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Les libéraux genevois et la politique suisse

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Les libéraux genevois et la politique suisse

DUFOUR, Alfred

DUFOUR, Alfred. Les libéraux genevois et la politique suisse. In: Alfred Dufour, Robert Roth et François Walter. Le libéralisme genevois, du Code civil aux constitutions (1804-1842) . Bâle : Helbing & Lichtenhahn, 1994. p. 97-138

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:73446

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LES LIBERAUX GENEVOIS ET LA POLITIQUE SUISSE

Alfred DUFOUR

C'est un propos sans doute bien ambitieux que celui de vouloir traiter de la politique suisse des libéraux genevois dans les limites étroites d'une contribution de Colloque. Plutôt que de nous aventurer dans une synthèse hasardeuse du quart de siècle de politique helvétique des artisans des fameuses «27 années de bonheur» que Genève aurait connues entre 1814 et 1841, nous avons préféré nous limiter quant à la

période

envisagée et quant aux

figures représentatives

du libéralisme

genevois à cet égard.

Quant à la

période

envisagée, s'agissant de la politique suisse et de l'attitude des libéraux genevois en la matière, il nous est apparu que le moment le plus révélateur et le plus significatif de la politique helvétique des libéraux genevois était celui du début de la Régénération (1830- 1833).

En fait de

politique suisse,

c'est d'abord là la période de l'essor des Constitutions régénérées sur le plan cantonal et c'est la période de la première tentative de révision du Pacte de 1815 sur le plan fédéral, qui avorte en juillet 1833.

Sur le plan

cantonal genevois,

c'est là, ensuite et surtout, la période dite des «réformes Rigaud» qui voit le gouvernement genevois prendre sous l'inspiration du Premier Syndic J.-J. Rigaud une série de mesures constitutionnelles parachevant la politique du «progrès graduel» 1En d'autres termes, c'est 1 'apogée du libéralisme genevois sur le plan de la politique intérieure, puisque c'est en définitive la période du

libéralisme

1 Voir à ce sujet, outre F. RucHON, Histoire politique de·la République de Genève de la Restauration à la suppression du budget des cultes ( 31 décembre 1813-30 juin 1907), t. 1er, Genève 1953, pp. 173-188, ainsiqueHistoirede Genève de 1798 à 1931, publié par la Société d'Histoire et d'Archéologie sous la direction de P.E.

MARTIN, Genève, 1956, pp. 83-86, les remarquables analyses de W.E. RAPPARD, L'avènement de la démocratie moderne à Genève ( 1814-1847), Genève 1942, pp.117-187.

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au pouvoir. Nous sommes donc là en présence d'une période privilégiée sur le plan suisse comme sur le plan du libéralisme genevois.

Après, nous avons 1 'essor du radicalisme, le tournant s'esquissant pour nombre d'historiens en 1835 avec le débat parlementaire sur 1 'abaissement du cens de 15 à 7 florins et 1 'émergence de la revendication du suffrage universel. «En 1835», dira 1 'un des porte-parole du ra- dicalisme naissant, «1 'opinion publique a grandi et le progrès graduel n'est pas de taille à lutter avec elle».

2

Mais c'est aussi J.-J. Rigaud qui notera dans ses Mémoires qu'après 1835 «la marche progressivè du Conseil d'Etat fut entravée, il ne fut plus en complète harmonie de vues avec la majorité du Conseil Représentatif».

3

De fait, dès après 1835 les ténors du libéralisme genevois disparaissent de la scène. Rossi gagne Paris et Bellot décède au début 1836. Sismondi et Candolle «se réfugient dans leur cabinet, effrayés», dira Rigaud, «des empiétements de la démocratie.»

4

S'agissant alors précisément des figures représentatives de ce libé- ralisme genevois, face au même impératif de nous limiter, il nous est apparu que les figures les plus significatives de la politique suisse du libéralisme genevois étaient celles des hommes politiques libéraux les plus étroitement mêlés à la définition de cette politique au titre de membres, voire de chefs de la députation genevoise à la Diète comme au titre de Premier Syndic, de Syndic ou de Rapporteur pour les Affaires suisses au Conseil Représentatif.

Au surplus, étant de formation juridique, il nous a paru plus intéres- sant de retenir parmi ces figures en vue d'hommes politiques libéraux mêlés à la définition de la politique suisse, non celles d'économistes de renom comme l'a fait naguère William E. Rappard à deux reprises il y a une cinquantaine d'annéesS, mais celles de juristes d'envergure, dont

2 Cf.les déclarations del 'avocat S. DELAPALUD (1797-1877) au Conseil Représen- tatif, Mémorial des séances du Conseil Représentatif(MCR), 1834-1835 (14),

vnc

année, n° 56, p. 873.

3 Cf. Mémoires de J.-J. Rigaud, Ancien Syndic, Copie, t.2, Ms. su pp!. 1291, BPU Genève, p. 24.

4 Op. cit, loc. cit., p. 25.

5 Cf. W .E. RAPPARD, «Trois économistes genevois et la révision du Pacte fédéral de 1815», in Schweizerische Wirtschaftsfragen, F estgabe für Fritz Mangold, Bâle 1941, pp. 179-216; t. à p. Bâle 1941, et «La carrière parlementaire de trois économistes genevois (Sismondi, Rossi, Cherbuliez)»,inJournal de statistique et

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deux seront collègues de surcroît pendant une douzaine d'années à la Faculté de Droit. Nous voulons parler de Pierre-François Bellot (1776- 1836), de Jean-Jacques Rigaud (1785-1854) et de Pellegrino Rossi (1787-1848)

6

Si, parmi eux, Bellot apparaît sans doute le moins en vue sur le plan de la politique suisse, il n'en a pas moins rempli un rôle souvent décisif dans la définition de la politique suisse de la députation genevoise comme Rapporteur de Commission au Conseil Représentatif: ainsi dans les Affaires de Neuchâtel, avec son Rapport, exemplaire de clarté, du 14 décembre 183

F;

ainsi surtout dans les Affaires fédérales, avec son Rapport sur les Instructions relatives au Projet de révision du Pacte du

Revue économique suisse, 76< année, 1940, fasc. 3, pp. 233-262, fasc. 4, pp. 440- 473, et 77< année, 1941, fasc. 1., pp. 137-167; t. à p. Genève 1941, 104 p.

6 De solides études manquent encore sur les deux premiers de ces chefs de file du libéralisme genevois de la Restauration. Ni P .-F. Bellot, ni J .-J. Rigaud n'ont en effet à ce jour fait 1 'objet de monographies substantielles. Pour P.F. Bellot, on se reportera toujours avec profit à A.E. CHERBULIEZ, Notice sur la vie et les travaux de feu Pierre-François Bellot, Genève 1838, avec ses détails sur la carrière parlementaire genevoise de Bellot, ainsi qu'à l'heureuse évocation de W.E.

RAPPARD, «Pierre-François Bellot» (1776-1836)in Schweizer Juristr:n der letzten hundert Jahre, Zurich, 1945, pp. 59-106, en attendant l'achèvement de la thèse d'histoire du droit de notre doctorant A. Ph. Zogmal. Pour J.-J. Rigaud, force est de se reporter encore à la biographie plus que centenaire de F.A. CRAMER, Jean- Jacques Rigaud, Ancien Premier Syndic de Genève, Genève 1879. La littérature abonde en revanche sur la figure, l'oeuvre et la pensée de P. Rossi. Bornons-nous à rappeler ici, d'une part, les études classiques, mais inégales, de H. D'IDEVILLE, Le comte Pellegrino Rossi, sa vie, son oeuvre, sa mort, Paris 1887, de L.

LEDERMANN, P ellegrino Rossi, l'homme et l'économiste 1787-1848, Paris 1929, de P.E. ScHAZMANN, P. Rossi et la Suisse, Genève 1939, et de J. GRAVEN, Pellegrino Rossi, Grand Européen, Genève 1949; d'autre part, nos contributions plus direc- tement consacrées à son oeuvre et à sa pensée en Droit public et en Droit constitutionnel suisse avec l'abondante bibliographie qui y est citée, cf. A.

DUFOUR, «Pellegrino Rossi publiciste», in Des libertés et des peines, Actes du Colloque Pellegrino Rossi, Genève 1980, pp. 213-247, et «Histoire et Constitu- tion-Pellegrino Rossi et Alexis de Tocqueville face aux institutions politiques de la Suisse», in Présence et actualité de la Constitution dans l'ordre juridique, Mélanges offerts à la Société suisse des juristes, Genève 1991, Bâle-Francfort/

Main 1991, pp. 431-475.

7 Voir les remarques d' A.E. CHERBULIEZ, Op. cit.(6), p. 29.

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27 février 1833 comme avec son Rapport sur la forme de la délibération concernant le Projet de Pacte de 1832 du 10 juillet 18338

Pour ce qui est de Jean-Jacques Rigaud, s'il n'est plus à présenter comme Syndic et comme protagoniste majeur du «progrès graduel»

entre 1824 et 1840, il n'estpas inopportun de rappeler son rôle sur le plan fédéral dans la députation genevoise aux Diètes fédérales dès 1830, de 1832 à 1838 et jusqu'en 1841. A cet égard, comme Chef de la députation genevoise, comme deuxième ou troisième membre de cette députation et comme collègue de Rossi, il assiste à 11 Diètes dans les années de troubles qui nous intéressent (1830-1833) et il est délégué comme médiateur dans les Affaires de Bâle et de Schwytz.9 Bien plus, s'acqué- rant une considération personnelle exceptionnelle sur le plan suisse, J.-J. Rigaud sera chargé par le Directoire fédéral en 1831 de présenter avec le Bourgmestre de Zurich les compliments d'usage au Roi Louis- Philippe en visite à Colmar10 et en 1834 d'une mission analogue, mais plus délicate au lendemain de 1 'Affaire des Polonais, avec le chef du gouvernement vaudois auprès du Roi Charles-Albert de Sardaigne en visite à Chambéry11

Nous ne nous attarderons pas enfin sur les raisons de retenir parmi les figures les plus représentatives de la politique suisse du libéralisme genevois celle de Pellegrino Rossi. Plusieurs fois Rapporteur de Com- mission pour les Affaires fédérales au Conseil Représentatif et surtout membre, puis chef de la députation genevoise aux Diètes fédérales de 1832-1833, nous rappellerons simplement pour mémoire que Rossi finira sa carrière politique suisse comme membre de la Commission de Révision du Pacte fédéral et comme Rapporteur de ladite Commission en

8 Cf. MCR, 1832-1833 (10), vc année, n° 73, pp. 1049-1065, etMCR, 1833-1834 (11), VIc année, n° 18, pp. 221-234. Voir à ce sujet l'appréciation d'A.E.

CHERBULJEZ, op. cit.(6), pp. 29-30.

9 Sur toute la «carrière fédérale» du Syndic J.-J. Rigaud, de sa participation continue aux Diètes de 1832 à 1838 à ses missions de médiateur fédéral dans les Affaires cantonales de Bâle et de Schwytz, voir F.A. CRAMER, Op. cit.(6), pp. 96-97 et pp. 133-234,notammentpp.163-l64poursamédiationbâloiseetp.174pourson rôle dans l'Affaire schwytzoise.

10 Cf. F.A. CRAMER0p. cit.(6), pp. 145-149.

11 Cf. F.A. CRAMER, Op. cit.(6), pp. 190-197.

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donnant son nom au malheureux projet de Nouvel Acte fédéral abandon- né en août 183312

Les limites de cette contribution circonscrites, quel en est alors l'objectif? Eh! bien, ce que nous voudrions montrer à titre préliminaire, c'est d'abord que la politique suisse des libéraux genevois apparaît conditionnée dès 1830 par la situation particulière de Genève, à la fois

«dernier venu» des Cantons Suisses et marqué par une évolution politi- que singulière, qui, sans le situer au rang des Cantons «rétrogrades», risque de le placer en quelque sorte à la traîne des Cantons «régénérés».

Mais ce que nous voudrions montrer surtout, ceci dans une Ière Partie, c'est ensuite que de ce fait, pour les libéraux genevois alors aux affaires , Genève doit fournir des

gages

à la Suisse nouvelle, des gages de bonnes dispositions à 1 'égard des principes de la Régénération. Cette hantise de devoir fournir

desgages de régénérationdéterminera

d'abord à Genève une

politique d'adaptation

au nouvel ordre helvétique. Mais comme XXII ème Canton Suisse, Genève paraît également aux yeux des hommes politiques libéraux aux affaires devoir fournir des

gages d'hel- vétisme,

ce qui déterminera par ailleurs des manifestations sensibles de

patriotisme suisse,

des Discours de Saint-Pierre de J.-J. Rigaud aux Cours d'histoire de la Suisse de Rossi.

Cependant, et c'est ce que nous voudrions montrer dans une Hème Partie, Genève n'a pas que des

gages à

donner

à

la Suisse nouvelle pour les libéraux genevois aux affaires. Genève dispose aussi d'un certain nombre

d'atouts,

à savoir son

expérience du progrès graduel

et son

sens de la modération.

Genève va de ce fait, non pas pouvoir jouer un rôle salvateur en politique suisse - aucune allusion à pareille mission n' ap- paraît dans le discours politique des hommes d'Etat libéraux genevois- mais simplement faire bénéficier ses Confédérés des bienfaits de sa politique intérieure.

C'est ainsi que la politique suisse des libéraux genevois se présentera par ailleurs comme une

politique d'extension du progrès graduel

aux Affaires fédérales. Les termes mêmes de «changements graduels», de

12 Sur la carrière politique genevoise et suisse de P. Rossi, voir outre les études susmentionnées deL. LEDERMANN, Op. cit.(6) et de P. ScHAZMANN, Op. cit.(6), celle de J. HuBER-SALADIN, M. Rossi en Suisse de 1816 à 1833, Paris 1849, et la notice d' A.E. CHERBULIEZ, «Pellegrino Rossi»,inBibliothèque universelle, t. X, février 1849, pp. 133-157, ainsi que les contributions relevées supra de W.E. RAPPARD, Op. cit.(5) et d'A. DUFOUR, Op. cit.(6).

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«politique de progrès», de «marche mesurée» se retrouvent explicite- ment dans les Instructions ou les Rapports concernant la Diète fédérale chez J.-J. Rigaud comme chez P. Rossi. Et c'est la même politique modérée que préconiseront les libéraux genevois dans les grandes Affaires cantonales de Bâle, de Schwytz et de Neuchâtel.

PREAMBULE

Si nous entrons dans le vif de notre sujet, force est de constater d'abord, à titre préliminaire, quant aux

conditions particulières

qui caractérisent la situation de Genève dès 1830 face à la Suisse nouvelle aux yeux des hommes politiques libéraux genevois, que ce qui frappe, ce n'est pas seulement la récurrence dans les Discours officiels de la mention de «Genève, XXIIème Canton Suisse» ou des conditions de sa

«réunion à la Suisse» comme chez P. Rossi ou chez J.-J. Rigaud13, c'est surtout la conscience aiguë que les hommes d'Etat libéraux genevois ont du

retard

que Genève risque de prendre quant à ses institutions par rapport aux Cantons régénérés.

A cet égard, c'est ce qui affleure dans la Correspondance de P. Rossi avec J.-J. Rigaud en novembre 1832:

«Il faut vous exécuter pour la publicité. Et vite. Notre réputation est sur le point d'être de nouveau contestée»14

Etc' est ce qui est confirmé par les considérations rétrospectives de J .- J. Rigaud dans ses

Mémoires.

Relatant en 1844la situation particulière de Genève en 1830, Rigaud note en effet:

«Notre Constitution avait d'ailleurs été considérée jusqu'alors comme l'une des plus libérales de la Suisse; c'était un motif de

13 Cf. en particulier les discours de Premier Syndic entrant en charge de J .-J. Rigaud le 31 décembre 1830- «Comme vingt-deuxième Etat agrégé à cette Confédéra- tion» (MCR, 1830-1831 (6), III" année, n° 24, p. 399) -et le 31 décembre 1832-

«A vous, Citoyens genevois, qui proclamâtes avec ivresse notre réunion à la Suisse» (MCR, 1832-1833 (9), yc année, n° 49, p. 633).

14 Cf. la lettre des 5-6 novembre 1832 de P. Rossi àJ.-J. Rigaud, in G. DoLT, Lettres politiques de Pellegrino Rossi au Syndic Jean-Jacques Rigaud, 1832-1841, Genève, 1932,p.45.

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calme. Mais les Révolutions qui s'accomplirent dans les divers cantons changèrent entièrement notre position; nous allions nous trouver dans une situation inverse, soit que nous jetassions les yeux du côté de la France, ou que nos yeux se tournassent vers les Confédérés.

Nous restions presque l'un des seuls débris de l'Ancien Régime.

Notre Constitution, il est vrai, portait en elle-même tous les moyens de progrès. Puisque le Conseil Représentatif, avec l'ini- tiative du Conseil d'Etat, pouvait faire 1 'office du corps consti- tuant. Mais 1 'on sait que dans les temps de Révolution, les peuples sont tout à la fois défiants et impatients.

Cette position délicate et difficile, dans laquelle allait se trouver le canton de Genève, n'était pas le seul motif de voir en noir l'avenir( ... )

Nous ne pouvions plus nous attendre à l'ancienne bienveillance des souverains à notre égard. Les gouvernements des cantons, sur l'attachement et l'appui desquels Genève avait toujours compté, s'écroulaient successivement, et avec eux les magistrats qui avaient appuyé notre réunion à la Suisse»15

Sur quoi Rigaud conclut, et ses réflexions nous serviront d'introduc- tion à la Ière Partie de notre contribution, qui portera sur la politique d'adaptation et de resserrement des liens avec la Suisse des libéraux genevois:

«Je pris alors la résolution de profiter de 1 'influence que je pouvais avoir sur nos Conseils et sur une partie de la population, pour rattacher plus fortement cette population soit à notre existen- ce politique intérieure, soit à la Confédération( ... ) Pour atteindre ce but, il fallait augmenter la somme des libertés que leur avait garanties la Constitution de 1814 et resserrer nos liens avec la Suisse nouvelle ( ... ) Je pensais qu'il fallait aussi annoncer ce système et y suivre loyalement. En rapprochant notre Constitution de celle de nos Confédérés, nous resserrions nos rapports avec eux. Quels qu'eussent été les liens des magistrats genevois avec les anciens patriciens de Zurich et de Berne, il ne fallait à aucun prix bouder contre le régime nouveau de la Confédération; l'in- térêt de notre canton nous obligeait à nous y associer.

Le tort de notre gouvernement avait été de restreindre ses rapports avec nos Confédérés à quelques correspondances avec un petit

15 Cf. Mémoires cit.(3), t. 2, Ms. suppl. 1291, p. 7.

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nombre de magistrats: il fallait maintenant des liens plus étendus, afin que les hommes devenus influents dans la Confédération eussent à coeur de défendre au besoin ce canton si fraîchement suisse que convoitaient de nouveau nos voisins redevenus ambi- tieux depuis leur Révolution et rêvant toujours ce qu'ils appe- laient leurs frontières naturelles, dans lesquelles ils nous faisaient l'honneur de nous placer.

Telles furent les pensées qui me préoccupèrent constamment depuis la Révolution de juillet. Elles ont été dès lors le motif dirigeant de ma conduite, soit dans nos Affaires cantonales, soit dans la politique fédérale»16

Que Rigaud ne se fasse pas après coup la part belle et que ses vues convergent bien avec celles des autres hommes politiques libéraux genevois, c'est ce que révèlent 1 'analyse des interventions de l'un ou de l'autre d'entre eux au Conseil Représentatif dans ces années charnières comme celle de leurs articles de presse ou de leur correspondance.

Ainsi que le montrent à 1 'évidence ces textes de Bellot, de Rigaud ou de Rossi, il s'agit bien de donner des

gages t;le régénération

à la Suisse nouvelle; il s'agit bien en conséquence de mener une

politique d' adap- tation

des institutions à celles de la Suisse régénérée et de

resserrer les liens

avec cette Suisse nouvelle pour sortir Genève de 1 'isolement qui la menace et faire preuve en même temps de son patriotisme suisse.

C'est ce que nous allons voir de plus près dans une première partie.

16 Cf. Mémoires cit.(3), t. 2, Ms. suppl. 1291, pp. 8-9.

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PREMIERE PARTIE

Tout d'abord, quant à 1 'image des «gages» de régénération que Genève devrait fournir à la Suisse nouvelle, elle figure telle quelle dans la lettre que Rossi envoie de la Diète de Lucerne au Syndic J.-J. Rigaud en date des 5-6 novembre 1832 sur la publicité des séances du Conseil Représentatif:

«Il faut vous exécuter pour la publicité. Et vite. Notre réputation est sur le point d'être de nouveau contestée, si nous ne donnons pas un nouveau gage»11

De fait, c'est une

série de gages

que Genève devait offrir à la Suisse nouvelle comme Rigaud allait bien le formuler dans ses

Mémoires:

«Le seul moyen de préserver notre pays de la fièvre générale était d'introduire successivement celles des institutions adoptées par nos Confédérés qui ne compromettaient pas notre avenir; telles que 1 'élection directe, l' amovibilité, la publicité» 18

Maintenant, que la politique suisse des libéraux genevois aux affaires commence bien par prendre la forme d'une

politique d'adaptation

aux institutions de la Suisse nouvelle, de crainte que Genève ne demeure à la traîne des cantons régénérés, c'est ce qui ressort des prises de position de ces même libéraux au Conseil Représentatif dans la présentation ou la discussion des fameuses «réformes Rigaud».

Il y a tout d'abord à cet égard les propos de Bellot dans ses Rapports de Commission du Conseil Représentatif sur les projets de réforme électorale du Conseil d'Etat inspirés par Rigaud. Ainsi, dans son Rapport sur les projets de lois du Conseil d'Etat du 19 janvier 1831 introduisant l'élection directe du Conseil Représentatif, sans remettre en cause le cens électoral, Bellot se félicite-t-il de ce que 1 'initiative du Conseil d'Etat permette avec «l'existence d'un corps électoral unique de nous rapprocher par là d'institutions que le temps et les moeurs nationales avaient consacrées» 19Ainsi surtout dans son Rapport du 20 juillet 1831

17 Cf. Op. cit., supra(I4), p. 45.

18 Cf. Mémoires cit.(3), loc. cit.

19 Cf. MCR, 1830-1831 (6),

mc

année, no 32, p. 632.

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sur le projet de loi du Conseil d'Etat instaurant l' amovibilité des conseillers d'Etat, Bellot, faisant écho au Rapporteur du Conseil d'Etat s'exclamant «Comment le Canton de Genève pourrait-il faire seul exception sur le principe del 'amovibilité?»20, s'interroge avec ironie:

«Partout le grabeau a été justement flétri comme une institution dérisoire ou hostile. Il a été abandonné d'une voix unanime.

Resterons-nous le seul des cantons suisses à le défendre et à le maintenir?»21

Et il conclut:

«Partout l'exemple des cantons fidèles à l' amovibilité a éclairé les esprits. Et aujourd'hui les cantons mêmes qui en avaient dévié l'adoptent de nouveau»22

Mais il y a surtout, en fait de politique d'adaptation au nouvel ordre constitutionnel de la Régénération, le témoignage contemporain de J.-J.

Rigaud lui-même, son principal artisan, d'une part, dans sa correspon- dance de 1831, d'autre part, dans ses interventions au Conseil Représen- tatif.

Ainsi dans l'une de ses lettres

à

son beau-frère Antoine-Guillaume Fatio, alors à la Diète de Lucerne, Rigaud confie-t-ille 1er janvier 1831:

«C'est maintenant à nous, Conseil d'Etat, à faire notre devoir et notre devoir me paraît être de proposer successivement ceux des changements à la Constitution que réclame le plus l'opinion publique et qui se trouveront en harmonie avec le nouveau droit public de la Suisse»23

Plus explicitement encore Rigaud, reprenant les termes de son Rap- port au Conseil Représentatif du 8 décembre 183024, écrit

à

ce même beau-frère le 19 janvier 1831:

20 Cf. MGR, 1831-1832 (7), IVe année, n° 4, p. 58.

21 Cf.MGR,l831-1832(7),IV•année,n° 16,p.344.

22 Cf. MGR, 1831-1832 (7), IV• année, n° 16, pp. 344-345.

23 Cité par F.A. CRAMER, Op. cit., (6), p. 98.

24 Cf.MGR, 1830-1831 (5), lUC année, n° 18, p. 295: «Le Conseil d'Etat régulateur et modérateur des désirs d'innovation».

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«Je plaide pour que le Conseil d'Etat conserve sa position actuel- le, celle d'un corps promoteur et régulateur du mouvement, et pour 1 'absolue nécessité de se mettre en harmonie avec ce qu'il y aura de sage dans le nouveau droit public de la Suisse»25

Cette «absolue nécessité de se mettre en harmonie avec ce qu'il

y

aura de sage dans le nouveau droit public de la Suisse», le même Rigaud s'en fera officiellement et publiquement 1 'avocat sept mois plus tard devant le Conseil Représentatif, le 5 août 1831, lors du troisième débat relatif au projet de loi sur l'amovibilité du Conseil d'Etat:

«Je ne retracerai point l'ensemble des événements qui ont surgi sur la scène politique depuis une année. Je me bornerai à parler de la Suisse, de ce pays qui est aussi notre patrie. La Confédéra- tion a vu s'accomplir, dans son sein, des révolutions qui ont changé la face de la plupart des cantons. Genève jouissait d'une partie des institutions désirées en Suisse; mais des améliorations importantes pouvaient être faites à la Constitution. Eclairé par la chute de tant de gouvernements, le Conseil d'Etat dut porter son attention sur les points où le besoin d'améliorations se faisait sentir. Je fus de ceux qui crurent que tel était son devoir. Le premier changement qui fut proposé fut la suppression de la section électorale. Impopulaire dès son origine, cette institution était la première dont l'abrogation dût être proposée. Dans un moment où les circonstances devenaient chaque jour plus graves, en présence d'une Diète extraordinaire convoquée pour conjurer les dangers de la patrie commune, le Gouvernement sentit le besoin de dissiper tous les éléments de désunion, pour que des intérêts politiques ne vinssent pas séparer des citoyens armés pour le salut de leur pays. - Plus tard, en janvier dernier, on proposa une loi destinée à opérer de droit, comme elle l'était de fait, la séparation des pouvoirs. Enfin l'amovibilité, réclamée par des populations moins occupées de politique que la nôtre, recon- nue par les publicistes et les magistrats suisses comme un principe salutaire, l' amovibilité, principe auquel chez nous comme ailleurs on s'attachera toujours davantage, devenait une disposition qu'il fallait consacrer chez nous comme dans les autres cantons, une amélioration non moins importante, non moins populaire que les autres»26

25 Cité par F.A. CRAMER, Op. cit., (6), p. 99.

26 Cf. MCR. 1831-1832 (7), IVe année, n° 22, pp. 444-445.

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Ultime témoignage à mentionner quant à cette politique d'adaptation au nouvel ordre helvétique de la Régénération et quant à ses enjeux, c'est celui de Pellegrino Rossi en conclusion de sa lettre adressée à J.-J.

Rigaud les 5-6 novembre 1832 sur les gages que Genève devait fournir à la Suisse nouvelle en matière de publicité des débats parlementaires:

«Croyez-moi il faut prouver, et vite même, à la Suisse que nous marchons»27

Ce ne sont pas seulement, cependant, des preuves de

progrès

que Genève doit fournir, aux yeux des libéraux genevois aux affaires, par sa politique d'adaptation à la Suisse nouvelle. Ce sont également des témoignages

d'helvétisme.

Et c'est ainsi que la

politique d'adaptation

au nouveau droit public de la Suisse, dont 1 'un des maîtres-mots est bien

«le resserrement des liens avec la Suisse nouvelle» (Rigaud)28, aura pour corollaire le développement d'un véritable

patriotisme suisse

chez les hommes d'Etat libéraux du dernier venu des Cantons.

Ces protestations de patriotisme suisse, qui procèdent à 1 'évidence de la conscience qu'ont les libéraux genevois, sinon de la précarité, en tout cas de la nouveauté du statut de Genève - «ce canton si fraîchement suisse» pour reprendre les termes de Rigaud en 184429- ne ponctueront pas seulement les Discours de Saint-Pierre du Premier Syndic J.-J.

Rigaud lors de ses entrées en fonction ou de ses bilans de sortie de charge. Elles vont caractériser aussi, sinon inspirer directement, le tout nouveau «Cours d'histoire de la Suisse» que donne Pellegrino Rossi en 1831-1832 à 1 'Académie30, comme elles vont caractériser les interven- tions et rapports du même Pellegrino Rossi concernant la révision du Pacte fédéral, au premier rang desquels il faut citer son célèbre <<Rapport sur le projet d'Acte fédéral» de décembre 1832.

A cet égard, ce qui frappe dans le discours de ces grands hommes politiques libéraux, ce sont deux motifs récurrents: d'une part, l'insis- tance croissante sur la «patrie suisse»- en lieu et place de la «patrie» tout

27 Cf. G. DoLT, op. cit.(l4), loc. cit.

28 Cf. Mémoires de J.-J. Rigaud, Op. cit.(3), t.2, Ms. su pp!. 1291, p. 8.

29 Cf. Mémoires, cit., p. 9.

30 Voir à ce propos notre étude susmentionnéeHistoire et Constitlttion, Op. cit.(6), p. 434, n° 11 et pp. 441-448, complétant les développements de P. SCHAZMANN, Op.

cit.(6), pp. 107-168.

(14)

court et de «1' amour de la patrie» centré sur Genève

31 - ,

d'autre part, l'affectation d'une certaine filiation patriotique de Genève avec les

«Anciens Confédérés».

Prenons ainsi pour commencer les Discours de Saint-Pierre du Premier Syndic

J .-J.

Rigaud, tout d'abord, en ce qui concerne le motif de 1 'insistance croissante sur la patrie suisse.

En fait, le contraste est saisissant entre les derniers Discours de Saint- Pierre de 1 'époque de la Restauration sensu lata du 31 décembre 1825 au 31 décembre 1829, et ceux des premières années de la Régénération.

Alors que le Premier Syndic sortant de charge, exaltant le sens et 1 'amour de la patrie

32,

n'entend alors encore jusqu 'à fin 1829 par «notre patrie»

que «notre République» de Genève et par «l'amour de la patrie» que celui qui fut la «source de l'indépendance de Genève»

33,

l'accent se déplace dès là fin 1830 sur «la Suisse, notre chère patrie,» sur la

«commune patrie,» sur la «même patrie», celle de «tous les Suisses, nos compatriotes.»

Ainsi, dans son Discours de Premier Syndic entrant en charge le 31 décembre 1830, Rigaud commence-t-il par remarquer:

«Au milieu des événements graves qui influent si puissamment sur les destinées de plusieurs états d'Europe, la Suisse, notre chère patrie, n'a pas été exempte de ces secousses politiques, qui de temps à autre agitent les peuples ( ... )

«Quelques dissentiments ont pu exister entre des enfants d'une même patrie; mais, Très Honorés SeigneJ.Jrs, le dévouement à la Suisse et 1 'amour de la liberté, sont gravés au fond de leurs coeurs, ( ... ) les Suisses sont plus unis que jamais, dès qu'il s'agit de 1 'honneur de la commune patrie.

«Quant à Genève, Très Honorés Seigneurs, quel est celui d'entre nous qui n'a pas rendu des actions de grâces pour le bonheur dont nous avons joui jusqu'à ce jour?»34

Et c'est pour continuer:

31 Cf. entre autres le Discours de J.-J. Rigaud, Premier Syndic sortant decharge le 31 décembre 1829, MCR 1829-1830 (3), Ile année, n° 72, pp. 275-276.

32 Cf. Discours cité, MCR, Op. cit., p. 274.

33 Cf. Op. cit., pp. 278-279.

34 Cf. MCR, 1830-1831 (6), Ille année, n° 24, pp. 397-398.

(15)

«Notre voeu constant sera de contribuer à consolider le lien fédéral et l'union de tous nos compatriotes.

«Comme vingt-deuxième état agrégé à cette Confédération, qui a survécu à tant de républiques, nous concourrons de tous nos efforts à la défense de cette neutralité, beau privilège accordé au sol libre de la Suisse, privilège dont la garde nous est confiée.»35

Rigaud conclut, amorçant l'autre motif que nous évoquions à l'ins- tant:

«Nous pourrons avoir des sacrifices à faire; mais alors, comme les anciens Confédérés, Nous jurerons à Dieu: De défendre notre pays, en nous armant, au péril de nos vies et de nos biens, dans le désir de transmettre à nos enfants la liberté que nous avons reçue.»36

Voilà affirmée une forme d'allégeance au patriotisme des Anciens

Confédérés.

On retrouvera les mêmes accents, d'abord, dans son intervention au Conseil Représentatifle 5 août 1831,lors de laquelle il exalte «la Suisse, ce pays qui est aussi notre patrie» - «la Suisse, patrie commune»

37;

ensuite et surtout, dans son Discours de Premier Syndic sortant de charge à Saint-Pierre le 31 décembre 1831:

«Messieurs les Députés au Conseil Représentatif,

«Lorsqu'à pareil jour, il y a une année, la même solennité nous rassemblait dans ce temple, notre imagination préoccupée du spectacle qu'offrait alors l'Europe nous permettait difficilement de discerner tout ce que l'avenir pouvait préparer à notre commu- ne patrie. ( ... )

Si la Confédération a eu dès-lors à déplorer quelques déchirements intérieurs, qu'il nous soit permis d'en éloigner le souvenir de cette journée, pour nous rappeler seulement que les Suisses furent unanimes dès qu'il s'agit de l'honneur de la commune patrie.

Quant à l'intérieur de notre république, nous pouvons porter sur les douze mois qui viennent des 'écouler des regards satisfaits».38

35 Cf. Op. cit., loc. cit., p. 399.

36 Cf. Op. cit., loc. cit.

37 Cf. MCR, 1831-1832 (7), IV• année, n° 22, p. 444.

38 Cf. MCR, 1831-1832 (8), IV• année, n° 40, p. 725-726.

(16)

Le déplacement d'accent sur «la patrie suisse» est encore plus sensible dans le Discours de Saint-Pierre du 31 décembre 1832. Alors le nouveau Premier Syndic

J.-J.

Rigaud- après avoir célébré «la popula- tion genevoise, dont 1 'éloge peut être répété sans flatterie» et qui «S'est montrée digne de la liberté, et a vérifié cet axiome politique, que les lumières du peuple sont toujours la mesure de sa modération»

39 -

s'exclame en termes explicites:

«Appelés à vous entretenir aussi des intérêts de notre pays, qu'il nous soit permis de porter un instant nos regards sur la patrie Suisse et sur les sentiments dont nous voudrions voir tous ses citoyens animés. Mes paroles partiront d'un coeur dévoué à son pays; puissent-elles recevoir quelque autorité, et du lieu qui nous rassemble, et des souvenirs que nous retrace cette journée. Nous ne pouvons nous le dissimuler, la Suisse de 1832 a offert un spectacle qui laisse sous de tristes préoccupations les amis de la patrie. Si d'une part des constitutions nouvelles ont cimenté des liens plus intimes entre les peuples et leurs Gouvernements, d'un autre côté 1 'ordre public ne paraît pas également assuré dans toutes les parties de la Confédération. Un funeste esprit de scission s'est emparé de plusieurs cantons, dont quelques-uns ne nous avaient rappelé jusqu'à ce jour que des actes héroïques autour du berceau de la Suisse. Les sentiments hostiles continuent à régner entre les populations de frères; le découragement a saisi quelques citoyens, en un mot, le faisceau fédéral, ce symbole de 1 'union qui doit exister dans une Confédération, peut être couvert momentanément d'un voile. Voilà, Messieurs, autant de sujets d'afflictions pour des coeurs vraiment patriotes.» 40

Et Rigaud poursuit:

«Mais à Dieu ne plaise que nous cherchions à rembrunir de plus sombres couleurs ce tableau, dont la vue nous attriste. - Nous voulons vous dire maintenant quels doivent être nos motifs de sécurité, quelles peuvent être nos espérances. - Nous voulons nous associer à ces coeurs généreux qui ne désespèrent jamais de la patrie; à vous, citoyens genevois, qui proclamâtes avec ivresse notre réunion à la Suisse. Vous seriez trop malheureux si, en

39 Cf. MCR, 1832-1833 (9),

vc

année, n° 50, p. 632.

40 Cf. MCR. 1832-1833 (9),

vc

année, n° 50, p. 633.

(17)

pensant à notre commune patrie, vous disiez: Je n'y prends plus de plaisir.

Sans doute, Messieurs, les circonstances dans lesquelles se trou- ve la Suisse sont graves; ses diverses populations peuvent ne pas être toutes également éclairées sur leurs vrais intérêts ( ... ). - Jugeons le peuple suisse par l'ensemble de ses actes et non sur des faits isolés.

Ce que vous rencontrerez partout dans les populations suisses, c'est la passion de la nationalité, cette sève des peuples libres, ce sont des hommes prêts à tout sacrifier pour l'indépendance du pays.»41

Enfin Rigaud conclut sur ces deux thèmes, que nous allons aborder bientôt:

«Espérons surtout, pour cicatriser les plaies intérieures, dans les résultats de la révision du Pacte fédéral, qui a été confiée à des hommes aussi patriotes qu'éclairés ( ... ) Préparons les voies à l'examen impartial de cette nouvelle oeuvre, en combattant par- tout cet esprit de parti que les passions substituent au vrai patriotisme.»42

Insistance nouvelle sur lapa trie suisse, affirmation de la filiation des Genevois avec les Anciens Confédérés - ces deux motifs du nouveau discours patriotique des chefs de file du libéralisme genevois dès 1830 sont illustrés aussi, mais de façon exemplaire, par Pellegrino Rossi dans ses Cours comme dans ses Rapports de Commission à la Diète fédérale ou au Conseil Représentatif, voire dans ses contributions au journal «Le Fédéral».

C'est d'abord que Rossi - ainsi que 1 'a bien dit Charles Borgeaud - apparaît comme le «véritable fondateur de 1 'enseignement de 1 'histoire nationale à Genève»

43

avec le «Cours d'Histoire de la Suisse» qu'il donne à l'Académie de décembre 1831 à mi-avril1832.

44

41 Cf. Op. cit., loc. cit.

42 Ibid.

43 Cf. Chs. BORGEAUD, Un professeur patriote de la Restauration, Rossi Genevois et Suisse ( /914), Pages d'histoire nationale, Genève, 1934, p. 217.

44 Voir à ce sujet supra, n° 30.

(18)

La fonction patriotique suisse de ce nouvel enseignement, sous- jacente à travers tout le Cours, ressort clairement des propos qu'il tient à ses auditeurs le 17 avril 1832:

«J'ai beaucoup parlé de la Suisse, très peu de Genève et j'en suis sûr, les Genevois qui m'écoutent ne sont pas fâchés que j'aie donné à la Suisse dans mon travail la place que désormais ils lui accordent tous, la place du tout vis-à-vis de la partie».45

Mais si Rossi mérite d'être cité au nombre des libéraux genevois qui vont exalter la patrie suisse, c'est surtout en raison de son engagement

à

cet égard dans son «Rapport sur le Projet d'Acte fédéral» de décembre 1832. C'est dans ce texte majeur que Rossi va protester avec le plus de force de sa foi dans l'existence d'une patrie suisse:

«La patrie suisse! elle aussi, a son siège dans nos coeurs. Le nom de Suisse en est à lui seul la preuve; il est à lui seul un grand fait national. Qui sommes-nous hors de nos foyers, quel nom invo- quons-nous, de quel nom sommes-nous fiers, quelle histoire rappelons-nous, quel est le nom de notre drapeau, de nos soldats, de leur loyauté, de leur bravoure? Suisse. Ce mot domine nos diversités de langage, de moeurs, de religion, d'industrie ( ... ) c'est par ce mot, qu'aux yeux de l'étranger, notre apparence est plus nationale encore que celle des habitants de la rive droite du Rhin. Tandis que ceux-ci peuvent oublier de se dire Allemands, pour s'appeler Prussiens, Bavarois ou Saxons, 1 'enfant des Alpes s'appelle toujours Suisse, et il ne songe point à se dire l'homme de Fribourg, de Saint-Gall ou de Glaris.»46

Et c'est pour conclure:

«Oui, 1 'idée d'une commune patrie ne nous est point étrangère; le sentiment de la nationalité existe dans nos coeurs ( ... ) Ainsi, Messieurs, ces deux idées, le canton et la patrie suisse, la souveraineté cantonale et le pouvoir central, co-existent chez nous. L'une et l'autre ont leur puissance, leur empire. Mais cet empire n'est pas le même, leur puissance est inégale».47

45 Cf. P. Rossi, <<Cours d'histoire de la Suisse»,Ms. Cours univ. 412, BPU Genève, Cahier n° XVlll,f 672.

46 Cf. Rapport de la Commission de la Diète sur le Projet d'Acte fédéral, Genève 1832, pp. 17-18.

47 Cf. Op. cit., p. 19.

(19)

On retrouvera cette même affirmation de la «commune patrie» et dans ses contributions au «Fédéral» comme son compte-rendu de 1 'Essai de Cherbuliez sur le nouveau Projet d'Acte fédéral du 1er mars 183348 et dans ses interventions au Conseil Représentatif comme son Rapport sur la Diète extraordinaire de Zurich de mars 1833, daté du 24 mars 1833.

En ce qui concerne ce dernier Rapport genevois, il fait apparaître de façon significative les deux motifs que nous avons mis en évidence:

1 'insistance sur la

patrie suisse

en même temps que la filiation des Genevois avec les

Anciens Confédérés.

S'adressant aux membres du Conseil Représentatif, Rossi leur parle en effet en ces termes:

«Fiers de votre assentiment, pénétrés de cet esprit fédéral qui n'a jamais cessé et ne cessera jamais de vous animer, vos députés ont pu parler en hommes d'Etat, invoquer les hauts intérêts de la patrie suisse, inviter à la conciliation et à la paix par le meilleur de tous les arguments, par 1 'exemple. Oui, Messieurs, nous étions fiers et heureux de vous appartenir, de représenter Genève ( ... ) Croyez-le, Messieurs, votre noble conduite n'a pas été méconnue, le souvenir en est vif et profond, même aux yeux de ceux qui n'ont pas eu le courage ou la sagesse de vous imiter1 vous êtes désor- mais de vieux Suisses. Les petites passions, quelque criardes et audacieuses qu'elles puissent être, n'échappent pas au joug de la reconnaissance et du respect qui sont dus à un patriotisme sincère et à un dévouement éclairé».49

Pareilles protestations de

patriotisme suisse

ne relèveront pas cepen- dant du seul ordre des démonstrations verbales. Le prix que la Genève libérale attachera au salut de la Suisse se traduira aussi, le moment venu, face aux menaces militaires françaises lors de 1 'Affaire Louis-Napoléon en août-septembre 1838, par des démonstrations de force, mobilisation de la milice genevoise aux frontières à 1 'appui50La fermeté politique, à la Diète fédérale à fin août 1838 comme à la frontière française face aux mouvements de troupe du Baron Aymard à fin septembre 1838, vaudra aux hommes d'Etat libéraux genevois, en particulier à J.-J. Rigaud, les

48 Cf. Le Fédéral,

ne

année, no 18, 1er mars 1833, pp. 3-4.

49 Cf. Registres de la Diète 1832-1833-1834, Archives d'Etat de Genève, vol. 7, Confédération D. 7, fol. 163.

50 Cf. F. RucHoN, Op. cit.(l), pp. 247-249, etHistoire de Genève, Op. cit.(l), p. 92, ainsi que F.A. CRAMER, Op. cit., (6), pp. 223-225, et les Mémoires de lean Louis Rieu, Ancien Premier Syndic de Genève, Genève-Bâle 1870, pp. 174-176.

(20)

témoignages de gratitude et l'estime de toutes les parties de la Suisse, notamment de Zurich et de Thurgovie, voire des Suisses de l'étranger.51

J .-J.

Rigaud- à 1 'instar de son collègue vaudois Ch. Monnard à la Diète fédérale- recevra ainsi drapeaux d'honneur et médailles portant pour inscriptions: «Aux gardiens de 1 'honneur national», «Aux fidèles Suisses en reconnaissance des paroles dignes de nos Ancêtres»52

Ainsi justement reconnue et consacrée, jusque dans certains de ses motifs majeurs

-1

'adaptation au droit public de la Suisse nouvelle, d'un côté, le sens de la patrie, de

1

'honneur national et la filiation aux héroïques ancêtres de

1

'autre -la politique suisse des principaux chefs du libéralisme genevois ne saurait se réduire pour autant à la prestation de ces

garanties

de régénération et d'helvétisme. C'est que les libéraux genevois ont également des

atouts

à faire valoir en politique suisse, atouts qui peuvent se résumer dans leur

expérience

de la politique du

progrès gradue.

A telle enseigne que

1

'autre volet de la politique suisse des libéraux genevois va tenir pour

1

'essentiel dans l'extension à la Confédération de la politique du progrès graduel avec ses maîtres-mots:

l'attentisme

et la

modération.

C'est ce que nous allons examiner de plus près dans notre deuxième partie.

DEUXIEME PARTIE

Pour ce qui est du second volet de la politique suisse des libéraux genevois, force est, pour la commodité de l'exposé, de distinguer deux plans, qui sont en réalité étroitement imbriqués. Il s'agit, d'une part, des Affaires fédérales, dont la question centrale- que Rossi qualifiera dans le premier numéro du «Fédéral» à mi-mars 1832 de «véritable question suisse»53 -est celle du sort du Pacte fédéral de 1815 en pleine Régéné- ration. Et il s'agit, d'autre part, du plan des Affaires cantonales, à savoir des troubles locaux qui suscitent 1 'attention de la Diète, voire 1' interven-

51 Cf. F.A. CRAMER, Op. cit., (6), p. 231.

52 Cf. F.A. CRAMER, Op. cit., pp. 231-232.

53 Cf. P. Rossi, «Question Suisse», in Le Fédéral, Ière année, n°l, 16mars 1832, p. 4.

(21)

tion fédérale, dans les Cantons de Bâle, de Schwytz et de Neuchâtel.

C'est sans doute sur le plan des Affaires fédérales proprement dites que la politique des libéraux genevois se révèle avec le plus de netteté comme le

prolongement de la politique genevoise du «progrès graduel»

avec ses caractéristiques propres: 1

'attentisme

et la

modération.

Rien ne le montre mieux que les aléas de la politique adoptée à 1 'égard de 1 'idée d'une révision totale du Pacte fédéral de 1815 telle qu'elle est proposée par le Canton de Thurgovie pour la Diète ordinaire de juillet 1831, puis, après son renvoi, telle qu'elle est reprise par les Cantons régénérés lors de la Diète extraordinaire de juillet 1832.

En une première phase préliminaire, c'est d'abord une véritable fin de non-recevoir que le Gouvernement du Premier Syndic Rigaud, large- ment appuyé par le Conseil Représentatif, oppose à la proposition thurgovienne de Révision du Pacte fédéral, en donnant en juin 1831 les Instructions suivantes à sa députation à la Diète:

«Les députés, tout en reconnaissant que le Canton de Genève est loin de penser que le Pacte fédéral ne soit pas susceptible d'améliorations, exprimeront les doutes que le Canton éprouve sur 1 'opportunité de la demande et sur le mode de révision proposé.

Quant à 1' opportunité ils insisteront:

1 o Sur ce qu'avant d'établir de nouveaux rapports entre les autorités fédérales et les autorités cantonales, il est nécessaire d'attendre que celles-ci soient définitivement assises; ( ... ) 3° Sur ce qu'un travail immédiat de révision, et l'aveu qu'il supposerait de 1 'insuffisance et des vices du Pacte fédéral actuel, auraient inévitablement l'effet d'affaiblir la force de celui-ci, d'en relâcher les liens, au moment même où les circonstances politiques, tant intérieures qu'extérieures, exigent impérieuse- ment de se raHier à ce Pacte, sans lui porter la moindre atteinte.

Quant au mode proposé, les députés exprimeront que le canton de Genève ne partage pas l'opinion qu'une révision totale du Pacte fédéral, portant sur tous les points dont il se compose, soit ni la meilleure ni la plus sûre marche à suivre pour parvenir au but désiré d'améliorer la constitution fédérale; mais qu'il estime que 1 'on doit chercher à y parvenir par des changements graduels, portant sur des points déterminés et introduits en Diète successi- vement, à mesure que 1 'opinion publique se .sera éclairée et formée. ( ... )

Les députés déclareront, qu'en l'état et par ces motifs, le Canton

(22)

de Genève ne saurait appuyer la demande du canton de Thurgovie, tendant à une révision générale du Pacte.»54

Si la perspective de «changements graduels» et ponctuels, «introduits en Diète successivement, à mesure que l'opinion publique se sera éclairée et formée», illustrant bien l'esprit de la politique du progrès graduel, ouvre la porte à 1' admission du principe d'une révision partielle et progressive du Pacte fédéral, le principe formel du

maintien

et du

respect du Pacte fédéral

commande encore la

politique suisse des libéraux genevois

jusqu'au début de l'année 1832.

A preuve les déclarations de P. Rossi au Conseil Représentatif à 1' appui du maintien de la garantie fédérale à la Constitution bâloise en date du 11 février 1832:

«Nous sommes tous d'accord sur le respect que nous devons au Pacte fédéral.( ... ) Je l'avoue, l'avenir de la Suisse s'assombrit à mes yeux, et s'illui reste une ancre de salut au jour de l'orage, elle la trouvera dans le Pacte ou bien elle ne la trouvera nulle part.

(

...

)

Mais ce Pacte n'est-il pas perfectible? Oui, Messieurs, comme toutes les choses de ce monde, il attend de la main du temps des améliorations diverses. Mais est-ce dans ce moment qu'il faut y toucher? Est-ce lorsqu 'à chaque instant la Suisse peut être appe- lée à agir de concert, qu'il faut rompre ce faisceau, sauf à le serrer plus tard. Mais plus tard sera-t-il temps encore? Non, Messieurs, aujourd'hui le Pacte fédéral doit être pour les Suisses 1

'Arche

Sainte: honte et malheur à qui y portera la main! Le Pacte, voilà notre étoile polaire à tous. Qui suivrions-nous, si nous abandon- nons ce guide protecteur?55

Le ton et 1 'attitude des libéraux genevois vont cependant changer dès mars 1832, inaugurant alors un

premier temps fort

de leur politique fédérale du progrès graduel: celle de l'admission du

principe

de la révision du Pacte fédéral, mais de sa réalisation par la voie d

'unerévision partielle.

A cet égard, c'est sans doute Rossi qui va précisément donner le ton, d'une part, dans son intervention du 8 mars 1832 au Conseil Représen- tatiflors du débat sur le projet d'Instructions pour la Diète extraordinaire

54 Cf. MCR, 1831-1832 (7), IVe année, n° 29, p. 532.

55 Cf. MCR, 1831-1832 (8), IVe année, n° 47, pp. 916-918.

(23)

de mars 183256, d'autre part et surtout, dans le premier article de sa collaboration au «Fédéral» du 16 mars 1832, intitulé «La Question Suisse»57, enfin, dans son intervention au Conseil Représentatif du 27 juin 1832, lors du débat sur le projet d'Instructions pour la Diète fédérale de juillet 183258

Au Conseil Représentatif d'abord, défendant le Projet d'Instructions à la députation genevoise pour la Diète extraordinaire de mars 1832, Rossi définit en quelques phrases, le 8 mars 1832, la nouvelle politique des libéraux genevois en matière de révision du Pacte fédéral:

«Le système politique de Genève est simple: nous voulons le progrès, le progrès pour toutes les institutions fédérales, mais par les voies régulières, sans violence, sans blesser les droits de personne. Quand la question sera nettement posée, et qu'on saura précisément ce qu'on veut, Genève saura montrer qu'elle n'est ni stationnaire ni rétrograde.»59

Ensuite, dans sa première contribution du journal «Le Fédéral» du 16 mars 1832, Rossi sera beaucoup plus explicite en en appelant directe- ment à «une révision propre à cimenter de plus en plus 1 'union fédérale», du fait des conséquences fédérales des Affaires cantonales:

«Jusque-là les questions n'étaient que cantonales. Des XXII Cantons, les uns avaient opéré leur réforme politique par la Révolution, les autres avaient préféré demeurer dans le statu quo;

quelques-uns, Genève en particulier, avaient écarté à la fois le statu quo et la Révolution, le gouvernement ayant prit 1 'initiative de la réforme( ... )

Cet état de choses fut altéré d'abord par les événements de Bâle et de Neuchâtel, événements postérieurs à la proclamation des nouvelles constitutions de ces Etats ( ... )

Mais indépendamment des troubles et des dangers dont les évé- nements de Bâle et de Neuchâtel ont paru menacer une grande partie de la Suisse, ces questions sont devenues des questions absolument fédérales. Elles se sont adressées directement à la Diète et à la Confédération, dès que le mot de séparation à été

56 Cf. MCR, 1831-1832 (8), IVe année, n° 54, p. 1041.

57 Cf. Op. cit. (53), Le Fédéral, le année, n° 1, 16 mars 1832, pp. 3-4.

58 Cf. MCR, 1832-1833 (9),

ve

année, n° 13, pp. 140-141.

59 Cf. MCR, 1831-1832 (8), IVe année, n° 54, p. 1041.

(24)

prononcé, à Bâle pour séparer de ce Canton un certain nombre de communes, à Neuchâtel pour délier ce Canton de ses obligations d'Etat confédéré.

Il était impossible qu'un mouvement cantonal si profond et si étendu n'exerçât pas à la longue quelque influence sur la Confé- dération toute entière. Pour qu'au milieu de tant de commotions, le Pacte fédéral fût à l'abri de toute attaque, pour qu'aucun désir de réforme ne se fît sentir, il aurait fallu posséder un Pacte fédéral presque irréprochable. Le Pacte suisse est loin d'être parfait.

Qu'on ajoute à ses imperfections l'excitation des esprits, l'in- fluence des circonstances, et qu'on s'étonne ensuite de voir s'élever des difficultés aussi graves. ( ... )

A vouons-le, la question s'est élevée tout naturellement; elle est un effet des circonstances, des événements antérieurs; on devait s'y attendre. ( ... )

Les Cantons mécontents reconnaissent sans doute les imper- fections du Pacte. Qu'on pose nettement la question, qu'on la discute par les voies régulières, qu'on les invite à réunir leurs suffrages à ceux des Cantons qui pourraient désirer d'aviser aux moyens d'arriver à une révision totale ou partielle du Pacte, à une révision propre à cimenter de plus en plus 1 'union fédérale. On leur prouve que la demande n'est pas intempestive, qu'il y a en Suisse assez de calme, assez de conciliation dans les esprits pour ne pas craindre qu'à la première annonce d'un projet de révision le lien commun se brise, et, nous le pensons, il ne seront pas sourds à la voix de la raison et de la vérité. Le progrès est leur principe.

Mais ils ne sauraient compromettre ni leurs droits, ni leur avenir, ni 1 'avenir de la Suisse.»60

Enfin, dans le débat au Conseil Représentatif du 27 juin 1832 relatif aux Instructions de la députation genevoise pour la Diète de juillet, Rossi prendra fait et cause pour une révision du Pacte fédéral et une révision limitée.

Ainsi, après avoir déclaré:

«Ûn ne pourrait méconnaître 1 'état réel des affaires en Suisse sans compromettre les intérêts les plus chers de Genève. La révision est l'objet de l'instante sollicitude d'un assez grand nombre de Cantons. C'est la question qui provoque aujourd'hui le plus de mouvement.»61,

60 Cf. Op. cit., in Le Fédéral, Op. cit., loc. cit., (57).

61 Cf. MCR, 1832-1833 (9),

v•

année, n° 13, p. 140.

(25)

Rossi poursuit en déterminant en ces termes la nouvelle politique libérale de Genève:

«Le canton de Genève, étranger jusqu'ici aux débats des partis, aussi éloigné de 1 'impatience des uns que de l'aveugle résistance des autres, est bien placé pour essayer de l'influence de la raison politique; mais pour cela, il faut qu'il garde cette attitude neutre.

Il ne faut pas qu'il paraisse céder à contre-coeur, et avec le désir secret de n'arriver à aucun résultat.

Cette attitude lui ferait perdre toute confiance; mieux vaudrait se prononcer nettement pour le rejet de toute modification au Pacte.

Le mot désir, dans les instructions, n'a rien de déplacé. La députation de Genève, vingt-deuxième canton, appelée à parler après toutes les autres en Diète, viendra dire, après avoir entendu des propositions fort exagérées peut-être sur cette question, que le désir du canton est que, en fait de changements au Pacte, on s'attache à ceux qui auront pour eux la sanction de l'expérience.

Ce n'est donc pas une révision quelconque que nous désirons, mais des modifications fondées sur l'expérience. Le désir que nous exprimons, nous l'opposons à ces voeux exagérés qui négligent les faits pour ne rêver que des utopies.»62

Mais il n'y a pas que Rossi à plaider le principe et 1' opportunité d'une révision du Pacte fédéral, encore entendue comme une révision limitée et partielle. Il y a aussi Bellot, qui, dans la même séance du Conseil Représentatif du 27 juin 1832, et presque dans les mêmes termes, affirme 1 'opportunité d'une révision du Pacte limitée aux améliorations rendues nécessaires et fondées sur l'expérience:

«La révision du Pacte n'est pas une idée nouvelle: chaque année porte avec elle la preuve que, sur plusieurs points, le Pacte est susceptible d'améliorations. La question de la révision sera donc soumise à la Diète; c'est un des chefs de la circulaire instruction- nene. Notre canton, appelé à s'expliquer sur la convenance d'une révision, exprimera le désir de voir apporter au Pacte les améliora- tions dont l'expérience aura prouvé la nécessité. C'est la premiè- re partie de 1 'instruction.

Viendra ensuite la question du mode de procéder. Evidemment un travail de cette nature ne peut qu'être renvoyé à une Commission.

Mais il importe d'écarter l'idée d'une Commission composée de membres étrangers à la Diète; il importe surtout d'écarter l'idée

62 Cf. Op. cit., p. 141.

(26)

d'une Constituante. L'instruction devra donc exprimer que l'ob- jet doit être renvoyé à une Commission tirée de la Diète.»63

Comme les Instructions finalement votées en Conseil Représentatifle 27 juin 1832, d'une part, éviteront de qualifier formellement 1 'objet à l'ordre du jour de la Diète de «révision du Pacte» - «expression qui semblerait impliquer une révision totale»64 - au profit de la formule pragmatique des «améliorations et modifications du Pacte dont l'expé- rience aura justifié le besoin»6

S.

et que, d'autre part, elles confèreront, à la .suggestion de Bellot, les «pleins pouvoirs pour voter sur toutes les questions relatives à la forme de procéder»66, les chefs de file du libéralisme genevois, après s'être fait les avocats d'une

révisionpartiel- le,

finiront par se rallier à la décision d'une révision

totale

du Pacte par une Commission de la Diète de 15 membres au sein de laquelle siégera P. Rossi.

Dès lors, la politique fédérale des libéraux genevois se présentera en un

second temps

comme une

politique de modération,

inspirée par des principes de

neutralité

entre les camps extrémistes et

deprogrès mesuré

dans les réformes à opérer sur le plan fédéral. Et c'est encore une fois Rossi qui en apparaît le plus éloquent et le plus clair porte-parole dans ses interventions au Conseil Représentatif au début mars 1833.

Cherchant à définir précisément la politique de Genève qu'il a menée à la Diète comme dans la Commission de révision du Pacte, dans le débat relatif aux Instructions de la députation genevoise sur le nouveau Projet d'Acte fédéral le 6 mars 1833, Rossi commence par définir le premier principe qui a commandé la politique genevoise, celui de la

neutralité:

«Or, Messieurs, je dirai comment j'ai compris le système politi- que de Genève, et comment je le conçois encore ( ... ) J'ai cru et je crois fermement que la Suisse était divisée en deux camps; l'un.

ayant pour devise et pour bannière la reconstitution totale de la Suisse, au moyen d'une forte centralisation et d'un pouvoir révolutionnaire; l'autre voulant le statu quo, he demandant rien à l'avenir que le maintien du passé( ... )

63 Cf. Op. cit., p. 129.

64 Cf. Op. cit., n° 12, p. 122.

65 Cf. Op. cit., n° 13, p. 143.

66 Cf. Op. cit., n° 13, p. 130.

(27)

Entte les partisans de la Constituante fédérale et ceux du statu quo, Genève, progressive, mais non révolutionnaire, a dû garder la neutralité. C'est ce qu'elle a fait d'abord, attendant que la mêlée se fût éclaircie, que les positions se fussent dessinées, que le moment d'agir fût venu. Mais cette neutralité par laquelle elle devait débuter, y a-t-elle persévéré? Elle aussi n'a-t-elle pas senti qu'elle avait une attitude à prendre dans cette crise de la pa- trie?( ... )

Oui, Messieurs, Genève est sortie et a dû sortir de sa neutralité.»67

Si Genève a dû ensuite abandonner le principe de la neutralité, c'est, poursuit Rossi, pour défendre un second principe, le principe du pro- grès, tel qu'il avait été entendu dans le Canton: c'est explicitement formulée l'extension du progrès graduel du plan cantonal genevois au plan fédéral:

«Genève a fait sentir qu'elle n'était point ennemie du progrès, mais qu'elle l'entendait à l'égard de la Confédération, comme elle l'avait entendu à l'égard du canton; qu'elle n'était point ennemie du mouvement, mais du mouvement régulier; qu'elle ne se refusait point à marcher en avant comme elle l'avait fait pour ses institutions cantonales, et qu'elle était prête à donner la main aux amis du progrès pourvu qu'ils y marchassent d'un pas mesuré, pourvu que l'allure de la Confédération dans cette voie fût comme avait été celle du canton dans la même carrière, sage et réglée.

Ainsi Genève a dit aux partisans du mouvement: je me joindrai à vous, mais à condition que vous n'irez que jusque là. Je ne peux vous suivre passé cette limite. Voilà ce que Genève a fait, voilà selon moi ce qu'elle a dû faire.»68

Retraçant alors les étapes de cette politique modérée de neutralité, puis de progrès, Rossi rappelle:

«Vint enfin la commission du Pacte. On voulait une Constituante fédérale, votre députation a parlé et voté contre. On voulait une commission prise hors de la Diète: elle a parlé et voté contre, et dans le sein de la commission on voulait l'inégale représentation, une Cour fédérale de cassation pour les 22 Cantons etc . . . le député de Genève a parlé et voté contre( ... ) Ainsi, Messieurs, le

67 Cf. MCR, 1832-1833 (10),

v•

année, n° 78, p. 1153.

68 Cf. Op. cit., p. 1154.

(28)

canton est resté fidèle au système qu'il avait annoncé; il a résisté toutes les fois qu'on voulait dépasser la ligne jusqu'à laquelle il avait promis son concours. Il a appuyé toutes les fois qu'on restait en-dedans de cette ligne. Le résultat de cette marche a été le projet que vous avez discuté.»69

Résumant en une formule la politique fédérale des libéraux genevois, Rossi conclut alors:

«C'est dans cette marche mesurée, tendant à ralentir le pas des uns, à accélérer un peu celui des autres, que s'est manifesté, selon moi, le système politique du canton de Genève.»70

Prenant par ailleurs quelque distance à 1 'égard de cette politique dans un Mémorandum rédigé à Paris en 1833 à 1 'intention des milieux diplomatiques7

1,

Rossi notera avec pertinence:

«Les cantons modérés comprirent qu'il était urgent d'essayer un système d'influence raisonnable et de donner une nouvelle direc- tion aux Affaires de la Confédération. Il s'agissait, d'un côté, d'attirer à soi par des concessions équitables les cantons qui demandaient à grands cris un nouveau système fédéral, de 1 'autre, de circonscrire le travail de la révision de manière que les bases de la Confédération restassent les mêmes, que rien ne fût changé au droit public extérieur de la Suisse et que les modifications

69 Cf. Op. cit., pp. 1154-1155.

7

°

Cf. Op. cit., p. 1155.

71 Découvert dans les Archives britanniques duPublic Record Office, ce mémoran- dum a été exhumé et publié pour la première fois par R.H. VôGELI, dans sa thèse d'histoire, Die schweizerische Regeneration von 1830 bis 1840 in der Beleuch- tung englischer Gesandtschaftsberichte, Diss. phil. Zurich, Weida i. Thür 1924, Anhang, pp. 248-269. Sur les origines, les circonstances, la teneur et la portée de ce mémorandum demeuré dans 1 'oubli quelques indications chez R.H. V ôGELI, Op.

cit., pp. 102-103, ainsi queL. LEDERMANN, Op. cit.(6), p. 106 et J. Chs. BIAUDET, La Suisse et la Monarchie de Juillet 1830-1838, Lausanne 1941, p. 106, n.5, qui a retrouvé plusieurs exemplaires de ce document aux Archives du Ministère français des Affaires Etrangères à Paris, Fonds Mémoires et Documents, France, 736: 203. Pour un commentaire plus substantiel de ce document, voir maintenant A. DuFOUR, «Un «Mémoire inojficiel» peu connu de Pellegrino Rossi sur la situation politique intérieure de la Suisse au début de la Régénération», in Festschrift für Claudio Saliva zum 65. Geburtstag, hrsg. C. Schott-E. Petrig- Schuler, Zurich 1994, pp. 81-107.

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