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La cession du contrôle d'une société est-elle un "cas de préemption" au sens de l'art. 216c al. 1 CO?

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La cession du contrôle d'une société est-elle un "cas de préemption"

au sens de l'art. 216c al. 1 CO?

PETER, Henry

PETER, Henry. La cession du contrôle d'une société est-elle un "cas de préemption" au sens de l'art. 216c al. 1 CO? In: Gauch, Peter. Mélanges en l'honneur de Pierre Tercier . Genève : Schulthess, 2008. p. 367-376

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:25758

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La cession du contrôle d'une société est-elle un «cas de préemption» au sens de l'art. 216c al. 1 CO?

HENRY PETER, docteur en droit, Professeur à l'Université de Genève

Introduction l. Le problème

A. Le concept de «Cas de préemption»

B. Le cas particulier de la cession du contrôle d'une société II. Les thèses

A. Défavorables au maintien de la jurisprudence de 1966 B. Favorables au maintien de la jurisprudence de 1966 III. La réponse suggérée

A. Le principe: la dualité juridique B. L'exception: le Durchgriff Conclusion

Introduction

La question de savoir si la cession du contrôle d'une société qui possède un immeuble grevé d'un droit de préemption constitue un «cas de préemption» au sens de l'article 216c al. 1 CO est controversée. Elle est à la fois complexe et intéressante, car elle cu- mule des aspects relevant des droits réels, du droit des contrats et du droit des sociétés.

C'est à cette question que nous consacrerons ces quelques réflexions, et au jubilaire que nous les dédions, lui qui est un 1naître dans ces trois disciplines.

1. Le problème

A. Le concept de «cas de préemption~>

On rappellera préliminairement que le droit de préemption n'est pas expressément défini par la loi. Il l'est par la doctrine, comme étant le droit conféré à une personne (le «Préempteur») de se porter acheteuse d'un bien au cas où son propriétaire (le «Pro- mettant))) déciderait de l'aliéner en faveur d'un tiers (le «Tiers»)1

Selon l'article 216c al. 1 CO, en vigueur depuis le 1" janvier 1994: «Le droit de préemp- tion peut être invoqué en cas de vente de l'immeuble ainsi qu'à l'occasion de tout

TERCIER, Les contrats spéciaux, Zurich 2003, N 1024; STEINAUER, Les droits réels, Tome II, Berne 2002, N 1719.

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autre acte juridique équivalant économiquement à une vente (cas de préemption)»; en allemand «Die Vorkaufsrecht kann geltend gemacht werden, wenn das Grundstück verkauft wird, sowie bei jedem andern Rechtsgeschdft, das wirtschaftlich einem Ver- kauf gleichkommt (Vorkaufsfall}»; en italien «Il diritto di prelazione puà essere fatto valere in caso di vendita del fonda, corne pure in occasione di qualsiasi altro negozio che equivalga economicamente a una vendita (casa di prelazione}».

I:article 216c al. 1 CO est une norme supplétive. Les parties à un pacte de préemption sont donc libres de convenir d'une restriction ou d'une extension des cas de préemp- tion2. En l'absence de dispositions contractuelles particulières, le principe légal s'appli- que. Un Préempteur peut par conséquent, ex lege, se prévaloir de la faculté d'exercer son droit non seulement en cas de vente proprement dite, mais aussi dès lors que la transaction considérée produit économiquement le même résultat3.

En vertu de son texte même, le champ d'application de l'article 216c al. 1 CO ne s'étend toutefois pas à tous les cas de transfert de biens qui sont Pobjet d'un droit de préemption. I:article 216c al. 2 CO exclut en effet expressément les cas suivants: le partage successoral, la réalisation forcée et l'acquisition d'un immeuble pour l'exé- cution d'une œuvre de caractère public. Cette liste n'est pas exhaustive4Le message du 19 octobre 1988 accompagnant les projets de loi fédérale sur le droit foncier ru- ral et de loi fédérale sur la révision partielle du code civil (droits réels immobiliers) et du code des obligations (vente d'immeubles) (ci-après le «Message»), reprenant la jurisprudence et la doctrine, exclut en effet également du concept de «cas de préemp- tion»: la donation5, la donation inixte6, les transferts issus des régimes matrimoniaux7,

l'échange8, la promesse de vente9, le contrat d'entretien viager10, ainsi que les transferts découlant du droit des sociétés 11A ce dernier propos, on pensera notamment à la remise en nature d'une part de liquidation à un actionnaire12, aux apports effectués en nature à l'occasion de la constitution d'une société ou de l'augmentation subséquente de son capital, ainsi qu'à la cession de biens dans le cadre d'une fusion, d'une scission

TERCIER, Les contrats spéciaux, Zurich 2003, N 1037; CR-FoFx, ad art. 216c, N 2; FoEx, La nouvelle réglementation des droits de préemption, d'emption et de réméré dans le CC/C(), SJ 1994, p. 405; BAK- HEss, Obligationenrecht I, Bâle 2003, ad art. 216c, N 13.

FF 1988 lll 1017; TERC!E.R, Les contrats spéciaux, Zurich 2003, N 1031; STEINAUER, La nouvelle réglementation du droit de préemption, ZBGR 73 (1992), p. 6; FoËx, La nouvelle réglementation des droits de préemption, d'emption et de rén1éré dans le CC/CO, SJ 1994, p. 405.

Voir le terme «notam1nent» figurant à la fin de l'art. 216c al. 2 CO.

TERCIER, Les contrats spéciaux, Zurich 2003, N 1034; STE!NAUER, La nouvelle réglementation du droit de préemption, ZBGR 73 (1992), p. 6; FoËx, La nouvelle réglementation des droits de préemption, d'emption et de réméré dans le CC/CO, SJ 1994, p. 406.

FF 1988 lll 1017.

FF 1988 III 1017; TERCIER, Les contrats spéciaux, Zurich 2003, N 1034.

FF 1988 Hl 1017; TERCIER, Les contrats spéciaux, Zurich 2003, N 1034; STE!NAUEH,, La nouvelle réglementation du droit de préemption, ZBGR 73 (1992), p. 6; FoËx, La nouvelle réglementation des droits de prée1nption, d'emption et de réméré dans le CC/CO, SJ 1994, p. 405.

Fotx, La nouvelle réglementation des droits de préemption, d'emption et de réméré dans le CC/C(), SJ 1994, p. 406.

w FF J 988 Ill 1017.

11 FF1988JII1017.

12 ATF 126 III 187.

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La cession du contrôle d'une société est-elle un <'cas de préen1ption»? 369

ou d'un transfert de patrimoine au sens de la LFus. Les derniers exemples de cette liste sont d'ailleurs confortés par le fait que, comme le relève FoËx13, l'art. 216c al. 1 CO ne vise que la cession à titre singulier, et non pas la cession à titre universel, catégorie à laquelle appartiennent les opérations de restructuration précitées14.

Il apparaît ainsi que le droit de préemption au sens de l'article 216c al. 1 CO ne concerne que la vente stricto sensu ou les actes qui lui sont assimilables, non pas donc toute autre forme de cession, effectuée à titre gratuit ou onéreux. Il existe une raison à cela, dont il est fait mention dans le Message, de façon il est vrai quelque peu her~

métique: «( ... ) les actes juridiques dans lesquels la personne de l'acquéreur revêt une importance de premier plan( ... ) ne constituent pas des cas de préemption.» 15

Echappent donc à la préemption les cas où «l'acquéreur revêt une importance de pre- mier plan». Il faut entendre par là ceux où l'aliénateur souhaite que la propriété du bien soit transférée à une personne choisie intuitu personae. Cette exigence ne serait évidemment pas satisfaite si un tiers, le Préempteur, pouvait, à sa discrétion, se subs- tituer à la personne élue par le cédant (Promettant). Lorsque l'identité du cession- naire «revêt une importance de premier plan}>, la volonté du Promettant l'emporte en d'autres termes sur celle du Préempteur16.

Cela étant, le Message et la jurisprudence unanimes précisent qu'est un «acte juridique équivalant à une vente» tout acte juridique visant le transfert de propriété d'un immeu- ble contre une prestation pécuniaire 17. Sont ainsi notamment assimilés à une vente - et constituent donc des cas de préemption: la dation en paiement, la vente aux enchères volontaire18, l'exercice d'un droit d'en1ption ou d'un droit de réméré, la constitution d'un droit de superficie19, ainsi que le leasing20

C. Le cas particulier de la cession du contrôle d'une société

Plus délicate est la question de savoir si l'aliénation du contrôle d'une société qui dé- tient un bien grevé d'un droit de préemption constitue un «cas de préemption~> et si donc, dans ce cas, le Préernpteur peut exercer son droit et acquérir le bien frappé du droit de préemption bien que, stricto sensu, ce bien ne soit pas cédé.

13

15

18

10

CR-Fotx, Code des obligations 1, Bâle 2003, ad art. 216c, N 8.

Sous réserve du cas où le patrin1oine transféré au sens de l'art. 69 L.Fus est composé d'un seul bien;

BA!L\R, in Co111mentaire LFus, Zurich 2005, ad art. 69, N 8.

FF 1988 Ill 1017.

Ceci est confirn1é par la jurisprudence antérieure: ATF 92 165.

FF 1988 III 1017; TERCIER, Les contrats spéciaux, Zurich 2003, N 1032; STEINAUER, La nottvelle réglementation du droit de préemption, ZBGR 73 (1992), p. 6; FoPx, La nouvelle réglementation des droits de prée1nption, d'emption et de réméré dans le CC/CO, SJ 1994, p. 405.

TERCIER, Les contrats spéciaux, Zurich 2003, N 1033; STEl?-<AUER, La nouvelle réglementation du droit de préemption, ZBGR 73 (1992), p. 7; Foi:~x, La nouvelle réglementation des droits de préemption, d'emption et de rérnéré dans le CC/CO, S] 1994, p. 406.

CR-FoPx, Code des obligations l, Bâle 2003, ad art. 2 l 6c, N 9.

REY, Die Neuregelung der VorkaLJfsrccbte in ihren Grundzügen, RDS 113 I, p. 56; Bl(-G1c;ER, Das ()b\igationcnrccht, Berne 1997, ad 216c N 9.

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Le Tribunal fédéral a tranché cette question dans un arrêt de 196621, c'est-à-dire avant l'entrée en vigueur de l'article 216c CO. Dans cette décision, notre plus haute Instance a rappelé le principe fondamental du droit suisse selon lequel la société anonyme et son actionnaire unique (ou quasi-unique) sont deux sujets de droit distincts, en dépit de leur éventuelle identité économique22. La société anonyme et son actionnaire sont donc titulaires de droits et d'obligations propres et peuvent disposer de leurs biens de manière indépendante, sans donc que les actes de l'un aient - en principe - de consé- quence pour l'autre (et vice-versa)23Le Tribunal fédéral affirma à cette occasion que le fait que l'actionnaire unique (ou quasi-unique) cède le contrôle du Promettant (in casu une société propriétaire d'un immeuble grevé d'un droit de préemption) ne per- met pas ipso facto au Préempteur d'exercer son droit24. Le Tribunal fédéral soutint en effet que, en concluant un pacte de préemption avec une société anonyme, le cocon- tractant (Préempteur) aurait dû envisager l'éventualité d'une cession totale ou partielle des actions - donc du contrôle - de celle-ci. S'il avait souhaité se prémunir contre ce risque, le Préempteur aurait dû négocier et obtenir l'inclusion expresse dans le contrat d'une clause ayant pour effet d'étendre le droit de préemption à cette hypothèse par- ticulière:

((En stipulant un contrat de ce genre avec une société anonyme, G. devait envisager l'éventualité d'une cession totale ou partielle des actions et devait savoir que ni l'une ni l'autre ne lui aurait permis l'exercice du droit de préemption. Si, ce nonobstant, il [G]

voulait empêcher que, par le biais de la cession de la totalité ou de la grande majorité des actions, le pouvoir économique sur l'immeuble, par l'intermédiaire de la société, ne passât à un tiers, et s'il souhaitait, partant, s'assurer l'acquisition de ce pouvoir en cas de transfert des actions, il disposait à n'en pas douter des moyens idoines pour le faire.

Il aurait, par exemple, pu inclure dans le contrat constitutif du droit de préemption, une clause qui, aux fins de l'exercice de ce droit, assimilait à la vente de l'immeuble la cession de la totalité ou de la quasi totalité des actions qui l'incorporaient(. .. ). Il aurait aussi pu se faire concéder un droit de préemption sur les actions elles-mêmes [de la société cédée}

(. •• )>)15.

Tel est donc le principe; il n'est toutefois pas absolu. Dans son arrêt, le Tribunal fédéral ménage en effet une exception en déclarant que l'on peut faire abstraction de l'indé-

ATF 92 li 160.

ATF 92 Il 164: «( ... ) la società anonima da una parte, e il suo azionista unico o dominante dall'altra, sono considerati in principio corne due soggetti giuridici distinti aventi ciascuno il proprio patrimonio, nonostante la loro identità economica».

ATF 92 li 164.

ATF 92 li 166.

ATF 92 II 166, traduction libre de l'extrait suivant: "Stipulando simi{e contratto con una società anonima, G. doveva prospettarsi l'eventualità di una cessione totale o parzîale delle azioni e doveva sapere che né l'una né l'altra gli avrebbero permesso l'esercizio del diritto di prelazione. Se, ciononostante, egli voleva impedire che, mediante la cessione della totalità o della grande maggioranza delle azioni, il potere economico sull'immobile, attraverso la società, passasse ad un terzo, e se intendeva percià assicurarsi l'acquisizione di questo potere in casa di trapasso delle azioni, egli aveva certo i mezzi adatti per farlo.

Avrebhe, ad esempio, potuto includere nel contratto costitutivo del diritto di prelazione una clausola che, ai fini dell'esercizio di tale diritto, parificasse alla vendita dell'immobile la cessione della totalità o della quasi totalità delle azioni che lo incorporavano ( .. .). Egli avrehbe anche potuto farsi accordare un dîritto di prelazione sulle azioni medesime ( ... ).))

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La cession du contrôle d'une société est-elle un «Cas de préemption)>? 371

pendance juridique de la société par rapport à son actionnaire majoritaire si les règles de la bonne foi dans les relations avec les tiers l'exigent26. C'est là un cas d'application de l'article 2 al. 2 CC selon lequel l'abus d'un droit n'est pas protégé, même si l'arrêt en question ne le mentionne pas expressément. L'admission d'une telle exception suppose toutefois que l'on soit en présence de circonstances très particulières, car elle conduit à ignorer ce principe fondamental du droit suisse qu'est celui de la «dualité juridique», c'est-à-dire la reconnaissance de la personne morale en tant qu'entité juridiquement distincte de son actionnaire, même unique.

Dans l'arrêt en question il fut toutefois nié que cette circonstance (l'abus de droit) existât, car la vente des actions de la société n'avait pas été effectuée dans le but d'élu- der le droit de préemption grevant l'immeuble:

<(La situation serait différente si S. avait accordé à G. un droit de préemption sur un fond qui lui appartenait personnellement et si, pour empêcher l'avènement du cas de préemption, il avait constitué par la suite une société anonyme à laquelle il aurait apporté l'immeuble en question, pour ensuite vendre la totalité ou la quasi-totalité des actions de la société en question à un tiers, dans le but de lui transférer le pouvoir de disposition sur le fond. Dans un cas semblable, selon les circonstances, il pourrait apparaître justifié de faire abstraction de l'indépendance juridique de la société au sens de la jurisprudence et reconnaître comme réalisé le cas de préemption. Les circonstances du cas d'espèce ne permettent toutefois pas de conclure de cette manière»27

La question se pose dès lors de savoir si cette jurisprudence de 1966 reste applicable à la suite de l'entrée en vigueur de l'article 216c CO en 1994, ou si au contraire cette réforme législative a eu pour but - ou en tout cas pour effet - de l'abolir. Ce serait im- plicitement le cas si l'on considérait que, selon le (nouvel) article 216c CO, la cession de la totalité des actions d'une société (Promettante) est automatiquement (donc indé- pendamment des circonstances et des intentions) assimilée à une vente du bien objet du droit de préemption. Laquelle de ces deux thèses doit-elle prévaloir?

II. Les thèses

A. Défavorables au maintien de la jurisprudence de 1966

Trois auteurs s'expriment - en tout cas semble-t-il - en faveur de l'abolition de la ju- risprudence de 1966:

Selon MüLLER28 , la cession du contrôle d'une société constitue un cas d'acte juridi- que <<équivalant économiquement à une vente>>: «Neu ist gegenüber dem bisherigen Recht die Ausdehnung auf Geschdfte, die wirtschaftlich einem Verkauf gleichkom- men, z.B. Verdusserung der Aktien einer lmmobiliengesellschaft, deren Haupt-

26 ATF 92 II 166.

27 ATF 92 II 167, traduction libre du texte (original) qui est en langue italienne.

28 MULLER, Die Regelung der Vorkaufsrecht nach ZGB/OR und BGBB, in BN 1994, p. 221ss.

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Aktivum das mit dem Vorkaufsrecht belastete Grundstück ist»29Il ne mentionne aucunement la doctrine et la jurisprudence qui précèdent l'entrée en vigueur de l'article 216c CO. Partant, on ignore en particulier si la question lui a échappé ou s'il considère, sciemment, que la jurisprudence de 1966 est désormais obsolète. A le lire, sa position semble quoi qu'il en soit absolue; c'est d'ailleurs ainsi qu'elle a été comprise par le reste de la doctrine30.

HEss affirme quant à lui, d'une part, (i) que la doctrine et la jurisprudence préexis- tantes restent applicables: «Sie [die Bestimmung} bleibt sehr offen, so dass weiter- hin au( die bisherige Lehre und Praxis zurückgegriffen werden muss»31Confor- mément à celles-ci, il déclare en conséquence que: «Welche Palle dagegen wirt- schaftlich einem Verkauf gleichkommen, kann nicht generell beantwortet werden, sondern ist nach den konkreten Umsti:i.nden zu beurteilen»32Mais il écrit d'autre part, péremptoirement, de façon quelque peu inattendue et au demeurant contra- dictoire, que (ii) dans le cas où le droit de préemption porte sur un immeuble, l'aliénation de toutes les actions de la société anonyme (immobilière) propriétaire de l'im1neuble constitue à n'en pas douter un cas de préemption, car il s'agit d'un acte qui peut être assimilé à une vente d'un point de vue économique: «Sicher gehort die Übertragung aller Aktien einer Immobilienaktiengesellschaft, welche das vom Vorkaufsrecht erfasste Grundstück zu Eigentum hat, in diese Kategorie der wirtschaftlich gleichwertigen Geschiifte»D Il ne mentionne toutefois pas la jurisprudence de 1966, ni ne motive sa position. Il convient cependant de relever que HEss tempère ensuite son opinion en affirmant que, si la société cédée possède plusieurs immeubles, on ne saurait admettre automatiquement l'existence d'un cas de préemption: «Schwierig wird dagegen in einem solchen Fall die Ausübung eines unlimitierten Vorkaufsrechts, wenn die veriiusserte Gesellschaft mehrere Grund- stücke besitzt»34.

GIGER est d'avis que, de manière générale, la doctrine et la pratique préexistantes restent applicables: «Deshalb muss - falls eine Auslegung nicht Klarheit verschaffen kann -von einer gewollten oder ungewollten Delegation der Rechtsetzungsbefugnis an den Richter ausgegangen werden. Dabei mogen der bisherige Entwicklungsstand von Doktrin und Praxis, eine vergleichende Analyse der dort gewonnene Erkennt- nisse mit der gesetzgeberischen Formulierung, allenfalls sogar rechtsschopferische Überlegungen weiterführen35» et «Es muss weiterhin auf die bisherige J_,ehre und Rechtsprechung zurückgegriffen werden»36Mais cet auteur relève ensuite que la question qui nous occupe est controversée, étayant cette affirmation à l'aide d'un catalogue de la doctrine existante et affirmant: «Im Unterschied zur Würdigung von Art. 216c Abs. 1 OR vollzog sich indessen in der neuen Literatur zur Ausschluss-

29 MüLLEl\, Die Regelung der Vorkaufsrecht nach ZGB/OR und BGBB, in EN 1994, p. 224.

_io Ainsi notamment BK-G1c;ER, Das Obligationenrecht, Berne 1997, ad 2:16c N 18.

JI BAK-HEss, Oblîgatîonenrecbt I, Bâle 2003, ad art. 216c, N 2.

32 BAK-Hc~s, Obligationenrecht I, Bâle 2003, ad art. 2l6c, N 4.

_n BAK-HF.ss, l)bligatîonenrecht I, Bâle 2003, ad art. 216c, N 5.

34 BAK-Hrss, Obligationenrecht I, Bâle 2003, ad art. 2l6c, N 5.

15 BK-GIGER, Das Obligationenrecht, Berne 1997, ad 216c N 4.

J(, BK-G!CER, Das l)bligationenrecht, Berne 1997, ad 2l6c N 8.

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La cession du contrôle d'une société est-elle un "cas de préemption>)? 373

regelung der nicht vorkaufsfallgeeigneten rechtsgeschdftlichen und anderweitigen Ereignisse keine einheitliche Meinungsbildung { ... )»37Il se limite à ce constat, sans prendre position, ce qui est ainbigu et peut donner l'impression que son comn1en- taire (bernois) accrédite la thèse de l'abandon de la jurisprudence de 1966.

B. Favorables au maintien de la jurisprudence de 1966

L'on rappellera tout d'abord que le Message se réfère expressément à l'arrêt du Tri- bunal fédéral de 1966 pour affirmer que «ce n'est que dans un cas concret qu'on peut décider si, d'un point de vue économique, l'assimilation d'une opération à une vente se justifie (ATF 92 II 160 s., consid. 2 à 4),,38Il paraît dès lors manifeste qu'en intro- duisant l'article 216c al. 1 dans le CO en 1994 l'intention du législateur n'était pas de modifier l'approche jurisprudentielle préexistante.

Les auteurs suivants adhèrent au demeurant à cette opinion:

FoËx, selon lequel: «[les art. 216c à 216e] constituent pour l'essentiel une codifica- tion de la jurisprudence du Tribunal fédéral ( .. .}»39. Cet auteur s'exprime spécifi- quement à propos de la question qui nous occupe, en affirmant que le droit conféré sur un objet (l'immeuble) ne s'étend pas, sans stipulation expresse, à l'aliénation d'autres choses (en particulier les actions) de la société «immobilière» Promet- tante40. Il estime qu'est déterminante l'interprétation que la partie contractante peut donner de bonne foi à la clause contractuelle concernée. FoËX formule toute- fois une réserve s'agissant des «cas dans lesquels le comportement de l'aliénateur serait constitutif d'abus de droit»41;

STEINAUER, pour lequel: «( ... ) il s'agit d'une part d'une véritable codification des principes essentiels dégagés jusqu'ici par la jurisprudence et la doctrine en matière de droit de préemption et, d'autre part, de l'introduction de toute une série de dis- positions nouvelles destinées à aplanir certaines difficultés actuelles ou à étendre la portée de certains droits de préemption.)>42;

ROBERTO, qui déclare que le statu quo ( «wie bisher)>) s'applique43;

BRüCKNER, selon lequel: «Diese Vorschrift kodifiziert lediglich die var 1994 ent- wickelte Lehre und Praxis»44; il souscrit en outre expressément au raisonnement adopté par le Tribunal fédéral dans son arrêt de 1966: "Wenn die Parteien dem Vorkaufsberechtigten für den Fall der Handi:inderung der Gesellschaft eine ent-

n BK-GrGER, Das Obligationenrecht, Berne 1997, ad 216c N 18.

18 FF 1988 III 1017.

19 Fotx, La nouvelle réglementation des droits de préemption, d'emption et de réméré dans le CC/CO, SJ 1994, p. 405.

4

°

CR-FOËX, Code des obligations 1, Bâle 2003, ad art. 216c, N 11.

41 CR-FoEx, Code des obligations I, Bâle 2003, ad art. 216c, N 11.

41 STEINAUER, La nouvelle réglementation du droit de préemption, ZBGR 73 (1992), p. 2.

43 ROBERTO, Teilrevision des Zivilgesetzbuches und des Obligationenrechts, recht 1993, p. 173: «Ais Vorkaufsfiille gelten also (iuie bisher) nur gültig zustandgekommene Veriiusserungsgeschdfte { ... )».

44 BRüCK'.\iER, Verwandte Vertr3.ge, in Koller (Hrsg.), Der Grundstückkauf, St31npfli 2001, p. 532.

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sprechende Option hdtten gewdhren wollen, so hdtten sie dies von Anfang an in Gestalt eines bedingten Kaufsrechts gegenüber der Gesellschaft tun und offentlich beurkunden müssen; eine ausdehnende Interpretation des Vorkaufsvertrags ist in diesem Falle abzulehnen. » 45Restent évidemment réservés les cas dans lesquels le comportement de l'aliénateur est constitutif d'un abus de droit46;

- MEIER qui, se posant expressément la question de savoir si la jurisprudence préexis- tante reste applicable après l'entrée en vigueur du nouveau droit, répond par l'af- firmative en se basant notamment sur le message du Conseil fédéral: «Zusam- menfassend kann festgehalten werden, dass der Gesetzgeber mit dem Hinweis au(

«wirtschaftlich einem Verkauf gleichkommende Rechtsgeschdfte» in revOR 216c I keine Ausweitung der wirtschaftlichen Betrachtungsweise bezweckte, sondern da- mit lediglich die durch Lehre und Praxis erarbeitet Umschreibung der Vorkaufs- fdlle kodifizierte»47;

REY, lequel déplore que le législateur n'ait pas saisi l'occasion de l'introduction de l'article 216c al. 1 CO pour clarifier ce qu'il fallait entendre par «acte juridique équivalant économiquement à une vente>>. Il observe, cela étant, que le Message se réfère à l'arrêt topique de 196648 et considère que la jurisprudence préexistante demeure en conséquence applicable49

III. La réponse suggérée

A. Le principe: la dualité juridique

Avec la doctrine amplement majoritaire, il convient ainsi d'affirmer que l'objectif de la réforme de 1994 n'était pas de renoncer au principe clairement exprimé par le Tribu- nal fédéral dans son arrêt de 1966. La cession du contrôle d'une société qui possède un immeuble grevé d'un droit de préemption ne constitue donc pas, ipso facto, un «cas de préemption» au sens de l'article 216c al. 1 CO.

B. L'exception: le Durchgriff

Le principe susdit souffre toutefois une exception au cas où, (i) de mauvaise foi, l'ac- tionnaire (ii) cède non pas le bien frappé du droit de préemption mais le contrôle de la société qui possède ce bien et ce (iii) dans le but de contourner le droit concerné.

45 BRUCKKER, Verwandte Vertri:ige, in Koller (Hrsg.), Der Grundstückkauf, Sti:impfli 2001, p. 533.

46 BRüCKNER, Verwandte Vertr3-ge, in Koller (Hrsg.), Der Grundstückkauf, St3-mpfli 2001, p. 533.

47 MEIER, Das neue Vorkaufs-, Kaufs- und Riickkaufsrecht - vîer Neuerungen und drei Auslegungsfragen, PJA 1994, p. 144.

48 ATF 92 II 160.

49 REY, Die Neuregelung der Vorkaufsrechte in ihren Grundziigen, RDS 113 1, p. 49.

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La cession du contrôle d'une société est-elle un "cas de prée1nption))? 375

On peut à ce propos considérer que la jurisprudence de 1966, «codifiée» en 1994, n'est autre qu'une (banale) mise en œuvre du principe dit de la transparencern, plus connu en Suisse sous le nom de «Durchgriff». Ce principe consiste à faire prévaloir la réalité économique sur le formalisme juridique. Partant, on pourrait soutenir que cette codi- fication n'était pas nécessaire, puisqu'elle n'est autre qu'une réaffirmation du principe fondamental de notre droit découlant de l'art. 2 CC.

Cela étant, vu la relative incertitude qui caractérise la portée de l'article 216c al 1 tn

fine CO, il paraît opportun de rappeler brièvement les conditions d'application du Durchgriff

Le Tribunal fédéral a eu l'occasion d'évoquer la teneur du principe de la transparence à de nombreuses reprises et dans toutes sortes de contextes:

«On ne peut faire abstraction de cette indépendance juridique que lorsque le principe de la bonne foi dans les affaires

r

exige, soit quand le fait de s'en prévaloir constitue un abus de droit ou a pour effet une violation manifeste d'intérêts légitimes. Tel est le cas, par exemple, lorsque la diversité des sujets est invoquée pour échapper à une interdiction de concurrence»s1;

ou encore

«On ne peut s·'en tenir sans réserve à

r

existence formelle de deux personnes juridique- ment distinctes (. . .)chaque fois que le fait d'invoquer la diversité des sujets constitue un abus de droit ou a pour effet une atteinte manifeste à des intérêts légitimes. [Tel est le cas, lorsque l'indépendance juridique de la société est invoquée] dans le but évident de faire échapper un actif important à ses créanciers»52 •

Les deux53 conditions caractéristiques auxquelles est soumise l'application du Durch- griff sont, cumulativement, (i) un rapport de domination et (ii) un abus manifeste de droit. Premièrement, l'actionnaire dominant doit contrôler la société dont on envisage de lever le voile social. Il n'est pas nécessaire qu'il détienne la totalité des actions; il suffit qu'il la domine en .fait54L'invocation du principe de la dualité juridique doit, en second lieu, être manifestement abusive. Le seul fait de se prévaloir de l'existence de deux entités juridiquement distinctes n'est pas en soi constitutif d'un abus de droit. Il faut plus, car à défaut on instituerait un régime de Durchgriff objectif et donc automa- tique, ce qui équivaudrait à nier ledit principe. Le juge doit vérifier, dans chaque cas

52

VoN PLANTA, La théorie de la transparence, in Responsabilité de l'actionnaire majoritaire, Zurich 2000, p. 20; Sr\UEHWEll':, La responsabilité de la société n1èrc, Berne 2006, p. 302.

SJ 1973 369.

ATf 102111165 =JT 1978 II 56.

A ces deux principales conditions on peut en ajouter une troisième, celle de la subsidiarité. La doctrine et la jurisprudence s'accordent en effet à reconnaître qu'en raison de son caractère exceptionnel, car contraire à un principe fonda1nental de notre ordre juridique (la dualité juridique), le Durchgriffne peut être retenu que comme ultima ratio, c'est-à-dire à titre subsidiaire par rapport aux autres moyens de droit éventuellement disponibles (VON Pl.t\NTA, La théorie de !a transparence, in Responsabilité de l'ac- tionnaire majoritaire, Zurich, 2000, p. 19; SAUERWEIN, La responsabilité de la société mère, Berne 2006, p. 324; Kuz~,uc, Haftung aus Konzernvertrauen, Zurich 1998, p. 111 ).

ATF 71 II 274; SAUERWEli'<, La responsabilité de la société mère, Berne 2006, p. 320; KuZMIC, Haftung aus Konzernvertrauen, Zurich 1998, p. 110.

(11)

concret, si la condition de l'abus est réalisée à la lumière des circonstances particulières de l'espèce55.

Les deux conditions du Durchgriff sont donc bien celles qui ont été évoquées par le Tribunal fédéral dans son arrêt de 1966. Il en découle que le droit de préemption n'est pas exerçable par le préempteur du seul fait que le capital-actions du Promettant est cédé, même intégralement. Se prévaloir de la séparation formelle des sujets de droit doit constituer en l'occurrence un abus de droit, au demeurant manifeste, ce qui dépend notam1nent de l'intention des parties en cause, donc de facteurs subjectifs. Comme le rappelait le Conseil fédéral dans son Message: «ce n'est que dans un cas concret qu'on peut décider si, d'une point de vue économique, l'assimilation d'une opération à une vente se justifie( ... )»".

Conclusion

Nonobstant la réforme de 1994, il convient ainsi de considérer aujourd'hui encore que, par «acte juridique équivalant économiquement à une vente)), l'art. 216c al. 1 CO n'entend pas abolir la jurisprudence préexistante. En conséquence, la cession du contrôle d'une société (Promettante) détentrice d'un bien grevé d'un droit de prée1np- tion ne permet pas ipso facto au Préempteur d'exercer son droit et d'acquérir le bien concerné.

Il faut plus. Une condition subjective doit également être réalisée: celui qui cède le contrôle du Promettant doit avoir l'intention de contourner le droit de préemption et cette intention doit être manifestement abusive compte tenu des circonstances.

En d'autres termes encore, de lege lata, le principe est que la cession du contrôle d'une société qui détient un bien frappé d'un droit de préemption ne constitue pas un «cas de préemption» au sens de l'article 216c al. 1 CO. L'exception à ce principe existe; elle n'est autre qu'un cas d'application de la doctrine générale du Durchgriff.

55 EnENROTH, Zum Durchgriff im Gesellschaftsrecht, in SAS 1985, p. 134; SAUERWEl1', La responsabilité de la société mère, Berne 2006, p. 321; Kuz.!VlIC, Haftung aus Konzcrnvertanen, Zurich 1998, p. 122.

56 FF 1988 III 1017.

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