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LE CHATEAU
DE
SAINT-GERMAIN-EN-LAYE
PAR
H. ET G. DAUMET
PARIS
librairie
générale de
l'architecture et des arts décoratifsCharles SCHMID, Éditeur
51,
RUE
DES ÉCOLES, 511905
LE CHATEAU
DE
SAINT-GERMAIPi-EN-LAYE
LE CHATEAU
DE
SAINT-GERMAIN-EN-LAYE
PAR
H. ET G. DAUMET
PARIS
librairie
générale de
l'architecture et desarts
décoratifsCharles SCHMID, Éditeur
51,
RUE
DES ÉCOLES, 511905
A Monsieur JULES COMTE
DIRECTEUR HONORAIRE DES BATIMENTS
CIVILS4
LE CHATEAU
DE
SAINT-GERMAIN-EN-UYE
I
Nous manquons
dedocuments
certainspour
affirmer qu'il existaitune
résidence royale àSaint-Germain-cn-Laye
avant le xu" siècle.On
peut supposerseulement que
les princes mérovingiens et carolingiens venaient chasserdansles vastes forêtsqui couvraient le plateaudominant
la Seine sur lequel est construit le château actuel.Le
long de la pente orientale de ce plateau s'étagcaitle villagedWupec
(aujourd'huiLe
Pecq) qui avaitété terri- toiredu
fisc sous la première race'.Au sommet,
le roi Robert (997-1031) fondaune
église dédiéeaux
saintsVincent
etGermain,
et lui assuraune
dotation.Nous
savonsque
cette églisefut, sous le règne deHenri1",vers 1040ou
1050, placée sous la juridiction spirituelle et temporelle des évôques de Paris.Un peu
plus tard, vers l'année 1060,Imbert
qui occupait ce siège épiscopal la céda à l'abbaye deCoulombs
^ au diocèse de Chartres, et doréna- vant ce furentdesmoines
de cemonastère
quiy
assurèrentl'exercicedu
culte.Il est vraisemblable qu'autour de celte église, segroupèrent des habitations, et
que
telle fut l'origine de la villede Saint-Germain-en-Laye.1. Cesdétails etceuxquisuiventsont empruntésàl'ouvragede l'abbé Lebeuf: Histoirede la ville etdetoutlediocèsede Paris (éditionde1883-1893, Paris,in-8°), t.III. p.132 et suivantes.
2. Eure-et-Loir, arrondissementde Dreux, canton de Nogent.
8
LE CHATEAU DE
SAINT-GE RM AIN-EN-L AYE
11 faut descendre jusqu'à l'époque
du
roi LouisYI
(1108-1137) pour ren- contrerune mention
précise de l'existence en ce lieu d'un château habité par les souverains.Ce
château dutcomprendre
à l'origine le donjon etun
corps de logis placé dans la direction est-ouest. Diverses indications tirées de chartes et de chroniques permettent de noter les séjours qu'y firent les Capétiens : c'est d'abord LouisYI
donton
constate la présence parun
acte daté deSaint-Germain
oii il confirmait à l'église les donations de ses prédé- cesseurs; c'est ensuite LouisYII
quiy
résida en 1143 et y tint en 1169une
conférence avec le roi d'Angleterre Henri II. Ilsemble que
Philippe-Augusteait séjourné plus
longuement
et plusfréquemment
àSaint-Germain
: outreque nous
trouvons trace de son passage en 1189, 1192, 1207, 1212, 1219, 1220, 1222 eten
février 1224où
il rédigea son testament,nous
savons qu'iljugea nécessaire de bâtir dans lamaison
royaleune
chapelle particulière placée sous l'invocation de NotreDame. Au mois
d'avril 1223, il constitua en eflet à l'abbaye deCoulombs une
rente annuelle de quatorze livres à percevoir sur la prévôté de Paris, à la conditionqu'un
desmoines
de cemonastère
en résidence au prieuré deSaint-Germain
célébreraitchaque
jourlamesse
et lesvêpres dans l'oratoire
du
château,pour
le salutdu
roi etpour
lesâmes
de ses parents'.Nous avons
ainsi la preuve que, dès les premièresannées du xm"
siècle,Saint-Germain
était déjà l'un des séjours favoris des rois, qu'ilsy
possédaientun
établissement fixe d'une certaine importance,un
édifice capable d'abriter les divers services de la cour. Saint Louis l'habita avec samère,
la régenteBlanche
de Castille : divers actes quinous
ont été conservés sont datés de ce château et c'est là,notamment, que
le roi reçut,en
juin 1247, l'empereurlatin de Constantinople,Beaudoin
II,venu
en Occidentpour
implorer des secours contre les Grecs.On
saitque
ce prince fit présent àLouisIX
d'un certainnombre
de reliquesdela Passion,don
quidonna
lieu à la construction de la Sainte-Chapelledu
Palais à Paris, oiion
les déposa,A Saint-Germain également
furent arrêtées, le 28septembre
126G, les condi- tionsdu mariage
deBlanche
deFrance
avecdon Fernando
dela Cerda, infant de Castille, fils et héritier d'AlphonseleSavante
1. A.Tculct :Layettesdu Trésor des Chartes,t. I, p. 560. Les termes de la chaile que nous citons sont trèsnets etprouvent sansconteste que lapremière chai)elleduchâteau a été bâtie parPhilippe-Auguste.
2.
Dom
Luc d'Achery : Spicilegium^ t. XII, p. 593,etArchives nationales,J91S,n» 6.LE CHATEAU DE
SAINT-GERM AIN-EN-LAYE
9II
Des
constructions qui existaient à Saint-Germain à la findu
règnedu
saint roi,deux seulement
sontaujourd'huidebout, le donjon et la chapelle, dontnous
aurons à parler en détail.Les
autres ont été entièrement transfor-mées ou
détruites, et l'on n'en retrouve plusque
les fondations.On
peut conjecturer avec vraisemblanceque
le château d'alors était fortifié etque
le donjon quadrangulaire situé à l'angle nord-ouest était déjà bâti depuis long- temps, ainsi qu'un logis dont les substructions existent encore sous la cour, dansune
direction diagonale à cette cour, vers l'est. Ce logis étaitun
édifice simple en profondeur,comme
la plupart de ceuxdu moyen
âge; ses cavescommuniquaient
avec l'étage souterraindu
donjon, qui servit plus tard de prison. Les parties souterraines sont debonne
construction, avec desmurs
de 3 mètres d'épaisseur; lalongueur
intérieure est de 43 mètres, la largeur deo'°,50; des dosserets supportent de robustes arcs doubleaux.
A
cette cave voûtée en berceau plein cintre, descendaientdeux
escaliers placés dans levoisinage l'un de l'autre :
une
« vis » circulaire ànoyau
plein, qui faisait à sa partie hauteune
saillie extérieure, etun
escalier droitbeaucoup
plus large, dont les marches, qui ont disparu, étaientsurmontées
d'une voûteformée
d'une suite d'arcs en plein cintre appareillés avec soin, se juxtaposant et se succédant en échelons.A
la suite de cesconstructions souterraines, subsistent desmurs
dérasésun peu
au-dessousdu
sol actuel de la courdu
château : ce sontles restes d'une vaste salle de gardes de 23 mètres de long sur 8",60 de largedansœuvre;
lesmurs
qui la limitentont l'°,40 d'épaisseur au-dessusdu
sol ancien.
La
direclion longitudinale de ce corps de bâtiment suit celledu
premier avecune
légère déviation vers le nord-est.A
l'extrémité, vers le sou- terrain,on
trouvela tracededeux
contreforts extérieurs placés diagonalementaux
angles de lagrande salle : celle-ci était donc indépendantedu
premier et plus ancien édifice, qui peut-être d'ailleurs avait déjà disparuquand on
la construisit.A
l'autre bout, la salle étaitpourvue
d'une vastecheminée
offrantune
certaine analogie avec celles qui décorent la salle basse desPas-Perdus
2
10
LE CHATEAU DE
SAINT-GERMAIN-EN-L
AYE
du
PalaisdeJusticede Paris (xui' siècle).En
arrièredu mur
auquel s'adossent les fragments de la cheminée, étaientdes pièces deforme
quadrangulaire,un
escalier
en
« vis » et des restes de murailles se reliant à d'autres bâtimentsau nord
et au sud.Ces fragments ont en plan
un
tout autre caractèreque
les fondationsdu
donjon et les caves quicommuniquent
avec lui. Peut-être faut-il y voir les tracesdu
logis de saint Louis, dont l'étendue n'apu
êtrecomplètement
reconnue, car des constructionsde l'époque de la Renaissance recouvrent en partiel'emplacement
qu'il devait occuper.En
tout cas, ilnous
reste de l'époque de ce prince la chapelle, conservée presque intactemalgré
toutes les transformations, tous lesremaniements
et toutesles additionsque
subit, dans les âges suivants, le château de Saint-Ger-main
:on
larespectamême
lorsque, le goût ayant changé, les constructionsdu moyen
âge passaientpour
desœuvres
barbares.Et
de fait, cette chapelle, parsonunité, par l'éléganteharmonie
de ses proportions, parla délicatesse de ses détails, mérited'être considéréecomme
l'un desmonuments
les plus purscomme
styleque
lexnf
sièclenous
ait laissés. Suivantl'expression très juste de Viollet-le-Duc, « c'est la construction seule qui fait toute la décoration...tout est clair, se
comprend au premier
coup d'œil... l'architecte a su confor-mer
son architectureàl'échelle de sonmonument*
».Le
plan de l'édifice est des plus simples : c'estune
nef rectangulairedu
côté de l'ouest qui se termine à l'orient parune
abside polygonale à cinq côtés.Sa
largeur est de 9°',S0, salongueur
de 27 mètres entre lesmurs,
sa hauteur sous clé de 17 mètres.Tout
à l'entour règneun soubassement formant un banc
continuqui estinterrompu seulement au
droit des portes et dedeux
petits oratoires latéraux
modernes
; cesoubassement
estsurmonté
d'une arcature trilobéeque
soutiennent des colonnettes isolées. Au-dessus,un
pas- sagequipermet
de circuler intérieurement à la base des fenestrages, traverse lespiliers sur lesquels reposentlesvoûtes. L'abside, deforme
polygonale, est continuée parune première
travée d'une largeur égale àchaque
facedu
poly- gone; les trois autres travées de la nef sont sensiblement plus larges.Les
voûtesen
arcs briséssurcroisées d'ogive sontsupportées par quatorze faisceaux de colonnes qui correspondentrespectivementaux
arcsdoubleaux
etaux
ner-l. Viollet-le-Duc:DieLionnaireraisonné del'arcliiteclure française,moi« chapelles (saintes) ».
LE CHATEAU DE SAINT-GEUMAIN-EN-LA YE
11vures; les pénétrationsau droit des verrières s'appuient sur des formerets; les
tympans
desvoûtes sont remplis de pierre de petit appareil. Les colonnessontsurmontées
de chapiteauxà formes variéeset les nervures diagonales viennent bulersurdes clés ornées de rosaces d'un intérêtexceptionnel dont ilsera parlé ci-après : la sculpturede tous ces éléments décoratifs est d'une grandefinesse etdu
plusbeau
style.Quant
aux
fenestrages, quicomp-
tent à
peu
près pour lesdeux
tiers de la hauteur totale, ils sont compris dans des
encadrements
rectangulairesoii prennent place des
me- neaux
portant des réseaux de nervures en formes d'arcs brisés, de rosaces et de trè- fles.Une
grande rose d'un dessintrès pur et très sobre, inscrite dansun
carré parfait plus largeque
lanef (10mè-
tres), occupe, au-dessus des arcades trilobées
du
soubas- sement, toute la face occi- dentale de l'édifice.On
accé- daitanciennement
à la cha- pelle pardeux
portes laté- rales semblables et placéesau
bas de la nef vis-à-visl'unedel'autre; lesrestesdecellequi ouvrait
du
côtédelacour existentencore;ils étaient englobés dans les
maçonneries
de la « vis » de l'angle sud-ouest construiteau
xvi" siècle; plus effacés étaient les restes de l'autre porte, dontil n'ya de conservé
que
les parties inférieures. L'identité des moulurations de la partie basse avec celles correspondantesdu
côté de la cour est telle qu'il a paruque
la constructiondu
surplus devait être identique.Complè- tement
isolée, la chapelle recevait de toutes parts la lumière qui tra- versait des verrières telles qu'on savait les peindre à la meilleureépoque
TETE
OKNANT
UNE CLEF DE VOUTE DE LA CHAPELLE12
LE CHATEAU DE SAINT-GERMAIN-EN-L AYE
du moyen
âge. Mais de ces vitraux, rien no subsiste plus; en outre, la rose tout entière, ainsique
trois des fenêtres vers l'abside, ayant été aveugléesau
xvi' siècle par des constructions nouvelles,nous ne pouvons
avoir aujourd'hui qu'une idée imparfaite de l'oratoiredu
château de Saint-Germain,
tel qu'il avait étéconçu
et exécuté.A
l'extérieur, les fenestrages étaientsurmontés
de plates-bandes appareillées avec des recherches de construction remarquables.Le couronnement
en garde-corps aétéreconstitué avec sûreté, car denombreux
fragments ont été retrouvés; il n'apu en
être demême pour
lescontreforts extérieurs,qui avaient étémutilésau
xvi' siècle.Le monument
dontnous venons
de parlerremplaça
la chapelleque
Philippe-Auguste avait élevéeen
1223.Quant
à la date de sa construction, Viollet-le-Duc', par la simple inspection de son caractère d'art, la plaçait entre lesannées
1230 et 1240. Cette conjecture estpleinement
justifiée parun document que
l'on conserveau
Trésor des Chartes'' : ilnous apprend
qu'aumois
de juin 1238, LouisIX
confia àun
chapelain particulierl'exercicedu
culte dans la chapelledu
château de Saint-Germain, chapelle plus belle« par les
matériaux
et par l'art » 'que
celle fondée par son aïeul. Ce cha- pelain royal célébrerachaque
jour lamesse
dans lenouvel
oratoire, tandisque
lemoine
de l'abbaye deCoulombs,
chargé auparavant de ce soin, dira son office dans la chapelle Saint-Gilles de l'église de Saint-Germain-en-Laye.L'abbé de
Coulombs donna
son assentiment à cet acte, à conditionque
sonmonastère
continuerait à percevoir la rente annuelle de 14 livresque
Phi- lippe-Auguste lui avait concédée enavril 1223.De
tout cela, ilressort claire-ment
qu'en juin 1238, les travaux de la nouvelle chapelle, entrepris sous la régence deBlanche
de Castille qui prit fin,comme on
sait, en 1237, étaient en voied'achèvement en
1238 puisqu'on se préoccupait d'y assurer la célé- bration des cérémoniesreligieuses.En
cequi concerne l'architecte qui sutconcevoirle plan d'unmonument
aussi parfait
dans
sonensemble
et ses détails, il serait àcoup
sûr téméraire de rien affirmer. Cependant, ilestune remarque
qui s'impose: c'estl'analogie\. Viollet-lc-Duc: Op.cit., t. II,p.430.
2. A. Teulet: Layettes du Trésordes Chartes, t. II, p. 384. Ce document, ainsi que la charte de Philippe-Augusteque nous avons mentionnée plus haut, a étéréimprimé par M.J. Dulon dans unarticle intitulé : «Date de laconstructionde lachapellede saintLouisauchâteau de Saint-Germain-en-Laye » [Revue archéologique, 1903, II).
3. Il ...capellammaleria et arlificiovenustiorem... »
LE CHATEAU DE
SAINT-GERMAIN-EN-LAYE
13 qui existe, dans les dispositions intérieures, entre le collatéral droit del'église abbatiale de Saint-Denis et l'oratoire de Saint-Germain.
On
trouveen effet dans les
deux
édifices divers éléments qui caractérisent le stylechampenois-bourguignon*
etnotamment
le passage traversant les piliersauxquels s'adossent les faisceaux de colonnes qui reçoivent les nervures de la voûte,
chemin
de rondeque
Villard deHonnecourt
appelait «allée » et qui était placéau
basdes fenestrages.L'encorbellement
que forme
ce passage sur lenu du mur
de
soubassement
est soulagé à Saint-Germaincomme
à Saint-Denis par des colon- nettes placées surun
stilo- bate àusage de banc, colon- nettes dont les délicats cha- piteaux portent des arca- tures trilobées et ajourées.Or nous
savons aujourd'huique
Pierrede Montereau,que
la tradition désigne
comme
l'auteurdelaSainte-Chapelle
du
Palais k Paris, fut certai-nement
le maîtred'œuvre
et l'architecte de l'abbatiale de Saint-Denispour
les travauxentrepris sous le règne de Louis
IX
% et grâceaux encouragements
de ce prince.De
lacomparaison
dedeux
édifices bâtis àpeu
près à lamôme
époque, offrant des détails identiques et présentant l'un et l'autre des carac- tères étrangers à la région
où on
les élevait, peut-être pourrait-on conclure1. VioUet-le-Duc aremarqué (loc. cit.)que lachapelle de Saint-Germainn'appartientpasau stylede l'Ile-de-France.
2. Une pièce, découverte par M. Henri Stein dans un des carlulairesde Saint-Denis, ne laisse aucun doute à cet égard. Cf. « Pierre de Montereau, architecte de l'abhaliale de Saint- Denis 11, parH. Stein (Mémoires de la Sociéténationaledes antiquaii'esde France, t. LXl).
TETE
ORNANT
UNE CLEF DE VOUTE DE LA t;HAPELLE14
LE CHATEAU DE
SAINT-GERM AIN-EN-L AYE
qu'ils appartiennent à
un môme
artiste dont le roi etune abbaye
jouissantdu
patronage royal auraientemployé
les talents. C'est làune
hypothèse qui n'a rien d'invraisemblable,mais qu'aucun
texte précisne permet
de vérifier.Les
remarques
déjà faites sur la sobriété des éléments décoratifs et sur l'élégance de lignes de la chapelle fondée par saint Louisau
château deSaint-Germain
s'étendent à toutes les parties de l'édifice etnotamment aux
nervures de ses voûtes en croisées d'ogives qui aboutissent,comme
il a été dit, à des clés portant des rosaces d'une belle exécution. Ici encore,on
estamené
à constater des analogies avec ce qui existe à Saint-Denis.A
cette abbatiale demôme
qu'à Saint-Germain, des tètes qui attiennentaux
rosaces se dressent entre les nervures; elles sont légèrement inclinées sur leurs bustes. Mais tandis qu'à Saint-Denis, ces tètes sontpeu
visiblesdu
sol à cause de lagrande
hauteur de la nef, à la chapelledu
château,au
contraire,on
les distingue parfaitement.La
clé contre laquelle se butent les sept nervures de l'abside n'est ornéeque
d'une seule têtegrande
nature, le visage tourné vers le bas de la nef, le front ceint d'unecouronne
royale tlcurdelisée, lescheveux
longs, ondulés et bouclés, les traitsdu
visageexprimant une grande
bonté. L'artiste habile qui a sculpté cette figure a certainement travaillé d'après nature etnous sommes,
à n'en pas douter,en
présence d'un portrait. Il est peut-être permis de supposer qu'il avoulu
fixer la
physionomie du
prince alors régnant, et si cette hypothèse était vérifiable,on
aurait dans la chapelle deSaint-Germain un document
très précieuxpour
l'iconographie de LouisIX
encore jeune, puisqu'il étaitné
le 25 avril 12IS et
que
l'édifice dontnous
parlons fut achevéaux
environs de l'année 1238.A
la croisée d'ogive suivante,nous
rencontronsdeux
têtes de jeunes gens avec lescheveux
ondulés et pendants sur les épaules; elles portent desdiadèmes
perlés et fleuronnés telsque
sont lescouronnes
princières ; ces figures offrentcomme
lapremière
tous les caractères de véritables portraits et l'on serait tenté d'y voir les représentations dedeux
des frèresdu
roi, sans qu'il soit possible de les identifier avec l'un plutôt qu'avec l'autre desnombreux
enfants issusdu mariage
de Louis VIII et deBlanche
de Castille'.Quant aux
quatre autres bustes engagés dans le1. Nous ne connaissons point, en effet, la date exacte de la mort de plusieurs de ces princes,qui neparvinrent pasàlàge d'homme. Cf.le P.Anselme:Histoiregénéalogiqueet chro- nologique de la maisonroyale de France^ l. I,p. 82.
LE CHATEAU DE SAINT-GERMAIN-EN-L A YE
lo retroussis des rosaces qui ornent les clés desdeux
dernières croisées d'ogive,il n'y a point de raison de supposer
que
l'imagier ait voulu représenter desmembres
de la famille royale, caraucune
de ces figures ne ported'emblème
indiquantune
qualité princière : ce sont desœuvres
sculptées d'après nature, ainsi qu'il était d'un usage courantau moyen
âge. Trois sont des têtes de jeuneshommes aux
longs
cheveux
; la quatrième estune femme au
type très délicat dont la chevelure est cachée par cette coiffe carac- téristiquedu
xui" siècle qui consistait « enune forme
basseou
mortieret qui avait pouraccompagnement
ordi- naireune bande
de linonou
de mollequin qui se posait en premier lieu sur la che- velure et qui descendant le long des joues passait sousle
menton
»Un
dernierbuste enfin, placé à l'exté- rieur de la chapelle, a été découvert
en
1895 : il étaitenglobédansles
maçonneries du
pavillon sud-ouest bâti par Mansart. Celte figure, qui est celle d'un jeunehomme
dont lescheveux
sont retenus au-dessusdu
front parune
bandelette avait été altérée par les intempéries :on
l'a reproduite et placée à l'endroitmême
qu'elle occupait. Elle étaitpurement
décorative et ses épaules soute- naientun
encorbellements L'assise de pierreoù
elle était sculptée appar-TETE ORNANT UNE CLEF DE VOUTE DE LA CHAPELLE
1. J. Ouicherat:Histoiredu costume en France, p. 188.
2. M. Salomon Reinach,dans une brochure intiluléc Muséechrétien dans la chapelle Saint- Louisauchâteau de Saint-Germain etdansun articlede la (inzetledes Beaux-Arts (1'-'^rteplcniljrc 1903), a donné des reproductionspliotograi)hi<iuesde ces tètes eta attribué unnomà chacune d'elles.
16
LE CHATEAU DE SAINT-GERMAIN -EN-LAYE
tenait à
un segment
de cercle d'une « vis ».Ce
fragment précieux a permis de reconstituer avecune
certitude absolue l'escalier partantdu
sol de la chapelle, qui dessert la galerie de circulation et aboutitaux chéneaux
de toiture à la basedu
pignon'.III
Les
successeurs de saint Louis continuèrent d'habiterfréquemment
lechâteau de
Saint-Germain
:nous
savonsque
Philippe-le-Hardiy
vint enmai
1271, après avoirrendu
àsonpèreles derniers devoirs etque
Philippe-le- Bel y séjourna à plusieurs reprises,notamment
ennovembre
1301,en
août 1302 eten
juin 1304.La
premièremention du
parc qui environnait lamaison
royale se trouve en 1331 ^Lors de l'invasion anglaise de 1346, les troupes
d'Edouard
IIIvenant
de laNormandie
et se dirigeant vers la Picardie, traversèrent Saint-Germain, brûlant et pillant lebourg
et le château.La
destructionne
fut sans doute pas complète : en tout cason
s'occupa sans délai de relever les ruines, carnous voyons
Philippe de Valoisy
employer, en octobre 1349, lasomme
de 600 livres tournois% etson filsJean
II occuper cette résidenceen
1351. Mais les Iravaux de réfection et de restauration furent interrompus par la guerre et la captivitédu
roi. C'estseulement
à l'époque de CharlesV, pendant
les quelques années
où
des succès militaires etune
sage administrationramenèrent
enFrance un peu
decalme
et de prospérité qu'on les acheva.Outre le
témoignage
précis de Catherine de Pisan qui attesteque
ce prince,1. Les tètes idciiti(iiicnic!nt placéesà Saint-Germain cl à Saint-Denis, les rapports très particuliers qui existent dans rornementation entre les portes de la chapelle et le portail latéral de l'abbatiale paraissent bien prouver que les
mêmes
artistes ont exécuté les sculptures des deux édifices. Des portes dont nous venons de parler, on peut aussi rapprocher le porche de Saint-Séverin de Paris qui offre des dispositions analogues.2. Lebeuf, op. cit.., p. 1.37.
3. " DominusPetrus de Sancto Johanne miles, pro dcnariis demandate régis eidem deli-
beratis pro refeccionibus domorum régis de Sancto Germano in Laya faciendis GOO 1. t. .»
(J. Viard: Journauxdu ti'ésor de Philippe de Va'ois, p. 488, n» 2761, dans la collection des Documentsinédits).
LE CHATEAU DE SAINT-GERMAIN-EN-LAYE
17amateur
de constructions et de choses d'art «moult
iit reedifier notablementle chastel Saint-Germain-en-Laye », nous avons dans de
nombreux mande- ments
la preuve des séjours qu'il y fit et des travaux qu'il yordonna
: il y résida vingt fois depuis le 6 août I36G jusqu'au 10 août 1380 ».En
13G9, le12mars, il y établit
comme
capitaineun
chevaliernommé
Jean deMeudon
avec six
hommes
d'armes et six arbalétriers le 25 janvier 1377, il faisaitpayera un
certainJean d'Orléansune somme
de 100 francs pourdes peintures exécutées dans lechâteau, sansdoute
pour
l'ornementa- tion des salles \En
quoiconsis- tèrent exactement les restaurations et lesembellissements prescrits par Char- lesV pour
cettede-meure
qu'ilsemble
avoir affectionnée?C'est
une
question quine
peut êtrerésolue puisque
nous ne
connais- têtu placék a l'extérieursons
aucune
repré- chapellesentation
du
châ-teau à cette époque, et
que
l'édihce fut depuis siprofondément remanié
qu'on ne saurait indiquer avec certitude ce qu'il était à la findu
xiv" siècle.On
peut admettre cependantque
le donjon avait, grâce à sa construction robuste,mieux que
d'autres parties, résisté à l'incendieallumé
par lesAnglais : il dut être le point de départ de l'enceinte construite sur des fondations anciennes, ayant la
forme
d'un pentagone oblong et fort irrégu- lier, flanquée de toursaux
angles et entourée de fossés profonds.La
cha-1. L Delisle : Mandementsde Charles V(collectiondesDocumentsinédits).
2. Ibidem, p. 332, n° 6^8 3. Ibidem, p. 802, n» 1617.
3
18
LE CHATEAU DE SAINT-GERMAIN-EN-LAYE
pelle de saint Louis
que
le feu avait épargnée, était contournée à dislance par lemur
de défense.Ce mur
étaitcouronné
d'un encorbellementformant
mâchicoulis et supportantun chemin
de ronde crénélé, percé de meurtrières et d'archères, lequel devait être couvert.Au
sud-ouest, Tenceinte suivaitune
direction oblique, indiquée parDu
Cerceau, et l'on peutprésumer que
sous CharlesV
elle avaitun
caractèrepurement
défensif.De
cemôme
côlé sud-ouest,au
troisièmetrumeau
à droite de la porte d'entrée,une
tianchéefaite pour connaître la composition des constructions successives a
montré que
lemur
d'enceinte de CharlesY
avait à cet endroit 2°",15 d'épaisseur, etque deux
des assises correspondantaux
encorbellements de mâchicoulis s'augmentaient de sailliesmoulurées
; cemur
fut plusque
doublé sous François I"etporté à l'énorme épaisseur de 4"",70,afm
de correspondre aunu
desmurs
et contreforts de la salle de fêtes.La
construction Renaissance futdonc
juxtaposée à la murailledu moyen
âge, cans liaisons aucunes.La
porto d'entrée principaledu
château était située làoù on
la voitencore aujourd'hui, c'est-à-dire prochedu donjon
sur la face occidentale; elle a étéremaniée
à diverses époques.Ce
qu'il en restecomprend
do solides dossercts avec })lu- sieurs glacis et retraites sur sa hauteur.Du
côlé droit de cette porte,on
constate, dans l'épaisseur de la muraille, l'existence d'uneembrasure
dirigée vers lê pont-levis qui,au moyen
âge, donnait accès dans le château :on
peut supposer qu'ilen
était demême
de l'autre côlé de laporte. Cesembra-
sures furentétablies, sans doute, lorsque l'arlillerie futemployée
à la défense des places fortes.Quant au
logis royal, il est probableque
ses bâtimentsne
s'appuyaient pas à l'enceinte dont le caractère étaitpurement
défensif : ildevait
comprendre
outre le donjon,deux
travées voûtées qui subsistent encoreau nord
de cedonjon
et peut-être les constructions qui s'élevaient au-dessus des caves et desmurs
dérasés dont la trace a été retrouvéedans
la couractuelle et
que nous avons mentionnés
dansun
paragraphe précédent.Le
château de SaintGermain
fut habité à plusieurs reprises par CharlesYI
et sa cour jusqu'aumoment où
iltomba pour
la seconde foisaux mains
des Anglais. Mais ilne
parait pas qu'il eut à souffrir, et il fut proba-blement
occupé parune
garnison étrangèrecomme
les places fortes de laFrance du
nord,où
le roi d'Angleterre futreconnu pendant
quelques annéescomme
le souverain légitime.Une
tradition rapportée par l'abbéLebeuf
veutque
Charles YII,en
reconquérantpéniblement
son héritage, « le relira desLE CHATEAU DE SAINT-GERMAIN-EN-LA YE
19mains
d'un capitaine anglois, qui le gardoit, par lemoyen
d'unesomme
d'argent ' ».
Nous
n'avons pas de preuve qu'il yait résidé lui-môme, etnous
savonsseulement que
son successeur LouisXI
en fit don,au mois
de septembre 1482, enmôme temps que
les places et seigneuries qu'on désignait sous lenom
de châtellenie de Poissy, à Jacques Coitier, son premier médecin, président de laChambre
des comptes, quien
futprobablement
dépouillé à lamort
de son maître.IV
Il
ne semble
pasque
Charles VIII ni LouisXII
aient habité Saint-Germain,
et le château dut rester inoccupé sous leurs règnescomme
il l'avait étédu temps
de Charles VII etde Louis XI. Mais les avantagesque
présentait sa situationdansun
pays couvert de forêts et propice à la chasse, et aussi laproximité deParis, devaient attirer l'attention de François 1" et l'engager à y séjourner.
Le
goût,demême que
lesbesoinsetleshabitudes,s'étaientprofondé-ment
modifiésdepuisque
LouisVI
et saintLouisavaient édifié leurslogis, etque
CharlesV
avait fait élever l'enceinte fortifiée; tout cet appareil défensif avait perdu sa raison d'être àune époque où
l'on n'avait plus, semblait-il, à craindrede brusques invasions de l'ennemietoù
l'amourdu
luxe etd'une vie élégante prenait la place des vieillesmœurs
féodales. Partout, les antiques châteaux forts étaient délaissés, et le roi,comme
les seigneurs, préférait desdemeures
plus gaies, ordonnées avec plus de magnificence, etoù
rien ne rap- pelait l'image de la guerre. Certainesmaisons
royales furent alors créées de toutes piècescomme Chambord ou
Madrid, d'autres furent appropriées à lamode du
jour etremaniées plusou moins complètement
: il en fut ainsipour
le château de Saint-Germain.
Le
périmètre de la solide enceinte qu'avait bâtie CharlesV
fut conservé et les murailles fortifiées avec leurchemin
de ronde servirent desoubassement aux
constructions nouvelles.Des
logis1, Lebeuf, op.cit., p. 138.
20
LE CHATEAU DE
SAINT-G ERMAIN-EN-L
AYE
anciens tout disparut, tandis
que
lachapelle et le donjondemeurèrent
intacts, y compris lapremière travée voûtée qui y attient.On
peut conjecturerque
les travaux furent entrepris parordre de Fran- çois I" aprèsque
ce prince futrevenu
de captivité (1526), et qu'on lescom- mença
par la face nord qui s'étend vers l'estdu donjon
:on
les continua en suivant lemur
ancien de l'enceinte de CharlesY
jusqu'àune
tour voisine de la chapelle. Ainsi furent aveugléesdeux
des verrières de l'abside.Quant au
bâtiment ouest qui contient la salle des fêtes actuellement désignée sous lenom
de Salle de Mars, bienque
ses façades fussentla continuation des autres corps de logis, il dutêlre élevé en dernierlieu, suivant le contour de l'enceinte défensive, ainsique
l'indiqueDu
Cerceau, c'est-à dire en faisant subirune
sensible déformation à cette salle desfêtes.On
peut supposerqu'il en fut ainsiafm
d'éviterlesdépenses de nouvelles fondations.L'extrémitésud de lagrande salle vintmasquer
larose et lepignon
de la chapelle de saint Louis; en outre,une
pile, nécessaire pour supporter lavoûte de cette salle, tranchaen ladislo-quant
la rose, et mutila l'œuvre si précieusedu
xiu' siècle dont le mérite était alorsabsolument méconnu.
Les
constructions nouvellespour
lesquelleson
utilisacomme
base l'an- cienrempart
furentprobablement
élevées assez rapidement, caron
n'yemploya,
sauf lesoubassement
en pierre,que
desmatériaux
faciles à se pro- curer et à tailler, la brique et le moellon, lesparements
étant revêtus d'un enduit en mortier dechaux
et de sable. Les façades sur la cour, les seules qui soient parvenues sans graves altérationsjusqu'en 1862,époque
h laquelleon
entreprit la restaurationdu
château, offrentun
aspect singulièrement original avec les trois tours contenant des escaliers « en vis >i,couronnées
de coupoles en pierre. Cesfaçadescomprennent
au rez-de-chaussée et à l'en- tresol de grandes arcades s'évasant en plan, au-dessus desquelles estun
premier étage avec balcon, abrité à la partie supérieure parune
série d'arcs indépendants, réunissant des contreforts très saillants qui portent des gar- gouilles,surmontées
elles-mêmes de consolesrenverséesaux
larges sculptures;une
balustrade ornée de vases posésau
droit des contreforts règneau sommet
de l'édifice et délimiteun
vastepromenoir en forme
de terrasse, s'étendant sur toute la surface des divers bâtiments, terrassedu
haut de laquelleon
jouissait de l'imposantpanorama
des forêts de Saint-Germain etde Marly,du
cours dela Seine et des collines qui bordent l'horizon.La
couverture, consti-LE CHATEAU DE
SAINT-GERM AIN-EN-
LAYE
21tuée par de larges et épaisses dalles de pierre fort lourdes, reposait sur les voiites
du
second étage, voûtes dont il avait fallu neutraliser la poussée par des contreforts de suffisante résistance etaussi par destirantsen fer traversant les bâtiments àchaque
travée. 'J'oute rornementation extérieure sur la cour consiste dans la disposition ingénieuse des briques accusant la forme des fenêtres et dessinant des frontons au-dessus de cellesdu
premier étage. Ces combinaisons excellentes étaient obtenues au-dessus des soubassements doFAÇADE OUEST AVANT LES ADJONCTIONS DE LOUIS XIV
pierre par
un mélange
des matériaux les plus usuels, les pluséconomiques
et les plus souples d'emploi : elles forment
un ensemble
d'une grande harmonie.Du
Cerceau prétend'que
François P'" dirigealui-même
la constructiondu
château de Saint-Germain, car, dit-il, « y estoit ledit seigneur roy en le bastissant si ententifque
l'onne
peult presque dire qu'autreque
lui en fust1. Le premier' volume des plus excellents basliments de France... par Jacques Androuet du Cerceau, (Paris, 1607, in-4°) folio 5 verso.
—
.François I^'' affectionna assurément le séjour de Saint-Germain-en-La)'e : on a pu calculer, grâce au catalogue de ses actes, qu'il y passa 375 jours, répartis en 36 foisdont7de 20 jours etplus;la plus longuepériode est de 41jours.(Cf. L. Dimier. « Les Résidences de FrançoisI'''" " dansle Bulletinde 'artancienetmodernedu
13décembre 1902, p. 303.)
22
LE CHATEAU DE
SAINT-GERMAIN-EN-L AYE
l'architecte ».
Que
ce souverain qui étaitun
dilettante,un amateur
éclairé des arts se soit intéressé d'unemanière
particulière à des travaux qu'on faisait pour lui, qu'il aitdonné
son avis, qu'il ait discuté etapprouvé
les projets qu'on lui présentait, cela n'est point douteux;mais
à quel maître d'œuvres'était-il adressé, quels artistes avait-il choisis
pour
concevoir et exécuter les embellissements et les transformations qu'il voulait apporterà cette résidence royale, c'estune
questionqu'il est malaiséou pour mieux
dire impossible de résoudre caraucun
texten'estfourni qui vienne étayerles hypothèsesque
l'on apu
proposer.On
a admis, sur l'autorité de Félibien qui d'ailleursne donne aucune
preuve de son affirmation,que
François 1" fit appelau
concours d'artistes italiens.On
a certainementbeaucoup
exagéré l'influence qu'ontexercée ceux-ci sur l'art français de la Renaissance, car d'une part
on ne
peut mettre en doute le talent de nos architectes de la dernière périodedu moyen
âge, et, d'autre part, lechangement que
l'on constate entre le style desmonuments
de l'époque de Louis
XI
et celui des édifices construits sous François 1"ne
s'opéraque graduellement
et sans transition brusque.Le
château d'Amboise, par exemple, qui date des dernièresannées du
xv" siècle et des premièresdu
xvi", porte l'empreinte d'une maîtrise professionnelle remarquable, qu'il s'agisse decombinaisons
architcctoniquescomme
les décorations extérieures des tours contenantun chemin rampant
en spirale,ou
de la chapelle Saint- Ilubert dont les sculpturesmontrent
précisément lemélange du
stylenouveau
etdu
style ancienetsont desœuvres
de premierordre. SiCharlesVIII aramené
d'Italie des artisans habiles dans la décoration en arabesques, LouisXII
continua à Blois la vieille tradition française. Il n'est pas douteuxque
François I",pendant
ses séjours en Italie,ne
se soit épris de l'art des peintres, des sculpteurs et surtout des slucateurs et des ornemanistes qui florissaient alors en ce pays. Il est certainégalement
qu'ilencouragea
leurvenue en France
et qu'il favorisa la diffusion de leursmodes
d'opérer, surtout dans la décoration intérieure des édifices. Mais de l'examen descomptes
des bâtiments élevés à son époque,on ne
saurait tirer la conclusionque
les Ita- liens émigrèrent engrand nombre pour
se fixer dans notre pays, ni qu'ils eurentune
part prépondérante dans la conception des constructions qui se bâtissaientalors.Parmi
les artistesou
artisansqu'on trouvementionnés
dans cesdocuments,
la presque totalité sont français, et lorsqu'ony
relèveun nom
LE CHATEAU DE
SAINT-GERMAIN-EN-LAYE
23étranger, c'est l'exception.
A
Fontainebleau,pendant
les années 1535 à 1540,on
rencontre bien des Italienscomme Bartholommeo
da Miniato etPrimatice,mais
il fautremarquer que
l'un et l'autre furent exclusivementemployés
comme
peintres et sculpteurs pour orner les salles de ce château.Quant
k l'architecture extérieure elle-même, les hautes toitures et lescheminées monumentales
luidonnent un
caractère qui la diflerencie trèsnotablement
des édifices de l'Italie.De même
ne trouvera-t-on pas dans la péninsuleun
édifice analogue au château de Saint-Germain.
Un
desarguments
principaux invoqués par Félibien pour en attribuer la conception à Sebastiano Serlio, c'estque
lesbâtiments sont couverts en terrassesdites àl'italienne.Il s'enfaut debeaucoup
qu'une pareille raison doiveemporter
laconviction, car cemode
de couverture n'étaitpas
uniquement
usitéau
delàdes Alpes,on
l'avaitemployé en
France,notamment
à laBastille, àVincennes
et dansbeaucoup
d'églises.Il n'y a
donc
pas lieu de s'étonner qu'on s'ensoitserviàSaint-Germain
pourménager aux
personnes delaCour un
lieu depromenade
agréable d'oii lavue
s'étendaitsur
un
paysage gracieux etvarié ;un
motif analoguen'existait point pour Fontainebleau ouChambord,
placés l'un et l'autre dans des contrées qui n'offraient point d'horizon capable decharmer
les yeux.En
outre, Serlio qui fut ceiiainementoccupé kFontainebleau, n'est pointmentionné
dans lescomptes
qui se rapportent à Saint-Germain.Du
reste,nous
savons qu'il ne vint en France qu'en 13il, et à cetteépoque
la constructiondu
château dontnous nous
occupons était déjà fort avancée.En
effet, PierreChambiges
« maistre des
œuvres
demaçonnerie
de la ville de Paiis » avait été chargé, parun marché
datédu
22 septembre 1539, de pourvoir k la couverture en dallage de la terrasse qui couronnait l'édifice*.Quel
est donc l'auteurdu
plan et des dessins qui furent nécessairespour
entreprendre la reconstructiondu
château deSaint-Germain?
Faut-il les attribueràGuillaume
de laRuelle, l'architectefavori de François I",ou
à ce PierreChambiges
dontnous venons
de parler et qui, fils d'un architecte notable% n'estmentionné
dans lescomptes
des bâtimentsdu
roi qu'en 1538pour
les travaux exécutés àSaint-Germain
et k Fontainebleau ^ qui fut1. Les ComptesdesbdlimentsduRoi (la28-1571), publiés pour la Société de l'histoire de l'art français, par le marquisLéondeLaborde (Paris, 1877, 2 vol. in-8°), t. II.p. 293.)
2. Martin Chambiges, qui travailla aux cathédrales de Beauvais etde Troyes (Cf. Lance, Dictionnairedes architectes français).
3. Comptesdes bâtiments, t.I, p. 154.
9
24
LE CHATEAU DE
SAINT-GERM AIN-EN-LAYE
maître des
œuvres du
roiau
bailliage de Senlis, qui reçuten 1539 deshono-
raires pourles
«formes»
(modèles), etprésentaplusieurs «dessinsetportraits»qui lui avaient été
commandés pour
le Collège des Trois-Langues
(Collège de France)que
François P"" avaitrécemment
fondé ? C'estune
question à laquelle, en l'absence d'undocument
positif,on ne
saurait répondre par l'affirmative; car,comme
il vient d'être dit, PierreChambiges ne
figure dansles
comptes
qu'à la date de 1538 à propos de la couverturedu
château, lequel était à cetteépoque
en voie d'achèvement. 11semble donc
bien hardi d'affirmer,comme
l'a faitLéon
Palustreque
ce maître d'œuvres aconçu
et dirigé dans leurensemble
les magnifiques constructions de Saint-Germain
d'une si saisissante originalité, et qu'il est l'auteur des façades,du
bel escalierroyal et des tours contenantdes « vis» dont les voûtes en briques sont si
ingénieusement
appareillôes\ Toutefois,on
peut penserque
lebâtiment ouest qui contient la salle des fêtes n'est pasdu même
architecteque
lereste
du
château.En
effet, si l'extérieurde ce bâtiment est en accord avec les autres parties élevées antérieurement,on remarque
à l'intérieur,notamment aux
voûtes,une
beauté decaractère quine
se retrouve pas ailleurs'.Le
rez-de-chaussée de ce dernierbâtiment comprend une
double galerie à voûtesen
arêtiers reposant sur dessommiers
ornés de consoles sculptées;ces arêtiers surbaissés se butentà des caissons rectangulaires garnis de dalles décorées de motifs variés de composition
que
complètent des pendentifs rapportés; lestympans
de ces voûtes sont remplis de briques apparentessemées
de rosaces et defleurs de lis.Les deux
nefs de l'entresol, séparées parune
file de colonnes, sontsurmontées
d'unmajestueux
vaisseaucomprenant
la hauteur
du premier
etdu
second étagedu
bâtiment.La
grande salle defêtes, épaulée par de puissants contreforts, a sa voûte d'une construction
analogue
à celle des galeries inférieures. Elle a plus de 40mètres
de long;sa largeur est de 11"",40 etsa
hauteur
de 12 mètres; lavoûte esten arcsbrisés et secompose
de huit robustes arcsdoubleaux
de pierre portant sur des1. Léon Palustre : La Renaissance enFrance, l. U, p 37.
2. Les voûtes destroisescaliersenvisduchâteau de Saint-Germainontune analogiecom- plète avec les voûtes rampantes dela maison dite de Tristan l'Hermite à Tours, construite à la fm du xv« ou au commencementdu xvi«siècle.
3. Lebâtiment delasalledesfêtes,parsesdétailsélégants à l'intérieur,na riende
commun
avecles autres. Il suffit,pour s'en convaincre, de comparer ses voûtes aveccelles de la salle attenantaudonjon(au2'''étagedumuséeactuel),dontlesnervures sontlourdesetrudesd'aspect.
LE CHATEAU DE
I
SAINT-GERMAIN-EN-LAYE
25sommiers
finementmoulurés
et couverts d'excellente sculpture.Les
arcs sont traversés par des tirants en ferdoublement
ancrés, neutralisantcomme aux
autres voûtes qui supportent des toitures en pierre, la poussée de ces arcs,mais
ici soulagés parune
aiguille pendante, sansaucune
décoration.De même
qu'au rez-de-chaussée, les nervures diagonales se butent à des caissons oblongs ornés de pendentifs; les remplissages des voûtes en pénétration sont en briques apparentes et décorées de rosaces en haut relief et de fleurs de lisde
dimensions
proportionnées.A
l'extrémité de la salle, estune cheminée monumentale,
adosséeau mur du
donjon; elle occupe toute la hauteur et complète ce magnifique ensemble. Cettecheminée
est en briques planesou
moulurées,accompagnée
de consoles en pierre et d'un important motif de décorationoù
figurelasalamandre
de François I".La
salle de fêtesdu
château de Saint-Germain, par l'harmonie de ses proportions et lanoble simplicité de son ornementation, estune
des plus remarquables qu'ait produites l'archi- tecture française.Si l'on
ne
peut établiravecpreuves à l'appuique
PierreChambiges
' fut, à l'exclusiondetous autres, l'auteurde cette œuvre,une
des plus considérables de la première moitiédu
xvi'' siècle,du moins
a-t-on la certitude qu'il parti- cipapendant
plusieurs annéesaux
travaux, ainsi qu'en font foi lescomptes
quinous
ont été conservés. Les maîtres d'œuvres, à cetteépoque
demême
qu'au
moyen
âge, traitaient directement avec lesfournisseurs de matériauxet les ouvriers.Le
22 septembre 1539,Chambiges
se chargeait de couvrir on dalles de pierre les bâtimentsdu
château; ces dalles devaient provenir des carrières deNotre-Dame-dcs-Champs
près Paris et être « les unes de quatre piedz de long, les autres de trois piedz de long, les autres de trois piedz etdemy
aussi de long et dedeux
piedz etdemy
de large, le tout de quatre poulces d'espaisseurou
environ, taillées et portansenfoncemens en manière
1. Onsait,grâceàdes recherches faitesauxarchivesde Chantilly(Cf.Maçon,lesArchitectes deChantilly,Senlis,1900),quePierreChambiges futappelé, en 1527i)arAnne de Montmorency, à diriger les travaux de son château de Chantilly et qu'il s'y employa exclusivement jus- qu'en1530,Lesconstructionsduesà cet architectecurent untrès grand retentissementpar les élogesqu'en fitle cardinalDu Bellay. En l'absence d'un texte précis, on ne peut luiattribuer aveccertitude l'architecture sioriginale desfaçades extérieures de Saint-Germain qui procède d'un caractèred'arttoutdifférent.Toutefois,
comme
l'on saitqu'il aété chargé par François I""de faire exécuter à Saint-Germain des travaux importants, il est permis de conjecturer que
la salle desfêtes, la partie la plusparfaitede l'œuvre, aétéélevée sous sa direction,en
même
tempsqu'ilfaisaitconstruirepourleroiFrançois lerendez-vous de chasse de la " Muette »,dans laforêt de Saint-Germain-en-Laye {Comptesdes Bâtiments,t. p. 222).