CAS CLINIQUE /CASE REPORT
Cardiomyopathie de stress au décours de la tempête Xynthia : à propos de trois cas
Stress-induced cardiomyopathy after Xynthia tempest: about three cases
E. Trebouet · S. Prieur · D. Lipp · P. Fradin · L. Orion
Reçu le 20 mai 2011 ; accepté le 24 mai 2011
© SFMU et Springer-Verlag France 2011
Introduction
Nous rapportons ici trois cas de cardiopathies de Takotsubo survenues au décours d’une catastrophe naturelle, la tempête Xynthia, qui a touché la côte vendéenne le 28 février 2010.
Cette très forte tempête a provoqué la submersion et la des- truction des digues protégeant un village, permettant à l’eau de s’engouffrer dans les habitations avec la force d’un raz de marée. Elle a débuté dans la nuit profonde, vers trois heures du matin, et a eu pour conséquences immédiates, outre la submersion des maisons, une coupure locale de tout le réseau d’électricité et une inaccessibilité des moyens de communication. Les habitants ont été réveillés par un niveau d’eau s’élevant rapidement dans leur maison, dans l’obscu- rité, sans possibilité de communiquer. Les routes ont été rapidement inaccessibles. Cinquante-trois personnes sont décédées en France, dont 29 en Vendée (La Faute-sur-Mer et l’Aiguillon-sur-Mer). Certains habitants ont assisté au décès par noyade de leurs proches, et beaucoup ont cru mourir.
Observation
Les caractéristiques de nos patients sont reprises dans le Tableau 1.
Le premier patient, un homme de 82 ans, a consulté aux urgences le jour même de la tempête pour hypothermie. Il a été admis en cardiologie le lendemain pour une syncope sur un bloc auriculoventriculaire complet. Il a eu un dosage de troponine qui est revenu augmenté, et une échocardiographie
transthoracique (ETT) qui a mis en évidence une akinésie apicale et un aspect de ballonisation du ventricule gauche.
Ces anomalies se sont finalement normalisées. Il a bénéficié d’une coronarographie qui n’a pas retrouvé de sténose signi- ficative. En revanche, son trouble de conduction ayant per- sisté, il a dû être appareillé de façon définitive après un entraînement électrosystolique externe. Il a reçu un traite- ment par un anticoagulant à dose efficace, un antiagrégant plaquettaire (AAP) et un inhibiteur de l’enzyme de conver- sion (IEC).
La deuxième patiente, âgée de 91 ans, a été admise pour douleur thoracique et dyspnée en rapport avec un œdème aigu pulmonaire (OAP). Elle était également hypotherme.
La troponinémie s’est élevée, et son ETT a montré une hypokinésie apicale avec le même aspect de ballonisation du ventricule gauche, qui se sont améliorés au cours de son hospitalisation. En raison de son grand âge et devant ces signes très évocateurs d’une cardiomyopathie de stress, elle n’a pas eu de coronarographie. Elle a été traitée à l’aide de diurétiques et dérivés nitrés pour son OAP, ainsi qu’une courte anticoagulation associée à un AAP, à un IEC et à un bêtabloquant (BB).
La troisième patiente, de 86 ans, ne s’est présentée aux urgences que deux jours après le sinistre, pour palpitations, en rapport avec une fibrillation auriculaire. Le jour des inon- dations, elle était restée cinq heures dans une eau à 9 °C en attendant les secours. Il est très vraisemblable qu’elle ait été hypotherme. La troponinémie était élevée également, et son ETT a retrouvé là encore des troubles de la cinétique apicale avec une ballonisation du ventricule gauche. Ces anomalies se sont finalement améliorées. Elle a reçu un traitement par amiodarone, et son trouble du rythme s’est amendé en 24 heu- res. Elle a été également anticoagulée et a reçu un traitement par AAP, IEC et BB. Comme la patiente no 2, et pour les mêmes raisons, il ne lui a pas été proposé de coronarographie.
Il n’a pas été recherché chez ces patients l’existence d’un phéochromocytome, car l’élément déclenchant de cette cardiopathie de stress était aisément identifié, et l’évolution
E. Trebouet (*) · S. Prieur · P. Fradin
Samu 85, CHD Vendée, boulevard Stéphane-Moreau, F-85925 La Roche-sur-Yon, France
e-mail : eve.trebouet@chd-vendee.fr D. Lipp · L. Orion
Service de cardiologie, CHD Vendée, boulevard Stéphane-Moreau, F-85925 La Roche-sur-Yon, France Ann. Fr. Med. Urgence (2011) 1:292-294 DOI 10.1007/s13341-011-0082-8
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clinique ayant été favorable, ce diagnostic devenait peu probable.
Aucun patient n’est décédé pendant son hospitalisation.
L’histoire clinique, les examens pratiqués et l’évolution finale de nos trois patients nous ont amenés à évoquer le diagnostic de cardiopathie de Takotsubo.
Discussion
Cette entité clinique a été décrite pour la première fois par l’équipe de Dote et al. en 1991 [1]. Un facteur déclenchant à type de stress est parfois retrouvé [2], mais la physiopatho- logie de ce syndrome reste incertaine. Il n’existe pas de recommandation quant au traitement de cette cardiomyo- pathie, mais il semble établi que, même si elle mime un syndrome coronaire aigu (SCA), elle ne doit pas en suivre le traitement, puisqu’une occlusion artérielle n’est pas en cause [3–5].
L’originalité de ces trois cas de cardiopathie de Takotsubo vient du fait qu’elle est survenue au décours d’une catastro- phe naturelle : la tempête Xynthia.
Des cas groupés de cardiopathie de Takotsubo survenant après une catastrophe naturelle ont été plusieurs fois décrits au décours de tremblements de terre, mais jamais après une tempête. Compte tenu des circonstances, tous nos patients étaient hypothermes à la prise en charge. Or, il a déjà été décrit une relation entre hypothermie et cardiopathie de stress [6]. Sato et al. ont présenté une série de 16 cas après le tremblement de terre survenu au Japon en 2004 [7]. Tous leurs patients ont survécu, et l’épidémiologie de leurs cas (sexe, âge, délai de consultation) était comparable à celle de nos cas.
Dans les circonstances d’une catastrophe naturelle, et devant le stress aigu que cela génère, il est possible que cer- tains patients aient présenté une cardiopathie de Takotsubo asymptomatique, et non diagnostiquée. Il serait intéressant de proposer une ETT à tout patient sinistré suite à un désastre naturel, adressé aux urgences pour une symptomatologie cardiorespiratoire associée à des anomalies ECG et à une troponine Ic élevée. Par ailleurs, devant une suspicion de SCA, se pose le problème de diagnostic différentiel. En effet, dans ces circonstances, les patients sont amenés à faire des efforts inhabituels, ce qui peut décompenser une pathologie coronaire préexistante.
Si les cas de cardiopathie de Takotsubo sont plus fré- quemment retrouvés qu’à l’habitude, il s’agit néanmoins d’une pathologie bénigne la plupart du temps, et qui évolue quasiment toujours favorablement spontanément. Il ne faut donc pas méconnaître un authentique SCA qui nécessite un traitement urgent, et pour lequel le pronostic est plus réservé.
Conclusion
Nous avons remarqué un nombre significatif de cardiopathies de Takotsubo survenues dans les jours suivant une tempête meurtrière chez les patients sinistrés, ce qui n’avait à notre connaissance jamais été décrit. Il est important de ne pas méconnaître cette entité et d’y penser rapidement devant une suspicion de SCA dans un tel contexte, toute la difficulté étant le diagnostic différentiel avec une ischémie myocardique.
L’accès rapide à l’échocardiographie est alors essentiel.
Conflit d’intérêt : les auteurs ne déclarent aucun conflit d’intérêt.
Tableau 1 Caractéristiques anamnestiques, cliniques et paracliniques des trois patients
Patient no1 Patient no2 Patient no3
Sexe Masculin Féminin Féminin
Âge (années) 82 91 86
Température (°C) 35,5 33,5 36,6
Motif de consultation cardiologique Syncope Douleur thoracique et dyspnée Palpitations
Délai par rapport à l’événement (jour) 1 0 3
Durée de séjour à l’hôpital (jours) 13 14 9
ECG BAV complet Ondes T négatives + BBD ACFA + ondes T négatives V5–V6
Troponine Ic (µg/l) 9,02 7,65 2,12
CPK (UI/l) 2 040 920 125
Coronarographie Normale Non faite Non faite
FEVG initiale (%) 40 25 50
FEVG à distance (%) 60 50 65
ACFA : arythmie cardiaque par fibrillation auriculaire ; BAV : bloc auriculoventriculaire ; BBD : bloc de branche droit ; FEVG : fraction d’éjection du ventricule gauche.
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Références
1. Dote K, Sato H, Tateishi H, et al (1991) Myocardial stunning due to simultaneous multivessel coronary spasms: a review of 5 cases.
J Cardiol 21:203–14
2. Jourdain M, Hardy A, Desprez P, Coche R (2011) Syndrome de Takotsubo : à propos d’un cas. Ann Fr Med Urg 1:53–6 3. Bybee KA, Kara T, Prasad A, et al (2004) Systematic review: transient
left ventricular apical ballooning: a syndrome that mimics ST-segment elevation myocardial infarction. Ann Intern Med 141:858–65
4. Bybee KA, Prasad A (1991) Stress-related cardiomyopathy syn- dromes. Circulation 118:397–409
5. Desmet W, Adriaenssens B, Dens J (2003) Apical ballooning of the left ventricle: first series in white patients. Heart 89:1027–31 6. Davin L, Legrand V, Legrand D (2009) A frozen heart. Eur Heart J
30:1827
7. Sato M, Fujita S, Saito A, et al (2006) Increased incidence of tran- sient left ventricular apical ballooning (so-called “Takotsubo” cardiomyopathy) after the Mid-Niigata prefecture earthquake.
Circ J 70:947–53
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