Mesure de Lebesgue et repr´esentation de Riesz
On donne dans ce texte une d´ emonstration unifi´ ee et auto-contenue des th´ eor` emes d’extension de Caratheodory et de repr´ esentation de Riesz. Le premier permet en particulier d’´ etendre uniquement une probabilit´ e d´ efinie sur une alg` ebre de parties d’un ensemble ` a la σ-alg` ebre qu’il engendre. Il m` ene ` a une construction imm´ ediate de la mesure de Lebesgue sur r0, 1s et donc de la mesure de Lebesgue sur R
d. Tout ceci est expliqu´ e dans la section 2. L’unicit´ e dans le th´ eor` eme d’extension repose sur un ´ enonc´ e qui fait l’objet de la section 1, qui permet de v´ erifier que tous les ´ el´ ements d’une σ-alg` ebre ont une propri´ et´ e donn´ ee, caract´ eris´ ee par leur appartenance ` a une classe de parties. L’´ enonc´ e de repr´ esentation de Riesz affirme que la for- mule Epf q “ ş
f pxq Ppdxq , pour f P C
cpR
dq , d´ efinit une bijection entre l’espace des probabilit´ es sur R
det l’espace des formes lin´ eaires continues de norme 1 sur l’espace C
cpR
dq des fonctions continues ` a support compact, muni de la norme du supremum. Ceci est expos´ e dans la section 3.
1 – Classe monotone
On fixe dans cette partie un ensemble Ω dont on consid` ere des familles de sous-ensembles.
Un λ-syst` eme (de Ω) est une famille de parties de Ω stable par compl´ ementation et r´ eunion finie ou d´ enombrable disjointes. Un π-syst` eme (de Ω) est une famille de parties de Ω stable par intersection finie. Une famille de parties de Ω qui est ` a la fois un λ-syst` eme et un π-syst` eme est donc une σ-alg` ebre (= une tribu). On note σp P q la plus petite σ-alg` ebre contenant une famille P de parties d’un ensemble donn´ e ; on parle de σ-alg` ebre engendr´ ee par P . Pensez ci-dessous ` a L comme la famille des parties de Ω ayant une certaine propri´ et´ e.
Lemme 1 . Soit L un λ-syst` eme et P un π-syst` eme. Si P Ă L alors σp P q Ă L.
Tous les ´ el´ ements de σpP q ont donc la propri´ et´ e caract´ erisant L si les ´ el´ ements de P ont cette propri´ et´ e.
D´ emonstration – Notons L p P q le plus petit λ-syst` eme contenant P. Il nous suffit de voir que c’est un π-syst` eme ; ce sera alors une σ-alg` ebre qui contiendra P donc σp P q . Pour montrer que A X B P L p P q pour tout A, B P L p P q , on montre d’abord que la famille
A; A X B P L p P q, @ B P P (
est un λ-syst` eme qui contient P – elle contient donc L p P q ; c’est ´ el´ ementaire. La famille B
1; A
1X B
1P L p P q, @ A
1P L p P q (
contient donc P , et forme un λ-syst` eme. Elle contient donc LpP q, ce qui est la conclusion recherch´ ee. B L’´ enonc´ e pr´ ec´ edent est dˆ u ` a Dynkin. On utilisera dans notre d´ emonstration du th´ eor` eme de repr´ esentation de Riesz la version ‘fonctionnelle’ suivante du lemme de Dynkin.
Th´ eor` eme 2 . Soit H un espace vectoriel de fonctions born´ ees d´ efinies sur Ω, contenant la fonction constante 1, et stable par convergence croissante born´ ee. Si H contient une famille G stable par multiplication alors H contient l’ensemble des fonctions born´ ees mesurables par rapport ` a la tribu engendr´ ee par G.
D´ emonstration – On montre sans mal que la famille L :“ tA ; 1
AP Hu est un λ-syst` eme en cons´ equences de hypoth` eses faites sur H. Notons P la famille des parties de Ω de la forme
f
1P I
1, . . . , f
nP I
n( , pour n ě 1, des fonctions r´ eelles f
iP G, et I
ides intervalles de R. C’est un π-syst` eme. ´ Etant donn´ e un ´ el´ ement de P , d´ esignons par c un majorant com- mun ` a f
1, . . . , f
n, et notons avec Weierstrass pP
kiq
kě0une suite de polynˆ omes convergeant ponctuellement et de facon born´ ee sur l’intervalle r´c, cs vers l’indicatrice 1
Ii, pour chaque 1 ď i ď n. Les f
i´ etant dans la famille ‘multiplicative’ G, on d´ efinit un ´ el´ ement de G, donc de H, en posant g
kpωq :“ P
k1pf
1pωqq ¨ ¨ ¨ P
knpf
npωqq. Ces derni` eres convergent ponctuelle- ment de facon croissante et born´ ee vers l’indicatrice de l’ensemble f
1P I
1, . . . , f
nP I
n( , qui est donc un ´ el´ ement de L puisque la famille H est stable par convergence born´ ee. Le lemme de Dynkin nous assure alors que σp P q Ă L. On a par d´ efinition σpGq :“ σp P q . On conclut en rappelant que toute fonction f born´ ee mesurable par rapport ` a σpP q est limite
1
2
croissante born´ ee des fonctions ř
k
k2
´n1
k2´năfďpk`1q2´n, lorsque n croit ind´ efiniment, en utilisant ` a nouveau que la famille H est stable par convergence born´ ee. B
2 – Mesure de Lebesgue
Je rappelle qu’une fonction additive r´ eelle µ sur une alg` ebre de parties de Ω est une fonction µ sur A telle que µpAYBq “ µpAq`µpBq lorsque A et B sont des ´ el´ ements disjoints de l’alg` ebre.
Th´ eor` eme 3 . Soit pΩ, F q un espace mesurable, A Ă F une alg` ebre et µ : A Ñ r0, 1s une fonction additive telle que µpHq “ 0 et µpΩq “ 1, et pour toute suite pA
nq
ně0d’´ el´ ements de A d´ ecroissant vers l’ensemble vide on a µpA
nq Ñ 0. Alors µ s’´ etend de facon unique en une probabilit´ e sur σp A q .
Cet ´ enonc´ e est dˆ u ` a Caratheodory. Notez que la propri´ et´ e satisfaite par µ ´ equivaut ` a avoir µpY
ně0A
nq “ ř
ně0
µpA
nq , pour toute suite d’´ el´ ements A
nde A disjoints deux ` a deux, de r´ eunion Y
ně0A
nun ´ el´ ement de A. On dit que µ est σ-additive sur A. Je rappelle qu’une pseudo-m´ etrique v´ erifie tous les axiomes d’une m´ etrique hormis le fait que deux ´ el´ ements ` a distance nulle co¨ıncident. Je rappelle aussi la notation B∆C :“ pB Y CqzpB X Cq .
D´ emonstration – Unicit´ e. La collection des ´ el´ ements de σpAq sur lesquels deux extensions possibles co¨ıncident ´ etant un λ-syst` eme, deux mesures sont ´ egales sur σpAq si elles co¨ıncident sur A d’apr` es le lemme de Dynkin, lemme 1 – une alg` ebre est en particulier un π-syst` eme.
Existence. Notons PpΩq la famille des sous ensembles de Ω. On d´ efinit sur PpΩq la mesure ext´ erieure µ associ´ ee ` a µ par la formule
µpBq :“ inf
"
ÿ
ně0
µpA
nq ; B Ă ď
ně0
A
n, A
nP A
*
, @ B P PpΩq.
Replacant les A
npar A
nz Ť
nk“0
A
ksi n´ ecessaire, on peut toujours supposer les A
ndisjoints dans cette d´ efinition. On voit que la fonction µ est croissante et telle que µ `Ť
ně0
B
n˘ ď ř
ně0
µpB
nq, pour toute suite pB
nq
ně0d’ensembles de Ω – on dit que µ est σ-sous additive. Pour A P A, l’infimum d´ efinissant µpAq co¨ıncide avec l’infimum portant sur des partitions pA
nq
ně0de A. Il s’ensuit que µpAq ď µpAq, et donc µpAq “ µpAq, pour A P A, puisque µ est σ-additive sur A. On v´ erifie qu’on d´ efinit une pseudo-m´ etrique sur l’ensemble PpΩq de toutes les parties de Ω en posant
dpB, C q “ µpB ∆Cq.
Puisque µ est sous additive et B Ă ` B∆C ˘
Y C pour tous sous ensembles B, C de Ω, on a ˇ ˇµpBq ´ µpCq ˇ
ˇ ď µpB ∆Cq “ dpB, C q,
si bien que µpBq “ µpCq si dpB, C q “ 0. On d´ efinit A
µcomme la famille des sous ensembles de Ω qui peuvent ˆ etre approch´ e arbitrairement bien par des ´ el´ ements of A pour la pseudo-distance d.
En d’autres termes, A
µest le compl´ et´ e de A pour la pseudo-distance d. On a bien sˆ ur A Ă A
µ. L’application 1-Lipschitz µ admet donc un prolongement unique ` a A
µ.
Lemme 4 . La famille A
µest une σ-alg` ebre sur laquelle µ est additive.
Si l’on admet un instant ce r´ esultat, on a donc σpAq Ă A
µ, et on dispose sur A
µd’une application µ croissante, additive et σ-sous additive. Elle v´ erifie donc pour tout r´ eunion disjointe pA
nq
ně0d’´ el´ ements de A
µet tout N ě 0 l’in´ egalit´ e ř
Nn“0
µpA
nq ď µpY
ně0A
nq ď ř
ně0
µpA
nq. On en d´ eduit que µ est σ-additive sur A
µ. Sa restriction ` a σpAq est une probabilit´ e ´ etendant µ. On d´ emontre maintenant le lemme.
‚ On commence par d´ emontrer le caract` ere additif de µ sur A
µ. Prenons deux ´ el´ ements dis- joints B et C de A
µ, une constante ε ą 0, et notons A
Bet A
Cdes ´ el´ ements de A tels que d `
B, A
B˘ , d `
C, A
C˘
ď ε. Comme ils satisfont l’in´ egalit´ e µpA
BX A
Cq ď 2ε, la sous additivit´ e de µ nous donne
max
´ d `
B, A
BzpA
BX A
Cq ˘ , d `
C, A
CzpA
BX A
Cq ˘ ¯
ď 3ε.
3
Il s’ensuit que
µpBq ` µpCq ě µpB Y Cq ě µ `
AzpA
BX A
Cq Y AzpA
BX A
Cq ˘
´ 3ε ě µpB q ` µpCq ´ 5ε,
ce dont on tire la conclusion puisque ε ą 0 est arbitraire.
‚ Il est clair que A
µest stable par compl´ ementation. On v´ erifie que A
µest stable par r´ eunion d´ enombrable disjointe ; cela implique que A
µest stable par r´ eunion ou intersection d´ enombrable, et qu’il s’agit donc d’une σ-alg` ebre. ´ Etant donn´ e ε ą 0 et une suite pB
nq
ně0d’´ el´ ements de A
µdisjoints deux ` a deux, associons ` a chaque B
nun A
nP A tel que dpA
n, B
nq ď 2
´n´1ε. Comme µ est additive sur A
µon a ř
Nn“0
µpB
nq “ µ ´ Ť
Nn“0
B
n¯
ď 1, pour tout N ě 0, si bien que ř
něN`1
µpB
nq ď ε, pour N assez grand. Pour un tel choix de N on a d
ˆ ď
ně0
B
n, ď
n“0..N
A
n˙ ď d
ˆ ď
ně0
B
n, ď
n“0..N
B
n˙
` d ˆ
ď
n“0..N
B
n, ď
n“0..N
A
n˙
ď µ ˆ
ď
něN`1
B
n˙
` µ ˆ ! ď
n“0..N
B
n)
∆
! ď
n“0..N
A
n) ˙
ď ε ` µ ˆ
ď
n“0..N
pB
n∆A
nq
˙ ď ε `
N
ÿ
n“0
2
´n´1ε ď 2ε.
L’arbitraire sur ε ą 0 montre que Ť
ně0
B
nest un ´ el´ ement de A
µ. B
A titre d’exemple, regardons l’espace ` Ω “ t0, 1u
Net son alg` ebre A des parties ‘cylindriques’
ω “ pω
nq
ně0; ω
i“ a
i, @ i P I (
, o` u I est un sous ensemble fini de N et les a
iP t0, 1u fix´ es.
Cette alg` ebre est d´ enombrable. Chaque partie cylindrique est ` a la fois ouverte et ferm´ ee, donc compacte, pour la topologie produit. Une intersection d´ ecroissante de parties cylindrique d’intersection vide est donc vide ` a partir d’un certain rang, si bien qu’une fonction additive d´ efinie sur A v´ erifie automatiquement la condition µpA
nq Ñ 0, du th´ eor` eme d’extension. La σ-alg` ebre engendr´ ee par les ouverts ´ el´ ementaires donn´ es par les parties cylindriques s’appelle la tribu borelienne.
Th´ eor` eme 5 . Toute fonction additive sur A d´ efinit une unique probabilit´ e sur la tribu bore- lienne de t0, 1u
N.
On d´ efinit une fonction additive sur A en posant
µpAq :“ 2
´|I|, pour A “ ω “ pω
nq
ně0; ω
i“ a
i, @ i P I (
On note µ
bNla probabilit´ e associ´ ee d´ efinie sur la tribu borelienne de t0, 1u
N. La mesure image de µ
bNpar l’application pω
nq
ně0Ñ ř
ω
n2
´n´1P r0, 1s , est la mesure de Lebsegue sur l’intervalle r0, 1s . (Elle attribue ` a chaque segment dyadique la mesure attendue, et ces derniers forment une alg` ebre engendrant la tribu borelienne de r0, 1s, engendr´ ee en permier lieu par les ouverts de r0, 1s .) Il est ´ el´ ementaire de construire ` a partir de l` a la mesure de Lebesgue sur R et R
d.
3 – Repr´ esentation de Riesz
Notons C
cpR
dq l’ensemble des fonctions r´ eelles continues ` a support compact, d´ efinies sur R
d, muni de la norme du supremum. Notez que la σ-alg` ebre sur R
dengendr´ ee par C
cpR
dq co¨ıncide avec la tribu borelienne de R
d.
Th´ eor` eme 6 . Soit E : C
cpR
dq Ñ R une forme lin´ eaire positive de norme 1. Il existe une unique probabilit´ e P sur la tribu borelienne de R
dtelle que Epf q “ ş
fpxq Ppdxq , pour toute f P C
cpR
dq .
D´ emonstration – On v´ erifie d’abord que des conditions analogues ` a celles du th´ eor` eme de
Caratheodory sont satisfaites ici. On a bien Ep0q “ 0, et on ´ etend E ` a l’ensemble R
4
des fonctions constantes en posant Ep1q “ 1. Cette extension ` a C
cpR
dq ‘ R est toujours lin´ eaire positive et de norme 1. La σ-additivit´ e de E sur C
cpR
dq est automatique ! Toute suite d´ ecroissante de C
cpR
dq convergeant vers 0 ponctuellement vers 0 converge en fait uniform´ ement - c’est un ´ enonc´ e ´ el´ ementaire dˆ u ` a Dini. Comme E est positive et born´ ee en tant qu’op´ erateur, il s’ensuit que les Epf
nq d´ ecroissent vers 0. La σ-additivit´ e de E sur C
cpR
dq ‘ R s’ensuit.
On peut alors copier mot ` a mot la d´ emonstration du th´ eor` eme d’extension de Caratheodory, avec C
c`pR
dq Y R dans le rˆ ole de l’alg` ebre A, l’ensemble des fonctions r´ eelles positives sur R
ddans le rˆ ole de P pΩq , et l’op´ eration f ∆g :“ f ` g ´ 2f ^ g dans le rˆ ole de A∆B . On d´ efinit pour f ě 0
Epf q :“ inf
"
ÿ
ně0
Epf
nq ; f ď ÿ
ně0