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Les conséquences économiques et socio-géographiques d'une frontière : le cas Franco-genevois

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Les conséquences économiques et socio-géographiques d'une frontière : le cas Franco-genevois

RAFFESTIN, Claude

Abstract

Up to 1860 Geneva was the natural urban center towards which the rural areas of the French Pays de Gex and of Haute Savoye tended, and until 1914 the frontier between the Canton of Geneva remained perfectly open; but whereas there were no difficulties to exchanges, there were some reasons why Genevan capitals were not invested in the French territory. It was World War I, however, which determined the closure of the borders, and the ensuing disintegration of the Genevan regional structure. Geneva re-oriented itself towards the interior of Switzerland and towards the inter-national context, while Haute Savoye started its own process of industrial growth. Nowadays the amazing rate of urban-industrial growth of Geneva, which passed from 202,918 to 331,599 people between 1950 and 1970, involves difficult problems in the relationships with the French hinterland. The author considers in some detail only two of them; the problem of ''frontalières", the cross-border commuters, who have grown from 2,349 in 1960 to more than 20,000 in 1972; and the problem of the purchase of French land by Genevan citizens, for agricultural but [...]

RAFFESTIN, Claude. Les conséquences économiques et socio-géographiques d'une frontière : le cas Franco-genevois. In: Confini e Regioni : il potenziale di sviluppo e di pace delle periferie : atti del convegno "Problemi e prospettive delle regioni di frontiera" . 1973.

p. 87-93

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:5502

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LES CONSEQUENCES ECONOMIQUES ET SOCIO-GEOGRAPHIQUES D'UNE FRONTIERE: Le cas Franco-genevois

Claude Raffestin*

1, - Evolution de la région franco-genevoise

Jusqu'aux traités de Paris et de Turin, signés respectivement en 1815 et 1816, la République de Genève apparaissait comme une mosaïque inachevée. Grâce aux cessions françaises sur la rive droite et aux cessions sardes sur la rive gauche, Genève deviendra un ensemble territorial homogène disposant d'une communication directe avec le reste de la Suisse. La fixation de la frontière, pour une grande partie de son tracé, date donc, hormis quelques rectifications mineures récentes, de la période post-napoléonienne. Toutefois, le problème n'était pas entièrement résolu car la définition de la frontière inspirée uniquement par des préoccupations politiques ne tenait pas compte des nécessités économiques qui conduisirent à la création d'un système de zones franches. La mise en place de ces zones constitua en quelque sorte l'aveu implicite que la frontière politique n'avait pas intégré la dimension économique du problème régional. La non intégration de cette dimension a évidemment provoqué un enclavement différentiel dont Genève, les communes françaises du Pays de Gex et les communes sardes de l'actuelle Haute-Savoie ne pouvaient que souffrir dans le contexte économique de l'époque. Mais il n'est pas inutile de dire que les zones, tout utiles qu'elles ont pu être, n'ont jamais été qu'une solution corrective. L'hypothèque de l'enclavement, en effet, n'a jamais été rachetée. La signification actuelle de cet enclavement n'est évidemment plus la même qu'autrefois en raison de la transformation de l'organisation spatiale et des flux de relations.

Cette situation issue de la Restauration a duré jusqu'en 1860, c'est-à-dire jusqu'à l'annexion de la Savoie à la France. Cette dernière, en instituant unilatéralement la Grande Zone, va modifier l'équilibre régional en élargissant considérablement le champ de forces franco-genevois. Cette Grande Zone était importante en raison des relations susceptibles de s'établir entre une région encore très rurale et un pôle urbain en développement. Ainsi, de 1860 à 1914, s'est tissée dans la région franco-genevoise, élargie par rapport à la période précédente, une vaste trame de relations sous-tendue par l'existence de complémentarités inter-sectorielles. Les paysans français venaient vendre leurs produits agricoles sur le marchés genevois et ceci d'autant mieux qu'entre 1860 et 1914, Genève en phase d'industrialisation faisait le plein démographique. Entre ces deux dates, Genève est passé de 82.876 habitants à 171.955. Symétriquement, Genève trouvait dans la région française des débouchés pour ses fabrications et son commerce et jouait le rôle de centre bancaire régional. Il est loisible de

* Claude Raffestin è professore ordinario nel dipartimento di geografia e vice decano della Facoltà di Scienze Economiche e Sociali dell'Uni- versità di Ginevra. Ha scritto Geneve, Essay de géographie industrielle (1968) e ha in corso di pubblicazione alcune ricerche su problemi confina- ri: Travail et Frontière, le cas franco-Genevois ; Géographie de Frontiere; La structure de la frontiè- re franco-genevoise.

Claude Raffestin is a Professor in the Depart- ment of Geography and Vice-Dean of the Faculty of Social and Economie Sciences at the University of Geneva. He has written Genève, Essay de géographie industrielle (1968) and has in pub- lication some researches on boundary problems:

Travail et Frontière, le cas Franco-Genevois; Geo- graphie de Frontière; La structure de la Frontière Franco-Genevoise.

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prétendre que, durant ce demi-siècle, les échanges franco-genevois ont atteint un volume significatif qui révèle finalement une grande perméabilité de la frontière. Les effets de cette perméabilité furent très stimulants pour les deux économies qui réalisèrent une intégration commerciale poussée. Les bases d'une région transnationale étaient jetées- et l'on pouvait raisonnablement espérer que la croissance industrielle genevoise aurait des retombées pour la région française. Tel fut d'ailleurs le cas dans les deux dernières décennies avant l'éclatement du premier conflit mondial. Quelques usines genevoises ouvrirent effectivement des établissements qui suscitèrent des occasions d'emplois et provoquèrent une diversification économique bienvenue. Enfin, les Genevois financèrent les premiers équipements touristi- ques dans la région de Chamonix en particulier.

Néanmoins, cet enracinement industriel demeura discret et on ne saurait prétendre à une intégration industrielle qui aurait complété celle existant déjà sur le plan commercial. A cela, il y a plusieurs explications possibles que nous allons essayer de dégager. Tout d'abord, le système industriel genevois était en formation et les conditions locales étaient, relativement aux facteurs de production, considérablement supérieures. En d'autres termes, l'habitabilité industrielle genevoise était tout à fait satisfaisante. Ensuite, la région française, par rapport à l'industrie genevoise ouverte sur les marchés lointains, n'offrait aucun attrait particulier.

Enfin, les dimensions de l'industrie genevoise n'étaient pas telles qu'un essaimage géographique pût se justifier. On pourrait encore évoquer certains comportements genevois favorisant "l'insularité" industrielle.

Finalement, à la veille de la première guerre mondiale, on a affaire, de part et d'autre de la frontière, à peine ressentie comme un obstacle, à des groupes d' "échangeurs". C'est précisément au moment où une certaine diffusion industrielle est envisagée à Genève et, partant, des décisions d'investissement, que les événements vont profondément modifier l'unité socio-économique mise en place en 1860. La guerre, en supprimant la perméabilité de la frontière amènera la dégradation du contexte régional.

La France, en introduisant l'article 435 dans le Traité de Versailles, en 1919, mettra en question le système des zones qu'elle abolira unilatéralement en 1923. Il s'ensuivra une situation confuse jusqu'à la décision de la Cour Internationale de Justice de La Haye en 1932 et jusqu'au règlement arbitral de Territet en 193 3 qui accordera à certains produits agricoles et industriels zoniens des exemptions douanières lors de leur importation en Suisse. Nous passerons sur les détails juridiques de cette période qui sont bien connus et qui n'offrent pas grand intérêt pour notre analyse. Ce qui est intéressant, en revanche, c'est de bien mettre en évidence la désarticulation de deux régions. Entre 1920 et 1950, la frontière a littéralement disjoint deux unités autrefois bien intégrées sinon complètement. A ce problème de zones se sont ajoutés, durant cette période, tous les problèmes d'ordre économique: effondrement des monnaies, grande crise de 1929 et seconde guerre mondiale. C'est pourquoi, pendant une trentaine d'années, les deux régions vont évoluer à l'abri de leurs frontières qui cesseront d'être perméables comme par le passé. De 1920 à 1950, la Haute-Savoie s'industrialisera indépendamment de Genève à un rythme qui lui sera propre et selon des modalités spécifiques. De son côté, Genève, se détournant de la région, accentuera ses relations nationales et internationales. La frontière, dès lors, n'est plus seulement une limite spatiale mais encore une limite temporelle en ce sens que les activités ne connaissent pas le même rythme d'évolution et que, par conséquent, l'écoulement du temps social n'est pas identique de part et d'autre de la frontière.

A partir de 1950, Genève entre dans une phase de croissance extraordinaire, presqu'inin- terrompue jusqu'à nos jours. La région française, tout en poursuivant son développement,

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connaîtra des taux de croissance relativement plus faibles dans l'ensemble. Sans doute, la frontière sera-t-elle plus perméable qu'antérieurement mais le problème zonien cristallisé demeurera identique. Bien que les conditions nouvelles de l'après-guerre soient favorables à un système régional franco-genevois mieux soudé, il est non moins évident que les habitudes, qui ont eu cours pendant 30 ans de séparation, conjugées avec les décalages économiques et démographiques ne constituent pas un contexte favorable à une recherche d'intégration. Les échanges institutionalisés ne représentent qu'un faible volume, de même que les relations entre les entreprises industrielles dont les programmes sont faiblement complémentaires. On notera pourtant quelques implantations d'industries genevoises dans la région. Ces dernières cherchant à établir une tête de pont dans le marché commun et s'efforçant aussi de trouver une habitabilité industrielle supérieure à celle de Genève qui tend à se dégrader. Est-ce à dire qu'il n'y a pas de relations entre Genève et la région? Certainement non, mais celles qui existent ont un caractère traumatisant et pathologique pour la région française car elles procèdent du décalage persistant entre le taux de croissance de l'économie genevoise et celui de l'économie régionale française. Depuis une quinzaine d'années, Genève cherche, par tous les moyens, à s'assurer une quantité de travail toujours plus grande d'une part et une quantité d'espace croissante d'autre part. Les firmes genevoises, par l'attrait des salaires sensiblement plus élevés détournent la main-d'oeuvre à leur profit et les Genevois, d'une manière générale, font l'acquisition, dans les communes françaises, de propriétés foncières.

On notera le caractère asymétrique de ces relations qui ont des conséquences socio-économi- ques et socio-géographiques majeures. D'autre part, ces relations révèlent l'incapacité à envisager une organisation économique commune et l'incapacité d'établir un aménagement du territoire cohérent dans une région transnationale qui pourrait être une zone d'articulation entre l'espace rhône-alpin et l'espace helvétique.

Nous allons exposer maintenant, avec plus de détails, ces deux problèmes de la main- d'oeuvre et de l'appropriation foncière, afin d'en dégager les multiples conséquences.

2. - La main d'oeuvre frontalière

L'intense développement économique de Genève, depuis 1950, déclenché par le secteur secondaire et surtout par le secteur tertiaire, s'est traduit, entre autres, par un afflux démographique considérable. Jusqu'à ce que les autorités fédérales prennent la décision de restreindre les effectifs de la main d'oeuvre étrangère, les provenances très diversifiées intéressaient la plupart des pays européens parmi lesquels l'Italie et l'Espagne occupaient une place de choix. C'est alors que les firmes genevoises, pour satisfaire leur besoin de main- d'oeuvre et éviter, par conséquent, un tassement de l'expansion, se tournèrent vers la région pour recruter des travailleurs frontaliers qui, de par leur statut, échappaient aux mesures fédérales, Les frontaliers sont, en effet, assimilés aux travailleurs suisses sur un certain nombre de plans (1). L'évolution du nombre des frontaliers montre assez que les décisions fédérales ont pesé dans les décisions genevoises: 2.349 en 1960; 6.524 en 1965; 14.525 en 1970 et plus de 20.000 actuellement. La solution adoptée par les milieux économiques genevois a procédé d'une vision unilatérale et partielle du problème dans la mesure où les coûts économiques et sociaux des mouvements pendulaires ont été rejetés sur la région française. Une solution globale aurait consisté à étudier les possibilités du transfert de certaines unités industrielles dans la région tout en conservant à Genève les siège sociaux. et les centres de recherche dont le fonctionnement nécessite des infrastructures que Genève est encore seul à posséder actuellement. Cette politique qui s'inscrit dans le moyen et le long terme, aurait permis, tout en décongestionnant Genève, de stimuler l'économie régionale et

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de réaliser une intégration plus poussée. C'est évidemment dans cette perspective que l'économie genevoise pourrait avoir des retombées significatives pour la région. Mais la frontière, trop longtemps disjonctrice, a constitué un obstacle psychologique qui tend à empêcher l'épanouissement de comportements qui favoriseraient la collaboration régionale.

Aussi, à l'exception de quelques rares tentatives d'implantations, les entrepreneurs genevois ont-ils choisi l'appel de main-d'oeuvre plutôt que le déplacement.

Avant d'aborder les conséquences de cette décision, il est essentiel de dégager la structure de la main-d'oeuvre frontalière (2). Le champ migratoire s'étend à une partie des départements de l'Ain et de la Haute-Savoie. A la fin 1969, 49 communes de l'Ain et 174 de la Haute-Savoie étaient, du pont de vue des frontaliers, polarisées par Genève. Mais, en fait, l'attraction de Genève est surtout forte à l'intérieur d'une enveloppe située à 10 km de la frontière puisque le 90% de la main d'oeuvre provient de cette zone qui comprend 103 communes. Du point de vue géographique, on notera que si la limite est nette du côté de l'Ain à cause de la barrière du jura, elle est beaucoup plus imprécise du côté haut-savoyard.

D'autre part, il y a un déséquilibre entre l'Ain qui fourni 2 3 ,5 % des frontaliers et la Haute-Savoie qui en fourni 76,5%. La répartition est aussi plus homogène dans l'Ain que dans la Haute-Savoie dont l'indice de concentration est plus fort.

Du point de vue socio-économique, la répartition des frontaliers entre les trois secteurs s'établit comme suit: 0,7% dans le primaire, 50,9% dans le secondaire et 48,4% dans le tertiaire. Dans l'ensemble, on a affaire à un monde d'ouvriers et d'employés dont la moyenne des salaires est comprise entre 1.100 et 1.300 francs suisses. Finalement, on trouve fort peu de frontaliers à hautes qualifications et cela revient à dire que les entreprises genevoises recherchent surtout des travailleurs disposés à accepter des postes d'un niveau faible à moyen.

Quelles sont les conséquences de cette situation pour la région? Sur le plan socio- économique d'abord, il convient d'évoquer le problème des firmes françaises qui ont ressenti l'hémorragie de main d'oeuvre comme une concurrence insupportable et dangereuse pour les structures économiques régionales. Dès 1962, les dirigeants des entreprises françaises ont laissé entendre que si le mouvement se prolongeait, ils allaient au-devant d'une pénurie de travailleurs qui, à la longue, les forcerait à cesser toute activité. S'il est évident que les départs causés par une différence substantielle de salaire, accrue encore par l'écart des taux de change, ont provoqué un resserrement et une tension sur une partie du marché du travail, les craintes des industriels français ne se sont pas réalisées. Au contraire, on pourrait même prétendre que ces tensions réelles ont stimulé les entreprises régionales qui, dans plusieurs cas, se sont réorganisées et perfectionnées. Autrement dit, le mouvement frontalier, loin d'être un facteur inhibant, s'est révélé être un facteur stimulant. Si ces craintes ont été vaines, c'est que, finalement, depuis 1965 surtout, les frontaliers qui viennent travailler à Genève ne sont plus tellement des hommes et des femmes originaires de la région mais des travailleurs en provenance de tous les départements français et particulièrement de ceux qui connaissent depuis quelques années des difficultés économiques conjoncturelles et structu- relles. D'autre part, il est utile de signaler que Genève représente pour beaucoup de frontaliers une surface de qualification dont les firmes françaises bénéficient à long terme puisqu'entre 30 et 35 ans une bonne partie de la main-d'oeuvre frontalière se réinsère dans le circuit économique régional.

Il existe, en revanche, une conséquence socio-économique fâcheuse pour la région et qui, elle, constitue un problème majeur, c'est celui des impôts. En effet, en raison de la législation genevoise, les frontaliers sont imposés à la source et jusqu'à maitenant la question d'une

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rétrocession partielle du produit de la fiscalité aux communes de résidence n'a pas été résolue (3). Cela signifie que les frontaliers provoquent des coûts multiples d'infrastructure, de logement et d'écoles, pour ne citer que ceux-là, qui ne sont pas couverts par des ressources fiscales directes. Il en résulte une situation pathologique que ressentent les communes du bourrelet frontalier confrontées avec des problèmes d'aménagement qu'elles n'ont pas les moyens financiers de résoudre d'une manière efficace. En d'autres termes, le canton de Genève rejette sur la région une série de coûts qu'il serait tenu d'assumer en partie si une frontière politique ne s'interposait pas entre le lieu de travail et le lieu de résidence (4).

Les conséquences socio-géographiques de ces mouvements pendulaires ne sont ni moins importantes ni moins significatives- Les frontaliers, afin de minimiser leurs coûts de transport et le temps contraint qu'implique le déplacement dont 68,3% d'entre eux se plaignent (5), s'accumulent dans les communes voisines de la frontière. Ce phénomène a pour première conséquence de transformer la zone frontalière en zone dortoir de l'agglomération genevoise et pour seconde conséquence de provoquer une tension sur le marché du logement dont les immigrants de ces dernières années sont les victimes. Par ailleurs, la nécessité de faire face à des besoins accrus en matière de constructions urgentes interdit un aménagement cohérent et satisfaisant.

L'élimination progressive de ces anomalies dépend d'une part des négociations qui sont en cours entre la France et la Suisse et, d'autre part, des milieux genevois qui seraient en mesure de faire des investissements créateurs de postes de travail dans la région française. Dans ce dernier cas, cela impliquerait une concertation des Gessiens et des Hauts-Savoyards d'une part et des Genevois d'autre part. Les uns et les autres seraient ainsi amenés à envisager globalement l'avenir de la région.

La question de l'emprise foncière que nous allons développer maintenant se pose naturellement en termes différents mais ses conséquences sont tout aussi créatrices de phénomènes négatifs dont la suppression passe par une intégration régionale réelle.

3. - Le problème de l'emprise foncière

De 1950 à 1970, la population genevoise est passée de 202.918 à 331.599 habitants, soit, à taux constant, une croissance annuelle de 2,36%. Cette explosion démographique dûe, pour l'essentiel, à l'immigration, a fait prendre conscience de la singulière étroitesse d'un canton dont la superficie ne dépasse pas 246,2 km . Dès lors, plusieurs groupes se sont affrontés pour la possession du sol. L'emprise du tertiaire au centre de la ville a déclenché un reflux de population vers les communes suburbaines qui ont été intégrées dans l'aggloméra- tion dont les constructions nouvelles ont accueilli le flôt d'immigrants. Le secondaire s'est, pour une partie, logé dans la zone industrielle de La Praille mais, pour l'autre partie, a cherché l'espace disponible à la périphérie sans toujours trouver une solution favorable. Les grands perdants ont certainement été les agriculteurs dont l'espace cultivable a tendance à se restreindre ou à être enclavé par l'apparition de grands ensembles ou de cités satellites.

Devant cette situation, les agriculteurs genevois, surtout ceux des communes proches de la frontière, ont affermé ou acquis des terres dans le Pays de Gex ou en Haute-Savoie. En 1970, ils exploitaient au-delà de la frontière 2285 ha dont 1145 en fermage. Cela représente très exactement 17,6% de la surface cultivée à Genève. Cette emprise agricole a fait grimper les prix de la terre dans la région et créé un conflit latent qui alimente le contentieux psychologique et matériel entre Français et Genevois.

Mais l'emprise foncière ne se limite pas à celle des agriculteurs. En effet, l'augmentation

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des revenus liée à la prospérité économique a créé de nouveaux besoins, tels ceux relatifs aux résidences secondaires. Ce qui reste de terres agricoles à Genève étant maintenant protégé, plus ou moins efficacement d'ailleurs, la satisfaction de ce besoin, qui nécessite l'acquisition de terrains, ne peut être obtenue qu'à l'extérieur du canton, donc dans la région française proche pour des raisons évidentes de temps de déplacement. On peut également se demander si l'apparition de facteurs répulsifs dans l'agglomération genevoise, consécutifs à une urbanisation trop rapide, n'a pas été aussi un des éléments moteurs de cette appropriation de l'espace régional. En l'état actuel de nos recherches, cette idée ne peut être avancée que sous forme d'hypothèse. Quoi qu'il en soit, les Genevois possèdent actuellement 3972 ha dans l'Ain et 4900 ha en Haute-Savoie (6). L'ensemble représente une superficie équivalente à 36% du territoire genevois.

Les conséquences socio-économiques se traduisent là encore par une augmentation du prix de la terre et par une concurrence d'autant plus inégale que les milieux genevois disposent de ressources financières importantes. Là encore, les communes françaises, dans le cas des résidences secondaires, assument des charges qui ne sont pas compensées par des avantages correspondants.

Enfin, l'implantation de résidences secondaires dans des communes qui n'ont pas de schéma directeur risque d'engendrer des conséquences socio-géographiques fâcheuses pour l'avenir. Il y a donc le danger de voir la région française voisine de Genève déformée dans son paysage et compromise dans son équilibre par l'emprise mal contrôlée d'une collectivité urbaine en pleine expansion. Cela postule, là encore, une action concertée, en l'occurence un aménagement de la région franco-genevoise de telle sorte que les décalages et les discordances se résorbent.

Conclusion

Cette confrontation, entre deux éléments d'une même unité régionale soumis à des rythmes de croissance différentiels, suggère la mise en place d'un mécanisme de régulation qui puisse d'abord résorber les phénomènes pathologiques et ensuite prévenir leur retour. La région franco-genevoise pourrait devenir un test de la capacité de deux Etats à accepter sur leurs marges la création d'un système transnational. Plusieurs propositions ont déjà été faites dans ce sens, plusieurs formules lancées sans qu'aucune, jusqu'à maintenant, n'emporte l'adhésion. Malgré les dénivellations sérieuses qui existent entre le système centraliste français et le système fédéraliste suisse, il est très urgent de parvenir à un aménagement commun du territoire et à une harmonisation socio-économique et socio-géographique pour autant que Ton souhaite que la région franco-genevoise soit réellement une zone d'articulation entre Rhône-Alpes et la Suisse. Pour y parvenir, il faut s'ingénier à développer les relations symétriques qui n'ont pas encore atteint un seuil significatif et à susciter des infrastructures communes aux deux collectivités en présence. En un mot, il faut rétablir l'ancienne perméabilité de la frontière de la période de 1860 à 1914, en imaginant une formule adaptée au contexte moderne.

NOTES

1. Dans la règle, le frontalier est une personne active résidant en France mais travaillant à Genève et traversant la frontière au moins deux fois par jour.

2. ci pour une analyse exhaustive, C. Raffestin, }. Burgener, B. Gabioud, Ph. Landry. Travail et Frontière.

Le cas franco-genevois. Thonon 1971.

3. La question est actuellement à l'étude et des négociations sont en cours entre les autorités françaises et

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suisses.

4. Au sens de la législation genevoise,

5. Pourcentage établi par le Département de Géographie de l'Université de Genève sur la base d'une enquête faite auprès d'un échantillon de 927 frontaliers.

6. Résultats obtenus par le dépouillement des cadastres de 108 communes (ces communes sont situées, à vol d'oiseau, à 10 km de la frontière, au plus).

Riassunto

Fino al 1860 Ginevra era il naturale polo urbano verso cui convergevano i flussi dalle regioni agricole francesi (Pays de Gex) e dell'Alta Savoia, e fino al 1914 la frontiera tra il cantone di Ginevra e la Francia era estremamente permeabile; ma men- tre gli scambi commerciali potevano avvenire senza difficoltà, una serie di fattori spiegano una certa lentezza dei capitali ginevrini a diffondersi ed investirsi sul suolo francese. Tuttavia fu la Grande Guerra a chiudere i confini, determinando un degradamento del contesto regionale ginevrino, una diminuzione dell'integrazione di Ginevra col suo hinterland naturale, e il suo rivolgersi verso l'inter-no della Svizzera e verso il contesto internazionale; e da questo periodo l'alta Savoia inizia i suoi autonomi processi di sviluppo industriale. Intanto la crescita di Ginevra, che conosce un ritmo particolarmente vivace dal 1950 (202.918 abitanti nel 1950, 331.599 nel 1970) pone grossi problemi di rapporti con la regione francese circostante; tra questi, l'A.

analizza in particolare il problema dei frontalieri (2.349 nel 1960, oltre 20.000 attual- mente) che, resiedendo in Francia, lavorano a Ginevra; e il problema dell'acquisizione di terreni francesi da parte di cittadini ginevrini, a scopo agricolo ma soprattutto di residenza secondaria. Simili fenomeni pongono problemi di perequazione economica e fiscale, di giustizia sociale, di pianifi-cazione urbanistica e industriale, per risolvere i quali è auspicabile restituire alla frontiera franco-ginevrina una versione aggiornata dell'antica per-meabilità.

Summary

Up to 1860 Geneva was the natural urban center towards which the rural areas of the French Pays de Gex and of Haute Savoye tended, and until 1914 the frontier between the Canton of Geneva remained perfectly open; but whereas there were no difficulties to exchanges, there were some reasons why Genevan capitals were not invested in the French territory. It was World War I, however, which determined the closure of the borders, and the ensuing disintegration of the Genevan regional structure. Geneva re-oriented itself towards the interior of Switzerland and towards the inter- national context, while Haute Savoye started its own process of industrial growth.

Nowadays the amazing rate of urban-industrial growth of Geneva, which passed from 202,918 to 331,599 people between 1950 and 1970, involves difficult problems in the relationships with the French hinterland.

The author considers in some detail only two of them; the problem of ''frontalières", the cross- border commuters, who have grown from 2,349 in 1960 to more than 20,000 in 1972; and the problem of the purchase of French land by Genevan citizens, for agricultural but especially for secondary housing pur poses. Such phenomena involve no mean problems of economic and taxing standardizations, of social justice, of urban and industrial planning; it is suggested that the best possible solution is to give the Franco-Genevan border an updated version of the earlier permeability.

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