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https://archive.org/details/tudessurlecclsiaOOcond
e
(Extrait de
laREVUE BIBLIQUE janvier,
juillet1900)
ET LA DOCTRINE DE l'eCCLÉSIASTE SUR LA VIE FlTURE.
L'orientationdel'exégèsedans lelivre del'Ecclésiaste
dépend
beau-coup du
sensque
l'ondonne
au 'f 21du
chapitrem.
D'accord iciavec toutes lesversions anciennes, la plupart des hébraïsants tradui- sent ainsi le texte : « Qui saitsi l'esprit de
l'homme monte
en haut, etsil'esprit de la bêtedescend en bas verslaterre? »Un
certainnom-
bre decommentateurs
préfèrentrendre ce versetde lafaçon suivante :« Qui voitl'esprit de
l'homme,
lequelmonte
vers le ciel, et l'esprit dela bête quidescendvers laterre? »
(Abbé
Motais, etc.)Cette dernière interprétation repose sur
un
fragile point-voyelle, né, selon toute vraisemblance, d'un scrupuledes Massorètes. Us auront trouvé trop hardi, incompatible avec le caractère de livre inspiré, ledoute
exprimé
ici; etpour
le fairedisparaîtredoucement, décemment,
sanstoucher aux consonnesdu
texte, illeur suffisait de transformer enarticle par la ponctuation le n interrogatif.
A
leurs yeux le passage prenait de la sorteun
air orthodoxç, dont plusieurs exégètes de nos jourssetiennent encore[)our satisfaits. La cureestpourtant loin d'être radicale. Afinde s'en convaincre on n'a qu'àregarder de près le texte et le contexte.Pourquoi
cepronom
répété soigneusement danschaque membre
de phrase?Uniquement pour former une
proposition nouvelle (proposition nominale, Ges.-Kautz«ch, § 141) etpour
bien faire entendreque
les participes nS'in et rm\"i nesont pasune
apposi- tionau substantifmi, et, parsuite, ontpour
première consonneun
n interrogatif. Ainsi ontcompris toutes les versions anciennes : le doute y est formellement exprime par la conjonction si.LXX
:Km
ti'ç oloi^7:vïij;Aa uîwvtî'J àvOpw-oy, sî âvaSafvsi autb v.q à'vo); xa; Â:v£U[j.ato3 -/.--(Îvouç, ZI -/.XTaêsîtvst x'j-.o v.i-M zlq yïjv
; Vulgatc : u Quis novit ,s/ s[)iritus filiorum
Adam
ascendat sursum, et si spiritusjumentoruin descendat deorsiim? » l'autre version de saintJérôme
dans soncommentaire
:« Et quis scit, spiritus filiorum hominis, si ascendatipse sursum, et spiritus pccoris, si descendat ipse
deorsum
in terram. » (Migne, P. L.,ÉTUDES
» Qui transfert lapides
afllif;etiir in eis. » Eccle. x, 9.
I
UN SCRUPULE MASSORÉTIQUE
2 ÉTUDES SUR L'ECCLÉSIASTE.
XXIII, 1041.)
De même,
« quisaitsi»dans laversionsyriaqueetdansleTargoum.
Voilàquatretémoignages
importantspour
le sensdu
21.M. Motais, dans cinquante-huit pages de discussion à propos de ce texte (t. I, p. 192-250), garde là-dessus
un
religieux silence.La
seule fois qu'il fait appel auxLXX,
ils'appuie surune
mauvaiseleçon, elcevau lieu de ctosv; etil a soin de couper la citation juste avant le
mot
qui dénoteun
sens manifestement contraire à sa thèse (t. I, p. 217).Dans
cettesuprême
batailleoù
se joue, à son sentiment, l'orthodoxie del'Ecclésiaste, il faitpleuvoir surses adversairesmodernes une
grêle de traits, sans prendre garde qu'il atteintdu même
coup les tra- ducteurs anciens, lesLXX,
le syriaque, saint Jérôme.Ilfaut voir maintenant à laquelle des
deux
interprétations le con- texte estplus favorable. Sans développer des considérations intermi- nables, mettons en regard lesdeux
traductions de toute la findu
chapitre; il sera facile de juger si c'est dans la premièreou
dans laseconde
que
le ^'21 se trouvemieux
enharmonie
avec ce qui précèdeetavec ce quisuit.
La
traductionproposée dansla seconde colonne est faite sur l'hébreu,en
ne tenant pointcompte aux
19 et 21 de quel- ques points massorétiques reconnus fautifs par d'excellents critiques (cf. traduction et notes critiques de M. Riietschi dans la version del'A. T. publiée sous la direction de M. Kautzsch;.
Traduction deM.Motais.
[Salomon etl'Ecclésiaste, t. I,p. 2.5.) 18. Etje
me
suis dit enmon
cœur:ces clioses, Dieu les permet àcause des en- fants deshommes; c'est pour les éprou-ver et leur faire voir qu'ils sont, pour eux-mêmes,aussiimpuissantsquela béte.
19. Car, exposés aux surprises dusort sont les enfants des hommes, aussi bien que la bête; tous deux ont une
même
destinée : de
même
que l'un meurt, l'au- tre meurt aussi, unmême
souffle les anime. L'homme n'a pas d'avantage sur la bête, tous deux sont vanité.20. Tous deux vont au
même
lieu :tous deux sontsortis de la poussière et retournent àla poussière.
21. Qui voit l'espritde l'homme, le- quelmonte versle ciel, et l'esprit de la bête quidescend versla terre?
22. J'aidès lors compris quel'homme
n'a riende mieuxà faire que de profiter
dusuccès de ses œuvres; carc'est làsa
TraductionUtti'ralesurl'hébreu,conforme auxversionsanciennes(LX.\,Vulg.,st/r.) pour lesf 19, 20, 21, 22.
18. .Te
me
suis dit : c'est à cause des enfants des hommes, Dieu les éprouve ainsi pour qu'ils voient qu'ils sont par eux-mêmescomme
les bêtes.19.Car lesortdes enfants des hommes
et le sortdes bêtesest un
même
sort;lesuns meurent comme lesautres: ils ont tous un mêmesouflle; et l'homme n*a point d'avantage sur la bête; car tout estvanité.
20. Tout va en un
même
endroit;tout vient de la poussière et tout retourne à la poussière.21. Qui sait si l'esprit de l'homme monte en haut et si l'esprit de la bête descend en bas vers la terre?
22. Etj'ai vu qui!n'y a rien demieux pourl'homme que dese réjouir dansses actions : car c'est là sou partage; car
ÉTUDES SUR L'ECCLÉSIASTE. 3 pnrt. Qui lui révélera, en effet, ce qui 1 qui pourrait lui faire voir ce qu'il y doit lui arriverdansla suite? I aura après lui?
Ne
nous occupons maintenantque
de la suitedu
sens; l'explication doctrinaledu
passage viendra plus loin.Que
le lecteur ne soit pas scandalisé de ce quiva suivre etprenne
patience.En
supposantque
Fauteur ait parledans
les^
19 et 20 desappa-rences extérieures, cpi'il ait dit
simplement
: leshommes meurent comme
les bètes, ilsn'ont point d'avantage sur elles quani à la vie animale; s'il affirme ensuiteque
l'Ame del'homme monte
là-haut etque
l'âme de la bête descend verslaterre, Lien qu'on ne les voiepas,comment
peut-il ajouterimmédiatement
sousforme
de corollaire :« J'ai
vu
c[u'il n'y a rien demieux pour l'homme que
de se réjouir dans ses actions, carc est là son 'parlage. » ("^ 22.) Cette réflexiondu
21 sur la survivancede
l'âme n'estdonc
qu'une parenthèse quiin- terromptlasuite desidées, puisqu'il n'en est tenuaucun compte
dans la conclusion pratique. 11estimportant de prouverce dernier point :l'opposition des 21 et 22 dans la première traduction, leur lien étroit dans laseconde.
Après avoir fait passer ce
morceau
parune
traduction(p. 25),une
paraphrase (p. 107),une
analyseen tableausynoptique (p. 203),deux
résumés (p. 21G, 237), et troiscommentaires
(p. 214-215, 230-237,2.'i.9),voicilesensquis'en
dégage pour
M. Motais :l'homme,
pénétrédu
sentiment de sadépendance, conclut à
un
«abandon
souriant à laPro- vidence » (p. 250). Celaressortdu
« texteinterprété » (p. 249) : ((21.Sans doute, son
âme remonte
à Dieu, etcelle delabête descendà la terre; maisqui lesvoit l'uneet l'autre?L'humilianteépreuve de sa dé-pendance
n'estdonc
pasextérieurementmoins
complète. 22. Sonim-
puissance devant Dieu étant telle, j'ai dès lors compris qu'il n'ya rien demieux
à faireque
de profiterdu
présent en l'acceptantcomme
Dieule luidonne, ])uisqu'ilignorece
que
serontlesjours qui viennent, etque
nul ne peutle lui apprendre. »Pour
arriver à cetascétisme ila fallu interpréter (( ses actions » par les actions présentes, lemoment
présent, il a fallurestreindre et voiler (( c'est son partage », enfin tra- duire« aprèslui »par « lesjours quiviennent », c'est-à-dire la suitede sa vie.
Or, jeprétends
que
(( ses actions » sontcelles detoute savie, etnon du moment
présent,que
<( son partage » c'est son sort ici-bas, etque
(( après lui )/ ne signifie pas dans la suite de savie, mais (( après sa
mort
». Etcomme
rien ne vautmieux
poui' interpréterun
auteurque
cet auteur
môme,
citons l'Ecclésiaste : (( Toutceque
tamain
peut faire4
ÉTUDES
SUR UECCLÉSIASTE.avectes forces,fais-le; car iln'ya niaction, ni réflexion, ni science,
m
sagessedans le scheoloùtuterends. » (ix, 10.)
Comparez
v. 17 : « Voicique
j'aivu
qu'ilestbon
etbeau
demanger
et de boire, et de se bien traiter danstoute lapeine qu'onprend
sous le ?>o\q,\\ tous lesjours de lavie que Dieu a donnés àl'homme
; car c'estsonpartage. «(Cf.ix.9.) Le partagel'homme
([j.ïplçaj-oû, « pars illius »,oiNjl»)nesaurait s'en- tendre d'une petiteportion de savie,du moment
présent.Donc
ils"agitde toutesa vie; par conséquent, toute sa vie ici-bas est mise enoppo- sition avec ce qui suivra, « carc'est là sou partage, car qui pourrait lui faire voir ce qu'il y aura après lui? »
Quand
on dit de quelqu'un :Que
deviendra sa fortune après lui? toutlemonde comprend
après sa mort, etnon
dansla suite de savie. Or, « aprèslui »rend exactementle
mot hébreu
mriiS'; les versionsanciennes n'y ontpas vu autre chose,([j-ôt'aj-iv, « postsefutura»,
^)
.Etàpropos de vu, I V, oii l'onvou-drait bien trouver le sens de M. Motais, Franz Delitzsch affirme
que
nulle partmnx
nesignifie l'avenirpar oppositionau moment
présent, mais toujours ce qui suivra cette vie.Ne
voit-onpas dans cetteinterro- gationdu ^
22 la continuationdu
sentiment exprimé au verset précé- dent? Quisaitce qu'il advientde l'âme après lamort?
Lemieux
pourl'homme
estdonc
d'agiret dejouirpendant
lavie; car quiluifera voir ce qu'il y a après?On
s'étonne, on se scandalise. Ce maître de la sagesse, cet auteur inspirén'est alorsqu'unmatérialiste!Il doute del'immortalitédel'ànie etmet
au-dessus de toutlesjouissances de la vieprésente.Au
lieu delui prêtercette doctrine grossière, ne pourrait-on pas croire qu'il
ne
fait
que
rapporterlelangage des impies?Si l'on imagineentre l'impie etle sageun
dialogue quise poursuivrait dans plusieurs passagesdu
livrede i'Ecclésiaste, c'est
une
explication ancienne, vieillemême,
etabandonnée
aujourd'hui de tous lescommentateurs comme
gratuite etarbitraire. Restreinteau contraire à tel passageoù elleseraitfondée surune
indicationdu
texte, l'hypothèse n'a rien d'arbitraire ni d'in- vraisemblable. Il n'y aurait pasmême un
dialogue àsupposerici; ilsuffit
que
l'auteur nous fasse part despensées coupablesqui lui ont traversé l'esprit dans unmoment
de trouble, et qu'il ajouteun mot pour
attesterque
ce ne sontpas là ses véritables sentiments;ou
bien,si l'on veut, qu'il seplace
pour un
instantau pointde vue desgensqui jugent toutsur les apparences, etavertisseque
c'estleurpointde vueetpasle sien. Plutôt
que
de fermer les yeux au sens évidentdu
21.M. Kaulen adopte ce système d'interprétation. Il rapproche ni, 21 et xir, l'i
; il cite saint Grégoire (Dial. 4, 'k lxxvii, 325) qui écrivaità ce propos : « Concionator verax etilludex tentatione carnaliintulit ethoc
ÉTUDES SUR
L'ECCLÉSIASTE. 5postmodum
ex spiritali veritate defîuivit. » Le textehébreu m,
18doit se traduire, juge-t-il,comme
a compris la Peschito : (( Je pensais sc- ionune
manih'e de voirhumaine.
» Eufin ilajoute : ((On
peut endire autant despassagessemblables, iv, 2, 3;ix, 4 (1). » AinsiiM. Kaulenestimmédiatement
tenté d'appliquer ailleurs cette solution. Icidu moins
elle aurait quelque appui dans le texte, s'il fallait suivre laversion syriaque: |ju/ ^uo. p^i-j^aja suivant le langage des
hommes.
Maiscette façon de traduire l'hébreunim
se heurte à(juatredifficultés: 1.La
locutionmn
hv signifiepour, à causede,aux deux
autres endroitsdu
livredel'Ecclésiaste
où
elle estemployée
(vu, IV; viii, 2) et dans Dan.,Il, 30,
comme
son équivalent inT enhébreu
classique.On
traduit doncici généralement : à causedesenfants des houinws. 2.Avec
laver- sionde M. Kaulenon
ne serend pas biencompte du
suffixedu
verbe DisS : « Jeme
disais suivant le langage deshommes
: c'est pour les éprouver... » qui?Dans l'autre version le sens est clair : « Jeme
di- sais : c'està cause deshommes,
c'estpour leséprouver... » 3.Au ^
18comme
au^
19, 1:3,représente toute l'iiumanité (cf. Eccl., 1, 13;II, 3, 8; III, 10; viii, 11; ix, 3, 12); l'auteur inspiré prêterait
donc
à toute riiumanité le langagequi va suivre etoù
l'on pense voir une négation de l'immortalité de l'âme?4.Cemorceau
esttout à fait dansle ton de plusieuis aulrcspassages
où
l'auteur parle sûrement en son proprenom.
Cf.m,
12; v, 17; ix, 7.Entre autres essais,
on
aprétendu résoudre toutes les ditiicultés en supposant dans le texte desinterpolations, des glosesnombreuses, —
systèmetrop
commode,
dont l'arbitraire a été poussé toutrécemment
par la critique indépendante, s'exerçant sur ce livre,jusqu'aux der- nières limites de la fantaisie. Il en seraquestion plus loin.Est-il
donc
impossil)lc de mettre d'accord l'orthodoxie de l'Ecclé- siaste avec le sens de notre texte? (^e texte sainement compris, légiti-mement
traduit, ouvertement présenté, sans dég-uisement et sans voile, e.st-il le langage d'un sce|)tique, d'unmatérialiste?Au
premierabord on
le croirait. Mais laquestionchange
d'aspect, si, au lieu dela voir superficiellement, h travers nos idées modernes, nous l'envisa-geons
à la lumièi-e des anciennes croyances juives. Ainsi fait saint Jé-rôme
dans soncommentaire
de l'Ecchisiaste. De ses diverses ex|)lica- tionsdu
l'ameiix verset 21, je prélère c(!lle qu'il place en pi-(Mnier lieucomme un
aperçu général; elleme
parait contenir les meilleurs prin-(1) Einleilunrj in die Ueili'jcHc/iriftA. undN. T. 2" éd. IS'JO, i>. 325.
6 ÉTUDES SUR LECCLÉSIASTE.
cipes de solution et jeter de vives clartés sur toute l'eschatologie de l'Ancien Testament.
La
voici : « Siautem
videtur haec esse distantia,quod
spiritus hominis ascendat incœlum,
et spirituspecoris descen- dat in terram,quo
istud cerlo auctorecogno^dnlus? Quis potest uosse,utrum verum
an falsum sitquod
speratur?Hoc autem
dicit,non quod animam
jiutetpei'ire cimi corjiore, vel iiniimbestiis ethomini prœpa-
rari locum, sed
quod
anteadventum
Christiomnia ad
inferospariter ducerentur.Unde
etJacobad
inferosdescensurum
se dicit. Et Jobpios etimpies ininfernoqueriturretentari. Et Evangelium, chaosmagnum
interpositum
apud
inferos, etAbraham cum
Lazaro, etdivitemin sup-pliciis esse testatur. Et rêvera,
antequam flammeam
illam rotam, et igneanirompha^am,
et paradisi fores Christuscum
latrone reseraret, clausa erant cœlestia, et spiritum pécaris hominisque œqualis vilitas coarctabat. Et licet aliud videretur dissohi, aliud reservari;tamen non multum
intercrat pcrirecum
corpore, velmfcrni
tenebris deti- neri. » (Aligne, P. L., XXIII, lOil.)Pei'sonne ne s'étonnera de cette doctrine, à
moins
d'élever la Loi ancienneau
niveau dela Loi nouvelle, etdene teniraucun compte de
l'immense progrès opéré par la révélation évangélique.Avant
Jésus- Christ toutserendait aux enfers, dit saint Jérôme.La
croyance catho- liquedonne
seule la clé dela croyance desHébreux
surl'autre vie.A
leurs
yeux
lamort
estun
châtiment; etpour
eux aussil'état de l'Ame après lamort
est, par lui-même,un
état de châtiment, jusqu'au jouroù
le Sauveura vainculamort
et ouvert le ciel. Dansun
livre remar- quable (1), M. Atzherger expose cette considération qu'il a raison de trouver capitalepourl'intelligence d'unefoulede passages delasainte Écriture. J'ajoute qu'elleempêchera
bien desgens d'être scandalisés en voyant la doctrinedesanciens païens plus avancée sur ce pointque
celle des Israélites. Ces derniers pourtant étaient dans le vrai. Écou- tons M. Atzherger : « Chez les
Hébreux
la conceptiondu
scheol esten connexionétroite avecla croyance religieuseque
tous leshommes
sont pécheurs devant Dieu, etque
lamort
est un châtimentdu
péché.L'existence
même du
scheol estfondée sur cefait d'un péchécommun
à tousles
hommes,
et de la dominationuniverselle dela mort, qui est la conséquence de ce péché. Voilà pourquoi, tandisque
les païens, dont lesidées sont relativement développéessur ce point, attendentune récompense
ouun
chûtiment aussitôt après la mort,on
ne voit pas chez les Israélitesun
sort différent réservé auxâmes
dans l'étatqui suit immédiafrntr/it la mort... Il y a justement là cette différence
(I) Diedirislikltc EschatologieindenSladien iltrcrOffenbaningiiii.4.umt.V.T.IS'JO, p. 22sqq.
ÉTUDES SUR L'ECCLÉSIASTE. 1 essentielle entre le sclieol
hébreu
et lesenfers païens,que
dans l'An- cien Testament on place la rétiiljution procliainenient et immédiate-ment en
cemonde;
lacroyance d'an péchécommun
à tous leshommes
cnfraine celled'un sort
commun
àtousaprès lamort; on ne faitqu'en- trevoir dansun
avenirindéterminé larécompense
desjustes, eton
la faitdépendre
del'abolition de cepéchécommun
à tousleshommes.
»(P. 46.)
On
s'explique dèslors pourquoi les tableauxdu
scheol tracés danslaBible sont si
peu
réjouissants (1).On comprend comment même
les meilleuresâmes
éprouvaientde larépugnance
à descendre dans le sé- jourque
.loi) appelle : ((Terram
miseri.eettenebrarum, ubiumbra mor-
tis, et nullns ordo, sed sempitcrnus horrorinhabitat. » (x, 22.) Qu'on
lise le cantique d'Ezéchias (Is., xxxviii, 9-20) et tant de passages des Psaumes, etc., on trouverapart(mt surle scheol desconceptions vagues ou des idées noires.
En
maintendroit dessaintsLivres les babitants de ceséjoursont représentéscomme
assoupis, engourdis, flasques, sansvi- gueur, sans consistance, incapables d'agir et de louer Dieu. Cf.lob,m,
13; Ps. (Vulg.) lxxxvii, 11, 12, 13; cxiii,17, etc. Pourquoifaireun
crimeàl'Ecclésiastc d'êtreen conformité de sentiments aveclescroyants del'ancienne Loi?Pourquoi trouvermauvais que
sa peinturedu
scheol ait lesmêmes
couleurssombres? Dans
le scheol, dit-il, il n'y a ni action, ni réflexion, ni science,nisagesse (ix, 10). < Lesmorts nesavent plus riendu
tout; ilsn'ont plus de récompense, car leur souvenir est oublié; et leuramour,
leurhaine et lenr zèle ont déjà péri; ils n'ont plusjamaisaucune
part à tout cequi se fait sous le soleil (ix, 5, 6)...Lesjours des ténèbres seront
nombreux
(xi, 8). »En
dehorsdu
passage xii, 7 qu'onsecontenteordinairement de mel-treen oppositionavec
m,
21, l'Ecclésiastc,on
le voit, s'explique assez formellementsur le scheol pour (|u'onpuisse tirerde ses parolesdeux
conclusions : d'abord, il ne doute pas de la survivance de l'âme; en second lieu,pour
lui l'état de l'âme après lamort
n'a rien de conso- lant. Voilà qui est tout à faitd'accordavec le ton général de son livre.Etcette sentence, répétée plusieurs fois
comme un
refrain, « lemieux pour l'homme
estdese réjouir encette vie », se trouveen pleine har-monie
avecl'idée d'unerétributionpurement
temporelle.Alors
que
signifie le iJ' 21du
(iia[)itrcm?
Cette locution « qui sait(l)SurC(! poiiil, voir AI/hiM-^er, /.c, p. -i'i, el danslu lU'viie Ijiblu/nc,iivril 18'J8, p. :!()7 sqq., II!.savant articleîle M.Toiizard. Toiilcfoi.s,coiilre le seiiliinonlde ceilornicraiileiir, je suisconvaincu(jnedanslesPs. xi,i\cli.xxiii (liéb.) ilyaautrecliosequ'uneidi'Cde rétribution leinporelle; le |isalinis(centrevoitlejouroii ilseratirédu s<;lieolpourjouir delaprésencede Dieu.
8 ÉTUDES
SUR
L'ECCLÉSUSTE.si » exprime le doute, l'incertitude, elle équivaut à
une
négation et revient à dire «on
ne sait 'pas si ». Mais sur quoi porte le doute?Sur
la survivance de l'âme?Évidemment
non, devons-nous répondre après les conclusions précédentes.Le
doute porteuniquement
sur lemode
de cette survivance.Ne
voit-on pasque
cette idée « est-ceque
l'âme del'homme monte?
» est en opposition flagrante avec la doctrine uniforme et constante desHébreux
sur le scheol (1).On
nemonte
pas au scheol,on
y descend;le séjour des mortsest dansles profondeurs de la terre : « Veniat
mors
super illos; et descendant in infernum (aux enfers) viventes. » Ps. liv, 16 (Vulg.\ « Ipsi veroinvanum
qusesieruntanimam meam,
introihuntin inferioraterrae. »Ps.Lxii, 10. « Eruisti
animam meam
exinfernoinferiori. »Ps. lxxxv, 13.« Posuerunt
me
in lacu inferiori : intenebrosis et inumbra
mortis. » Ps. Lxxxvii, 7. <(Inprofundissimum infernum descendentomnia mea
:putasne saltem ibieritrequies mihi? » Job, xvii, 16^2). LEcclésiaste se
demande donc
:faut-il descendî^edanscet afireuxscheol,dans la terre, parun
sort quin'est guèreplus enviableque
celui des animaux, dont l'âmepérit,—
rappelons-nous l'explication de saintJérôme
citée plus haut,— ou
bien, à la différence des bêtes, l'âme del'homme montc-
t-ellequelque part, dans
un
séjourmeilleur?En un
mot,où
va lâme?
Que
devient-elle? Quelle est, au juste, sa condition après lamort?
L'Ecclésiaste n'en saitrien. Etquile sait?demandc-t-il avec raison, la révélation étant jusqu'alors très incomplète sur ce point (3). Devant cette
vague
etpeu
rassurante perspective, ilconclut qu'il estbon, tout en observant la Loi de Dieu, de bien profiter des jouissances permises dans lavieprésente.L Mais le doute « si l'âme de
l'homme
monte... »,que
signifie-t-il?(1) C'est faute d'avoirpesé cetteexpression, étrange poiirlant et loute neuve dans lelan- gage desHébreuxsur la viefuture,queles critiques iudé|>tndanls s'obstinent à voiriciune pureetsimple négation deliinmortalitéde l'ànie;ainsi M. SiegfrieddansleHandiiommcn-
tarz. A. T. deM. Nowack, 1898, p. 6,44;etM. Wildeboer dansleKurzerHand-Commen-
tarz. A. T.de M.iMarti, (898, p. 111, 135, 136.
(2) Cf.Num.,XVI, 30-33.1 (III)Reg., ii, 6,9. Is.,xiv. 11;xxxvui, 18;lvii. 9. Ez.,xxxi, 15, 16, 17; xxxii, 21, 24, 25, 27. Ps. lv, 16;cxxxix,8.Prov., 1, 12;vu,27. Job,xvii. 16; xxi, 13.
V. M. Touzard, l. c, p. 213;M.Vigoureux, laBible et les découvertes modernes, h' éd., t.III, p. 153; M. Amelineau dans/aControverse,1883, t. V. p. 558.
(3) Qu'onliseles passages suivants desaintJean Clirysostonie. Je citelatraductionlaline soigneuscuR'nt contrôlée surlegrec, o A principio quideinexpetendareseratbabere liboros, ut monunicntum ac reliquias \\Ilp sua; quisque relinqucret. Quoniani eniin resurrectionis spesnonduin eial, scd morsdoniinabatiir. seque posihanc vitant pcrire censebant, qui moricbanliir, solatium isludex susceptioneliberorumlargitus estUous, utanimata^ defunc- torum imagines remanerenl, genusquenoslruni conservarclur. et mortemobiluiis oorurnquc propin(iuis maximam consolalioneniid pareret, quod postcros baberent supersiilcs. »(Honi inillud: Propter fornicalionem...Migne,P.6'.,LI,213.Gaume.lll, 238B.)
—
,Vproposdestrois enfantsdanslafournaise : «... Quid verosperantespostmortem,post ignem?(resurrecUonisÉTUDES suri L'ECCLÉSIASTE. 9 d'où peut-il venir? Je touche ici au point le plus délicat de ce travail, et je prie le lecteur de ne rien préjuger de
mes
conclusions, avantque
je lui aie soumisun
peu plus tard, s'il plait à Dieu, quelques ré- flexions sur l'auteur del'Ecclésiaste.Eu
attendant, constatonsque
le livre de la Sagessene s'exprime plus sur l'au-delàcomme
Job, les Pro- verbes et la plupart desPsaumes
:Les âmes desjustes sont dans la main de Dieu, le tourment nelesatteindra pas;
aux yeuxdes insensésilsont paru mourir,
leur sortiedece monde a étécomptée pour unmalheur,
et leur départd'ici pouruneruine;
mais ilssontdansla paix.
Lors
même
qu'aux yeux des hommesilssubissentun châtiment, leurespérance d'immortalité setrouvecomblée.(Sap., III,
On
comprendraitdonc que
tel auteur inspiré, vivant àune époque
où ledogme
religieux sur les destinées de l'àme se développait, ait hésité entre l'ancienne conceptiondu
scheol et lesidées nouvelles plus consolantes qui préparaient la doctrine évang-élique. Si c'était le caspour
l'Ecclésiaste, il a pu, en plusieurs endroits, parlerdu
scheolsui-vantles
données
traditionnelles; ailleursproposersousune forme
du- bitative l'idéeneuve
d'uneâme
séparée quimonte
là-haut après la mort; enfin, dans saconclusion, envoyer l'àme toutsimplement
entre lesmains
deDieu, sansmarquer
l'endroit : « avant que... lapoussière retourne àla terredont elle est, etque
l'esprit retourneà Dieu qui l'adonné
» (xii, 7).Quatre fois dans le livre de l'Ecclésiaste il est question d'un juge-
ment
deDieu (m, 17; vin, 11; xi, 9;xii, 14). Qu'il s'agisse d'un juge-ment
en cemonde
ouen
l'autre,—
ce qui n'est pasclair (1),—
il n'y aaucune
opposition entre l'espérance de cejugement
et le sentiment exprimé au f. 21du
ch.m.
Ce verset, interprétécomme
il vient de l'étie, au sens naturel, etnon
massorétique ou rabbinique,du
texte hébreu, suivant le sens évident des versions anciennes, sens
enirnnondurneratexspectatio).»(lu Ps.vu,Klif^no,P.C,LV,105.Gaiime, V,'.)0-<.)l.)
—
Surley'24du Ps.xi.iii: «Atque hwchi dicebant, ruinniliil adhuc sciienl noc de gelieiuia, ncc d
regno,nec ullain afihuclaleindidicissenl |iliiloso|ihiatn, omnia(|ue facile fnrcbant.» (Migtie, P. Cl., LV, IXI. Gaurne,V, 188 E.)
—
Au Siijcl îleJob iMilin :O'jtoç xai 3t>caio;ûv, xaiUEf,;àvaTTâ^sw; îTn(iTâ|j.ôvo<;oùosv. (2ep. ad Olyuip., Migne, /'.G., LU,,5()."). Gauine, 111, G5'i A.) M.VigoiM'dux, dans la Biblecl les découvcries modernes, l. III, i». Mio, 1(H (noie), tâche d'ex|)lif|ucr ([uel([ues autres textesde saintJean Chrysostoniesur leiiièiiicsuj(!l; mais ceux (|ue jeviensde citer,dontil ne dit rien,ne rcslcnl pas moinsclairs.
(Ij Kn tout cas.ce n'est pas unjugiMuent qui dislribiu; aussitôt après la uiorl les récou>- peiises et lus chAtimenls. V, plushautle texte deM. Alzberger.
10
ÉTUDES
SUR L'ECCLÉSIASTE.qu'on peut appeler traditionnel, et confronté avecles idées
du
peuplehébreu
sur la vie future, n'énonce plus rien de choquant, riennon
plus de contradictoire aux autres données eschatologiquesde l'Ecclé- siaste.Faut-il reconnaîtreailleurs dans ce livre des contradictions? S'il y
en
a dans la forme, au fond qu'en est-il? etcomment
doit-on les ex- pliquer? C'estune
question importante qui mérite d'être traitée à part.II
LES COXTRADICTIOXS.
« De fait, le livrede Qohcleth présente
une
telle quantité de contra- dictions radicales, écrivait en 1898un
professeurde théologie de l'U- niversité d'Iéna, qu'ilesttout à fait impossible de le regarderconmie un
touthomogène.
« D'après
m,
1-8, ce qui arrive danslemonde
se réduit à des alter- natives de contraires, auxquelles on ne peut trouveraucun
sens rai- sonnable, et qui paraissent rendre vains tous les efforts de l'activitéhumaine
9). D'aprèsm,
11, au contraire, l'ordredu monde
estréglé • par Dieu d'unefaçon très excellente, lorsmême que l'homme
ne peut pasle saisirtrès bien; maisdéjà dans in, 12, Qoliéletha perdu devue
cette idée, car il
recommande
àl'homme, comme
l'unique chose eu son pouvoir, d'écarter tous lesmaux
parune
jouissance sereine de la vie.—
D'aprèsm,
16; iv, 1, pointde trace d'un ordre moral dans lemonde.
D'aprèsm,
17; v, 7; vui, 11. point de doutequ'il yaitun
juge souverain, dont lejugement
est seulement ajourné. D'aprèsm,
18-21, pointde différence entrel'homme
et la bète : tousdeux
sont soumis à lamême
loide natui'e, animésdu même
souffle vital. Ceque
devient ce souffle après la mort, nous nepouvons
le savoir. D'après xu, 7, lecorps de
l'homme
retourne seul à la terre, et l'esprit à Dieu qui l'adonné; là-dessus le
i^' 8 affirme qu'en
somme
tout est vanité,doue
aussi, semble-t-il, ce qui vient d'être dit... (1) »
En
face de ces contradictions et de plusieurs autres qu'ilénumère
avec complaisance, M. Siegfried pense qu'il n'y a pasmoyeu
de pro-noncer un
autrejugement
que celui-ci : le livre, dansune
largeme-
sure, est
composé
de gloses et d'interpolations. Explication dos plus élémentaires : idées opposées,donc
auteurs différonts. Mais dans unproblème
obscur et compliqué il faut se délier des solutions trop simples.D'ailleurs cetteanalyse, pousséejusqu'aubtuitavecuuelogique(1) D. C,Sicslricd. Handkommentar .1. T.
—
Qoheleth. Einlcilung, p. 3.ÉTUDES SUR L'ECCLÉSLVSTE. 11
impitoyable, aboutità des conséquences extrêmes qui suffisent
pour
la fairejuger.Au
grédu
savant exégètc d'Iéna, nousaurions dans Qohéletli d'a- bordun
Juifsceptique ettrès pessimiste (Q'j, auteurdesdeux
premiers chapitres, de lamajeure
partie des chapitresIII et IVet de plusieurs fragments des autres. Sur ce fond primitifun peu sombre un
épicu- rien (Q2) abrodé sesjoyeusesmaximes.
Certain sage (Q^) y a inséré çà et làquelquesbonnes
sentencespar manière de correctif. L'assainisse-ment
del'œuvre originale a été continué parQ'', espritpieux, qui s'ap- plique surtout àjustifierla conduite dela Providence. Parune
remar- quablepuissancede discernement, M. Siegfrieda reconnu divers autres glossateurs; mais,pour
ne pastomber
enun
détail excessif, il les en- globe tous dans la dénominationcommune
de Q^.Aux
glossateurs il a cru devoir joindre plusieurs rédacteurs qui ont mis à l'ouvragela der- nière main. Afin de ne pas dérouterle lecteur, il seborne
dans sa tra- duction,—
j'allais dire sa dissection,—
à distinguer par neufsortes de caractèrestypographiques, neufdes écrivains dontémane
l'Ecclé- siaste.Au
prix de ce travail délicat, de patience autantque
de saga- cité, toute contradiction d'un auteur aveclui-môme
a disparu; il ne reste plus qu'un pêle-mêle, pasmême un amalgame,
de pensées hé- térogènes, incohérentes.Cependant
cetteméthode
d'exégèse, encequiconcerne l'Ecclésiaste, est entachée d'un vice radical : l'arbitraire. Je suis loin de nier qu'on puisse distinguer dansun
livre biblique des sources différentes; etmême
(à la stupeur de plusieurs honnêtes gens qui s'en tiennent à l'indignationcontreces nouveautés etau méprispour
ces minuties), je croisque, parles caractèresque
le contenu d'unseul versetpeut pré- senter, on arrivera parfois ;\démontrer
la provenance étrangère de ce versetdans le corpsdu
chapitre (1). Maispareille critique ne seravrai-ment
scientifique qu'àlaconditiond'opérersur desdonnéessuffisantes,(1) Par exemple, le )t 29 duch. v dola Genèse n'appartient pasau mêmedocument que
le reste du chapitre. Cehi meparaît tout à fait probal)l(î |)our troisfaisons: 1" La formule usitée dans tout le chapitre pour indi([uer lesgénérations est brusquementchangée :i)our
amenerl'intercalalion du jl' 29, nous trouvonsà la(indu jl:28 le singulier
p
au lieudunoDipropredufils.2"Dieu, danslesversets qui précédent,s'appellelilohim;seulle
f29en)pIoic
le nomdelahvé.3"Contrairementau procédé detoutlechapitre,le y29donnel'escplkalion
dunom propre;or, justement rusat/cd'e.xplii/iier les nomspropres est spécialau docu- mentquise sertdunomde lahvé. Cf.ii, 11),23; ut, 20;iv, 1,25.
La piuj)artdes exégèlcs catholiques (Le Ilir, Palrizi,Thalliofer, Kauien, Corucly, Lcsrtre, Vigouroux, Cranqion, VanSteenlvislc, Minocclii, Fiainenl, Seli(ipf(!r-I'elt) ailriiettcnt (juc les Jeux derniersversets, 20 et21, duPsaume m(Vuig. i,),Miserere., n'ontpas Oavid |)ourau- teur, et ont étéajoutés hi'auc.ou|) plus tard, pendantla captivité. LesPsaumes offrent d'au- tresexemplesde semblables additions.
ÉTUDES
SUR
L'ECCLÉSIÂSTE.de baser ses conclusions sur des raisons[objeetis
èment
capables d'a-mener
tout savant loyalaumême
résultat, enfinde définir exactement elle-même la valeur de sesjugements, en se gardant d'affirmerpour
certain ce quin'est que probable et de confondre leprobable avec le possible,enindiquant, dansledomaine
des chosesseulementprobables, ledegréplus oumoins
fort deprobabilité.En
matièred'authenticitélesarguments
intrinsèques peuventavoirdu
poids, etparfoismême
beau- coup; mais il faut êtreprudentà lesmanier.Rarement un
seul crité-rium —
langue, style, doctrine—
suffira pour décider la question, tandisque
plusieurs fourniront par leur ensembleune
preuve solide.Un
ensemble de signes caractéristiques,donnant
à certaines parties d'un écritune
couleur bientranchée, ne s'explique niparune
coïnci- dence fortuite ni par l'intentiond'un auteur unique, et force par con- séquent tout esprit sincère àreconnaître dans cet écritplusieursdocu-ments émanés
de différents auteurs.Et,
— pour
signaler en passantime
grave lacune dans l'argumen- tation des exégètes qui se posent, sur ce point, en adversaires intran- sigeants de la critiquemoderne. —
il ne suffit pas de présenterune
raison plausible dechaque
note cai'actéristique prise à part distinc- tion desnoms
divins, différence de vocabulaire, répétitions,appa-
rentes contradictions, etc.);on
n'a rien fait tant qu'on n'apas expli-qué
la présence sirmillanée de toutes ces notes dans le texte en question; demême que
pour infirmer la valeur d'un témoignage historique il ne suffit pas de trouver failliblecbaque
témoin pris en particulier, car la certitude, qu'aucuntémoignage
isolé ne saurait donner, résulte d'un faitnouveau
qui est /'ensernb/edes témoignages.Il y a tout lieu de craindre qu'à la lumière d'un seul critérium, l'opposition des doctrines, M. Siegfried ne se soit fourvoyé dans ce système d'analyse à outrance
où
il s'avance avecune
confiance illi-mitée. Dans
une œuvre
de style parfaitement égal, déterminerstricte-ment, par le seul contrôle des idées, la part de
chaque
auteur, pro-blème
insoluble, tentative téméraire. Car enfin,comment
sur douze pages de textesaisir et définir le caractère de plusieurs écrivains,me-
surer exactement le contenu deleur esprit, tracer le cercle précis de leurs idées,de façon àdécider
que
ceci et cela, rien de moins, rien de plus, estlapropriétéd'un teletn'apu
être pensé par aucun des autres?L'arbitraire, c'est évident de prime abord, risquedese
donner
dans ce travail libre carrière; c'est manifeste aussi par les résultats étrange-ment
discordantsoùconduitla méthode. M.Budde
(1),comme
M. Siog-1) Dans le lûirzerUund-Voininenlar ynMiéparM.Marli, I89S.
ÉTUDES
SUR L'ECCLÉSIASTE. 13 fried (1), adopte l'opinion neuve et radicale qui voit dans le Canikjiir des cantiquesnn
simple recueil de chants d'amour; mais, tandisque
M. Siegfried est en situation de distinguer dix chants, M.Rudde
en trouve, toutcompte
fait, viugt-trois.A
quelle légion de glossateurs aurions-nous affaire, si l'intrépide critique eût soumis l'Ecclésiaste à cette analyse infinitésimale?Les contradictions, dit-on, sont tellement flagrantes et abondantes qu'il est tout à fait impossible de voir dans Qohéicth
un
touthomo-
gène. Si le critique qui affirme cela n'est pas victime d'une illusion,si, de fait, il y a tant d'incohérences en si
peu
de pages, si,pour
en rendre compte, il faut nécessairement imaginerune
dizaine d'auteurs, et enfin sila chose est certaine, puisque l'hypothèse opposée est qua-lifiée d' « impossible », il est clair
que
tout autre critique sincère, indépendant, libre depréjugés, tant soitpeu
perspicace, seraconduit par l'étude sérieusedu
texte àdes conclusions semijlables. Il est doncextrêmement
intéressantde consulter uncommentaire
de l'Ecclésiaste, écrit enmême temps que
cehii de M. Siegfried, en 1898, par M. Wil- deboer, professeur dethéologie àl'Université de (Ironingue, et publié dans lemême volume que
le Cantique de M. Budde. Peut-être allons-nous
y trouver des résultats, sinon identiques, aumoins
analogues, sur lenombre
et le caractère distinctif des auteurs, intcrpolateurs,
glossateurs et derniers rédacteurs de l'Ecclésiaste.
Absolument
rien de tout cela. Qohéleth soxidesmains
de M.Wildeboer
parfaitement entier; c'estun
touthomogène, un
écrit dont toutes les parties, y comprisl'épilogue (xii, O-li), peuventfortbienêtreregardéescomme
l'œuvre d'un seul et
même
auteur (2).Donc, en dehors de toute préoccupation dogmatique, sansqu'ilsoit besoin de faire appel à la doctrine de l'inspiration, par le seul exa-
men du
texte, en dépit des contradictions apparentes, on peut con- clure à l'unité d'auteur. C'estmême,
à considérer les donnéesdu
j)roblème et lesmoyens
actuels desolution, la seule conclusion pru- dente et vraiment scientifique.Nous
allons h; prouver en sondant l'uniqueargument
de la thèse adverse, l'incohérence des doctrines.(1) Dansle Hanilliomnwntar pulil'u'par Af. Nowack, 1898.
C-J) De savants criluiuesetexégètes modernes'lileck-WollIiatiseii, etl., j). iST: Driver, Introduction, éd., p.477, etc.) nevoient jointde raison sullisanle de refuser la pater- nité de l'épilogue A l'auteurde tout le livre.