs nationaux. Mais pour définir ces actions, encore fallait-il connaitre les dynamiques des milieux et des espèces dont on avait la charge, afin de savoir quelles actions à effets positifs il fallait encourager et quelles autres, à effets négatifs, il fallait tenter d'infléchir. Dans ce contexte, en l'absence d'un nombre suffisant de professionnels (à titre d’exemple, 22 agents ONCFS couvrent les 10 000 km² du département de la Gironde, tandis que 49 agents permanents surveillent les 459 km² du Parc des Pyrénées), l'émergence d’une écologie participative fut largement encouragée.

Elle avait pris naissance dans les années 1970 aux Etats-Unis sous la houlette de Frank von Hippel (1991). Elle se développait en France sous l'impulsion d'associations de protection de la nature (la LPO5en premier lieu, avec les réseaux « Faune ») en charge du suivi de certaines espèces menacées hors des Parcs Nationaux, parfois sous la houlette du MNHN6 (le programme Vigie-Nature). Organisée sur la base du bénévolat, elle permettait de dresser des atlas (des mammifères aux batraciens), prenant la forme d'ouvrages aujourd'hui très élaborés, comme les récents Atlas des oiseaux nicheurs régionaux des réseaux Faune (voir par exemple Marchadour, 2014), voire d'assurer le suivi d'espèces menacées au travers de plans nationaux d’actions (par exemple consacré à la Loutre ou au vison d’Europe).

Malgré ses succès, cette nouvelle manière de collecter puis de traiter l'information sur la nature hors des sanctuaires souffre d'une main d'œuvre inégalement répartie à l'échelle nationale. Certaines régions connaissent des effectifs de bénévoles plus importants que d'autres, mais des différences apparaissent aussi à l'intérieur des régions, entre les zones urbaines et le rural profond. C'est dans ce dernier que le modèle "collecte des données de gestion par l'écologie participative" montre ses plus grandes limites, les zones Natura 2000 y étant courantes alors que le tissu des bénévoles, majoritairement des citadins (Cooper et al., 2007),

4En 2012, en France métropolitaine et terrestre, les espace-cœur des parcs nationaux représentaient une surface de 3620 km², soit respectivement 0,6 % du territoire national, tandis que le zonage Natura 2000 concernait 69 300 km², soit 12,6 % du territoire français (http://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/).

5 Ligue de Protection des Oiseaux.

6 Muséum National d’Histoire Naturelle.

(10)

10 y fait parfois largement défaut. Ainsi, l'idée d'avoir recours à des informateurs locaux, a priori non volontaires mais bénéficiant par leurs activités d'une position d'observateur privilégié de la nature, a pris consistance sur la base d'expériences conduites hors de France.

3. LE RECOURS AUX SAVOIRS ECOLOGIQUES LOCAUX COMME COMPLEMENT AUX SUIVIS SCIENTIFIQUES PONCTUELS.

Les grands espaces du continent américain (du grand nord canadien à la forêt amazonienne) présentent la particularité, au regard de la situation européenne, de proposer une nature abondante et peu socialisée, seulement fréquentée en certains lieux par des populations dont l’installation remontait à la période précoloniale. Indiens d'Amazonie ou Inuits du Grand Nord, entre autres, fréquentaient ces milieux depuis des siècles pour en tirer les ressources nécessaires à leur survie, donc sans avoir mis en péril leur renouvellement tout en ayant accumulé des connaissances essentielles à la compréhension de leur écologie. Certains scientifiques désireux de les étudier, confrontés à l'immensité des territoires et au déficit de moyens d'observations réguliers, ont dès le début des années 1980 entamé des programmes de recherche adossés à des observations effectuées par des résidents locaux d'origine indigène.

Les travaux de Frost et Lowry sur les belugas en Alaska (Frost et al., 1983 ; Frost et Lowry, 1990 ; Frost et al., 1993) constituent ainsi à notre connaissance les premières tentatives d'intégration d'observateurs locaux à des programmes de recherche en écologie. Quelques années plus tard, les travaux d’Huntington (1999) marquent une étape supplémentaire importante dans ce processus de reconnaissance de la valeur scientifique des savoirs écologiques locaux. Cet auteur ne mobilise plus les résidents locaux comme de simples observateurs mais comme des experts, reconnaissant à ces derniers des compétences indiscutables dans des domaines clefs de la compréhension écologique d'une espèce, comme son régime alimentaire, ses dates de mise bas, les interactions écologiques dans lesquelles elles s'inscrivent, etc. Cette impulsion va conduire une partie des écologues nord-américains à collecter puis valoriser ces savoirs écologiques locaux pour étudier plusieurs espèces majeures des milieux arctiques (e.g. Ferguson et al., 1998 pour le caribou ; Van de Velde et al., 2003, pour l’ours polaire ou encore Gilchrist et al., 2005 pour les oiseaux migrateurs).

4. EN FRANCE, QUELS INFORMATEURS POUR QUELLES INFORMATIONS ?

Compte-tenu des succès au moins partiels de cette mobilisation des acteurs locaux pour obtenir les informations nécessaires à la gestion des réserves de biodiversité dépourvues de professionnels de terrain, cette voie a déjà été explorée en France, à la fois dans sa dimension théorique et dans sa mise en œuvre concrète. Des recherches sur les savoirs écologiques des ruraux ont ainsi été conduites sur les agriculteurs (Darré, 1999), les pêcheurs du Rhône (Barthélémy, 2003), ou encore sur les pratiquants de la tenderie aux grives dans les Ardennes

(11)

11 (Fortier, 2005). Des opérations de mobilisation de ces informateurs potentiels sont aussi pratiquées, notamment dans le monde de la chasse, en particulier dans des protocoles visant le suivi et la gestion des espèces cynégétiques. Ainsi, des chasseurs, des forestiers ou des agriculteurs sont régulièrement mobilisés dans les comptages de la faune sauvage (grande faune comme chevreuils ou cerfs, petite faune comme les perdrix…), afin d’évaluer le nombre et la répartition des individus, pour in fine définir des plans de gestion. Certains contribuent même à la collecte d'échantillons biologiques, comme les ailes de la bécasse des bois, des bécassines, ou des anatidés, indispensables à l’établissement des âge-ratio et des sex-ratios d'une population.

S'il apparait donc que certains ruraux sont détenteurs de compétences sur la nature, ne serait-ce que parce qu'ils la façonnent (les agriculteurs ou les forestiers) ou parce qu'ils en tirent des ressources (les chasseurs et les pêcheurs), envisager d'y accéder puis de les utiliser dans une perspective de protection de la biodiversité demeure encore très hypothétique. En effet, trois types d'objections peuvent a priori être formulés en critique d'un tel projet.

La première affirmerait que la nature des observations qu'ils effectuent n'a peut-être pas grand intérêt pour la préservation de la biodiversité des zones qu'ils fréquentent. La seconde soutiendrait que les informations collectées par ces "praticiens" ne sont certainement pas homogènes, tant en contenu qu'en fiabilité, hypothéquant donc l'espoir d'en tirer des informations exploitables. Enfin, même en admettant que les réserves contenues dans les deux points précédents puissent être levées, la troisième concerne la question des conditions d'accès à ces informations. Compte tenu du fait que ces acteurs ne sont a priori pas volontaires (à la différence des bénévoles de l'écologie participative), il faudrait en effet les convaincre de participer à une collecte d'informations en faveur d'un mouvement, la protection de la biodiversité, alors que ses défenseurs tendent plutôt à les mettre en accusation qu'à les porter aux nues… C'est donc à trouver des réponses à ces trois questions que veut s'attacher cette thèse. Vu leur ampleur, attendre une réponse parfaite et valide en tout lieu serait évidemment irréaliste. Ce n’est que dans le cadre restreint d'un cas précis, choisi pour les conditions particulièrement favorables qu'il offre à la recherche de ces réponses, que nous ambitionnons de le faire.

Nous considérons pour cela que la préservation de la biodiversité des zones humides constitue un des enjeux cruciaux du "projet Natura 2000", et au-delà, de la préservation de la biodiversité dans la nature ordinaire. Cette affirmation repose sur le fait que, hormis la biodiversité montagnarde largement couverte par les PN, une majorité des lieux reconnus à haute valeur naturelle en France sont constitués de zones humides, près de 70 % d’entre elles étant concernées par des mesures de protection ou de gestion (Cizel, 2010). Dans ce cadre, les informations qu'exigent leurs gestionnaires concernent en premier lieu les milieux végétaux, à la fois comme porteurs d'une biodiversité intrinsèque, mais aussi comme biotope de la biodiversité animale. Or la connaissance et les suivis de ces couverts végétaux peuvent en bonne partie être assurés par les moyens techniques de la télédétection aérienne (satellites, drones…), complétés de relevés de terrain opérés par des botanistes professionnels ciblant les dates et les lieux de recensions des espèces les plus propices. Mais une mesure de la biodiversité par l'évaluation du seul "potentiel d'accueil" du milieu végétal souffre de ne posséder qu'un

(12)

12 caractère théorique. Le meilleur moyen d'en vérifier l'efficience réside en effet dans le suivi de la faune qui le fréquente, l'accroissement général de la biodiversité animale et, en son sein, des populations d'espèces considérées comme indicatrices, constituant le meilleur reflet d'une bonne gestion du milieu concerné.

Ainsi, l'enjeu concernant ces populations d'observateurs ruraux réside dans leur capacité à fournir des informations fiables et précises sur l'ensemble des aires concernées. Elles permettraient d'assurer le suivi des effectifs et des aires de répartition, sinon d'un maximum d'espèces animales, tout au moins de celles dont on estime qu'elles témoignent d'un bon état de conservation des milieux.

5. L'OBJET D’ETUDE : LES SAVOIRS ECOLOGIQUES DES CHASSEURS DE NUIT AU GIBIER D’EAU GIRONDINS.

Pour ce faire, nous avons choisi de prendre pour objet d'étude les savoirs des chasseurs de nuit au gibier d'eau. Ils ont d'abord l'avantage d'être nombreux dans plusieurs régions de France connues pour la richesse écologique de leurs zones humides, la question de leur répartition au sein de celles-ci devant être évidemment examinée avec soin. Ils suscitent aussi l'intérêt par le fait que la réglementation de leur pratique suppose l'enregistrement écrit systématique d'informations précises (lieu, date, heure, espèces…) des animaux prélevés. Ils présentent enfin la particularité de passer de longues heures à point fixe (des nuits entières généralement) en des lieux et à des moments où la fréquentation de l'avifaune est a priori très élevée. Cet ensemble de caractéristiques les conduit à nous apparaitre comme un sujet d'étude qu'il est légitime de privilégier.

Concernant le terrain, sachant que les deux lieux les plus fréquentés de ces chasseurs sont en France les départements de la Somme et de la Gironde, c'est à ce dernier que nous choisissons de nous intéresser. Si cette décision possède un déterminant méthodologique (salarié de la FDC de Gironde, l'accès à ces populations sera facilité par notre statut), elle possède aussi un déterminant géographique majeur dans la mesure où ce département abrite trois grands types de milieux humides bien différenciés, l'estuaire de la Gironde, les grands étangs médocains et le bassin d'Arcachon. A chacun correspond un type de zones humides différent (soumis ou non à la marée, constitué d'eau douce, saumâtre ou salée, etc…), donc des exigences différenciées d'informations sur les espèces qui les fréquentent. Des chasseurs étant présent sur les trois types de milieux, examiner si leur apport informationnel présente le même intérêt dans les trois cas dote ce terrain girondin d'un attrait supplémentaire.

(13)

13 Dans ce contexte, l'exposé s'organisera donc autour de la problématique et des hypothèses suivantes:

Problématique : la préservation de la biodiversité supposant une évaluation précise des capacités d'accueil des milieux concernés, peut-on utiliser les observations faites par les façonneurs de milieux pour assurer les suivis d'espèces indicatrices du maintien de cette capacité d'accueil?

Hypothèse 1 : La collecte des données nécessaires au suivi des espèces couramment observées n'exige pas de connaissances scientifiques approfondies, mais un maillage temporo-spatial du territoire que seuls des observateurs résidants peuvent assurer. Les connaissances dont disposent certains d'entre eux sont suffisantes pour assurer cette collecte.

Hypothèse 2 : La nature de certaines activités cynégétiques et la répartition de leurs pratiquants permettent que soient collectées des informations de grand intérêt écologique selon un maillage du territoire extrêmement dense autour des zones humides chassées.

Hypothèse 3: La fiabilité des données recueillies et des connaissances accumulées par certains pratiquants peut être validée selon un protocole scientifique. La difficulté réside autant dans la collecte des données que dans leur validation.

L'ensemble du processus d'investigation sera porté à la connaissance du lecteur sur la base du plan suivant

.

La première partie examinera la question des informations nécessaires à la gestion de la faune sauvage. Nous verrons qu’à chaque type d’espèces (protégée, rare, chassable…) et parfois d’espaces (des Espaces Naturels Protégés (ENP) à la nature « banale ») correspondent des exigences d’informations et des capacités de collectes différentes. Si dans les parcs nationaux, les équipes de gardes peuvent assurer des suivis de grande qualité, hors de ceux-ci, les moyens qu'exigent la collecte de ces informations, même simples comme la "présence/absence" d'une espèce, ne sont mobilisables que pour des espèces socialement sensibles comme le loup ou le lynx. Pour les autres, les recours aux bénévoles constituent la norme, les informations qu'ils collectent à ce jour offrant une robustesse suffisante pour une gestion sommaire d'espèces courantes, notamment chassables, mais ne permettant que sur des cas très particuliers de procéder à des suivis affinés (chapitre 1). Pour procéder à ceux-ci sur la base d'observateurs bénévoles, il faut connaitre avec précision la nature de leurs compétences, pour savoir jusqu'où des collaborations à caractère scientifique sont envisageables. Le chapitre 2 examinera donc la nature de ces savoirs constitués hors des sphères académiques, soit par héritage (les "savoirs traditionnels"), soit par construction sur la base d'une pratique (les "savoirs pratiques"), les deux se trouvant bien souvent combinés en des "savoirs locaux". On en discutera notamment les contenus mais surtout les processus de légitimation afin de mesurer en quoi ils diffèrent, ou ressemblent, à ceux que proposent les savoirs scientifiques (chapitre 2).

La seconde partie examinera en quoi les milieux humides girondins et les chasseurs de gibier d’eau apparaissent particulièrement appropriés pour répondre à nos questions. Les premiers présentent une diversité unique sur un même département, tandis que les seconds,

(14)

14 contrairement à la quasi-totalité des autres pratiques cynégétiques, possèdent la particularité de se dérouler en grande partie la nuit et à poste fixe. Ainsi, ces caractères originaux permettent d'envisager que les savoirs des chasseurs de gibier d’eau contribuent à la gestion de l’avifaune migratrice, dont la mobilité impose de disposer d'informations convenablement réparties dans le temps et l’espace (chapitre 3). Au-delà des chasseurs vus comme une population répartie dans l'espace au plus près des plans d'eau, la question de la nature de leur pratique, et des savoirs qu'elle mobilise, nourrira le chapitre 4. On y décrira comment fonctionne une installation et l'usage qu'en ont ses propriétaires, pour mettre en lumière la nature des connaissances indispensables à la pratique. Qu'elles concernent la météorologie ou l'hydrologie, déterminants majeurs des comportements de nombreuses espèces, ou l'éthologie et l'écologie des animaux que l'on cherche à attirer, les compétences des pratiquants affichent des origines diverses.

Certains les tiennent largement de leurs anciens tandis que d'autres les ont acquises par l'expérience et/ou les échanges entre pairs. Ces éléments de diversité se doublent de motivations cynégétiques tout aussi hétérogènes, depuis l'obsession du tableau de chasse à la dégustation hédoniste du bien-être dans la tonne entourée d'oiseaux divers. En découlent des palettes et des niveaux de compétences écologiques potentielles extrêmement variées.

La dernière partie s’intéressera au matériau que constitue notre échantillon de chasseurs, ainsi qu’aux informations et savoirs qu’ils ont accumulés. Un premier temps s'attachera à l’analyse des carnets de tonne. On examinera d'abord la méthodologie élaborée pour mesurer la fiabilité des informateurs et donc identifier les plus rigoureux et les plus compétents sur des bases quantifiées. Ayant montré l'intérêt du matériau informatif, la question des stratégies d'accès à leurs supports d'enregistrement, les carnets, occupera la fin du chapitre 5. Outre ces informations quantifiables, la question de leurs combinaisons en des savoirs complexes, propres à chaque individu, constituera le sujet du chapitre 6. L'exploitation des données acquises par une longue série d’entretiens en situation permettra de bien comprendre comment se constituent et à quoi servent les savoirs de ces chasseurs. La diversité des personnalités, des trajectoires personnelles et des motivations, dessine une palette de savoirs individuels extrêmement large.

Un traitement visant à quantifier ces données qualitatives permettra alors de dresser une typologie de ces chasseurs, des moins compétents aux plus experts d’entre eux.

(15)

15

Première partie – Gérer la faune sauvage : la mobilisation

d’informations et de moyens différents selon les espèces

(16)

16

(17)

17 L’obligation de « gérer la nature » est aussi ancienne que l’espèce humaine. Le statut de chasseur-cueilleur, dépeint par Godelier (1984) à travers le cas des pygmées Mbuti, prévoit déjà la mise en réserve de fragments de forêt interdits de chasse et destinés au renouvellement des espèces chassées. Avec la révolution néolithique, ce n’est plus la préservation de la ressource qui fait question mais la mise à distance des déprédateurs qui menacent les premiers champs, ou des prédateurs qui convoitent les premiers troupeaux. Que ce soit donc pour en préserver les ressources ou pour se prémunir de ses menaces, toutes les sociétés sont tenues de mettre en place une stratégie de gestion de la nature qui les environne.

Avec l’accroissement des populations propres aux temps modernes, et donc des défrichements réduisant les étendues de nature peu humanisées, puis la diffusion des armes à feu et les traitements chimiques des végétaux, le recul puis la disparition de certaines espèces a pris une telle vigueur que la menace d’une sixième crise d’extinctions est mise en lumière (Teyssèdre, 2004). Aux soucis relatifs à la ressource et aux dégâts s’ajoutent donc aujourd’hui ceux relatifs à la préservation des espèces menacées de disparition. Ces différentes perspectives conduisent donc à envisager que coexistent différentes finalités de gestion de la faune sauvage.

Elles peuvent se différencier dans l’espace, la préservation focalisant l’attention des gestionnaires d’ENP tandis que le contrôle des dégâts préoccuperait lui les gestionnaires des espaces agricoles. Mais elles se combinent aussi souvent sur un même territoire, certaines espèces menacées devant être protégées, tandis que d’autres espèces banales, facteurs de dégâts, se multiplient rapidement et doivent être régulées.

Dans tous les cas, la gestion moderne de la faune sauvage repose sur des démarches planifiées, qu’il s’agisse de Plans Nationaux d’Actions associés à la protection d’espèces comme la loutre ou le vison d’Europe, ou de plans de gestion d’espèces chassables, comme le chevreuil ou le sanglier. Ainsi, les procédures associées à ces plans reposent en première instance sur des mesures d’évaluation des espèces en cause, qu’il s’agisse de connaître des aires de répartition (recensements), des dynamiques (suivis), des densités ou des structures par âge ou par sexe. Dans les ENP dotés de personnels propres, comme les Parcs Nationaux, ces tâches d’évaluation, dévolues aux gardes, sont conduites avec précision et permettent d’élaborer une gestion éclairée. Mais dans la campagne banale, faute de professionnels en nombre suffisant, la collecte de ces informations nécessaires à la gestion pose problème.

S’agissant de la faune chassable, les chasseurs procèdent à des comptages (aux phares par exemple) qui, bien que ne permettant pas de dénombrer précisément les populations, suffisent à renseigner les plans de gestion. Pour les espèces menacées, la mobilisation de bénévoles par des associations comme la LPO ou la SFEPM permet d’assurer des recensements.

Ils couvrent cependant difficilement tout l’Hexagone et surtout ne peuvent être renouvelés fréquemment, interdisant que des suivis sérieux soient conduits pour toutes les espèces menacées.

La question de l’accès à ces informations permettant la gestion constitue donc un défi majeur pour tous les gestionnaires de la faune sauvage opérant hors des ENP. Dans ce contexte, l’idée de mobiliser les observations effectuées par les ruraux qui fréquentent durablement les campagnes banales se répand peu à peu, qu’il s’agisse de chasseurs ou de pêcheurs,

(18)

18 d’agriculteurs ou de forestiers. Leur répartition géographique, concentrée dans des milieux où la faune sauvage est souvent susceptible d’être rencontrée, pourrait permettre un maillage de la nature banale bien plus systématique. Malheureusement, si la présence quotidienne de ces ruraux dans la campagne leur permet a priori de procéder à des observations nombreuses et bien réparties, leur intérêt, leur compétence et leur capacité à s’insérer dans des réseaux collaboratifs de suivis de la faune, fait évidemment question.

Dans cette perspective, il convient donc dans cette première partie de discuter la nature des informations nécessaires à la gestion, différentes selon les objectifs que l’on souhaite atteindre (chapitre 1). Puis, il convient d’examiner où et comment, parmi les ruraux, des savoirs utiles à ces procédures de gestion sont susceptibles de s’accumuler, en interrogeant évidemment la question centrale que constitue la pertinence scientifique de ces informations qu’accumulent les praticiens (chapitre 2).

(19)

19 CHAPITRE 1 - LA GESTION DE LA FAUNE SAUVAGE EN FRANCE : DES FINALITES, DES METHODES ET DES NIVEAUX D’INFORMATIONS DIFFERENTS SELON LES ESPECES

La rareté d’une espèce, selon des critères quantitatifs (le nombre d’individus que compte une population) ou spatiaux (son aire de répartition), quand ce n’est les deux (sa densité), est généralement un déterminant des moyens alloués à son suivi puis sa gestion. D’autres critères rentrent en compte, comme sa valeur patrimoniale (le bouquetin dans le Parc de la Vanoise par exemple - Mauz, 2012) ou le défi symbolique qu’elle peut représenter (la réintroduction de l’ours dans les Pyrénées par exemple). Sa capacité à susciter l’attachement constitue aussi un facteur de notoriété, et par ricochet, une variable déterminante dans les investissements consentis. La sauvegarde des gypaètes dans les Alpes, attracteurs et attraction du touriste, mobilise ainsi bien plus de moyens pour sa sauvegarde que ne peut le faire le desman dans les Pyrénées, méconnu et peu visible.

Outre ces espèces rares ou patrimoniales, la Nature « ordinaire » (Godet, 2010) regroupe des espèces plus communes et familières (le moineau domestique des terrasses urbaines ou le merle noir de notre jardin), souvent abondantes, largement réparties dans l’espace et, de fait, non prioritaires en termes de conservation. D’autres espèces subissent des pressions anthropiques, dont certaines, comme la chasse, prennent la forme d'un prélèvement direct sur leurs populations. Il peut intervenir en réponse à des dégâts (les grands ongulés sur les cultures…), pour des motifs relevant du loisir combiné à une fonction alimentaire (la palombe, le lièvre ou le faisan), sportive (la chasse au chamois) ou du prestige (la chasse au trophée pour le cerf ou le mouflon). Au-delà, la problématique se complexifie quand l’espèce commet des dégâts tout en étant menacée (le cas du loup)…

Chacun de ces motifs de gestion exige certes des moyens humains, techniques ou règlementaires particuliers, mais surtout, en amont, des informations sur les espèces commandées par l'objectif central de la gestion. Dans le souci d'éclairer la nature originale des informations que requiert chacun de ces grands objectifs, ce chapitre est organisé en trois parties. La première examinera la nature et les conditions de collecte de l'information requises pour la gestion d’une espèce endémique et patrimoniale dans un espace protégé (le bouquetin des Alpes). La seconde s'attachera à dégager celles qu'exige la gestion d’espèces chassables et plus communes (le sanglier et la perdrix). Enfin, le dernier examinera celles nécessaire aux espèces à enjeux de conservation présentes à la fois dans des ENP et dans la nature banale, à travers l’exemple du loup.

(20)

20 1. LE BOUQUETIN DES ALPES CAPRA IBEX IBEX DANS LE PARC NATUREL NATIONAL DE LA VANOISE, OU LA GESTION D’UNE ESPECE PATRIMONIALE ET ENDEMIQUE DANS UN ESPACE NATUREL PROTEGE (ENP).

1.1. Le bouquetin, symbole et élément de légitimation du Parc National de la Vanoise.

La nécessité de protéger puis gérer espaces et espèces a été l’un des principaux moteurs de création des premiers ENP. Le premier Parc Naturel National au monde, Yellowstone, fut créé en 1879 aux Etats-Unis, tandis que des voisins européens comme l’Italie créaient les Parcs nationaux du Grand Paradis (Parco nazionale Gran Paradiso) et des Abruzzes, Latium et Molise (Parc nazionale d’Abruzzo, Lazio e Molise) respectivement en 1922 et 1923. La France s’est montrée tardive dans ce domaine, mais un tournant fut pris dans les années 1960, avec la création de six parcs nationaux (Larrère, 2009). Ils peuvent être définis comme « des territoires qui dans un ensemble homogène non exploité par l'homme, présentent des formations, paysages, écosystèmes, espèces animales et végétales de grand intérêt » (Biancheri et Claudin, 2002). Ces espaces bénéficient donc d’un statut de protection fort, où l’activité humaine est limitée afin de contribuer à la conservation de la Nature.

La mise en place d’un tel zonage doit donc être justifiée par des enjeux suffisamment importants pour s'imposer aux objections sociales que sa création suscite (sur les vingt-sept communes qui composent le Parc de la Vanoise (premier parc créé en France, en 1963), cinq étaient en désaccord avec sa création). Dans ce contexte, une espèce a concentré tous les regards, sa survie étant affichée comme un des motifs justifiant qu'il soit institué : le bouquetin des Alpes Capra ibex ibex (Girard, 2000 ; Leca et al., 2013). Si une réserve naturelle avait été créée en 1943 par un contingent d’acteurs locaux tous concernés par l’espèce à des fins différentes (Club alpin français, Touring-Club de France et chasseurs), le nombre des bouquetins diminuait inexorablement jusqu’à atteindre un seuil critique d’une trentaine à une soixante d’individus (Bardel, 1971 ; Girard, 2006), tous localisés dans la Vanoise (Leca et al., 2013). Examinons donc comment, dans ce contexte d’urgence, la collecte puis la gestion des informations sur l’espèce a constitué un des déterminants premier de sa sauvegarde.

1.2. Constituer des savoirs sur une espèce patrimoniale en mauvais état de conservation.

1.2.1. Les informations acquises dans le temps court : réaliser un état des lieux pour

« comprendre l’espèce » dans son territoire.

Les connaissances sur le bouquetin des Alpes n’étaient pas inexistantes à la création du Parc. D’autres pays européens menaient depuis longtemps des suivis et appliquaient des mesures de gestion pour l’espèce. L’Italie assurait notamment sa protection depuis 1821, et la

(21)

21 création du Parc national du Grand Paradis qui a permis la préservation de la souche sauvage de l’espèce (Girard, 2010). Adjacent à la Vanoise, ses gestionnaires disposaient d’une expérience transmissible à leurs homologues français. Outre cette proximité, certains spécialistes locaux de l’espèce, alpinistes ou chasseurs, possédaient également des connaissances poussées (on pense notamment à Marcel AJ Couturier qui écrivit un ouvrage référence sur l’espèce dès 19627, permettant notamment d’établir l’âge – jeune, subadulte, adulte – des individus, tout comme leur sexe). Néanmoins, des inconnues subsistaient quant à son utilisation précise des différentes parties du Parc, et sur les fonctions écologiques qu’elles remplissaient.

Partant des informations déjà existantes et tout en cherchant à compléter les manquantes, un état des lieux précis sur l’espèce a été établi. Il consistait dans un premier temps à identifier les différents groupes d’individus (hardes…), établir leur composition intra- spécifique (âge-ratio, sex-ratio) puis déterminer leur occupation de l’espace, notamment en termes de densité. Collecter ces données impliquait donc de suivre ces individus sur l’ensemble du Parc, sur la base d’une identification opérée à l’échelle des individus. Le PNN de la Vanoise disposant de quelques dizaines de gardes (Préau, 1964), son étendue (200 000 ha dont 53 000 ha d’espace « cœur » (Leca et al., 2013)) imposait un long travail de prospection. Les tournées régulièrement effectuées par les gardes fournissaient quelques informations mais aucune opération de comptage systématique n’a pu couvrir l’ensemble du Parc entre 1963 et 1976. Si des comptages estivaux furent organisés jusqu’en 1985, ils étaient concomitants avec ceux du chamois et pas suffisamment précis.

Si des bouquetins étaient en effet repérés dans telle ou telle partie du Parc, et identifiés selon leur âge ou leur sexe, rien ne permettait de distinguer les individus entre eux, et donc de discerner tel groupe d’un autre. Dans ce contexte, comprendre l’utilisation de l’espace par les différentes hardes, par ailleurs peu nombreuses, s’avérait extrêmement difficile. Du fait de cette incertitude relative, le choix d’effectuer des opérations de réintroduction a été fait dès 1969. Le lâcher d’une harde de cinq bouquetins (Leca et al., 2013) a permis d’améliorer la qualité du suivi, les marquages de ces individus permettant de les identifier visuellement de manière sûre.

Ce problème de distinction des individus autochtones étant toujours présent, des opérations de captures permettant de marquer certains animaux par des anneaux colorés ont été entamées à partir de 1979. Les comptages deviennent alors systématiques dans les années 1980 (ib.), et se renforcent en 1986 avec la mise en place du Programme national de recherche sur le bouquetin des Alpes. Ils interviennent soient lors des tournées spécifiques (donc consacrées à l’espèce) tous les quinze jours, soient lors d’opérations habituelles de surveillance par les agents du Parc (Girard, 2000). Les données sont recueillies à travers des fiches standardisées qui permettront d’identifier les individus dans l’espace et dans le temps (leur localisation à tel moment…) tout en mesurant leur taux d’agrégation (groupements d’individus marqués, taille des groupes…).

7 COUTURIER M., 1962. Le Bouquetin des Alpes Capra aegragus ibex ibex, 1564 p.

(22)

22 L’ensemble de ces données permet donc peu à peu de comprendre l’utilisation spatio- temporelle du territoire par les individus, et puis, après quelques années, d’émettre des hypothèses sur leurs déplacements. Il est alors possible de comprendre l’utilisation du territoire par des groupes (défini comme les assemblages d'animaux dont la distance entre individus est inférieure à 50 m - Girard, 2000, citant Berducou et Bousses, 1985) issus de différentes populations (on en recense trois noyaux en 1986 - Leca et al., 2013). Les taux de fécondités peuvent aussi être estimés (présence de jeunes avec les adultes marqués), et les lieux fréquentés autorisent des déductions quant aux zones d’alimentation que privilégient les bouquetins. Une première « vague » de résultats est donc présentée dans le volume XVIII des Travaux scientifiques du Parc en 1994, incluant également des études plus avancées, sur la pathologie du bouquetin des Alpes (Hars et Gauthier, 1994) ou encore sa génétique (Stüwe et al., 1994).

Cet ouvrage marque symboliquement une avancée majeure dans l’étude qualitative et quantitative de l’espèce dans le temps long.

1.2.2. L’approfondissement des connaissances sur l’espèce dans le temps long.

Le bilan de ces travaux montre une amélioration globale des connaissances sur le bouquetin des Alpes, qui n’est vraisemblablement pas étrangère à l’augmentation des populations dans le Parc, alors proche de 1 400 individus (Delorme, 2012). En effet, outre les suivis bimensuels des individus marqués, l’instauration des comptages estivaux dès 1985 a permis de connaître avec précision, chaque année, la quantité totale des individus qui le fréquentent. Devenant au fil des ans de plus en plus précis, s’élargissant aux zones limitrophes favorables à l’espèce, il a concerné en 1999 100 unités couvrant un total de 41 000 ha (Girard, 2000), puis 119 unités pour 43 000 ha en 2012 (Delorme, 2012). Ce dispositif remarquablement efficace exige toutefois des moyens humains importants. Sont « consommés » en cinq jours l’équivalent de cent trente-sept journées de gardes-moniteurs du PNN de la Vanoise (ibid.), assistés « d’ouvriers, de stagiaires, d’anciens gardes, d’accompagnateurs en montagne, de chasseurs, de personnels de l’ONF, de l’ONCFS, du PNR de Chartreuse, du PNR du Vercors et d’autres bénévoles »8.

Au-delà de l’amélioration qualitative des suivis, l’attention portée à l’espèce prend une ampleur plus importante. Les moyens mis à disposition du Parc augmentent et, à la demande du ministère de l’Environnement, un Groupe National « Bouquetins » est créé, en toute légitimité, par le PNN de la Vanoise (Leca et al., 2013). En conséquence, de nouveaux travaux sont impulsés, parmi lesquels deux axes principaux se dégagent.

Le premier, en utilisant toutes les données collectées par le PNN de la Vanoise, cherche à approfondir la compréhension du fonctionnement territorial, éthologique et écologique, de l’espèce. Le Parc ne se limite plus seulement à sa fonction d’espace protégé, il devient également un « laboratoire » en pleine nature pour l’espèce. On dépasse donc les simples

8 http://www.vanoise-parcnational.fr/fr/connaitre-le-territoire/faune/80-comptage-ongules-vanoise.html

(23)

23 opérations de suivis pour entrer dans des recherches scientifiques approfondies, concrétisées en particulier par des thèses. Irène Girard étudie ainsi en 2000 « les dynamiques de population et l’expansion géographique du bouquetin des Alpes » (Girard, 2000). Elle est prolongée en 2008 par le travail d’Emilie Largo en 2008 sur les dynamiques de populations et les implications pour les suivis (Largo, 2008), puis en 2013 par l’étude d’Alexandre Garnier sur les conséquences des pathologies sur la dynamique des populations de bouquetins dans le Parc (Garnier, 2013).

A ces recherches centrées sur la population du Parc, viennent s’ajouter des travaux visant à mieux maîtriser les opérations de réintroduction. Le Groupe National « Bouquetins » élabore ainsi la Stratégie nationale de restauration des Bouquetins en France, de 2000 à 2015 (Leca et al., 2013), pour laquelle la population de Haute-Maurienne, issue du Parc, sert alors de « réservoir » pour alimenter les lâchers (Girard, 2000). Le savoir-faire acquis lors des réintroductions opérées dans le Parc (capture, transport, manipulation…) sont utilisés pour les réintroductions de la Chartreuse, entre 2010 et 2012, puis dans le projet de réintroduction du bouquetin ibérique (ou des Pyrénées) 2012-2020.

Outre ces recherches et ces opérations de gestion hexagonale, des études sur les dynamiques de l’espèce à l’échelle internationale sont également entreprises. Des collaborations sont établies entre le PNN de la Vanoise et le Parc Naturel du Grand Paradis en Italie. Ils prennent la forme de programmes « Interreg » visant à améliorer la compréhension des déplacements et la dynamique des populations, en utilisant des techniques récentes, comme des colliers GPS (e.g. Girard et al., 2009). Bien que l’échantillon d’individus suivis soit réduit (une vingtaine pour le premier programme), ces outils permettent de suivre avec précision les déplacements des individus, d’en déduire leurs besoins en fonction de leur cycle de vie (alimentation sur tel milieu, repos sur telle zone…), voire de comprendre les interactions sanitaires et donc les conditions de transmission des pathologies. In fine, c’est un souci d'approfondissement des savoirs qui dicte donc les démarches à suivre, dans le but d'améliorer le suivi des individus, mais aussi d'accroître les niveaux quantitatifs et qualitatifs des populations.

1.3. Quelles informations exige la gestion d’une espèce patrimoniale dans un ENP ?

L’exemple du bouquetin des Alpes dans le PNN de la Vanoise présente le cas d’une espèce pour laquelle des moyens très importants sont mobilisés. Un espace naturel au statut de protection élevé a été créé, en grande partie pour assurer sa survie. Des efforts financiers important ont été consentis, pour dans un premier temps payer les opérations de réintroduction, puis par la suite des études scientifiques approfondies (génétique, pathologie, télédétection…).

L’ensemble de ces travaux a nécessité du personnel (notamment les nombreux agents du Parc qui effectuent les suivis et la surveillance du site), ou parfois des emplois plus ponctuels (stagiaires, doctorants, chargés d’études…). Désormais, ce sont également des acteurs de plusieurs structures (ONCFS, associations, PNR, chasseurs…) qui participent aux comptages.

(24)

24 On observe donc la mise en place d’une « machine bien huilée » qui mobilise de gros moyens mais donne des résultats probants : la population française de bouquetin des Alpes atteint désormais 10 000 individus, alors qu’ils n’étaient qu’une soixantaine en 1963.

Au plan des savoirs relatifs à l’espèce et construits au fil du temps, plusieurs étapes sont à distinguer. Au départ, bien que des connaissances soient disponibles à partir des opérations conduites à l’étranger (le Parc du Grand Paradis notamment), il a fallu en faire naître dans le périmètre du PNN de la Vanoise. Pour cela, les premiers gestionnaires du Parc se sont appuyés sur des montagnards locaux éclairés, qu’ils soient alpinistes, chasseurs ou bergers, pour acquérir les premiers éléments de connaissance de l’espèce. Ils ont ainsi permis d’identifier les individus déjà présents (selon leur âge et leur sexe), puis de définir des protocoles permettant de les capturer et de les suivre.

Une fois constitué ce premier noyau des compétences sur la base des savoirs locaux, puis des suivis effectués par les agents du Parc, l’étape suivante a consisté à faire naître un corpus de savoirs savants. Ceux-ci consistent en des travaux de recherche conduits par ou avec des organismes de recherche (CNRS, universités, ONCFS…). S’ils mobilisent des méthodes et des sources absentes des données accumulées par le Parc, en génétique notamment, ils mettent aussi à profit les informations collectées par les gardes, qu’elles proviennent des tournées effectuées dans le cadre de mission de surveillance banale ou des grandes opérations annuelles de comptage. Sur la base de ce noyau de compétences scientifiques accumulé sur la population du Parc et de ses abords, des programmes de réintroduction sont ensuite conduits au loin, grâce aux compétences acquises dans le « laboratoire initial ».

Si des efforts particuliers sont donc réalisés pour gérer ces espèces patrimoniales, endémiques, voire en très mauvais état de conservation, il n’est pas possible – ni souhaité - de créer des espaces protégés pour la gestion de la faune courante des campagnes banales. Pour autant, accumuler des connaissances à leur encontre est aussi nécessaire que pour le bouquetin.

Connaître leurs comportements territoriaux, l’écologie et l’éthologie ou les pathologies qui les guettent, constitue en effet un préalable indispensable à la gestion de toute espèce sauvage.

(25)

25 2. GERER DES ESPECES DU CHAMP CYNEGETIQUE.

Parmi ces espèces communes, et à l’inverse du « simple » moineau domestique Passer domesticus qui fréquente nos terrasses, certaines suscitent les convoitises. Caractérisées par leurs effectifs abondants, elles ne sont alors plus vues comme un patrimoine à préserver, mais comme une ressource suffisamment abondante pour être exploitée par des activités comme la chasse qui les considère comme un élément d’une « nature-ressource ». On tente alors de maintenir des « stocks » à un niveau suffisant à la fois pour préserver les populations en place mais également pour continuer à profiter de ce qui devient un gibier abondant. Or, cette problématique se complexifie dès lors que ces espèces touchent aux intérêts humains.

En effet, si la partie de cette faune sauvage chassable présente dans les espaces naturels peut s'y reproduire sans conséquence pour les activités anthropiques, celle qui occupe les campagnes humanisées peut engendrer des dégâts (agricoles, sylvicoles…) ou devenir un vecteur de risques (sanitaires, collisions routières…). Les objectifs de gestion diffèrent alors de ceux qui consistent à maintenir voire à améliorer l’état d’une population menacée. Il s’agit alors de limiter voire réduire ces populations, sans pour autant mettre en péril leur pérennité.

L’implication d’activités humaines dans l’équation ajoute alors des tensions d’ordre social qui introduisent dans la gestion de ces espèces des déterminants dépassant ceux de la stricte écologie. Quels que soient les objectifs finaux de gestion sur l’état des populations (les réduire, les maintenir ou les améliorer), il faut, comme pour le bouquetin, disposer de données permettant de comprendre leur fonctionnement dans le milieu, et évaluer les effets des actions, de régulation notamment, destinées à contenir les effectifs.

Dans ce contexte, l'objectif de cette partie ne consistera pas à décrire les modalités les plus précises de gestion d’une population, mais de comprendre les enjeux de collecte et de traitement de l'information associée à la gestion d'espèces chassables. Nous nous intéresserons d'abord à la gestion d'un animal générateur de dégâts, le sanglier Sus scrofa puis deux espèces assez proches, qui ne commettent pas de dégâts mais exigent d’être gérées pour que leurs survies soient assurées, les perdrix grise (Perdix perdix) et rouge (Alectoris rufa).

2.1. Quelles informations pour la gestion d'une espèce chassable responsable de dégâts?

Trois ongulés de nos campagnes banales sont à l’origine de dégâts principalement agricoles, sylvicoles et viticoles : le cerf élaphe Cervus elaphus, le chevreuil Capreolus capreolus et le sanglier Sus scrofa. Si chacune affecte de manière préférentielle certaines cultures (vignes et cultures céréalières pour le chevreuil, jeunes arbres forestiers pour le cerf, maïs pour le sanglier…), elles suscitent toutes un débat relatif à leur mode de gestion. Si certains acteurs du territoire souhaitent protéger l’espèce, d’autres, souvent les parties prenantes touchées par les dégâts, incitent au contraire à intensifier la régulation. Deux modèles de gestion s’opposent alors.

(26)

26 Le premier s’apparente à la régulation cynégétique, qui a pour objectif de maintenir les populations à un niveau pérenne tout en rendant les dégâts acceptables lorsqu’ils existent. Les prélèvements sont alors fixés en fonction des prises des années précédentes, mais également des niveaux de dégâts constatés sur telle ou telle zone (Saldaqui, 2013). Cette manière d’appréhender la gestion de la faune sauvage s’oppose au second modèle, qui privilégie la création d’espaces naturels réservés à celle-ci, afin de pouvoir libérer les milieux productifs de leur présence. Mais ce cantonnement de la faune sauvage dans des espaces qui lui seraient réservés conduit à l’accroissement numérique rapide des ongulés banals qui dès lors, débordant du sanctuaire qui leur est attribué, envahissent les campagnes proches. Réguler ces espèces dans l’espace protégé devient alors nécessaire mais suscite des problèmes d’ordre social (prélever dans ce qui est assimilé à un sanctuaire pour la nature), juridique (il n’est pas possible d’intervenir comme sur un territoire chassé) et économique (des agents assermentés doivent parfois intervenir dans les ENP pour ces missions, afin de limiter le dérangement) (ibid.).

Dans tous les cas, les régulations qu’il faut pratiquer exigent une connaissance la plus précise possible des effectifs, de leur répartition, de leur taux de reproduction et de leurs comportements territoriaux. Or, si dans les ENP, les gardes peuvent collecter ces informations et donc permettre une gestion adossée à une connaissance fine des populations et de leur dynamique, l’étendue des campagnes banales et la rareté des personnels (techniciens des FDC, agents de l’ONCFS…) par rapport aux superficies à suivre impose d’avoir recours à des bénévoles pour assurer cette collecte d’informations indispensable à la gestion. L’examen de la manière dont est gérée l’espèce commettant le plus de dégâts, le sanglier Sus scrofa, doit nous éclairer sur les conditions de cette collecte d’informations et de leur usage pour la gestion.

2.1.1. Evaluer les effectifs et les dégâts.

L’information première indispensable à la gestion d’une espèce concerne le niveau de ses effectifs. Or, le sanglier étant un animal à la fois discret (il a des mœurs nocturnes, est se cache dans des zones denses en végétaux, comme les ronciers), dispersé dans l’espace et très mobile, en évaluer le nombre présent dans un territoire donné se révèle difficile. Si des indices de présence (traces, retournements de prairies…) ou même un contact visuel peut assurer de l’existence d’un ou de plusieurs individus dans une commune, rien ne dit qu’ils y séjournent à demeure. Des navettes sur des distances parfois importantes entre des milieux éloignés, séparés des discontinuités majeures comme des routes nationales ou des cours d’eau larges, sont courantes pour cette espèce (Baubet, 1998 ; Klein et al., 2008 ; Poinsot et Saldaqui, 2009). Dans ce contexte, ne pouvant qu’avec difficulté opérer un recensement précis de ses populations, on a recours à l’usage d’indicateurs. Ils sont collectés régulièrement sur de vastes étendues et permettent d’apprécier les variations temporelles et spatiales des populations, sans pour autant connaître précisément les effectifs.

Un premier indicateur concerne les dégâts aux cultures. Déclarés auprès des FDC par les agriculteurs désireux de se faire indemniser, ils sont a priori assez proportionnels aux

(27)

27 effectifs animaux. Cartographier les lieux de ces dégâts, comparer leur ampleur au fil des années, permet de se faire une idée des lieux où l’espèce est surtout présente et de l’évolution de ses effectifs. Mais les biais sont nombreux, ces dégâts agricoles pouvant par exemple varier en proportion inverse de la nourriture présente en forêt. Une année de forte production de faînes (le fruit du hêtre dont l’animal est friand) peut ainsi voire diminuer les dégâts aux cultures sans pour autant que les effectifs n’aient suivi la même tendance.

Dans ce contexte, examiner le nombre d’individus abattus peut constituer un autre indicateur assez fiable lorsque l’espèce peut être tirée sans réserve, donc dans les territoires où elle n’est soumise à aucun plan de chasse. On peut en effet estimer que, dans un territoire donné, et pour un nombre de battues à peu près constant chaque année, des prélèvements élevés témoignent d’effectifs abondants tandis que des tableaux de chasse réduits reflètent un repli des populations.

Lorsqu’à l’inverse, l’espèce est soumise à un plan de chasse (X animaux à prélever en une saison de chasse dans telle commune), son taux de réalisation peut aussi servir d’indicateur.

Si 100 % du prélèvement prévu est effectué durant plusieurs années consécutives, on peut estimer que l’espèce est abondante, et sans doute que le niveau de prélèvement fixé par le plan de chasse et insuffisant. Au contraire, si le taux de réalisation du plan de chasse est régulièrement inférieur aux objectifs, c’est que la population est vraisemblablement inférieure à celle que postule le plan.

Si ces deux types de données (dégâts et niveau du prélèvement cynégétique) constituent a priori des indicateurs robustes, la question de leur collecte, qu’il s’agisse de l’échelle géographique ou des acteurs, n’est pas un processus « qui va de soi ». Il exige en effet qu’un réseau d’amateurs (des chasseurs, des présidents d’ACCA9, de SC10 ou des gestionnaires de territoires) soit coordonné par des professionnels (les personnels des FDC11, les salariés de la DDT/DDTM12…). Les premiers fournissent les données des prélèvements, parfois les structures d’âge et de sexe dans ceux-ci et leur localisation, tandis que les seconds sont en charge de traiter ces données, de mesurer les évolutions spatiales et quantitatives de l’espèce.

Concernant les dégâts, c’est la FDC qui reçoit les demandes d’indemnisation émanant des agriculteurs. Par une cartographie de leurs lieux d’occurrence et une comparaison interannuelle de leur nombre, elle peut mettre en lumière leurs dynamiques et tenter de les corréler aux prélèvements effectués. Le rassemblement de ces informations dans une base de données départementale permet alors d’offrir à la Commission Départementale de la Chasse et de la Faune Sauvage (CDCFS) une vision d’ensemble des dynamiques spatio-temporelles de l’espèce. Dans les départements où l’espèce est soumise à plan de chasse, c’est donc à partir de ce tableau combinant niveau de prélèvement et dégâts que seront fixés, territoire par territoire ou commune par commune, les effectifs à prélever l’année suivante.

9 Association Communale de Chasse Agréée.

10 Société Communale.

11 Fédération Départementale des Chasseurs.

12 Direction Départementale des Territoires et de la Mer.

Références

Documents relatifs

ﺾﻌﺑ ﰲ ﺪﳒ ﺎﻨﻧأ ذإ ،ﺞﺘﻨﳌا ﻒﻴﻟﺎﻜﺗ ﺎﻬﻌﻣ ﺖﻌﻔﺗرا ةدﻮﳉا ﺖﻌﻔﺗرا ﺎﻤﻠﻛ ﻪﻧأ ﻰﻠﻋ ﻢﺋﺎﻘﻟا مﻮﻬﻔﳌا ﺾﻔﺨﻨﻣ ﺔﻴﻟﺎﻌﻟا ةدﻮﳉا وذ ﺞﺘﻨﳌا نﻮﻜﻳ يأ ﻒﻴﻟﺎﻜﺘﻟاو ةدﻮﳉا ﲔﺑ ﺔﻴﺴﻜﻋ ﺔﻗﻼﻋ

D’une part, les ressources positives (l’environnement, le mobilier, le matériel, les dynamiques de projets, le climat, etc) qu’un établissement peut mobiliser pour implémenter

Partager des informations et confronter des expériences qui ont déjà démontré leur pertinence, tels sont les objectifs de la ren- contre régionale «Coopération internationale dans

(1985) étudient 53 enfants hémiplégiques divisés en 3 groupes selon que la lésion est survenue dans la période prénatale, dans les 2 premiers mois de vie ou après 5 ans

Les performances en compréhension sont évaluées par le nombre moyen de réussite de chaque enfant... Les performances en compréhension

FOUCAULT distingue quatre seuils qu’un savoir peut franchir pour prétendre être une science : un seuil de « positivité » ou « moment à partir duquel une

Tous sujets concernant la PAC surface et la déclaration des aides (hors aides MAEC et bio) : aides découplées et couplées végétales, relevés de situation, codes Télépac,

Dans le cadre de la nouvelle programmation européenne confiée à l’autorité de gestion du Conseil régional de Bretagne, 2016 s’est placée dans la continuité de 2015 avec