Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 30 juin 2010 1379
Sonate pour vuvuzela et basse continue
A moins d’un hasard troublant, je présume que le présent numéro n’est pas consacré à l’ORL. Néanmoins, on ne peut pas passer sous silence (si je puis dire) le problème de santé publique auditive que représentent ces cornes de la discorde qui tonitruent dans les amphithéâtres où se joue le destin footballis
tique de la planète. Le rugissement de mil
liers de vuvuzelas dans les gradins du stade représente une formidable agression sonore, compte tenu des 116 décibels qu’un seul de ces instruments projette à une distance d’un mètre.1 Alors on a voulu interdire l’usage des vuvuzelas, sans penser
qu’on brimait par là une expression tra dit ion nel
le d’en thou sias me sp or
tif pro pre au peuple sud
africain. Réaction mala
droite et déso bli gean te à l’endroit de la culture du pays hôte de cette gran
de manifestation d’ami
tié entre les peuples.
Une approche diamétra
lement autre s’impose.
Il convient de prendre le taureau par les cor
nes (de brume) de façon complètement différen
te. Il faut faire de la vu
vuzela un instrument de musique à part en
tière. Ce qui ne serait pas si difficile, car dans son état d’origine, l’instrument a d’ores et déjà des qualités potentielles non négli
geables, tant et si bien qu’un concerto pour vuvuzela en si bémol majeur lui a été dédié (la partition est publiée sur la Toile).2 L’œuvre comporte 54 mesures comprenant 108 notes, toutes des si bémol, l’ensemble étant répété da capo. Le tempo indiqué : Insistendo quasi le vespe place clairement cette œuvre dans l’héritage de la monodie lancinante du Boléro de Ravel. Néanmoins, même les mé
lomanes les plus acquis au minimalisme postsériel pourraient se lasser à la longue.
L’avenir de la vuvuzela exige qu’on lui confère des possibilités harmoniques et contrapun
tiques un peu plus développées, tout en at
ténuant ses effets les plus toxiques pour l’or
gane de Corti.
Une première mesure s’impose, baisser le diapason d’un demiton. Le si bémol écrit devient un la à l’oreille. On aura du même coup inventé la vuvuzela baroque, à la sono
rité plus douce et veloutée.
Aérophone à perce conique, la vuvuzela produit des harmoniques aigus assez agres
sifs. En travaillant sur la forme de l’embou
chure et le profil de la perce, nul doute que des acousticiens chevronnés pourront faire en sorte que ces sons partiels soient plus fa
ciles à maîtriser par le vuvuzéliste averti, qui pourrait ainsi jouer des mélodies simples, à l’instar du cor des Alpes.
Enfin – et surtout – il convient de créer
une famille de vuvuzelas à tessitures diffé
rentes, sur le modèle des instruments an
ciens : dessus de vuvuzela, ténor de vuvuzela, basse de vuvuzela, vuvuzelone. Cet instru
mentarium enrichi et physiologiquement inof
fensif serait l’occasion d’un essor fantastique de la musique africaine tout en donnant une deuxième jeunesse à la polyphonie euro
péenne des siècles passés, de Josquin des Prés à JeanSébastien Bach. La Messe du Pape Marcel de Palestrina jouée par vingt mille vuvuzelistes… un événement musical inoubliable !
Et quand c’est les Bleus qui jouent, on donnerait le Miserere d’Allegri.
1 The New Scientist : What makes the sound of vuvuzelas so annoying ? 14 juin 2010.
2 http://thechive.files.wordpress.com/2010/06/vuvu
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carte blanche
Pr Alex Mauron
Institut d’éthique biomédicale CMU1211 Genève 4
Alex.Mauron@unige.ch 1
D.R.
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