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Géographie Économie Société : Article pp.37-62 du Vol.8 n°1 (2006)

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Géographie, économie, Société 8 (2006) 37-62

GÏOGRAPHIE ÏCONOMIE SOCIÏTÏ GÏOGRAPHIE ÏCONOMIE SOCIÏTÏ

Combattre l’exclusion sociale par l’empowerment : le cas de l’Allemagne

Combating social exclusion through empowerment : the case of Germany

Margit Mayer*

John F. Kennedy Institute, Freie Universität Berlin, Lansstrasse 7-9, 14195 Berlin

Résumé 

Cet article analyse l’élaboration et la mise en oeuvre du programme Soziale Stadt, de même que les effets des récentes réformes de l’aide sociale et du marché du travail sur les stratégies de mobili- sation et de participation dans la lutte contre l’exclusion sociale. La première section est consacrée au contexte de la transformation des politiques sociales locales. Elle décrit la nouvelle géographie des besoins sociaux dans les villes allemandes ainsi que le rôle accru de l’engagement civique et de la participation locale dans les politiques traitant de ces besoins. Les sections suivantes présentent les principaux résultats découlant de la mise en œuvre du programme Soziale Stadt et des nouvelles poli- tiques d’emploi par les organismes sans but lucratif. Dans les deux cas, on peut constater que l’accent mis sur la qualité de citoyen actif et sur l’action sociale locale joue un rôle profondément ambigu.

© 2006 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

Summary

This article discusses both the design and implementation of Soziale Stadt program as well as effects of the recent welfare and labor market reforms in terms of the role their activation and partici- pation strategies play in combating social exclusion. In a first section, the context of the transforma-

*Adresse email : mayer@zedat.fu-berlin.de

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tion of (local) social policies is sketched, highlighting the background of the new geography of social need in German cities as well as the increasing role for civic engagement and local activism

in the policies dealing with these needs. The following sections present, in turn, findings from the implementation of the ‘Social City’ program and from the implementation of the new employment policies through nonprofits. In both of these policy fields, the focus on ‘active citizenship’ and

‘social localism’ is found to play a profoundly ambivalent role.

© 2006 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

Mots clés : pauvreté, urbanisme, économie sociale, Allemagne Keywords: poverty, urban politics, social economy, Germany

Introduction

En Allemagne, la restructuration progressive mais généralisée des politiques sociales et en matière d’emploi ainsi que la mise en place à la fin des années 1990, de programmes de lutte contre l’exclusion sociale sur une base régionale ont eu pour objectif et de mobiliser le « tiers secteur » et de valoriser l’économie sociale. Ils cherchaient à encourager et à responsabiliser les groupes sociaux à faible revenu et les communautés marginalisées. Cette orientation concer- nant la lutte contre la pauvreté est l’expression d’une vaste réforme menée par le gouvernement social-démocrate qui, à la fin des années 1990, au moment où le chômage touchait, pour la première fois, plus de quatre millions de travailleurs et était devenu le sujet majeur de la cam- pagne électorale de 1998, a alors élaboré le concept d’« Etat activateur » pour reformuler le mode d’intervention sociale-démocrate traditionnel. Selon ce concept, l’État doit promouvoir et faciliter l’action de ses citoyens plutôt que leur offrir des mesures sociales qui renforcent leur passivité. Bien qu’il s’agissait en premier lieu de transformer les politiques publiques de l’Etat fédéral, comme condition préalable à la participation des citoyens (van Berkel et Roche 2002), elle a été au cœur de la stratégie du Parti social-démocrate (SPD) dans le but d’éveiller le sens moral de la nouvelle classe moyenne d’électeurs tout en suscitant la participation active des chômeurs, censés être passifs, dans la lutte contre le chômage (Hombach 1998)1. A l’instar des dynamiques identiques observées aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne (voir les articles de Marie-Hélène Bacqué et John Flint dans ce même numéro), la quête d’une « troisième voie » a pris une teinte conservatrice en faisant appel à davantage de responsabilisation de la part des citoyens. L’injonction à la réciprocité (« pas de droits sans responsabilités », selon la formu- lation d’Anthony Giddens 1998 : 65) constitue un élément crucial de l’« Etat activateur » qui tout à la fois « soutient et exige » (Fördern und Fordern), pour reprendre le slogan officiel. La réciprocité est devenue le principe clé de la nouvelle approche allemande en matière de politi- que visant la régulation du marché de l’emploi (Hombach 1999 : 44), liant toutes les mesures sociales dont bénéficient certaines personnes à des obligations spécifiques en retour. De plus, l’« Etat activateur » vise à rendre plus flexible le marché de l’emploi, principalement du côté de l’offre (Blair et Schröder 1999 : 889), et à développer le secteur des services peu rétribués (Heinze et Streeck, 2000). Exprimé dans un vocabulaire nouveau, où des termes traditionnels

1 Bodo Hombach, qui a le premier formulé ce concept, a été conseiller de Gerhard Schröder et ministre du premier gouvernement de coalition formé du SPD et des Verts.

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comme « pauvreté » et « égalité » sont remplacés par « exclusion sociale » et « cohésion sociale », ce changement de politique repose sur l’hypothèse que l’exclusion sociale est mieux combattue en faisant travailler les personnes en difficulté aptes au travail plutôt qu’en visant plus d’égalité de revenu, donc, en intégrant les bénéficiaires d’aide sociale dans des program- mes de recherche d’emploi.

La relance du marché du travail et la réforme du régime d’aide sociale en Allemagne, qui découlant de cette réorientation et de la mise en œuvre des propositions de la Commission Hartz (2003-2005), ont des conséquences non seulement sur les bénéficiaires des programmes sociaux, mais aussi sur les organismes qui mettent en œuvre ces programmes, notamment les associations sans but lucratif du secteur de l’économie sociale qui aident les personnes à la recherche d’un emploi, surtout celles rencontrant de grandes difficultés à intégrer le marché du travail. De nombreux organismes sont de nature communautaire, soit parce qu’ils sont le résultat d’initiatives locales, soit parce qu’ils ont pour mission de s’impliquer dans certains quartiers urbains relégués où les pauvres et les chômeurs sont de plus en plus nombreux et vivent dans un environnement urbain caractérisé par une dégradation physique accélérée.

Les organismes sans but lucratif qui s’occupent de ces groupes démunis sont maintenant confrontés à une nouvelle concurrence de la part d’organismes privés à but lucratif et à de nouvelles contraintes découlant des nouveaux cadres opératoires fixés par l’Etat qui pren- nent la forme de contrats. Ils doivent également fournir à leurs « clients » de meilleurs outils d’épanouissement personnel, alimenter et utiliser le capital social et les potentialités endogè- nes du milieu, de même que, à titre de partenaires de la société civile, s’engager dans de nou- veaux partenariats locaux avec les municipalités, les bureaux de placement et les acteurs du secteur privé. Globalement donc, l’accent est mis sur les structures de participation à chaque étape de la mise en œuvre de la réforme de l’aide sociale et du marché du travail.

Un autre programme, lui aussi nouveau, est encore plus explicite en ce qui concerne la participation des citoyens démunis et des organisations communautaires. Il s’agit, pour la première fois, d’un programme axé sur le territoire, établi en 1998 par le gouvernement fédéral de concert avec les Länder, dans le but de s’attaquer aux nouvelles formes d’iné- galités et de marginalisation urbaines concentrées dans certains quartiers paupérisés. La mise en œuvre de ce programme appelé Soziale Stadt, qui vise les quartiers ayant particu- lièrement besoin d’être régénérés, a débuté en 1999 dans le but d’améliorer les conditions de vie des résidants grâce à une « politique de développement urbain efficace qui favorise l’intégration » (Döhne et Walter 1999 : 25). À bien des égards, ce programme est compa- rable à ceux mis en place dans d’autres pays européens depuis les années 1980, notam- ment la National Strategy for Neighborhood Renewal en Grande-Bretagne et, en France, la politique de Développement social des quartiers et les Régies des quartiers. Tous ces programmes visent la responsabilisation et l’empowerment des groupes démunis vivant dans des quartiers précis et, par le fait même, une meilleure cohésion au sein des villes2.

2 En plus de ces formes de participation contre l’exclusion sociale qui sont juridiquement encadrées par l’Etat, les formes spontanées et bénévoles de mobilisation continuent d’exister, entre autres, les services sociaux et les nombreux organismes du secteur de l’économie sociale qui, sans être systématiquement engagés dans les programmes gouvernementaux, offrent des services aux populations démunies. Toutefois, le présent article traite exclusivement de la participation et de l’empowerment préconisées dans les nouvelles politiques gouver- nementales.

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Cet article analyse l’élaboration et la mise en oeuvre du programme Soziale Stadt, de même que les effets des récentes réformes de l’aide sociale et du marché du travail sur les stratégies de mobilisation et de participation dans la lutte contre l’exclusion sociale.

La première section est consacrée au contexte de la transformation des politiques sociales locales. Elle décrit la nouvelle géographie des besoins sociaux dans les villes allemandes ainsi que le rôle accru de l’engagement civique et de la participation locale dans les poli- tiques traitant de ces besoins. Les sections suivantes présentent les principaux résultats découlant de la mise en œuvre du programme Soziale Stadt et des nouvelles politiques d’emploi par les organismes sans but lucratif. Dans les deux cas, on peut constater que l’accent mis sur la qualité de citoyen actif et sur l’action sociale locale joue un rôle pro- fondément ambigu.

1. Le contexte de la compétitivité structurelle et ses effets sur les villes allemandes L’actuelle mondialisation de l’économie est le résultat de différents processus simul- tanés qui ont tous une incidence sur l’évolution des villes. Le transfert de pans entiers de la production industrielle de l’Europe de l’Ouest et de l’Amérique du Nord vers les pays en voie d’industrialisation, le rôle grandissant que joue le capital, surtout le capital financier, en tant qu’élément moteur de l’économie mondiale, l’accélération de l’expan- sion des entreprises multinationales et des oligopoles ainsi que le processus parallèle de restructuration organisationnelle, les dynamiques d’intégration continentale comme la construction européenne, tous ces facteurs contribuent à remplacer les systèmes des relations internationales fondés sur l’Etat nation par des blocs régionaux et des accords mondiaux visant un secteur précis (Moulaert et al. 2000). L’évolution économique et sociale des villes dépend de plus en plus de leur degré d’intégration et de leur type d’in- sertion dans cette économie mondiale.

En Allemagne, ces tendances s’incarnent dans l’expression Standort Deutschland qui fait figure de leitmotiv dans le discours politique allemand depuis les années 1990. Au sens littéral, le mot Standort ne signifie rien de plus que « lieu ». Cependant, l’utiliser dans le contexte actuel renvoie à la logique de captation des investissements et, impli- citement, à la concurrence structurelle de ce lieu par rapport à d’autres lieux possibles à l’intérieur ou à l’extérieur du territoire national. Le terme fait donc référence à différentes réalités géographiques car il se prête aisément à une déclinaison multiscalaire : il peut s’agir de l’économie nationale (Standort Deutschland), des économies régionales (Bade- Wurtemberg, Bavière, Saxe, etc.) ou des économies urbaines (Berlin, Francfort, Munich, etc.). A travers toute l’Allemagne, les grands débats sur les politiques socio-économiques et la restructuration institutionnelle sont axés autour de la question importante suivante : dans quelle mesure une politique ou une institution donnée contribue-t-elle à la compéti- tivité structurelle d’un Standort précis ou la mine-t-elle? Ainsi, les différents niveaux de gouvernement sont en situation de concurrence afin d’attirer sur leur territoire les formes mobiles du capital. La poursuite d’une Standortpolitik implique donc diverses stratégies à travers lesquelles les institutions étatiques, à tous les échelons, cherchent à atteindre cet objectif (Brenner 2000).

L’avenir de la Standort Deutschland fait l’objet de débats marqués par le fait que l’éco- nomie allemande est devenue non compétitive en raison de ses coûts salariaux indirects et

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de ses impôts élevés ainsi que de son système de régulation complexe. Dans ce contexte, la dérégulation est perçue comme la solution à la stagnation de l’économie allemande.

En conséquence, le concept de Standort est assimilé à une politique néolibérale visant à réduire les mesures de protection sociale et à promouvoir les pressions concurrentielles sur les institutions politiques et les intervenants sociaux.

De plus, la notion de Standort est exclusivement géographique puisqu’elle renvoie à l’ensemble des capacités de production, des actifs socio-économiques et des configura- tions institutionnelles caractéristiques d’un territoire donné. Elle postule non seulement la délimitation d’espaces compétitifs particuliers, c’est-à-dire des zones territoriales clés dont il faut faire valoir les avantages comparatifs, mais aussi la constitution de politiques et d’institutions spécifiques qui renforceront les avantages compétitifs d’un milieu, qu’il s’agisse de politiques d’emploi et de marché du travail, de politiques sociales ou de déve- loppement économique ; l’ensemble de ces dynamiques conduisant au renforcement de la différentiation spatiale. Les villes et les régions étant perçues comme les principaux moteurs de la croissance économique et des espaces clés en matière de compétitivité et d’innovation, elles jouent un rôle de plus en plus important dans la recherche de compro- mis économiques, politiques ou sociaux susceptibles d’être appropriés au contexte d’une concurrence de plus en plus internationalisée (Brenner 2004).

Bien qu’elles ne soient pas capables de changer leurs politiques aussi librement que ne le font les entreprises dont les logiques de développement doivent néanmoins tenir compte des incitatifs produits par les villes, les administrations municipales ont tout de même un certain pouvoir et une certaine marge de manœuvre. En effet, elles fonctionnent aujourd’hui comme des institutions capables de s’adapter avec souplesse aux conditions changeantes de la concurrence, grâce à un interventionnisme économique efficace et à la production de politiques locales menées en partenariat avec un large éventail d’interve- nants non gouvernementaux.

Ces priorités et ces nouveaux rôles des administrations municipales ont des impacts sur les politiques sociales locales. Dans le but de rendre les citoyens « actifs et produc- tifs », les villes choisissent en effet de délaisser le versement direct de prestations sociales pour leur préférer des politiques visant à rendre le marché du travail plus flexible, notam- ment par le biais de la valorisation de l’économie sociale. Dans ce processus, elles occu- pent une position stratégique en ce qui concerne l’élaboration de programmes d’emploi sociaux novateurs en vue de renforcer le capital humain endogène et, donc, améliorer la compétitivité de leur territoire. Cette dynamique implique aussi une coopération accrue entre les organisations de la société civile, les organismes étatiques et les institutions privées. Ces partenariats publics-privés et l’ensemble des nouveaux contrats qu’ils impli- quent avec toutes sortes d’organisations, y compris les organisations communautaires et les organismes confessionnels ou d’autres types d’ONG et d’organismes sans but lucratif, visent de plus en plus à renforcer l’entrepreneuriat.

Ainsi, l’insertion des villes allemandes dans l’économie-monde se traduit par la mise en place de politiques urbaines compétitives et entrepreneuriales, de même que par une ouverture très nette aux acteurs de la société civile. À ces deux réalités s’en ajoutent deux autres découlant de la transformation structurelle et des réorientations politiques actuel- les : l’intensification des inégalités sociales et la remise en question des droits à l’aide sociale, qui conduisent au renforcement des nouveaux processus d’exclusion (Mayer,

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1994). Elles ont été exacerbées en Allemagne au moment où l’élan faisant suite à l’unifi- cation s’est ralenti et où l’ouverture de l’Europe de l’Est a intensifié la concurrence géo- graphique, les régions allemandes devant désormais affronter la concurrence d’autres vil- les allemandes offrant, sur le même territoire national, de très bas salaires. Par ailleurs, les villes sont devenues la destination privilégiée d’importants flux de travailleurs migrants, de réfugiés fuyant les guerres civiles européennes et d’immigrants illégaux provenant de l’Europe de l’Est ou de pays en voie de développement.

Ces changements ont généré un ensemble de problèmes inextricables : les immigrants pau- vres cherchant à s’établir dans les centres-villes, alors que les ménages à revenu moyen ou élevé les quittaient pour s’installer en banlieues, que les activités manufacturières étaient délocalisés, entraînant le licenciement de salariés de longue date ; le secteur des services ne compensant pas les pertes d’emplois. Le nombre de chômeurs3 et de bénéficiaires d’aide sociale4 n’a cessé de croître depuis 1993. Les budgets des municipalités ont été considérablement affectés par cette tendance lourde : leurs revenus issus des impôts locaux ont diminué, alors que leurs dépenses augmentaient de beaucoup, essentiellement les dépenses sociales5.

Le chômage croissant contribue à la nouvelle polarisation urbaine et ce, non seulement du fait de son niveau6 et de sa transformation en chômage de long terme, mais aussi et surtout parce que sa concentration territoriale et sa combinaison avec d’autres formes de discrimination structurelle a généré des quartiers urbains confronté à une spirale dans laquelle la dégradation économique, sociale et de l’environnement bâti, l’aggravation de la pauvreté et l’exclusion permanente du marché du travail se conjuguent pour produire des effets dévastateurs. Les problèmes liés au marché du travail, résultats à l’origine de la mondialisation de l’économie, sont renforcés par les difficultés liées à l’accès au loge- ment et le cumul d’autres formes de désavantages sociaux, culturels et politiques. Quel qu’il soit, le potentiel d’intégration que présentent les quartiers pauvres est structurelle- ment miné par la combinaison de ces dynamiques qui ont pour conséquence de produire une nouvelle géographie urbaine en matière de besoins sociaux (Kronauer 2002).

Dès 1994, les maires des 8 plus grandes villes d’Allemagne ont, dans un appel pressant, alerté l’opinion publique sur les risques liés à l’aggravation de la polarisation socio-spatiale . Leur manifeste intitulé « Sauver nos villes dès maintenant » soulignait l’émergence de ghettos

3 En 1993, le nombre de chômeurs inscrits (sans compter ceux bénéficiant de programmes de recher- che d’emploi) se chiffrait à 3,4 millions, en 1997, à 4,3 millions; aujourd’hui, en 2005, à 5,2 millions (cf.

Bundesagentur für Arbeit 2005; tageszeitung, 1er mars 2005, p. 1).

4 Le nombre de bénéficiaires d’aide sociale a commencé à croître au début des années 1980. En 1982, il s’élevait à plus d’1 million pour la première fois en Allemagne depuis 1945 ; en 1991, il dépassait les 2 millions.

Ce nombre a diminué de 450 000 en 1994, lorsque les demandeurs d’asile ont fait l’objet d’un autre programme que celui de l’aide sociale, mais il a continué de croître au cours des années suivantes, atteignant 2,76 millions en 2002, soit une augmentation de 3,3 % (cf. Statistisches Bundesamt 2003, p. 7-9). Depuis l’adoption de la Hartz IV, les ex-bénéficiaires d’aide sociale et les ex-prestataires d’assurance-emploi (1,46 million en 2000) sont intégrés dans de nouvelles catégories de bénéficiaires ou de prestataires (voir plus loin). En janvier 2005, les bénéficiaires de la nouvelle ALG II et les prestataires de Sozialgeld représentaient 6,8 % de la population (cf.

Sozialpolitik-aktuell.de, 2005).

5 Les villes de l’Allemagne de l’Ouest ont subi une baisse de revenus encore plus élevée en raison des transferts budgétaires accordés à l’Allemagne de l’Est.

6 Le taux de chômage à l’échelle nationale a atteint 12,6 % en mars 2004, mais il existe d’importants écarts à l’échelle régionale: il est de 7,2 % dans Baden-Württemberg et de 23,6 % dans Mecklenburg-Vorpommern.

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de pauvreté au cœur des villes et de taudis dans les couronnes urbaines. Il mettait également en garde contre l’exacerbation de conflits, déjà observables à l’époque, entre les îlots de pauvreté et, à proximité, les quartiers au charme sophistiqué où s’étalait la richesse (Läpple 1996).

Ces nouveaux problèmes urbains – concentration des chômeurs dans certains quartiers, pauvreté, criminalité et mauvaise qualité de vie – étant considérés comme des obstacles potentiels à la compétitivité non seulement des villes mais aussi du pays dans sa totalité, les élus politiques ont réagi par le biais de la promulgation de nouvelles mesures, dont une visant proprement l’exclusion sociale, s’ajoutant au registre entrepreneurial qui était déjà utilisé à partir des années 1980. Alors que ces politiques pro-actives continuent d’absorber une partie importante des ressources publiques et se concrétisent à travers certains grands projets urbains, la formation de technopoles ou encore l’attraction dans les villes alleman- des des groupes sociaux à haut revenu (Jessop 1998; Harloe 2001; Brenner 2003), de nou- veaux dispositifs ont également vu le jour à la fin des années 1990 en prenant pour cible les nouveaux quartiers marginalisés. Ces programmes intégrés définissent et formatent des espaces précis, généralement à l’échelle du quartier, en tant que premier niveau de lutte contre l’exclusion sociale. Tout d’abord élaborées dans certains Länder puis généralisées à l’ensemble de l’Etat fédéral en 1998 dans le cadre du programme Soziale Stadt, ces actions visent le développement intégré de quartiers délaissés par le secteur privé, négligés par le développement urbain et dans lesquels la désaffiliation sociale et le manque d’infrastructu- res entraînent des désavantages cumulatifs (Moulaert 2000; Alisch et Dangschat 1998).

2. Le programme allemand Soziale Stadt et la question de l’empowerment

Dans la présente section, nous analysons la version allemande du développement urbain intégré tout d’abord en retraçant son historique et son insertion dans la politique nationale qui la façonne et la rend différente des programmes britannique et français comparables. En second lieu, à partir d’études de cas, notamment celle de Berlin, et de la manière dont la mise en œuvre du programme fonctionne à l’échelle locale ou des quartiers, nous tirons certaines conclusions quant au rôle que joue l’empowerment dans les programmes territorialisés de lutte contre la pauvreté.

2.1. Conception et structure du programme

Le programme allemand Soziale Stadt a été conçu comme un élément de la loi allemande sur le développement urbain qui oriente la modernisation des villes d’Allemagne depuis les trente dernières années7. Cette modernisation a pris différentes formes au cours des décennies. Durant les années 1970, elle s’est concrétisée à travers des opérations de rénovation urbaine, c’est-à-dire par la démolition de vieux loge- ments et la construction de nouvelles habitations et infrastructures publiques. Durant

7 Le Städtebauförderung (le développement urbain) se fait surtout par des investissements dans la réfection des rues et des trottoirs ou dans l’édification d’infrastructures sociales telles que les centres jeunesse, mais non dans les personnes. L’accent est donc mis sur l’entretien des structures urbaines. Dans la logique initiale de la Loi, les répercussions sociales étaient des conséquences non intentionnelles d’un processus de planification d’abord technique.

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les décennies suivantes, l’accent a été mis sur la réhabilitation et la régénération des quartiers. Actuellement, on met l’emphase sur la revitalisation qui implique non seulement la rénovation du parc de logements et des infrastructures matérielles, mais aussi la régénération des infrastructures économiques, écologiques et sociales. Au cours de ces phases, la participation a joué des rôles différents en tant qu’instrument de politique publique. Les années 1960 et le début des années 1970 ont été marquées par les problèmes liés à la croissance économique et de la population, que les élus ont cherché à canaliser d’une manière uniforme dans tout le pays par des projets de planification et de construction d’infrastructures matérielles de grande échelle.

Durant la dernière moitié des années 1970, l’environnement résidentiel avait déjà besoin d’être protégé de ce qui semblait être les conséquences négatives des pres- sions exercées par les investissements des promoteurs immobiliers : la participation a alors constitué un instrument de protection contre ces pressions. Toutefois, depuis les années 1990, la stagnation, et non plus la croissance, exige des interventions stratégiques. L’hétérogénéité des besoins, le niveau de concentration spatiale de la pauvreté et le cumul de désavantages nécessitent des politiques à petite échelle plu- tôt que des politiques d’ensemble, déclinées uniformément sur l’ensemble du ter- ritoire national. La participation vise actuellement non pas la réalisation de projets d’infrastructures, mais plutôt la mobilisation des ressources civiques pour réaliser de petites améliorations dans toutes sortes de domaines (IfS 2004; Walther 2005).

Durant ses premières années d’existence (1999 et 2000), le programme Soziale Stadt a utilisé 26 des 358 millions d’Euros du fonds de développement urbain dispo- nible pour aider les quartiers particulièrement démunis; en 2001 et 2002, ce montant s’élevait à près de 77 millions d’euros. Le gouvernement fédéral assume environ le tiers des coûts du programme, les Länder et les municipalités prennent en charge la différence (153 millions d’Euros), soit un total annuel d’environ 230 millions d’euros (DIFU 2002). Ces fonds sont distribués aux Länder en fonction de la population, d’in- dicateurs sur la qualité des logements, du taux de chômage et de la proportion de résidants immigrants. Ils doivent être investis dans le développement urbain novateur et durable dans le cadre de stratégies de régénération intégrées. Le programme est actuellement mis en œuvre dans 363 zones urbaines situées dans 252 villes, chacune recevant en moyenne 1 million d’euros8.

Le programme allemand présente les mêmes caractéristiques que les programmes semblables appliqués plus tôt en Grande-Bretagne et en France, ainsi que les divers pro- grammes de l’Union européenne et les projets pilotes réalisés grâce au FSE (Fonds social européen) et au FEDER (Fonds européen de développement régional). Il tend à briser la spirale de la dégradation par les moyens suivants :

• appliquer des politiques visant des territoires précis plutôt que des secteurs d’activités (même si la plupart des administrations municipales travaillent encore dans le cadre d’une logique sectorielle) ;

• chercher à intégrer les programmes des divers ministères, à la fois verticale- ment (à l’échelle des Länder) et horizontalement (entre les divers organismes

8 Ces données sont celles de décembre 2004, extraites le 5 février 2005 du site Internet http://www.

sozialestadt.de/gebiete/.

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gouvernementaux travaillant dans des secteurs stratégiques différents), et à impliquer les intervenants du secteur privé ;

• lancer des projets qui visent simultanément plusieurs objectifs comme la rénovation et la construction ainsi que des objectifs sociaux, culturels et économiques ;

• rendre actifs et responsabiliser les groupes démunis résidant dans un quartier donné9.

Le renforcement du potentiel endogène des quartiers défavorisés doit principale- ment se faire par la coopération entre les intervenants des secteurs public et privé.

Parmi ces acteurs, les principaux sont les organismes locaux du secteur de l’éco- nomie sociale ou tiers secteur. Pour gérer un tel projet, on met sur pied une équipe et un bureau de gestion du quartier (Quartiersmanagement) composés de représen- tants d’organismes sans but lucratif et/ou d’entreptrises de planification et de déve- loppement. Contrairement aux organismes intermédiaires qui, dans les politiques précédentes10 servaient d’interface entre l’administration municipale et le quartier, les organismes de développement sans but lucratif occupent désormais une posi- tion privilégiée et ont vu s’accroître leur ressources budgétaires. Ils sont cependant soumis à un cadre réglementaire précis et contraignant élaboré par l’administration fédérale (Bernt et Fritsche 2005).

Le programme allemand, contrairement aux programmes semblables en Grande- Bretagne et en France, n’est pas suffisamment doté pour fonctionner d’une manière aussi large et intersectorielle. Le rôle des administrations municipales est de proposer, en com- binant des fonds provenant d’autres secteurs stratégiques, des programmes globaux qui intègrent les aspects sociaux dans le cadre d’une logique technique qui caractérise la loi sur le développement urbain. Le cadre législatif11 qui régit le programme Soziale Stadt est doublement contraignant :

• sa dimension technique et l’accent mis sur les investissements matériels sont en contradiction avec le nouvel objectif qui est d’aider la société locale en mobilisant et en responsabilisant les personnes démunies ;

• sa conception bureaucratique descendante est également en contradiction avec la coopération et la coordination qu’il est censé encourager. Ainsi, la tension créée entre l’administration, considérée comme n’étant qu’un acteur parmi d’autres et qui, pourtant, porte toute la responsabilité de l’opération, et les autres acteurs constitue

9 L’empowerment des résidants des quartiers démunis est un objectif explicite du programme Soziale Stadt qui énoncent que « les résidants ne participent pratiquement pas à la vie politique ». Par conséquent, contrai- rement aux programmes de développement urbain précédents, le programme Soziale Stadt a comme objectif principal de « motiver les résidants à participer aux projets, à s’engager dans les associations et à s’organiser eux-mêmes sur une base permanente » (ARGEBAU 2000, site visité le 30 avril 2005). L’évaluation provisoire du programme (après 4 ans d’existence) indique que rendre les citoyens actifs et les faire participer constituent des buts complémentaires car l’objectif essentiel est « au-delà de la stimulation la capacité d’auto-organisation des résidants, est d’en amener un plus grand nombre à participer à la prise de décisions touchant leurs quartiers » (IfS 2004 : 122). Tous les Länder ont souscrit à cet objectif, mais certains le réalisent en mettant en place des structures de participation, tandis que d’autres s’emploient davantage à rendre les citoyens plus actifs indivi- duellement (IfS 2004).

10 Par exemple dans la politique intitulée « Rénovation urbaine prudente » [Behutsame Stadterneuerung]

menée à Berlin durant les années 19 0 (Bernt 2003).

11 Il fait partie de la disposition 171e du Code du bâtiment. Les objectifs énoncés dans cette disposition ne précisent pas comment « soutenir ces milieux souffrant de maux sociaux » (IfS 2004 : 179).

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une limite structurelle12.

Par conséquent, le programme allemand revêt une contradiction indépassable : alors qu’il oblige l’administration municipale et le secteur de l’économie sociale à expérimen- ter et à mettre au point de nouveaux partenariats, par exemple en sous-traitant avec les Quartiersmanagement, il fait superviser ces initiatives locales par le gouvernement fédé- ral. Si les problèmes de développement urbain ont profondément changé, ainsi que la perception qu’on en a, le cadre institutionnel demeure essentiellement le même qu’aupa- ravant. Accorder de l’aide financière au développement urbain (Städtebauförderung) et, simultanément, appeler les villes à abonder cette aide en mettant sur pied des projets et des programmes de nature sociale et en élaborant de nouveaux modèles d’organisation crée une politique hybride faite d’une ancienne politique devenue inadéquate et d’une nouvelle qui n’a pas encore fait la preuve de son efficacité (Walther 2002; 2005). Parce que le gouvernement fédéral fournit un cadre juridique restrictif et des ressources insuf- fisantes pour atteindre les objectifs visés, le programme Soziale Stadt constitue principa- lement un appel aux organismes locaux pour qu’ils associent lutte contre la pauvreté et innovation organisationnelle.

2.2. Le rôle de la participation sur le terrain : définir les questions non conflictuelles à traiter et réaliser des projets à court terme

L’examen de la situation de Berlin permet de mieux comprendre le rôle de l’empowerment dans la mise en œuvre du programme Soziale Stadt. De 1999 à 2004, 109 millions d’euros ont été investis dans 17 quartiers, dont 18,1 millions provenant du gouvernement fédéral;

42,9 millions de l’Union européenne et 48 millions de la municipalité de Berlin13.

Il est difficile de présenter les activités complexes dans lesquelles ces fonds ont été investis. Le programme Soziale Stadt, qui décrit pourtant de façon très précise les nou- veaux problèmes lié au renouvellement urbain, reste vague sur la manière dont il doit être mis en oeuvre14. Au lieu d’indiquer de manière concrète les actions à mener, il se borne à mentionner le cadre opératoire à utiliser en mettant l’accent sur la dimension « intégrée »,

« exhaustive » et en « réseau » des projets à réaliser ainsi que sur la synergie découlant de la participation des citoyens. En conséquence, l’identification des objectifs spécifiques

12 L’administration demeure l’acteur principal puisqu’elle dispose des fonds, les gère et décide de la manière dont ils seront utilisés, par exemple en définissant les frontières d’un territoire jugé démuni. Par ailleurs, elle n’est qu’une intervenante parmi tous les acteurs qui contribuent à la solution d’un problème social et politique, chacun comptant sur les ressources propres à tous les autres (Walther 2005).

13 Ces chiffres ne comprennent pas les fonds additionnels provenant de programmes destinés à améliorer l’environnement résidentiel (WUM West et WUM Ost). En raison de sa très mauvaise situation financière, Berlin s’est vue allouer 15,8 millions d’euros en 2005 (Senatsverwaltung für Stadtentwicklung Berlin 2005).

14 Les objectifs énumérés sont très généraux. Quant aux principes directeurs, ils sont au nombre de six : 1) faire revivre la vie de quartier en établissant des bureaux de gestion et des conseils de quartier qui organi- seront des activités communautaires et offriront du soutien à des activités d’entraide; 2) soutenir l’économie locale, surtout en luttant contre le chômage par la création d’emplois dans le secteur secondaire; 3) renforcer la vie urbaine et les services de proximité en établissant des centres de voisinage; 4) améliorer les infrastructures sociales, culturelles et éducatives, surtout pour les enfants, les jeunes, les femmes et les personnes âgées (les immigrants ne sont pas mentionnés); 5) revitaliser l’environnement résidentiel et mieux identifier les locataires et leur zone de résidence; 6) améliorer l’aspect écologique du quartier (ARGEBAU 2000).

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est laissée aux organismes chargés de la mise en œuvre du programme et est devenue la fonction essentielle des Quartiersmanagement qui déterminent les besoins et les attentes des résidants des quartiers et les intègrent dans des programmes dits « stratégiques ». On peut ainsi considérer que les autorités en charge de la planification urbaine abdiquent leur responsabilité, ou du moins, ont reconnu que les instruments dont elles disposent ne peuvent résoudre les problèmes complexes des quartiers défavorisés.

Les objectifs spécifiques ne sont pas définis plus clairement au niveau local. Par exem- ple, à Berlin, aucun des programmes établis pour les 17 quartiers ne mentionne d’objec- tifs précis (Senatsverwaltung für Stadtentwicklung Berlin 2005). Tous font état d’une panoplie de projets à réaliser : rénovation du parc de logements et de ses infrastructures (par des entreprises offrant des stages de travail et de formation), enseignement de l’al- lemand, projets de création théâtrale, services de sécurité, traitement de la toxicomanie, projets susceptibles d’améliorer la communication au sein du quartier, notamment l’or- ganisation de fêtes à l’occasion de Noël et de ventes collectives dans les rues. Les projets réalisés peuvent être groupés en trois catégories :

• ceux qui améliorent l’aspect physique, matériel et esthétique du quartier;

• ceux qui tentent de relancer le développement économique;

• ceux qui concrétisent des idées exprimées dans le cadre des procédures locales de participation.

Aucun des projets ne semble faire partie d’un plan stratégique à long terme; ils ont tous une perspective à court terme et sont relativement faciles à réaliser. Autrement dit, les objectifs sont définis de manière ponctuelle, non pas en fonction d’un plan. Ils sont élabo- rés à partir de ce que les opportunités locales permettent de réaliser. En conséquence, les anciens programmes « Top-Down » (par exemple ceux dans le domaine de la rénovation et de la réhabilitation) établis par les responsables de la planification, qui visaient à élever à une qualité moyenne les logements d’une aire de rénovation précise et qui appliquaient les mêmes principes directeurs et les mêmes instruments à toutes les mesures de rénova- tion, sont remplacés par de nombreux projets disparates et ponctuels sélectionnés à partir du critère de la probabilité de leur réussite (Bernt et Fritsche 2005).

Le rôle des habitants dans ce processus ne consiste plus à participer à la planification et à la prise de décision en faisant partie des divers conseils de rénovation urbaine, mais plu- tôt à contribuer à mettre en valeur leur propre potentiel, à réaliser des projets locaux ainsi qu’à développer et à consolider des réseaux de voisinage (Klimke 2001). Cette dynamique peut se concrétiser par le biais d’ateliers de planification ou de conférences de quartier permettant de susciter des projets ou, comme c’était le cas à Berlin il y a quelques années, par l’investissement d’un fonds de 500 000 euros par quartier pour encourager l’enga- gement civique bénévole des résidants et des autres intervenants (SenStadt 2005; Bernt et Fritsche 2005). Des comités composés de représentants d’organismes et de résidants du quartier doivent décider des projets à réalisés avec ce fonds. En réalité cependant, ce sont généralement les professionnels ou les personnes disposant d’un certain capital culturel qui ont jusqu’à présent influencé le processus de sélection des projets : réamé- nagement de terrains de jeu, tenue de compétitions sportives et de concours de photos, réalisation de projets de vacances pour les enfants scolarisés et organisation d’expositions sur l’histoire locale. Une grande constante cependant : aucun projet lié à des questions potentiellement conflictuelles, telles que la gentrification d’un quartier et le déplacement

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des groupes à faible revenu, les compressions radicales dans les infrastructures sociales locales, les besoins de soutien des immigrants ou la présence de drogués, n’ont été abor- dés. Autrement dit, les mécanismes de participation ont rarement servi à s’attaquer aux questions controversées qui caractérisent pourtant les quartiers en crise.

Il est facile d’expliquer ces résultats en analysant la situation dans laquelle les acteurs se trouvent. Dès la phase de rénovation urbaine des années 1980, de nombreuses tâches requises pour la revitalisation ont été confiées en sous-traitance à des organismes privés.

Au fil des ans, on a vu naître de nombreuses entreprises spécialisées et des organismes sans but lucratif qui se sont spécialisés sur les opérations de développement urbain et sont deve- nus des experts-conseils en se lançant dans l’assistance technique ou les relations publi- ques (Bernt 2003). Quand les budgets de rénovation urbaine ont été réduits, ces entreprises de services spécialisés se sont transformées en entreprises de gestion de quartier durant la seconde moitié des années 1990 pour le compte des administrations municipales et ont profité largement des deniers publics. Aujourd’hui, elles doivent cependant affronter de plus en plus la concurrence des autres fournisseurs des mêmes services spécialisés.

Pour s’assurer des revenus stables, ces entreprises doivent nouer de bonnes relations avec les responsables en charge des marchés publics, faire état de leur succès et consacrer une part considérable de leurs énergies et de leurs ressources à se rendre visibles auprès des administrations locales. Elles sont ainsi forcées de choisir des projets faciles à réaliser et qui ne soulèvent pas de controverses.

Contrairement aux programmes de rénovation urbaine précédents, le programme Soziale Stadt ne fait pas appel à ces entreprises flexibles pour mettre en œuvre un vaste chantier de réhabilitation des quartiers. Il recourt davantage à différents processus de négociation et d’adaptation au sein des quartiers. En analysant le contexte dans lequel ce programme est mis en œuvre – c’est-à-dire la structure des contrats qui lient les organis- mes de développement et le marché compétitif dans lequel oeuvrent ces organismes –, on comprend mieux pourquoi les effets de l’empowerment et de la participation des citoyens ne peuvent être qu’assez restreints.

3. Les nouvelles politiques sociales et d’emploi et le rôle des organismes sans but lucratif dans leur mise en oeuvre

La présente section examine les nouvelles politiques de participation dans le domaine du social et de l’emploi. Ce secteur stratégique fait l’objet de dispositions législatives qui visent à responsabiliser les assujettis sociaux, principalement ceux qui sont bénéficiaires de l’aide sociale depuis longtemps. Depuis les années 1970, les organismes sans but lucratif qui mettent en œuvre des programmes à l’intention des groupes trouvant difficilement de l’emploi sur le marché du travail15 ont connu une série de transformations correspondant aux changements de politique des années 1980 et 1990 et sont aujourd’hui confrontés à des défis majeurs à la suite de l’application des lois préconisées par la Commission Hartz.

15 Initialement, il s’agissait surtout des jeunes chômeurs ou des jeunes qui ne trouvaient pas d’emploi comme apprentis. Durant les années 1980, on y a jouté les chômeurs chroniques de tous les groupes d’âge, les femmes et les immigrants (Reisch 2001).

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3.1. Les réformes récentes et leurs conséquences pour les organismes sans but lucratif Avant même l’adoption des dispositions législatives Hartz (2003-2005), l’Allemagne avait entrepris de modifier substantiellement sa politique sociale et en matière d’emploi en faisant la promotion du slogan « Rendre actifs les citoyens ». Depuis que le chômage est devenu un problème majeur, jamais cette politique n’a autant cherché à s’y attaquer en aidant les organismes qui fournissent des programmes d’intégration au marché du travail par différentes activités éducationnelles et professionnelles. Ces organismes se sont profondément transformés en cours de route, sur la base de dynamiques politiques progressistes mettant de l’avant l’auto-organisation des communautés locales.

Jusqu’aux réformes récentes, deux institutions étaient responsables de la politique régulant le marché du travail : les bureaux de placement fédéraux (BPF)16, aux termes de la Sozialgesetzbuch III, et les municipalités, aux termes de la loi fédérale sur l’assistance sociale (Bundessozialhilfegesetz). Face au chômage chronique croissant, les municipalités ont commencé à offrir, dans le cadre de leurs budgets restreints, du travail temporaire aux bénéficiaires d’aide sociale, comme le faisaient les BPF par les politiques d’intégration au marché du travail qu’ils appliquaient pour leurs bénéficiaires17. Aussi bien les BPF, par leurs programmes d’emploi subventionnés par les fonds publics (Arbeitsbeschaffungsmassnahm en18, ABM), que les municipalités, par leurs programmes Hilfe zu Arbeit (HzA), ont coopéré avec les organismes sans but lucratif pour mettre en œuvre des programmes d’intégration au travail19. Les premiers ont particulièrement préconisé les services et les produits novateurs dans les secteurs où le marché privé ne répondait pas à la demande (dans le domaine social ou environnemental) et où il n’y avait pas de concurrence avec le marché du travail pri- maire (Voges et al 2000). Dès la fin des années 1990, l’octroi de subventions au marché du travail secondaire a été réduit de manière drastique. Les chômeurs ont été fortement incités à chercher directement un emploi sur le marché du travail primaire, ce qui a réorienté l’ac- tivité des organismes sans but lucratif (Bode et al. 2004; Eick et al. 2004). Le financement de la formation professionnelle a subi des compressions considérables. Venus de l’Union

16 Les BPF sont financés par les cotisations à l’assurance-emploi et des subventions provenant du budget fédéral.

17 Seules les personnes qui ont cotisé à l’assurance-emploi ont droit de bénéficier des programmes de place- ment, de formation et d’emploi offerts par les BPF.

18 À partir du milieu des années 1970 jusqu’au milieu des années 1990, ce qu’on appelle le marché du travail secondaire de quasi-emplois, qui a été créé par ces mesures, était largement accepté comme un instrument pour faire face au chômage. Bien des projets de rechange visant le développement de services sociaux et de logement ainsi que de services de formation et d’emploi ont profité des mesures offertes par ces instruments.

19 À la fin des années 1980, aux prises avec la responsabilité d’aider le nombre croissant de chômeurs ne recevant plus de prestations de chômage en raison des compressions budgétaires, les municipalités ont com- mencé à élaborer leurs propres politiques de recherche d’emplois en se servant de la loi fédérale sur l’assistance sociale (Bundessozialhilfegesetz/BSHG) (Lamping et Schridde 1999). Une des options dont disposent les muni- cipalités en vertu du règlement « Aide au travail » (Hilfe zur Arbeit) du BSHG est de financer les emplois du marché du travail intermédiaire, ce qui ouvre la voie à l’admissibilité aux prestations d’assurance-emploi pour les bénéficiaires d’aide sociale. L’autre option consiste à placer ces bénéficiaires dans des emplois non commer- ciaux du marché du travail intermédiaire et de leur donner une rémunération modique (1 à 2 € l’heure) comme complément à leurs prestations d’aide sociale. C’est ce qu’on appelle l’option d’allocation (Aufwandsentschäd igungsvariante) de l’« Aide au travail ».

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européenne à travers la loi nationale sur le travail, les termes « rendre actif », « employabi- lité » et « établissement du profil d’emploi » sont entrés dans le vocabulaire administratif et politique dès 2001. Les organismes sans but lucratif engagés dans la mise en œuvre du programme Soziale Stadt ont été obligés, par contrat, de prendre en charge le placement des chômeurs, d’établir leur profil d’emploi, en respectant des contingents. De plus, ils ont été mis en concurrence avec des entreprises privées, tels que Maatwerk, qui offraient également des services d’intégration au marché du travail.

Bien que renforçant la position des organismes spécialisés dans le placement des chô- meurs, l’importance plus grande accordée au placement et la baisse du financement des programmes d’intégration au marché du travail secondaire ont entraîné des problèmes pour d’autres organismes sans but lucratif offrant des services aux personnes démunies, vendant des « produits sociaux » et travaillant à améliorer l’employabilité des chômeurs par des mesures d’emploi subventionnées afin de les intégrer dans le marché du travail secondaire (ABM). Désormais obligés de respecter des contingents, ils ont été forcés de délaisser les chômeurs les plus difficiles à placer pour se consacrer davantage à ceux qui présentaient moins de difficultés.

Une étude du cas de Berlin20 révèle que les organismes sans but lucratif sont issus pour la plupart des nouveaux mouvements sociaux des années 1970 et 198021. C’est dire qu’ils sont nés de la solidarité avec les groupes défavorisés ou marginalisés et ont érigé pour ces groupes et pour eux-mêmes des infrastructures façonnées par la solidarité. Presque tous les organismes sans but lucratif engagés dans la rénovation de logements et dans le renouveau communautaire sont issus du mouvement des squatters ou de mouvements sociaux luttant en faveur du logement (Mayer 1986; Clarke et Mayer 1986). Ceux qui oeuvrent aujourd’hui à l’intégration au marché du travail sont également issus de ces mouvements sociaux.

La transformation de ces acteurs sociaux en fournisseurs de services dans le contexte de la mise en place des Quartiersmanagement s’est faite de façon graduelle, par le biais d’une série d’adaptations rendues nécessaires dans une certaine mesure par les change- ments apportés à l’ensemble des politiques sociales et de logement. Ce fut notamment le cas de la transformation des projets d’entraide en projets de services sociaux à mul- tiples fonctions22 pour remédier au chômage des jeunes. Ce processus a commencé à une époque où, au milieu des années 1970, le manque d’emplois et de stages en entre- prise était patent. Cette situation s’est traduite par l’augmentation du nombre de projets

20 Berlin est aux prises avec des taux de chômage élevés (20 % en 2005, tandis que ce taux est de 12,6 % dans l’ensemble du pays), qui touchent surtout un nombre important de groupes d’immigrants. Cette ville est perçue comme la métropole de la pauvreté. Les organismes sans but lucratif sont, depuis longtemps, un élément constitutif de l’infrastructure sociale berlinoise. On trouvera dans Eick et al. 2004 une présentation détaillée des conclusions d’un projet de recherche sur le rôle des organismes sans but lucratif dans la transformation des politiques sociales et d’emploi à Berlin et à Los Angeles. Intitulé « Passer de l’aide sociale à l’emploi », ce projet a été financé de 2000 à 2003 par la German Research Association de la Freie Universität de Berlin et est résumé ici en quelques mots.

21 Leur origine a été différente en Allemagne de l’Est.

22 Cf. les phases décrites dans Mayer 2000, depuis l’opposition politisée des années 1970, par l’établis- sement de programme intégrant certaines demandes et intervenants du mouvement durant les années 1980, jusqu’à la coopération courante avec les municipalités qui a émergé dans les années 1990.

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d’entraide locaux afin de fournir formation et emploi ainsi que des services sociaux et d’orientation professionnelle. Les fournisseurs de services traditionnels du système de formation professionnelle (composé des divers organismes sociaux et éducationnels, y compris les grandes associations de bien-être social) ne s’étaient pas efficacement attaqués aux causes du chômage chez les jeunes (Reisch 2001 : 233). Les projets en question sont donc nés sous l’impulsion de travailleurs sociaux avant-gardistes et de jeunes touchés par les problèmes d’accès au marché du travail. Ils ont pris de l’ampleur au début des années 1980 en raison du nombre croissant de jeunes chômeurs23 et grâce à deux mouvements sociaux naissants auxquels ils étaient liés, expansion qui a mené à un changement de cap dans le milieu politique. Le mouvement général des années 1970 et 1980, communément appelé de rechange, faisait la promotion des formes de travail autogérées en même temps qu’il critiquait la société industrielle, le salariat et les modes de vie jugés aliénants. De nombreux travailleurs sociaux, qui partageaient les positions du mouvement alternatif selon lesquelles le problème du chômage chez les jeunes ne pouvait être résolu par les moyens conventionnels, ont conçu avec les jeunes chômeurs des projets axés non seulement sur la formation professionnelle, mais aussi sur l’édu- cation globale dans une perspective sociale. De plus, les manifestations massives et simultanées des jeunes dans les villes, de Zurich à Berlin, ont non seulement entraîné la formation du milieu d’où sont nés d’autres projets, mais aussi ont servi à rendre les partis politiques conscients du potentiel que recelaient ces nouvelles réalisations en tant qu’innovations pertinentes par rapport aux services déjà offerts par les organismes publics ou privés24.

Au début des années 1980, le « mouvement de rechange » a mis sur pied divers types de projets25 (en complément aux services traditionnels déjà fournis) en combi- nant les fonds des différents programmes étatiques (FEA, BSHG, Youth Welfare Law, ainsi que les programmes de logement et de développement économique), s’orientant ensuite graduellement, d’une part, vers des projets d’économie sociale axés sur le mar- ché et, d’autre part, vers des projets axés sur les services sociaux pour lesquels l’auto- nomie financière n’était pas aussi importante qu’elle ne l’était pour les premiers. Tous ces projets étaient considérés comme faisant partie du « mouvement de rechange ».

Cependant, les derniers s’en sont peu à peu détachés pour former des organismes mem- bres de grandes associations d’aide sociale, qui sont aujourd’hui au cœur des initiatives d’emplois sociaux en Allemagne.

23 En 1982, plus de 30 % des chômeurs étaient âgés de moins de 25 ans et 45 %, de moins de 30. En 1983, 623 000 chômeurs de moins de 25 ans étaient inscrits, nombre plus élevé qu’à n’importe quel autre moment de l’histoire de l’Allemagne (Reisch 2001 : 247).

24 La Commission d’enquête (« Manifestation des jeunes dans la République démocratique ») mise sur pied par le Parlement allemand en janvier 1983 a recommandé la promotion de projets de rechange pour cette raison (cf. Bundeszentrale für politische Bildung 1983).

25 Par exemple les projets d’entraide des jeunes, qui allient la fourniture de logements à la création d’emplois et qui ont vu le jour principalement dans le contexte du mouvement des squatters; contrairement à eux, où la formation était secondaire par rapport à la fourniture de logements, d’autres ont mis l’accent sur la formation et l’emploi, soit en cherchant à intégrer les chômeurs chroniques dans des infrastructures sociales améliorées, soit en concevant des programmes de formation professionnelle destinés aux jeunes qui n’arrivaient pas à trouver un créneau d’apprentissage dans le système de formation (Reisch 2001).

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La transformation des projets de formation principalement axés sur l’emploi des jeu- nes dans le domaine social est intervenue au cours de la phase suivante (1984-1987), au moment où leurs responsables y voyaient des secteurs porteurs pour des jeunes défavori- sés. Simultanément, une stratégie de régionalisation mise en oeuvre par le gouvernement fédéral dans les politiques sociales et d’emploi a facilité l’expansion des projets et leur visée professionnelle. Dès la fin des années 1980, de nombreux projets de formation professionnelle étaient complètement transformés en initiatives d’emploi sociales. Les

« groupes cibles » ont été élargis pour inclure les chômeurs de longue durée. Bien que cette adaptation ait amoindri l’importance de l’aspect pédagogique qui était central, elle a permis aux institutions étatiques de déléguer à ce nouveau système de services sociaux souple des fonctions d’intégration au travail anciennement dévolues aux organismes publics. Les services sociaux offerts par ce système ont semblé de plus en plus attrayants aux yeux de l’administration gouvernementale dans la mesure où ils étaient adaptés au cas par cas par rapport aux besoins propres à chaque groupe cible, ce que la bureaucratie gouvernementale ne pouvait faire.

Lorsque, en 1997, le gouvernement fédéral a souligné l’attachement de la population active à sa politique du marché du travail à l’occasion de l’adoption de la Sozialgesetzbuch III, l’objectif principal des initiatives sociales en matière de formation et d’emploi est devenu l’amélioration de l’employabilité et la préparation au marché du travail. À comp- ter du milieu des années 1990, la municipalité de Berlin s’est prévalue de cette loi pour intégrer les chômeurs au marché du travail, principalement de deux manières : en mettant sur pied des bureaux de placement par l’entremise d’organismes sans but lucratif et en signant des accords de coopération avec ces organismes. Des quelque 1200 organismes sans but lucratif qui existent actuellement à Berlin, une centaine environ travaillent exclu- sivement dans le champ des politiques d’emploi locales.

Toutefois, les pressions exercées par les régimes rigides d’aide sociale et régulant le marché de l’emploi placent les organismes sans but lucratif dans une situation dif- ficile. En conséquence, certains cessent de travailler dans le champ de l’emploi pour se consacrer à d’autres formes de soutien du travail, tandis que d’autres encore se retirent totalement du marché du travail, créant ainsi un vide. Cette situation résulte du fait que les bureaux de placement exigent de réussir à placer sur le marché du travail primaire au moins 70 à 72 % des personnes qui bénéficient d’une formation professionnelle. Les organismes sans but lucratif incapables de respecter cette exi- gence cessent d’être subventionnés. D’autres abandonnent les instruments fournis par le gouvernement (les programmes subventionnés visant les emplois du marché du travail secondaire (par exemple l’ABM) ou les mesures fournies dans le cadre du droit à l’aide sociale (par exemple Hilfe zu Arbeit) et tentent d’ériger des structures autonomes, indépendantes des programmes publics, notamment des coopératives sociales et des centres de voisinage. Les organismes sans but lucratif qui continuent de travailler grâce aux fonds publics conjuguent, à l’intention des chômeurs diffici- les à intégrer sur le marché du travail, les services de soutien existants ou nouvelle- ment mis au point et le déploiement d’efforts intensifs de placement.

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Depuis la mise en vigueur de la Hartz IV26 en janvier 2005, qui élimine le statut de chômeur et les prestations de chômage après un an, les chômeurs sont plus que jamais obligés d’accepter les offres d’emploi qui leur sont faites ou de chercher activement du travail, sous peine d’encourir des sanctions sévères. Il existait antérieurement des défi- nitions des types d’emploi que les chômeurs pouvaient accepter ou refuser en fonction de leur cursus. Actuellement tout emploi est considéré comme acceptable, quel que soit le montant des prestations reçues, les échelles salariales négociées ou les salaires mini- mum locaux en vigueur. Les adultes prestataires de l’assurance-emploi qui refusent un emploi ou une formation offerte, ou ce qui est communément appelé une « opportunité d’emploi », subissent une baisse de 30 % de leurs prestations. Quant aux bénéficiaires sociaux de moins de 25 ans, ils peuvent être privés de prestations durant trois mois et ne recevoir qu’une aide au logement et des provisions en nature.

Le nouveau plan dit des « opportunités d’emploi », qui ressemble aux programmes d’acquisition d’expérience de travail supplémentaire anciennement utilisés dans le cadre de l’assistance sociale (au plus fort de la Arbeitslosengeld II, les assistés sociaux rece- vaient 1 à 3 euros par heure travaillée) doit être élargi pour offrir 600 000 postes de travail, selon le ministre de l’Économie, alors que les instruments traditionnels de la politique du marché du travail, notamment la formation professionnelle ou continuée en vue d’entrer sur le marché du travail secondaire (comme dans le programme ABM), doivent désormais ne jouer que des rôles marginaux27. Les organismes sans but lucratif qui doivent désormais tenir compte de cet ensemble d’instruments restrictifs et coercitifs seront confrontés dans l’avenir à des tâches plus difficiles que celles qu’ils ont accom- plies durant les dernières années.

3.2. Des pratiques diversifiées28

Qualifier la pratique des organismes sans but lucratif de « bonne », de « mauvaise » ou d’« ambigue » n’a pas pour but d’établir une distinction entre eux. Il s’agit plutôt d’illustrer la diversité des pratiques qu’ils ont à choisir. La bonne pratique est celle qui conjugue la for- mation et le placement avec des mesures sociales, culturelles et structurelles qui font appel à la participation de la collectivité locale. Par exemple, certaines coopératives sociales mises sur pied dans quelques quartiers de Berlin montrent comment il est possible d’allier des for-

26 Par la loi 4 sur la modernisation des services d’aide à l’emploi (Deutscher Bundestag 2003), l’assistance aux chômeurs et l’aide sociale ont été agréges en une indemnité unique et nouvelle (dite ) pour tous les chô- meurs aptes au travail mais non admissibles (ou qui ont cessé de l’être) aux prestations d’assurance-emploi (qui ne sont désormais versées que pendant 12 mois au plus). Cette indemnité fixe équivaut à la prestation d’aide sociale traditionnelle.

27 Les plans de création d’emplois de type traditionnel sont maintenant réservés aux régions où le taux de chômage est particulièrement élevé c’est-à-dire surtout le territoire de l’ex-Allemagne de l’Est.

28 Le concept de « meilleure pratique » actuellement à la mode, tel qu’énoncé comme instrument par la Fondation Bertelsmann en Allemagne, peut certainement ne pas remplir la promesse qu’il recèle, c’est-à-dire enclencher la généralisation d’un processus de diffusion des pratiques locales fructueuses. En réalité, ce concept sert plus à intensifier la concurrence entre les municipalités qu’à susciter des procédés d’apprentissage com- muns. De plus, il suppose des solutions uniformes. Prévoyant cette critique, l’Union européenne emploie plutôt le terme « bonne pratique », que l’on trouve d’ailleurs dans bien des études (Strümpel u.a. 2002; DifU 2003).

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mes de participation avec le développement économique et de l’emploi dans une stratégie ascendante29. Pour la population locale défavorisée et pour le quartier tout entier, ces projets peuvent déboucher sur des options allant au-delà de la dichotomie Etat/marché privé. Les organismes sans but lucratif qui continuent de tabler à la fois sur les mesures de formation et sur l’acquisition de compétences malgré l’importance accordée à l’emploi avant tout sont d’autres exemples de bonne pratique. Les efforts déployés par le Kommunale Forum Wedding pour concevoir et mettre en œuvre des structures de participation dans les quartiers défavorisés avec l’ensemble des résidents sont également des exemples de bonne pratique à Berlin, de même que les projets des organismes Goldnetz e.V. et ComboBau Gmbh qui forment des bénéficiaires de prestations et les embauchent dans des emplois prometteurs, y compris les femmes dans des emplois non traditionnels.

Toutefois, les activités et les programmes ayant des répercussions sociales problé- matiques et qui, par conséquent, doivent être considérés au moins comme ambigus sont plus répandus. Ils semblent souvent aider les groupes défavorisés alors qu’en réalité ils renforcent la marginalisation ou la précarisation. Les organismes sans but lucratif qui s’occupent des demandeurs d’emploi difficiles à placer, c’est-à-dire ceux qui n’ont pas la moindre chance d’entrer sur le marché du travail primaire, créent parfois des opportu- nités d’emploi « protégées », notamment en mettant temporairement sur pied des entre- prises spécialisées. Ainsi, ils contribuent malheureusement à l’établissement de relations de travail précaires et à la hausse de l’acceptation de conditions de travail déplorables dans les secteurs où le travail est mal payé.

C’est notamment le cas des programmes de travail obligatoire pour lutter contre les problèmes d’insécurité et de désordre dans les villes, par exemple Berlin macht mit e.V qui fait ramasser les ordures dans les forêts de Berlin par ses « clients », Jugend für ein sauberes Berlin e.V. qui fait enlever les mauvaises herbes dans les parcs publics par de jeunes prestataires d’assurance-emploi et d’autres organismes, tels que ABS Brücke ou Steremat, qui exigent de leurs « clients » de ramasser les feuillages infestées de parasites ou de nettoyer les rues et les trottoirs. Le service de nettoyage et d’entretien organisé par l’un des premiers organismes sans but lucra- tif de Berlin issu du mouvement des squatters, LowTec gGmbH, consiste à faire nettoyer les bancs dans les espaces publics et à faire enlever les affiches ainsi que la publicité non autorisée. Ces activités visent surtout à prévenir le désordre esthé- tique. Par ailleurs, des organismes sans but lucratif mettent sur pied, parfois dans le cadre de Quartiersmanagement (voir la section 2), des services de sécurité pour protéger les villes et leurs quartiers des méfaits possibles des groupes marginaux.

Parce que ces services tendent à criminaliser et à exclure ces groupes et qu’ils contiennent généralement certains aspects répressifs, ils constituent des exemples de mauvaise pratique. On peut également considérer comme problématiques les activités et les projets qui visent la création de marchés du travail où les emplois sont mal rémunérés.

À Berlin, environ 20 % des organismes sans but lucratif offrant des program- mes de travail obligatoire sont engagés dans le domaine du nettoyage et de l’or-

29 C’est le cas, entre autres, de la coopérative Wedding, fondée dans le quartier Sparrplatz-Sprengelkiez (district de Bezirk Wedding) en octobre 2000 pour offrir des services de proximité (Achter 2003).

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