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Article pp.181-189 du Vol.40 n°244 (2014)

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Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse ; IUT – Technopôle Agroparc

KARIM MESSEGHEM Université de Montpellier 1

DOI:10.3166/RFG.244.181-189 © 2014 Lavoisier

ETI : au-delà des chiffres, une ambition

Interview de Mohed Altrad

L

e groupe Altrad est une ETI qui représente aujourd’hui un chiffre d’affaires de 850 M€ et 7 300 sala- riés. À l’origine de ce groupe, Mohed Altrad, un jeune bédouin surdoué originaire de Syrie, qui a rejoint la France pour pour- suivre ses études d’ingénieur et de doctorat dans le domaine de l’informatique. Après une carrière dans les secteurs de l’infor- matique et du pétrole, il a l’opportunité de racheter une PME, en situation de redres- sement judiciaire à Florensac, à proximité de Montpellier, en 1985. Une stratégie ambitieuse tournée vers l’international et la croissance externe a permis de hisser le groupe Altrad au sommet européen d’un secteur pourtant traditionnel, l’échafau- dage. En 2014, le groupe compte plus de

100 filiales et est présent dans 110 pays. Le succès de cette trajectoire entrepreneuriale a été récompensé en octobre par le Prix de l’entrepreneur de l’année organisé par

« EY » (Ernst & Young) et L’Express.

Karim messeghem (K.M.) et DiDier ChabauD (D.C.) — En s’inspirant de l’expérience du Groupe Altrad qui a connu un fort dévelop- pement, comment une entreprise peut-elle passer du stade de PME à celui d’ETI ? moheD altraD (M.A.) — Je ne sais pas si c’est le développement qu’il faut regarder.

Moi, je pense que dans les ETI, il ne faut pas chercher qu’à regarder les chiffres.

Il faut regarder ce qu’il y a derrière les chiffres. Les ETI sont des entreprises qui se sont focalisées sur un produit ou un

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service. Ce peut être un produit, un secteur de l’économie, d’abord très généralement local, ensuite régional, national, puis inter- national. Ce sont donc des entreprises très focalisées sur un secteur d’activité, qui ont cherché des leviers qui leur permettent d’aller jusqu’au bout des choses. Pour ma part, j’ai fait le choix de me focaliser, c’est ça qui m’intéresse et rien d’autre. Lors de la reprise de l’entreprise, nous avons commencé au niveau local. Nous avons cherché à nous renforcer régionalement, puis à nous implanter nationalement et enfin internationalement. Certaines étapes se sont chevauchées. Ainsi, le passage au national s’est fait en parallèle avec la créa- tion d’une filiale en Italie. Derrière ces histoires de développement et ces chiffres, il y des femmes ou des hommes. Pourquoi la personne fait-elle cela ? Pourquoi ne s’arrête-t-elle pas en cours de route ? Elle cède l’entreprise à quelqu’un d’autre, qui va peut-être continuer ou pas. Le repreneur a toutes les chances de ne pas continuer.

Pourquoi ? Tout simplement, parce que les gens ne se ressemblent pas.

K.M. et D.C. — Vous insistez sur le profil du dirigeant et surtout la diversité de pro- fils ? Dans ces conditions, peut-on parler d’ETI en général ?

M.A. — D’après moi, il est possible d’es- sayer de les classer en catégories. Ce ne sont pas toutes les mêmes. Une entreprise peut être définie comme une philosophie de vie, quelque part. Nous ne retrouvons pas les mêmes philosophies dans toutes les entreprises. Elles ne sont pas caractérisées par les mêmes aspirations. Cela explique la diversité des entreprises en général et des ETI en particulier.

K.M. et D.C. — Pour revenir au groupe Altrad, peut-on dire que l’histoire du groupe et en particulier l’internationali- sation est liée à votre profil international et votre histoire ? Quand vous avez repris l’entreprise, aviez-vous déjà en tête ce pro- jet d’internationalisation ?

M.A. — C’est ce que l’on évoquait sur les aspirations. Dès le départ, ce n’était pas l’argent qui m’intéressait. Après, il faut chercher dans la psychologie : pourquoi ces choix ? Je voulais faire quelque chose de grand. Mais, je ne savais pas ce que ça signifiait. C’est comme quelqu’un qui a envie de « tout casser ». Je le voulais, mais je n’en avais pas les moyens. Je n’avais pas l’argent. Je n’avais pas la formation. Je suis technicien, à l’origine. Mais, je vou- lais faire un truc grand. Et ça, c’est ce que j’ai utilisé. Il faut regarder ce qu’il y avait derrière les chiffres, derrière les étapes, etc. Il y avait cette volonté dès le départ.

Et cette volonté qui m’animait à l’époque, elle n’est pas éteinte aujourd’hui, 30 ans après. Aujourd’hui, le groupe va faire 850 millions, le mois prochain. Mais mon espoir s’est dédoublé, en très peu de temps. Il faut que tu trouves la traduction de ta volonté dans la réalité. Tous les pro- jets que tu fais, ce n’est pas pour demain, ce n’est pas pour après-demain, c’est pour toujours : tu te projettes à l’infini. Un autre exemple, c’est que le bénéfice que tu génères, tu ne le prends pas. Tu ne prends pas de dividende. Pourquoi ? Parce que si tu te prends des dividendes, tu t’enlèves des moyens en tant qu’entreprise pour te développer. Du coup, tes ambitions vont être un peu handicapées par rapport à l’acte de distribution de dividendes.

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K.M. et D.C. — Et dans cette trajectoire de développement, est-ce que la structure a été amenée à évoluer ?

M.A. — Oui, bien sûr. Au début, c’était rudimentaire, comme tout le reste. Après, il a fallu faire grandir le mode de gestion, de gouvernance, etc., par rapport à la taille de l’entreprise. Au début, une seule entre- prise, un seul endroit, où vous venez tous les jours. Vous n’avez pas besoin de pro- cédures, de beaucoup de communications, de règles, etc. Donc, vous voyez les gens, vous faites des réunions et puis voilà. Là, quand vous avez un peu plus de 100 filiales, comme c’est le cas à Altrad, ça ne marche plus. Ce ne sont pas les mêmes marchés, ce ne sont pas les mêmes produits, pas tout à fait. En plus, toutes les filiales ne sont pas situées dans le même pays. Cela n’est pas tout à fait la même chose.

K.M. et D.C. — Comment ont évolué la structure de propriété et les modes de gou- vernance ?

M.A. — Nécessairement, la gouvernance évolue. Vous prenez l’exemple du conseil d’administration. Chez nous, je suis très largement majoritaire dans le capital d’Al- trad. J’ai à peu près 80 %, les banques 10 %, plus l’État français, enfin la BPI, 10 %. En général dans les entreprises, c’est l’actionnaire majoritaire qui a la majo- rité au conseil d’administration. Moi, j’ai voulu que ça ne soit pas le cas. Donc, dans mon conseil d’administration, nous avons 13 administrateurs. Il n’y en a que 3 qui représentent l’actionnaire majoritaire moi- même, Madame Garcia, directrice finan- cière et un troisième collaborateur. Mais tous les autres, ce sont les représentants de l’État ou des administrateurs indépendants.

K.M. et D.C. — Pourquoi un tel mode de gouvernance ?

M.A. — Pourquoi ça ? Mais parce que, d’une part, je n’ai rien à cacher. Il faut que tout soit transparent. D’autre part, je pars du principe que le conseil d’administration ne doit pas prendre des décisions contraires à ma volonté. Pourquoi ? Parce que je ne vais pas présenter des choses absurdes. Je vais présenter des cas finis, je vais les étayer pour qu’ils l’acceptent, tout simplement.

De la sorte, j’ai une multitude de projets que je ne présente pas au conseil d’adminis- tration parce qu’ils ne sont pas prêts. Donc, je travaille là-dessus, je fais mon boulot, je pédale dans mon coin. Enfin, je dis « je », mais c’est tout le groupe. Et lorsqu’il y a un conseil, tel que c’est le cas demain, on en a trois par an, il y a un certain nombre de sujets qui sont prêts et on va les voter.

Et je suis sûr que… il n’y aura pas de pro- blème sur aucun des sujets. Par contre, j’ai une multitude d’autres projets qui ne sont pas prêts. Je vais les évoquer, mais je ne demande pas leur accord. Je leur dis : « Je vous tiens au courant ». Ce qui est normal.

Voilà, donc comment la gouvernance a évolué.

K.M. et D.C. — Quand ce mode de gouver- nance a-t-il été adopté ?

M.A. — Il y a quinze ans, ça a commencé à être comme ça. Il y avait donc aussi une forme d’anticipation. Parce que vous lancez une machine, elle commence à avancer, elle commence à progresser, etc. Donc, vous anticipez les étapes. Vous essayez d’antici- per. Parfois, on n’anticipe pas bien.

K.M. et D.C. — Et ça, c’était plus de l’anti- cipation que finalement le sentiment que le

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groupe avait atteint une certaine taille et qu’il fallait…

M.A. — Les deux. La taille exige ça, mais c’est aussi l’anticipation. Les admi- nistrateurs, ce sont des personnalités impor- tantes : deux présidents de banques, deux représentants de l’État français, quatre administrateurs indépendants, anciens pré- sidents de sociétés d’assurances, des ex- banquiers, un grand industriel, etc. Ce sont des gens qui t’apportent le conseil. Ce sont des gens que tu fais travailler, que tu gères.

Ils sont payés, ils reçoivent ce qu’on appelle des jetons de présence, et en tant que tels, il faut qu’ils fassent le boulot. Et de toute façon, ils ont intérêt parce que le groupe en a besoin, mais aussi parce qu’ils ont intérêt à s’impliquer. Leur responsabilité person- nelle peut être engagée, et le législateur a prévu des sanctions.

K.M. et D.C. — Ils sont actifs, vigilants et peuvent-ils être critiques, par rapport à des projets ?

M.A. — Ils sont critiques. Par exemple, je prends l’exemple de la croissance externe, moi j’ai une dizaine de dossiers que je tra- vaille. Je vais en présenter trois, demain, pour qu’ils les approuvent. Mais les sept autres ne sont pas prêts. Je peux leur dire :

« Voilà, c’est une entreprise dans tel pays, avec tel produit, telle taille, je suis en train de regarder ». Alors, tu ouvres le débat et tu auras des réactions. Mais ces réactions seront nécessairement positives parce que tu n’as pas demandé une décision. Ils te font avancer, en quelque sorte. Quelqu’un va dire : « Faites attention, parce que dans tel pays, il y a telles règles, etc. Il faut se méfier, parce qu’il faut demander l’accord des autorités de la concurrence, etc. ».

K.M. et D.C. — Avez-vous le senti- ment que votre rôle a évolué au sein du groupe Altrad ?

M.A. — Oui. Je suis devenu, entre guille- mets, plus intelligent parce que l’expérience rentre. Malgré tout, je prends des coups. Là aussi, ce sont des images. Je prends des coups, tous les jours. Tu rencontres des situations très variées. Donc, vous progres- sez dans votre démarche , etc. Et puis, je lis beaucoup sur vous, chercheurs, sur ce que vous faites, je me renseigne. Évidemment, je n’approfondis pas parce que je n’en ai pas la possibilité. Je suis dans le coup et lorsqu’il y a un sujet qui m’intéresse, je l’approfondis. Par exemple, j’ai beaucoup travaillé sur la notion d’autorité. Pourquoi ? Parce que c’est un thème qui m’intéresse.

Et parce que j’ai choisi de l’utiliser comme sujet lors de notre réunion de cadres. Tous les cadres dirigeants du groupe Altrad par- ticipent à une réunion au mois de décembre à la Grande Motte. Alors, C’est quoi l’auto- rité ? « Voilà, j’ai une entreprise, j’ai un organigramme et c’est la personne qui est là-haut. C’est elle qui a l’autorité ». Moi, je dis : « Non, ce n’est pas vrai. Ce n’est pas parce vous avez nommé une personne… ».

Ça, c’était autrefois, aujourd’hui, ça ne marche plus. J’ai trouvé beaucoup de littératures sur le sujet. Les chercheurs ont trouvé des choses très intéressantes, qui sont pratiquement applicables telles quelles. Vous pouvez les adapter. Donc pour moi, la définition la plus pertinente, c’est un mélange de ce que j’ai lu et de ce je crois.

Je vais apporter un peu de plus-value sur ce que je lis. L’autorité, c’est vous en tant que patron, c’est le moment où c’est la situation ou les situations que vous allez créer, où les gens autour de vous considèrent que vous

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les faites progresser. C’est ce moment-là où vous avez l’autorité sur eux. Et ce n’est pas parce que tout simplement vous êtes en haut de la hiérarchie. Vous les faites progresser et vous les valorisez. Et, ils croient en ça.

Donc, vous avez atteint une légitimité.

K.M. et D.C. — Vous avez ouvert votre capital. Est-ce que ces entrées correspon- daient, à un seuil de développement, un seuil de croissance ?

M.A. — Oui. Parce que c’est nécessaire.

Il vous faut une longueur d’avance. Néces- sairement, il vous faut ça. De préférence quelques longueurs, mais parfois, on n’est

« pas cap », comme on dit. Avant la BPI, il y avait le Crédit Agricole dans mon capital.

Le Crédit Agricole est rentré en 2005. Il est sorti en 2011. La BPI est présente dans mon capital depuis 2011. J’avais besoin d’argent. C’est-à-dire que le cash généré par le groupe ne suffisait pas pour financer la croissance. Et je ne voulais pas prendre un risque par rapport aux banques. C’est-à- dire emprunter de l’argent. Entre le moment où le Crédit Agricole est rentré et où il est sorti, c’est-à-dire en 5 ans, le groupe a doublé de taille et a doublé de résultat. Le passage du Crédit Agricole m’a permis de franchir un palier.

Mais, tout de suite, j’ai vu qu’il me fallait encore quelqu’un d’autre qui me permette de franchir un nouveau seuil. Et c’est pour ça que la BPI est rentrée en 2011. Le groupe faisait, je ne sais pas, 370 millions.

Là, on a doublé de taille. Et je sens que le groupe, aujourd’hui, peut encore doubler de taille dans les 2 ou 3 ans.

K.M. et D.C. — La BPI, au-delà de cet apport en capital, vous apporte-t-elle une expertise ?

M.A. — Une crédibilité. Une expertise, bien sûr, par le cadre du conseil d’adminis- tration. C’est le seul moment où je les vois.

Ce sont des gens brillants, les représentants de l’État. Ce sont des personnes de Nor- male Sup, etc., issues des grandes écoles.

Ce sont des cerveaux, mais ce ne sont pas des praticiens. Ils ont quand même de l’in- tellect, etc., qu’il faut traduire. Ils amènent de la crédibilité. Le fait que vous ayez dans votre capital l’État français, parce que c’est comme ça, ça amène cette crédibilité.

K.M. et D.C. – Au niveau national ? M.A. — Partout. Oui, c’est connu. C’est un fond souverain qui est connu partout dans le monde.

K.M. et D.C. — Vous n’avez pas fait le choix de la bourse ?

M.A. — Non. Vous allez en bourse pour deux raisons, d’après moi. Parce que vous avez besoin d’argent. Et parce que vous avez besoin de notoriété. L’argent, justement, vous pouvez l’avoir, sans les inconvénients.

C’est-à-dire que la Bourse, c’est la commu- nication, c’est toujours plus de résultats. Ce qui est notre cas. Mais, il se peut qu’il y ait des années où vous n’en aurez pas… J’ai besoin, qu’on me juge sur un laps de temps suffisant, pas à la fin des trois prochains mois. Et ça, ça m’intéresse. J’ai besoin de visibilité. Et on me dit : « C’est quoi les limites ? » et je réponds : « C’est idiot de se fixer des limites. Pourquoi se fixer des limites ? » « Ma limite, c’est l’horizon. » L’autre raison, c’est la notoriété. Ce qui m’intéresse, c’est la notoriété auprès de mes clients. La notoriété du grand public m’intéresse moins car je ne fais pas un produit grand public. Bien que, regardez, le nombre de clients que j’ai : un million.

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C’est beaucoup pour un produit industriel.

Donc, je suis connu à 100 % par mes clients et leurs prospects. Donc, je n’ai pas besoin de la Bourse pour construire ma notoriété.

K.M. et D.C. — Vous évoquez le double- ment dans les trois ans, du groupe. Est-ce que l’entrée en Bourse est une question qui pourra se poser ?

M.A. — Je ne pense pas. Par exemple, aujourd’hui, l’argent n’est pas cher du tout.

Par ailleurs, vous avez d’autres sources de financement. Vous pouvez aller sur le marché financier, mais pas forcément en Bourse. Par exemple l’année passée, l’État français a décidé, pour la première fois, de mettre sur le marché un milliard d’euros par le biais des compagnies d’assurances. Il s’agit d’un « placement privé » par opposi- tion à la bourse qui est un placement public.

Altrad s’est porté candidat et a obtenu 100 millions d’euros. Et après, dans la foulée, j’ai fait ce qu’on appelle un financement syndiqué de 150 millions d’euros qui ont servi pour une moitié à racheter des entre- prises et pour l’autre à de l’investissement industriel. Donc, le financement est sécurisé pour deux, trois ans. Dans un an et demi, il faudra recommencer la même chose. Il faut anticiper.

K.M. et D.C. — J’ai évoqué votre rôle au sein du groupe. Comment s’est étoffée la direction ?

M.A. — J’ai recruté un directeur général.

C’est quelqu’un qui a une bonne forma- tion. Il a fait l’École centrale de Paris. Il a travaillé dans des banques, justement, dans des banques d’affaires. Il était dirigeant de la branche française d’une banque italienne, la banque Leonardo. Nous avons travaillé

avec lui sur quelques acquisitions. On se connaissait bien.

K.M. et D.C. — Est-ce que ça a amené à modifier, votre présence dans l’entreprise, votre rôle, vos attributions ?

M.A. — Je reste impliqué. Je reste investi, etc. Mais, vous ajoutez un élément, il faut lui laisser de la place, etc. Donc naturelle- ment, il fait des choses que je faisais avant.

Mais c’est très bien pour moi. Donc, ma fonction s’est dénaturée un petit peu.

K.M. et D.C. — Vous êtes plus sur des questions stratégiques ?

M.A. — Oui et non. Dans ce que je fais, il y a un peu de tout. Il y a le long terme, moyen terme et court terme. Le court terme, c’est tous les jours. Donc, je continue à faire ça.

Le champ d’applications est très large. Il se saisit d’une tâche, il y en a dix autres à faire. Très bien ! Tant mieux ! Le tout c’est qu’il le fasse bien.

K.M. et D.C. — L’équipe de direction s’est- elle étoffée au fil de la croissance ?

M.A. — Il y a quinze ans, nous étions quatre, aujourd’hui nous sommes vingt- cinq. Et probablement qu’elle va s’étoffer encore. Les membres de l’équipe ont tous un profil international. Nécessairement, parce que seul un tiers des filiales est fran- çais. Notre charte met en avant la différence cultuelle, elle s’appelle « différences cultu- relles et management international ».

KM et DC – Comment sont gérées les filiales du groupe Altrad ? Bénéficient-elles d’une grande autonomie ?

M.A. — Oui. Absolument. C’est une des clefs de notre management, c’est l’autono- mie totale contrôlée. C’est contradictoire,

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un peu paradoxal. Mais c’est vrai ! Sur 100 décisions, il ne faut pas que vous en contrôliez plus que 5 %. Et c’est à vous de choisir les 5 %, pour que tu puisses gérer, quand même. Altrad joue le rôle du ban- quier. Il n’y a aucune filiale chez Altrad qui ait des relations bancaires avec les banques du pays. Nous contrôlons le secteur de la finance. Il n’y a aucune filiale qui puisse contracter des dettes auprès des banques locales. Pourquoi ? « Parce que si vous voulez de l’argent, c’est le groupe qui vous le prête ». C’est une façon de les contrôler.

C’est tout simplement parce que ça coûte moins cher. Et je leur dis : « J’ai besoin de savoir pourquoi vous êtes là ». Je ne vois pas ce qu’il y a d’anormal à faire ça. Je contrôle l’aspect financier et l’aspect RH.

C’est-à-dire, la masse salariale. Parce qu’on est un métier très consommateur de main- d’œuvre, donc les salaires sont une compo- sante importante. Et j’ai besoin de contrôler ça. Parce que plus de salaires, c’est moins de marges. Naturellement, j’ai besoin de savoir si c’est correct, cette partie-là. Les investissements aussi. Chaque société a besoin d’un budget d’investissement, que l’on discute, que l’on négocie avec les uns et les autres dans le groupe. Et à un certain moment, on l’arrête. Dans la mesure où tu le négocies, tu le définis, tu l’arrêtes avec le patron de la boîte. Il ne faut pas qu’il fasse plus que ça. Donc, il y a quelques points- clefs. Ça, c’est un élément important du contrôle. Mais, il vous faut aussi une infor- mation complète, totale et transparente, et à temps, d’où le reporting. La notion de reporting, il faut absolument que ça vienne de façon régulière, complète. Il me faut le chiffre d’affaires par société dans les jours et les mois relatifs au mois précédent. Dans le chiffre d’affaires, le volume de chiffre

d’affaires, sa répartition par famille de produits, la marge générée par famille de produits, parce que ce n’est pas la même marge, etc. Les investissements, ce qu’ils ont investi ce mois-ci, est-ce-que c’est conforme à ce que l’on a imaginé. Il y a la productivité dans les usines. Parce qu’on a 19 usines dans le groupe et la notion de productivité est importante. C’est ça qui déterminera le résultat. Tous les mois, nous avons le chiffre de la productivité.

K.M. et D.C. — Avez-vous mis en place un système d’information de type ERP dans les filiales ?

M.A. — Non. Non, parce que là aussi, c’est ce qui nous distingue, peut-être à tort. Toutes les entreprises, que nous avons achetées ou que nous avons créées, sont des entreprises très anciennes. Elles ont toute une histoire. Il y en a qui existent depuis plus d’un siècle. Il y en a une qui existe depuis150 ans. Ce sont des PME. Et pour- quoi ce sont des PME ? Parce que c’est la morphologie du secteur qui est comme ça. Il n’y a aucune entreprise qui fait plus de 100 millions d’euros. Ça n’existe pas dans notre secteur. Donc nous avons racheté un peu plus de 100 entreprises et nous les avons fédérées. Et, si vous acceptez la notion de culture, nécessairement vous n’allez pas changer le système informatique. Parce qu’ils l’ont fait à leur image. Vous trou- vez, effectivement, des systèmes ERP, dans certains cas. Dans d’autres cas, ce sont des systèmes « maison » qui fonctionnent. Ce n’est peut-être pas génial, pétillant, flam- boyant, mais il existe et il marche. Ils l’ont construit à leur image.

K.M. et D.C. — Oui. Alors ça, c’est un principe, on pourrait presque dire que c’est

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presque un facteur de succès du développe- ment, c’est-à-dire de maintenir le fonction- nement propre à chacune des filiales.

M.A. — Bien sûr, vous ne le laissez pas tel que. Vous ajoutez une plus-value quand même, sinon ça ne marche pas. Parce que le dirigeant de l’entreprise, il vous dit, certai- nement il réfléchit : « Qu’est-ce que Altrad m’a apporté ? » Il faut vraiment appor- ter quelque chose. On apporte « Altrad ».

Très généralement, les entreprises que nous ciblons connaissent des difficultés finan- cières. Nous apportons cette rigueur de la gestion, le reporting, etc. Généralement, ils n’ont pas ça parce qu’ils n’en ont pas besoin.

Nous apportons des procédures, le contrôle de la masse salariale, de la productivité.

Pour faire simple, nous apportons de la gestion et du financement. Nous apportons aussi nos réunions annuelles, mensuelles ou trimestrielles, etc. Nous les réunissons tous. Il y a des échanges d’expériences, il y a un système d’émulation. Sur les 100 et quelques filiales, il n’y en a que trois qui perdent un peu d’argent ou qui ne sont pas performantes, pour des raisons diverses et variées. Et ce ne sont jamais les mêmes. Les gens voient que ça marche. Cela crédibilise parce qu’il y a des résultats derrière.

K.M. et D.C. — Vous êtes un entrepreneur dans l’âme. Est-ce qu’on pourrait dire que finalement cette culture entrepreneuriale se diffuse dans le groupe ? Est-ce qu’au niveau des filiales vous avez le sentiment d’avoir des profils d’intrapreneurs ?

M.A. — Oui. Tous progressent. L’année passée, nous avons fait 25 %, de croissance et cette année à peu près 20 %, dans un contexte global économique, qui n’est pas favorable. Il y a à peu près une moitié de

croissance interne et une moitié de crois- sance externe.

Ça veut dire qu’il y a une éthique entrepre- neuriale, quelque part, dans le système. Pas tous, parce que naturellement on n’est pas tous pareils. Donc, il y en a qui font plus 10 %, plus 15 %. Il y en a qui font zéro, etc.

Mais globalement, ça représente une moi- tié. Et ça c’est vraiment fort parce que ça veut dire que ce n’est pas un groupe qui fait de la fuite en avant parce qu’il emprunte de l’argent, il achète et fait grossir son chiffre d’affaires.

K.M. et D.C. — Et dans les trajectoires, on va dire, professionnelles, est-ce qu’il y a des évolutions ? Est-ce qu’on passe d’une filiale à une autre ? Est-ce qu’il y a possi- bilité d’évoluer vers le siège ? Est-ce que ce sont des choses qui se mettent en place ou pas ?

M.A. — Ce n’est pas vraiment dans notre culture. Généralement, ça ne donne pas grand-chose, parce que si vous partez du principe que l’entreprise, c’est la culture du pays, si vous amenez quelqu’un d’un autre pays, c’est une culture différente, générale- ment. Enfin moi, je considère que ce n’est pas une bonne chose. Par contre, vous pou- vez amener un support à un moment donné.

K.M. et D.C. — Aujourd’hui, vous être propriétaire du club Montpellier Hérault Rugby. Existe-t-il des synergies entre l’acti- vité sportive et l’activité industrielle ? M.A. — Le Club était en faillite, lorsque je l’ai pris en 2011. Aujourd’hui, c’est un des clubs les mieux respectés, le mieux géré, à mon avis. Il est mieux organisé, on a un peu plus de perspectives, etc. La contribution du groupe a été à la hauteur des sponsorings, un million d’euros pour l’année dernière.

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Le reste c’est moi-même, à titre personnel.

C’est un engagement social ou sociétal.

Pourquoi je l’ai pris ? Parce que les déci- deurs politiques me l’ont demandé et parce que je trouvais que c’est un challenge intéressant, mais aussi parce que je voulais montrer que je peux réussir par autre chose.

A priori, ça marche aujourd’hui. Depuis que je suis là, on a été finaliste du Top 14.

Alors ça rejaillit sur le groupe. Mais bien sûr que ça rejaillit, parce quand on va en

Angleterre, on invite quelques centaines de nos clients, parce qu’ils y aiment le rugby.

À Trévise en Italie, jouer la H Cup, c’est quelques Italiens, etc. En France aussi. Il y a des valeurs très fortes, de solidarité, d’en- gagement, d’entraide. Pourquoi ça ? Parce que le rugby est comme ça. Il y a quinze bonshommes qui se battent. Et si chacun se bat dans son coin, il perd. Donc ces valeurs d’entraide, de combat, de victoire, etc., oui c’est très beau ça.

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