• Aucun résultat trouvé

Article pp.165-179 du Vol.40 n°244 (2014)

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Article pp.165-179 du Vol.40 n°244 (2014)"

Copied!
16
0
0

Texte intégral

(1)

Simon Cabinet Kucher & Partners RÉGIS COEURDEROY

ESCP-Europe ; Université catholique de Louvain STÉPHAN GUINCHARD

HERAXIS Conseil

DOI:10.3166/RFG.244.165-179 © 2014 Lavoisier

ETI françaises et « déficit d’internationalisation »

Quels enseignements tirer du cas allemand des champions cachés ?

Le fait que la France souffre d’un déficit d’ETI dans son tissu économique est fréquemment évoqué. Le fait que l’Allemagne appuie sa compétitivité internationale sur un réseau d’entreprises ETI est tout aussi connu. Les facteurs permettant de construire cette compétitivité le sont moins, en revanche. L’objectif de cet article est de partir du cas des « champions cachés » allemands pour comprendre les fondements de ces stratégies d’internationalisation réussies.

Il est ainsi possible de mettre en avant des caractéristiques fortes communes à ces entreprises qui ne sont pas propres à un modèle allemand. Pour tirer quelques bénéfices des leçons que ces champions cachés peuvent nous apporter, il faudrait en revanche pouvoir profondément transformer la culture internationale de nos ETI.

(2)

D

epuis, notamment, le rapport dit

« Retailleau » (Retailleau, 2009), la question des ETI (entreprises de taille intermédiaire) est entrée au cœur des débats actuels sur les problèmes de compé- titivité des entreprises françaises en géné- ral, du secteur manufacturier en particulier.

Deux aspects notamment sont frappants : en premier lieu, dans la démographie des entreprises, les chiffres montrent une nette faiblesse en nombre d’ETI françaises. En second lieu, on note une relative faiblesse en termes de compétitivité internationale et d’exportations des entreprises de cette tranche de taille. Les deux points sont bien sûr étroitement connectés et symptoma- tiques de la difficulté des entreprises fran- çaises à s’imposer sur les marchés interna- tionaux, hormis quelques grands groupes installés de longue date.

Cette situation est vécue d’autant plus mal, que, outre-Rhin, la situation est quasiment en parfaite opposition. La balance commer- ciale est largement excédentaire et le niveau des exportations dépasse de loin les perfor- mances des autres pays (Retailleau, 2009, p. 143). Or, il apparaît comme trait remar- quable du « modèle allemand » qu’une part substantielle du succès tient à l’existence d’une sous-population conséquente d’ETI qui réussit à allier de manière cohérente marché international, effort d’innovation et ancrage local.

Une recherche récente a analysé en pro- fondeur ce type d’entreprises, labellisé

« champions cachés » (Simon et Guinchard, 2012). Par-delà les conclusions bien connues sur le coût du travail ou la compé-

titivité hors prix, le cas de ces champions cachés montre qu’il est possible – réaliste même ! – d’accroître les performances à l’international des ETI françaises. Il faut pour cela comprendre la dynamique mana- gériale et stratégique de ces entreprises par-delà les traditionnels et peu concluants arguments économiques déjà précités.

L’objectif de cet article – qui se veut d’abord être une tribune – est ainsi d’ouvrir le débat sur les enjeux managériaux de la compé- titivité internationale des ETI françaises à partir de l’analyse de ces « champions cachés » allemands, alors que de nom- breuses interrogations pèsent sur l’avenir du secteur industriel européen (Veugelers, 2013). Après avoir fixé quelques éléments de cadrage, nous synthétisons les carac- téristiques distinctives de ces entreprises.

Nous pouvons alors en déduire quelques leçons et recommandations susceptibles de renforcer la compétitivité internationale des ETI françaises1.

I – LA PERFORMANCE À L’EXPORTATION

La réussite à l’exportation de l’économie allemande est de notoriété publique. Sur une période de dix ans, de 2003 à 2012, le volume total cumulé d’exportations réa- lisé par l’Allemagne est comparable aux volumes de la Chine et des États-Unis (figure 1). La très forte performance alle- mande apparaît encore plus clairement lorsque nous considérons les exportations par habitants (figure 2). L’Allemagne se distingue alors très nettement de tous les autres pays par l’ampleur de sa performance

1. L’essentiel des données présentées sur les stratégies des champions cachés est issue de Simon et Guinchard (2012). L’actualisation des données pour cet article a été faite par les auteurs.

(3)

exportatrice à l’international. La France se place très favorablement dans le peloton européen, devant le Royaume-Uni et l’Italie, mais pour un montant représentant à peine plus de la moitié de celui de l’Allemagne.

Selon une note de conjoncture de l’Insee (2013), la part de marché mondiale de la France dans les exportations était de 3,1 % en 2012. Elle est relativement comparable au Royaume-Uni (2,7 %), ou à l’Italie (2,8 %) mais marque un écart notable avec l’Allemagne (7,9 %). Comparativement les États-Unis représentent 8,6 % des exporta- tions mondiales, le Japon 4,6 % et la Chine 11 %, toujours pour 2012.

Comment expliquer de telles différences au niveau des performances des entreprises ? Les grands groupes sont-ils derrière ces écarts de performance à l’exportation ?

La figure 3 indique, par pays, le nombre de sociétés présentes dans le classement Fortune Global 500 – qui regroupe les cinq cents plus grosses entreprises dans le monde – sur l’axe horizontal, et le montant d’exportations sur l’axe vertical.

À la lumière de ce graphique, il appa- raît clairement que les grands groupes n’expliquent pas l’écart de performance à l’exportation entre l’Allemagne et la France. En effet, avec 31 grands groupes, la France compte plus de sociétés dans le Fortune Global 500 que l’Allemagne avec seulement 29 sociétés (année 2012). En outre, ces 31 groupes français réalisent un chiffre d’affaires en moyenne comparable à celui de leurs équivalents allemands.

De surcroît, en France, ces champions nationaux sont pour beaucoup des leaders

Figure 1 – Somme cumulée des exportations sur la période 2003-2012 (montant en milliards USD)

Source : chiffres Comtrade United Nations International Merchandise Trade Statistics ; chiffres CIA World Factbook.

(4)

Figure 2 – Somme cumulée des exportations sur la période 2003-2012 par habitant (montant en milliards USD)

Source : calculs sur la base des données United Nations Comtrade International Merchandise Trade Statistics (IMTS), chiffres 2012 et du CIA World Factbook.

Figure 3 – Nombre d’entreprises classées dans le Fortune Global 500 et montant total des exportations par pays

Source : Classement Fortune Global 500, chiffres 2012 ; United Nations Comtrade International Merchandise Trade Statistics (IMTS), chiffres 2012.

(5)

mondiaux de leur secteur : LVMH dans le luxe, Areva dans la technologie nucléaire, Michelin dans le pneumatique, L’Oréal dans la cosmétique, pour ne citer que quelques exemples. La faiblesse relative des exporta- tions françaises ne provient donc pas de ses grandes entreprises.

En effet, une analyse plus fine de ce gra- phique révèle que les grands groupes n’expliquent pas de façon significative la surperformance à l’exportation de l’Alle- magne et de la Chine. Sans les points de données « Allemagne » et « Chine », nous obtenons un coefficient de corrélation (R2) de 0,95 entre montant total d’exportations et nombre de grands groupes. Celui-ci chute à 0,58 quand ces deux points supplémentaires sont inclus dans la série. Ces deux cas particuliers de la Chine et de l’Allemagne illustrent le rôle crucial que peuvent jouer les entreprises de taille moyenne à l’expor- tation. 68 % des exportations chinoises sont ainsi réalisées par des entreprises de moins de 2 000 employés. Environ 70 % des exportations allemandes proviennent des entreprises du Mittelstand, 25 % des seuls champions cachés2. Ces entreprises sont un facteur significatif d’explication de la performance de l’Allemagne à l’export.

Si la Chine en tant que pays émergent se positionne dans une situation à maints égards très éloignée de l’Europe en général et de la France en particulier, la proximité de l’Allemagne, tant géographique qu’éco- nomique ou institutionnelle, nous incite à analyser plus en profondeur le cas de ces entreprises qui font la réussite à l’export de son économie.

Les champions cachés ont été ainsi carac- térisés comme des leaders de marché à l’échelle mondiale, qui répondent à trois critères (Simon et Guinchard, 2012) : – ils sont dans le top trois mondial ou numéro un de leur continent,

– ils font moins de trois milliards d’euros de chiffre d’affaires,

– ils sont relativement mal connus du grand public.

L’intérêt de cette catégorisation est essen- tiellement d’actualiser une population d’entreprises généralement perdue dans les statistiques nationales, peu objet de com- munication institutionnelle ou journalis- tique, mais qui contribue de manière subs- tantielle aux performances exportatrices d’un pays – et qui donc, ne serait-ce que pour cette raison, mérite d’être plus analy- sée et mieux connue.

Par rapport aux critères définissant une ETI, il est aisé de voir la proximité avec les champions cachés. La catégorie des ETI est une nouvelle catégorie d’entreprises dans les statistiques de l’Insee qui s’insère entre la catégorie des PME et celle des grandes entreprises (GE). Elle a été définie en 2008 par le décret d’application (n° 2008-1354) de l’article 51 de la loi de modernisation de l’économie. Ainsi, une ETI est une entreprise qui a entre 250 et 4 999 salariés et soit un chiffre d’affaires n’excédant pas 1,5 milliard d’euros, soit un total de bilan n’excédant pas 2 milliards d’euros. Parmi les entreprises de moins de 250 salariés, celles qui réalisent plus de 50 millions d’euros de chiffre d’affaires et comptent plus de 43 millions d’euros de total de bilan

2. Estimations réalisées par les auteurs sur la base des statistiques officielles et des données sur les champions cachés.

(6)

sont également considérées des ETI. En ce sens, les champions cachés représentent les plus importantes ETI en chiffre d’affaires et couvrent également les entreprises qui dépassent ce critère (entre 1,5 et 3 mil- liards d’euros). Mais surtout, d’un point de vue plus qualitatif, les champions cachés désignent les entreprises qui portent un lea- dership économique et managérial moteur pour l’ensemble de la compétitivité d’un pays sans que cela n’apparaisse en soi dans les statistiques officielles.

Dans un travail récent (Simon et Guinchard, 2012), 2 794 de ces entreprises, dont 1 307 sont d’origine allemande, ont été iden- tifiées dans le monde (voir encadré). En France, nous comptons environ 135 cham- pions cachés à ce jour. La figure 4 indique une estimation du nombre de champions

cachés par million d’habitants. Les pays germanophones se distinguent clairement des autres pays. Ils comptent entre 14 et 16 champions cachés par million d’habi- tants. La France 1,9. La vraie différence entre l’Allemagne et le reste du monde est bien le nombre de champions cachés. On peut trouver des champions cachés sur tout le territoire en Allemagne. Ils ne sont pas concentrés en une seule région. Seulement dans l’est de l’Allemagne, la présence des champions cachés est plus réduite.

II – LES STRATÉGIES DES CHAMPIONS CACHÉS

D’abord, quelques chiffres : ces 1 307 entre- prises allemandes de taille moyenne ont créé un million de nouveaux emplois sur

Figure 4 – Nombre de champions cachés par million d’habitants

Source : CIA World Factbook 2011, calculs Simon, Guinchard (2012).

(7)

les dix dernières années. Elles croissent de 10 % par an. Elles sont cinq fois plus grosses qu’en 1995. Plus de 150 nouveaux milliardaires en chiffre d’affaires sont issus de ce groupe. Nous constatons également une augmentation de leur part de marché mondial et une forte vague d’innovation.

L’analyse des champions cachés révèle de manière récurrente une cohérence straté- gique, en sorte qu’il est possible de parler de « modèle ». Les éléments clés de cette stratégie s’articulent autour des trois axes suivants :

– un positionnement concurrentiel centré autour de la focalisation sur un marché étroit, de la proximité avec les clients et

d’avantages concurrentiels décisifs. Et le tout avec une forte orientation à l’interna- tional ;

– le développement de compétences internes clés dont l’innovation, la pro- fondeur dans la chaîne de valeur, et des employés très performants ;

– Aussi, et peut-être même surtout, à leur cœur, un leadership fort avec des objectifs très ambitieux.

1. Le positionnement concurrentiel international

La focalisation

Dans leur grande majorité, les champions cachés assurent leur développement sur une BASE DE DONNÉES ET D’INFORMATION

POUR LES CHAMPIONS CACHÉS

Hermann Simon a commencé les recherches sur les champions cachés il y a plus de vingt- cinq ans, accumulant ainsi une somme de données et d’informations considérable. Stéphan Guinchard le seconde depuis 2008 spécifiquement sur les champions cachés français.

Les principales sources sont les suivantes :

– les informations publiques : presse, littérature et internet ;

– la communication des entreprises : sites internet, rapports annuels, publications officielles, brochures, catalogues, etc. ;

– la liste des champions cachés identifiés : cette liste réalisée sur une durée de plus de vingt- cinq ans contient 2 794 entreprises du monde entier (chiffres novembre 2013) dont plus de 1 300 en Allemagne et 135 en France ;

– des enquêtes : un premier questionnaire couvrant une variété de sujets (chiffres clés, stra- tégie, leadership, position de marché) a été envoyé à tous les patrons des champions cachés allemands en 1995. Un second questionnaire, très proche de celui utilisé lors de la première étude afin d’assurer une comparabilité des résultats, a été déployé en 2008. Néanmoins, des sujets plus récents, comme les nouveaux marchés, la mondialisation et l’impact d’Internet y ont été ajoutés

– des missions de conseil, des entretiens avec la direction et des visites : depuis 25 ans, nous avons eu des centaines d’opportunités d’évaluer les champions cachés en direct et d’échan- ger avec leurs dirigeants en personne. Ce sont en effet les missions de conseil qui ont offert la plus grande profondeur d’analyse, sans parler des innombrables discussions, réunions, entretiens et visites auprès de ces entreprises.

(8)

logique de focalisation sur un marché très spécialisé. Avec la croissance peut émerger un processus de diversification, mais celui- ci reste très lié au marché d’origine. Par exemple, l’entreprise Uhlmann explique :

« nous n’avons toujours eu qu’un seul client et, à l’avenir, nous n’aurons toujours qu’un seul client : l’industrie pharmaceu- tique. Nous ne faisons qu’une seule chose, mais nous la faisons bien ». Uhlmann est le leader mondial des systèmes d’embal- lage pour l’industrie pharmaceutique. Ses dirigeants pourraient très bien étendre leur activité à d’autres secteurs mais ils restent concentrés uniquement sur le secteur phar- maceutique. Un autre exemple est Flexi, qui produit des laisses souples pour les chiens.

Ses dirigeants déclarent : « nous ne faisons qu’une seule chose, mais nous la faisons

mieux que tous les autres ». Cette société détient 70 % de son marché mondial. Elle est présente dans plus de 100 pays.

L’internationalisation

La focalisation limite la taille totale de mar- ché à conquérir, et limite donc fortement les perspectives de croissance de l’entreprise.

L’augmentation de la taille de ce mar- ché passe ainsi logiquement par l’interna- tionalisation de l’activité. Les champions cachés combinent leur spécialisation pro- duit et leur savoir-faire avec une capacité de marketing et de ventes à l’échelle mondiale.

La proximité du client

La plus grande force des champions cachés est très probablement leur proximité avec leurs clients. En moyenne, plus d’un tiers

Figure 5 – Focalisation et internationalisation, deux piliers de la stratégie des champions cachés

Source : Simon et Guinchard (2012).

(9)

des employés d’un champion caché ont des contacts réguliers avec leurs clients. Au sein d’un grand groupe, ce n’est que sept pour cent des employés. Cette proximité est même un des moteurs fondamentaux de la performance des champions cachés.

L’entreprise Grohmann Engineering, pro- ducteur de systèmes d’assemblage pour la microélectronique, nous explique pourquoi.

Monsieur Grohmann déclare : « mon mar- ché, c’est le top trente des clients dans le monde » – et toutes ces entreprises sont bien ses clients : Bosch, Intel, Motorola, etc. Interrogé sur les raisons de ce choix, il répond : « ce n’est pas parce qu’ils génèrent pour nous un chiffre d’affaires important mais bien parce que ce sont les moteurs de notre performance. Ils ne sont jamais satis- faits et exigent toujours plus ». Aussi est-il

critique de rester proche de ses meilleurs clients où qu’ils soient et de les suivre où qu’ils aillent.

Enfin les champions cachés font le choix de stratégies orientées valeur, et non prix. Les prix des champions cachés sont typique- ment 10 à 20 % plus élevés que la moyenne de leur marché. Ils évitent les guerres de prix. Ils préfèrent se battre sur le niveau de performance. Il s’agit de stratégies résolu- ment orientées valeur et rentabilité.

2. Le développement de compétences internes

L’innovation

Un regard sur les efforts de Recherche &

Développement révèle que les champions cachés dépensent en moyenne deux fois plus qu’une entreprise normale (figure 6).

Figure 6 – Montant d’investissements de R&D en pourcentage du chiffre d’affaires

Source : Étude IDW, étude Booz & Co sur les investissements R&D, chiffres Hermann Simon.

(10)

Par ailleurs, le nombre de brevets déposés par millier d’employés est cinq fois plus élevé que dans les grands groupes, alors que le coût par brevet est le cinquième du coût dans un grand groupe. Cette activité d’innovation continue permet à ces leaders de marché de maintenir leur avance sur leurs concurrents, réels ou potentiels.

Les employés

Bien sûr ces entreprises, comme la plupart de celles qui s’appuient sur l’innovation, doivent pouvoir compter sur une main- d’œuvre qualifiée. En outre, lorsque l’on dispose d’employés qualifiés, il est critique de pouvoir les garder au sein de l’entre- prise. Les champions cachés ont un taux de turnover très faible, de l’ordre de 2,7 %.

La moyenne en Allemagne est de 7,3 %. La France est bien au-dessus à 11 %, selon le ministère du Travail (chiffres 2011).

Les dirigeants

70 % des champions cachés sont des entre- prises familiales. Leurs dirigeants sont caractérisés par une forte identification à leur entreprise et à sa mission et contribuent au développement d’un capital social bien spécifique (Coeurderoy et Lwango, 2011).

Le style de leadership est ambivalent : autoritaire sur les principes mais partici- patif et souple quant aux détails. Les PDG prennent leurs responsabilités à un âge jeune. Il y a une grande continuité dans la direction de l’entreprise. Les PDG des champions cachés restent en poste vingt ans en moyenne ; au sein des grands groupes, à peine plus de six ans.

3. Des objectifs stratégiques ambitieux Enfin, le dernier aspect clé, celui qui est au cœur du système mais également le moins directement visible, est l’ambition

Figure 7 – La performance d’innovation des grands groupes et des champions cachés

Source : données publiées, chiffres Hermann Simon.

(11)

stratégique qui impulse une dynamique de croissance à ces entreprises. Chemetall, par exemple, est le leader mondial des métaux spéciaux comme le lithium et le césium.

L’objectif de Chemetall est d’être le leader mondial en technologie et en marketing.

Frank Thelen, fondateur de Doo indique clairement : « notre objectif est de devenir le leader mondial d’ici quatre ans. Je suis concentré à cent pour cent sur ce but ».

Thelen a également fondé IP Labs, leader mondial du logiciel pour les albums photos digitaux.

La figure 9 illustre la croissance de plu- sieurs champions cachés de grande taille.

Enercon est un acteur clé dans l’éolien, Brose dans les systèmes de portes pour les voitures, Leoni dans les systèmes de câbles et Cronimet dans le recyclage des métaux.

Toutes ces entreprises avaient un chiffre d’affaires de l’ordre de cinq cents millions

d’euros en 1995. Aujourd’hui elles réalisent entre trois et cinq milliards d’euros de chiffre d’affaires.

La figure 10 montre la croissance de cham- pions cachés de taille intermédiaire. Ratio- nal est le leader mondial des fours automa- tiques pour les cuisines professionnelles.

Igus est deux fois leader mondial : dans les roulements à billes en plastique et dans les chaînes porte-câbles. Bartec dans les pro- tections contre les explosions et Brainlab dans les logiciels pour la chirurgie.

Cette ambition stratégique, cachée aux regards extérieurs, donne la cohérence d’en- semble aux efforts de croissance de ces entreprises. La volonté de développer des compétences managériales et d’innovation supérieures à la concurrence ne se mesure pas ni ne se quantifie. Elle n’en forme pour- tant pas moins le socle de la stratégie de ces entreprises.

Figure 8 – Les taux de turnover au sein d’entreprises dans une sélection de pays

Source : Institut Hernstein, US Department of Labor (Département du travail américain), Insee, Wall Street Journal Europe, 4 juin 2013.

États-Unis

France Autriche

Suisse Allemagne

Daimler Champions cachés

19,0 %

11,0 % 9,0 %

8,8 % 7,3 %

5,3 % 2,7 %

(12)

Figure 9 – La croissance de champions cachés de grande taille entre 1995 et 2010

Source : chiffres publiés par les entreprises considérées.

7 000 6 000 5 000 4 000 3 000 2 000 1 000

0 1995 2010 Enercon Brose Leoni Cronimet

Figure 10 – La croissance de champions cachés de taille intermédiaire entre 1995 et 2010

Source : chiffres publiés par les entreprises considérées.

500

400

300

200

100

0 1995 2010

Rational Igus

Bartec Brainlab

(13)

III – LEÇONS CLÉS DE L’EXEMPLE DES CHAMPIONS CACHÉS

La France dispose assurément elle aussi de quelques champions cachés très per- formants : Babolat, bien connu pour ses cordages de raquette, Bénéteau pour ses voiliers ou Haemmerlin pour ses brouettes.

Ces entreprises parviennent parfaitement à dominer leur marché à l’échelle européenne ou mondiale, tout en étant localisées en France, avec un outil de production et des centres de recherche basés en France. C’est typiquement le cas de Laporte Ball Trap ou même de Rossignol Technology, pourtant actif dans l’industrie automobile. Mais ces entreprises leaders restent en bien trop faible nombre.

La mise en place d’un écosystème plus favorable à la croissance des PME et ETI ainsi qu’au développement de cham- pions cachés représente donc un enjeu considérable pour l’économie française.

Sur ce point également, l’éclairage de la comparaison France – Allemagne est très instructif, en prenant en compte la diffé- rence de taille des deux économies. Le ratio France – Allemagne est de l’ordre de 0,7 en termes de PIB, de 0,8 en termes de population. L’Allemagne compte plus de 12 000 ETI et plus de 1 300 cham- pions cachés. La France affiche autour de 4 500 ETI, et entre 300 et 400 champions cachés (Simon et Guinchard, 2012). Si la France disposait de la même densité d’ETI et de champions cachés, nous serions à environ 9 500 ETI et, en restant prudent, à plus de 900 champions cachés. Soit une hypothèse conservatrice de 500 champions cachés supplémentaires. Le champion caché moyen représente 2 037 employés pour un chiffre d’affaires de 326 millions

d’euros, dont 61,5 % à l’export. Il s’agit donc d’un enjeu de :

– plus d’un million d’emploi,

– 160 milliards de chiffre d’affaires supplé- mentaires,

– dont plus de 100 milliards dans la balance commerciale.

La France doit en conséquence promou- voir et renforcer ses entreprises de taille moyenne. Ceci nécessite un profond chan- gement culturel au sein de la société fran- çaise. Les difficultés de la France ne sont pas simplement un problème de coût et se contenter de réduire les coûts ne suffira pas à rendre les entreprises françaises plus compétitives. Il est en particulier nécessaire de développer des cultures entrepreneu- riales qui permettent de mieux intégrer l’in- novation et l’international dans la sélection des marchés et les choix d’investissement et ce si possible dès l’origine de l’entreprise (Coeurderoy et Bacq, 2012).

Au niveau des acteurs, il faut reconnaître que l’entrepreneuriat et l’international restent deux domaines encore très large- ment découplés en France. Les mentalités fonctionnent le plus souvent selon l’ancien modèle, à savoir d’abord créer et assurer la croissance de son entreprise, puis ensuite évaluer les opportunités de croissance inter- nationale. Or, la dynamique de croissance des marchés tend à renverser aujourd’hui cet ordre : l’internationalisation doit être pensée dans l’acte même d’entreprendre et d’innover, voire en amont au niveau de l’in- tention stratégique qui porte le projet. Une telle vision, quand elle se concrétise, per- met d’assurer plus solidement le projet et d’accroître ses potentialités de croissance.

Pour que de telles dynamiques entrepre- neuriales puissent se mettre en place, il

(14)

faut donc que « l’intention internationale » soit dans l’esprit des innovateurs français.

Cela ne peut se faire que si ceux-ci sont formés à ces problématiques. Pour cela, il importe que soient intégrés de manière systématique des principes d’enseignement de l’entrepreneuriat international, dans les programmes de formation initiale ou dans des programmes de formation continue.

Tout entrepreneur peut être amené à avoir, même très tôt, des activités internationales.

Mais très peu d’entrepreneurs sont par nature internationaux. Il faut donc qu’ils soient plus formés.

De manière complémentaire, les nouvelles entreprises améliorent leurs chances de suc- cès sur les marchés étrangers lorsqu’elles peuvent bénéficier de l’expérience interna- tionale de managers intégrés dans l’équipe.

Ce type d’expérience est relativement géné- rique et permet aux nouvelles entreprises qui en bénéficient d’éviter des erreurs liées à l’inexpérience et à la jeunesse. Elle per- met également d’éviter de tirer trop rapi- dement des leçons générales à partir de situations particulières. Il importe donc de favoriser une plus grande implication de ces cadres internationaux dès l’émergence des projets qui amèneront au développement international. L’analyse des champions cachés allemands nous permet de tirer cette première leçon d’une culture d’entreprise authentiquement internationale.

Par ailleurs, un entrepreneur qui réussit est pour beaucoup un entrepreneur bien entouré et avec de bons contacts. Dit autre- ment, la réussite de l’ETI a beaucoup de

chances de tenir à la qualité des réseaux dans lesquels s’inscrit localement le pro- jet d’entreprise (Nlemvo et al., 2011). Il s’agit en ce sens de pouvoir développer des environnements relationnels favorables aux entrepreneurs. Ces environnements sont la source première d’émergence des opportunités, que ce soit en termes de clients, mais également de fournisseurs et de partenariats. Ils façonnent l’orien- tation internationale des entrepreneurs. Il importe ainsi que ces réseaux permettent de multiplier les échanges d’information et les créations d’opportunités. Là aussi il faut modifier la dynamique traditionnelle du réseau où se construisent localement des produits et services pour lesquels on cherche ensuite des marchés et des clients à l’étranger. Dans un réseau favorable à l’internationalisation, il faut à l’inverse être capable de susciter une dynamique qui cristallise localement les compétences et les demandes dispersées à l’international (Beddi et al., 2012). L’exemple des cham- pions cachés allemands nous permet de tirer cette seconde leçon : il n’y a pas de contradiction entre développement local et expansion internationale, pourvu que la dynamique locale développée par le réseau soit une dynamique d’ouverture à l’inter- national et non de repli géographique. Or, ce premier réflexe, en France en particulier, est souvent celui qui tend à s’imposer. Si l’exemple des champions cachés peut aider à ouvrir le débat, voire à changer les choses de ce point de vue, nous ne pourrons que nous en réjouir.

(15)

BIBLIOGRAPHIE

Beddi H., Bueno Merino P., Coeurderoy R. (2012). « La stratégie réticulaire : une compétence distinctive de l’entrepreneur international », Revue de l’entrepreneuriat, vol. 11, n° 3, p. 7-14

Coeurderoy R., Bacq S. (2012). « Born Global, l’international au cœur de l’entrepreneuriat : enjeux stratégiques, managériaux et économiques », Prospective et Entreprise, CCIP, Paris.

Coeurderoy R., Lwango A. (2012). « Capital social de l’entreprise familiale et efficience organisationnelle : Propositions théoriques pour un modèle de transmission par le canal des coûts bureaucratiques », M@N@GEMENT, vol. 15, n° 4, p. 391-414.

INSEE (2013). Éclaircie mondiale, l’Europe encore dans l’ombre, Note de conjoncture, mars, p. 7-15.

Nlemvo F., Biga-Diambeidou M., Coeurderoy R. (2011). « Le dynamisme entrepreneurial des régions : Proposition d’un cadre conceptuel », Revue Canadienne des Sciences Régionales, vol. 34, n° 2/3, p. 47-59.

Retailleau B. (2009). Les entreprises de taille intermédiaire au cœur d’une nouvelle dynamique de croissance, La Documentation Française.

Simon H., Guinchard S. (2012). Les Champions Cachés du XXIe Siècle, Economica.

Veugelers R., ed. (2013). Manufacturing Europe’s Future, Blueprints, Bruegel Institute.

(16)

Références

Documents relatifs

un désaccord relationnel et de fait à la non- obtention de l’organisation d’un événement (Spilling, 1996). Les résultats sur le cas de la candidature aux Jeux olympiques

La théorie économique standard a eu le plus grand mal à consi- dérer la seule innovation (Schumpeter), la stratégie s’est le plus souvent posée comme le dual de

S’ils se perçoivent comme ETI, ainsi que le montre le cas Altrad, celui de Yvon Gattaz et des dirigeants impliqués dans l’ASMEP-ETI, il est essentiel pour les sciences de gestion

Les ETI vues comme des organisations capables de penser un développement ren- table et soutenable sur la durée, et ce sans se dénaturer, comme des organisations capables

La première partie présente les deux grilles de lecture mobilisées : le modèle de Greiner pour contextualiser l’analyse et celui du management entrepreneurial de Stevenson

Extraits du verbatim de répondants : – « […] Pour étayer ces diverses actions et donner la possibilité de garder cette démarche de recherche et valorisation de talents tout

Là, quand vous avez un peu plus de 100 filiales, comme c’est le cas à Altrad, ça ne marche plus.. Ce ne sont pas les mêmes marchés, ce ne sont pas les mêmes produits, pas tout à

Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur archives-rfg.revuesonline.com... 192 Revue française de gestion –