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27 juillet 2011actualité, info
sions. (…)
Le Courrier du 16 juillet 2011
en marge
Nous connaissons tous le marc de café, ce reliquat de notre stimu- lante boisson pluriquotidienne.
Mais combien sommes-nous en- core aujourd’hui à connaître l’existence, sinon les arcanes, de la cafédomancie ? Résumons : tenta- tive ritualisée de lire – dans ce même marc – ce que seront des lendemains qui, tous, ne chante- ront pas le temps des cerises ; des futurs qui n’entendront pas tous le merle moqueur et le souvenir que l’on pouvait, parfois, en gar- der au cœur. Tout n’est certes pas perdu. En cette aube du troisième millénaire un esprit aiguisé conti- nuera à ne pas confondre la café- domancie et la chiromancie. Il saura que les servantes de cette der- nière, loin de s’intéresser au marc, scrutent et interprètent les lignes et les signes des mains de leurs contemporains. Il fera aussi la part d’avec la cartomancie, qui met en contact les doigts et les cartes pour dire la bonne aventure, cette belle et bonne blague servie par
une gitane aux yeux noirs, verts ou bleus. Notre bel esprit affûté saura enfin toujours démêler le vrai du faux avec la catoptromancie, cette lumineuse divination appa- raissant dans les figures d’un mi- roir ; pratique radicalement diffé- rente, nous le savons tous, de la cristallomancie cette fulgurance vision naire née d’une sphère de cristal.
On peut certes se moquer de tout cela. Certains vont même jusqu’à penser que l’on se doit d’en rire.
On peut certes juger indispen- sable de s’arrimer à la raison rai- sonnante et de fermer les écou- tilles sur l’irrationnel ambiant.
Dans l’exercice de la médecine, le praticien retrouve, avec les mys- tères de l’effet placebo, une alter- native voisine aux frontières de l’indicible. Il peut, au choix, nier ou pas son existence. S’il en ac- cepte le principe, il peut décider d’en user au mieux dans l’intérêt de ses patients. Et le questionne- ment ne se limite pas là qui en-
globe l’ensemble des médecines parallèles pour ne pas parler de l’hypnose ou des approches ana- lytiques. Sans trancher reconnais- sons qu’au fil du temps, l’étrange a généralement toujours fait bon ménage avec la pratique médi- cale. Et le succès international rencontré par la série télévisée américaine Dr House démontre- rait, s’il en était besoin, que le filon est bien loin d’être tari.
Nous ne connaissons pas tous la cafédomancie mais nous avons tous entendu parler des tests géné- tiques. Et le rapprochement entre ces deux mondes s’impose à la lecture de l’éditorial, signé Ber- trand Jordan, du dernier numéro (daté juin-juillet 2011) de la revue Médecine/Sciences.a Spécialiste répu té de génétique moléculaire et passé maître dans l’art de la vulgarisation de sa discipline, Bertrand Jordan ne craint pas, quand il le juge nécessaire, de porter la plume dans la plaie. Il est notamment l’auteur d’un ou- vrage courageux 1 traitant de la notion de race revisitée par la géné tique contemporaine, ouvra ge dont nous avons en son temps rendu compte dans ces colonnes (Rev Med Suisse 2008;4:617). Ber- trand Jordan scrute aussi depuis sa vigie marseillaise les diffé-
rentes étapes de la révolution qui bouleverse actuellement les tests génétiques, cette branche commer- ciale de la génétique née des prodi gieuses avancées techniques du séquençage des génomes en général, du génome humain en particulier.
La situation peut, selon lui, être résumée simplement. Nous sommes encore bien loin de lire couramment le «grand livre de la vie» (à supposer qu’il existe véri- tablement et que l’on y parvienne)
«Génétique récréative»
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a Revue internationale de biologie et de médecine Médecine/Sciences (www.
medecinesciences.org) est le fruit d’une coopération entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Québec.
Bibliographie
1 Jordan B. L’humanité au pluriel ; la géné- tique et la question des races. Paris : Editions du Seuil, 2008 ; 226 p. ISBN : 978-2-02-096658-0.
2 Sur ce thème, on se reportera utilement au récent ouvrage suivant : Claessens M.
Allo la science ? Analyse critique de la médiascience. Paris : Editions Hermann, 2011. ISBN : 978-2-7056-8065-7.
mais le champ de la technique s’élargit de manière vertigineuse tandis que les coûts chutent de manière exponentielle. «Il sera bientôt possible de lire un ADN humain pour le prix d’un scanner thoracique, ou de tester un millier de gènes chez un nouveau-né ou un futur parent pour quelques centaines d’euros, assure Bertrand Jordan. Il ne faut donc pas se voi- ler la face : l’accès aux tests géné- tiques va se généraliser et, qu’on le veuille ou non, beaucoup seront accessibles à tout un chacun sans encadrement médical. Une telle diffusion pose à l’évidence de multiples problèmes, ou plutôt exacerbe des difficultés déjà repé- rées. Mauvaise compréhension et, souvent, surinterprétation des résul tats perçus comme l’annonce d’un destin alors qu’au mieux ils
évaluent une probabilité statis- tique (…).»
Il faut et faudra aussi compter avec les risques d’atteinte à l’inti- mité génétique de chacun, à notre droit à ne pas savoir, à ne pas faire savoir à d’autres – qui le voudraient peut-être – ce qu’il en est d’éventuelles vulnérabilités génétiques… Reste pour l’heure l’essentiel : faire comprendre qu’il y a test génétique et test géné- tique, une différence que nombre de nos contemporains ne perçoi- vent guère, persuadés qu’ils sont que les résultats des enquêtes cri- minelles ou des recherches en
pater nité ont la même fiabilité que les profils de Snip commer- cialisés par Navigenics ou 23andMe ; sans même parler des résultats de l’identification des mutations au sein d’un gène comme dans le cas de BRCA1 pour le risque de can- cer du sein. Dans le premier cas, la validité est absolue. Dans le deuxième, il ne faut voir, précise Bertrand Jordan, qu’une «géné- tique récréative» qui, compte tenu de l’«hérédité perdue», n’apporte aucune information diagnostique ou prospective fiable quoi que suggèrent les publicités de leurs promoteurs. Enfin, dans le troi- sième cas, nous sommes dans le cadre d’un diagnostic et de la défini tion d’une probabilité éle- vée (parfois certaine) de survenue d’une pathologie ; et donc de la définition d’une stratégie théra- peutique.
C’est dire en quelques mots le tra- vail qui reste à faire pour éclairer nos contemporains, dissiper les brouillards soigneusement entre- tenus par les marchands, faire la part du divinatoire et de la certi- tude. C’est dire en un mot l’urgen ce qu’il y a à expliquer, à traduire, à vulgariser.2
Nous connaissons tous, autant que le marc de café, le souci ma- nifesté par un nombre croissant de nos contemporains pour un développement planétaire du- rable. C’est ainsi que nous pou- vons désormais trier sélectivement nos déchets et, au-delà du divina- toire, recycler le marc de café dans nos composteurs de jardin, l’utiliser comme engrais, comme répulsif contre les mouches, comme arme antinématodes. Une autre manière, somme toute, de croire en l’avenir.
Jean-Yves Nau jeanyves.nau@gmail.com
… l’accès aux tests génétiques va se généraliser et beaucoup seront accessibles à tout un chacun sans encadrement médical …
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