M. E YTAN
Des ensembles et de leurs axiomatiques : esquisse de quelques points de vue
Mathématiques et sciences humaines, tome 13 (1965), p. 41-45
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DES ENSEMBLES ET DE LEURS AXIOMATIQUES : ESQUISSE DE QUELQUES POINTS DE VUE
M. EYTAN
0. INTRODUCTION
S’il est des mots en vogue
parmi
lepublic
demathématiciens
et depérima-
athématiciens
de nosjours,
ceuxd’ensemble, classe, famille,
voirecatégorie
lesont
assurément;
à telpoint d’ailleurs
que chez certainsqui
setarguent
demodernisme,
la"théorie
des ensembles"(ou
du moins cemot)
tient lerôle
de che-val de bataille. Pourtant ils devraient savoir que la
Mathématique joue
de sinis-tres
plaisanteries
auxnon-avertis:
elleprend
des motsanodins, quotidiens,
y etleur
assigne
unesignification (ou
du moins unedéfinition) précise pouvant
dif-férer
de leur sensusuel;
que le lecteur serappelle
lasignification
de"groupe"
au sens
technique,
et il verra àquoi
nous faisons allusion. Ce n’est pas tout à fait ce genrede piège qui guette
lelaïc,
mais en un certain sens la situationest
plus
difficile parce queplus délicate.
Elle estmêmes délicate
à unpoint
telque l’on se demande comment
présenter
les’choses sans tomber dans undogmatisme
et un
pédantisme insupportables.
Aussi croyons-nousqu’une
bonne - sinon la meil- leure -méthode
consiste à suivre le chemi-nement-,de lapensée ;
elle montre les raisons de cequ’ on prendrait
apriori
pourdu ~pur byzantinisme.
1.
THÉOR I E NAÏVE
_"De tout
temps" ,
dit unéminent
historien de ’iaMathématique (cf. [1] ) ,
"ma-thématiciens
etphilosophes
ontutilisé
des""raisonnements defaçon plus
ou moinbconsciente,... qui
ne font intervenir que les notionsd’appartenance
et d’inclu- sion". Il n’en est pas moins vrai que c’estGeorg
Cantorqui,
dans unesérie
demémoires publiés
aux Mathematische Annalen’entre1878
et1897, entreprit d’explo-
rer
systématiquement
ce domaine. Peu nousimporte
la nature exacte de ses travauxet leur motivation
(initialement
des recherches-sur lesséries trigonométriques);
l’essentiel c’est la
"définition"
d’un ensemble: !!Par un ensemble(Menge )
on en-tend un
groupement
en un tout(Zusammen fassung
zu--einemGanzen)
Md’objets
m biendistincts de notre intuition ou de notre
pensée. -Ces-objets
sontappelés
les élé-ments , de de ’ vue
est aujourd’hui qualifié
de"naïf",
, paropposition
à la suite. * Ilpermet
d’introduire sans difficulté les notions de sous-ensemble ou
partie,
d’ensemble departies (avec
lesopérations
ensemblistesd’union,
intersection et
complémentation),
d’ensemblevide,
etc..(cf. [3] ).
A ce niveau en-semble, classe, famille,
ycatégorie,
collection sont tous synonymes. Deplus,
etc’est
important,
toutepropriété
définit unensemble,
à savoir l’ensemble(éven-
tuellement
vide)
desobjets
lapossédant.
2.
THEOR I E
2.1.
Les paradoxes :
On enétait
àpeine
auxpremières applications
de lathéorie
de Cantor
lorsque
Buroli-Fortidécouvrit,
en1897,
unpremier paradoxe;
Cantor,
lui-même,
en1899
etRussel,
en19~5
endécouvrirent
d’autres. Pour ne pas nousperdre
dans desdétails techniques
nous neprésentons
que celui de Russel: la classe de tous les ensembles estelle-même
unensemble,
celui-ci est par défini- tionélément
delui-même; désignons
par U la classe de tous les ensembles x tels que x n’est pas unélément
de x,(U
n’est pasvide)
alors si U est unélément
deU,
il est manifeste que U n’est pas unélément
de U(par
sadéfinition même);
sipar contre U n’est pas un
élément
deU,
il est manifeste que U est unélément
de U(puisqu’il
n’est pas un x dutype ci-dessus).
La
découverte
desparadoxes
provoque une grave crisepsychologique parmi
lesmathématiciens
car ils onttoujours
étépersuadés qu’ils démontrent
des"vérités",
suivant en cela Platon pour
qui
laMathématique
est un moyend’accès
à la "véritéen soi" et
s’occupe d’objets ayant
une existence dans le monde desidées.
"Il faudrait avoir tout à faitl’esprit
faux pour mal raisonner sur desprincipes
sigros
qu’il
est presqueimpossible qu’ils échappent"
dit Pascal. Or les raisonne- mentsutilisés
dans lesparadoxes
sontirréprochables;
que faire alors? Plusieurs solutions ontété proposées:
les unespartent
del’idée
quejustement
les raison-nements
utilisés (c’est-à-dire
lesprincipes
de lalogique classique)
sontfaux,
les autres
repoussent
la décision sur la "vérité" au delà de laMathématique,
soutenant que celle-ci ne
peut être fondée
sur unappel, explicite
ou non, à l’intuition.C’est la
deuxième solution,
diteformaliste,
que nousesquisserons.
Le for-malisme
extrême
considère que "l’exactitudemathématique réside
dans ledévelop- pement
de la suite desrelations,
et estindépendante
de lasignification
quel’on
pourrait
vouloir donner à ces relations ou auxentités qu’elles
relient"(Brouwer, cité
dansL1~ ) .
Aussi va-t-il fonder lathéorie
des ensembles sur unebase
axiomatique analogue
à celle de lagéométrie élémentaire,
où peuimporte
desavoir
définir
lesobjets
que l’onappelle
ensembles ou ce quesignifie
la rela-tion
d’appartenance,
pourvu que l’on sachequelles
sont les conditionsauxquelles
ils doivent
obéir (de même qu’en géométrie
on ne définit pas ce que sont un"point",
une
"droite",
, et"l’incidence",
, mais on leurimpose
d’obéir à des conditions telles que: "il y a une droite et une seule incidente à deuxpoints").
Ainsi on renonce à
définir
un ensemble ou la relation entre un ensemble etses
éléments:
onpart
d’une relation binaireindéfinie, l’appartenance,
et d’ob-jets indéfinis,
les ensembles. Certainsénoncés
contenant la relationd’apparte-
nance
(et
d’autresdéfinies
àpartir
decelle-ci)
sont introduits sous le nomd’axiomes. Dès lors une
proposition
de lathéorie
des ensembles sera vraie si etseulement si elle
peut être déduite
des axiomes par un raisonnementlogique.
Bienentendu,
pour que "duparadis
que Cantor acréé
pour nous, nul ne doitpouvoir
nouschasser",
il fautqu’une axiomatique
correctepermette
de retrouver lerésultat
dela
théorie naïve,
tout en excluant les ensembles"paradoxaux"
tel l’ensemble de tous les ensemblesqui
nes’appartiennent
pas. Autrementdit,
nous seronstoujours .obligés,
dans cetteperspective, d’éliminer
certainsobjets
que lathéorie
naïveappelait ensembles,
maisqui
n’en sontplus
dans notrethéorie.
P.2.
Lesystème
d’axiomes de Zermelo-FrankelLe
premier système d’axiomes
futdonné
par Zermelo en1908;
il exclut des"ensembles"
(au
sensnaïfs ) qui
sont"trop grands"
à l’aide d’un axiome desélect-
tion
(Aussonderung),
unprédicat A(x)
nedéterminant
un ensemble que siA(x)
en-traîne déjà
une relation de la forme x E E.Cependant
cesystème n’était pas tout à
fait satisfaisant en cequ’il
don-nait une
définition
vague de cequ’est
unprédicat A(x) (cf. plus loin).
AussiFr"ânke 1 a-t-il
apporté quelques
modifications en1922.
Lesystème
estappelé
sys-tème
deZermelo-Frankel
et est courammentadopté. Aujourd’hui lorsqu’un mathéma-
ticien
parle d’ensemble
il entendgénéralement
ce terme au sensd’objet défini
par les axiomes de Zermelo-Frankel. Les
voici,
avecquelques définitions
et com-mentaires :
On
considère
un domaine non vided’objets,
les ensembles(de même qu’en géométrie
onconsidère points
et droites sansdéfinir
ce que sont unpoint
etune
droite).
Entre lesobjets
du domaine estdonnée
une relationd’appartenance (de même qu’en géométrie
estdonnée
une relation d’incidence entrepoints
etdroite,
y relationdéfinie
par lesaxiomes);
si xappartient
à y on note x 6 y. La relation x e y serasupposée
vraie oufausse,
tertium non datur. On supposera con-nues les
règles habituelles,
maisl’égalité
entre ensembles seradéfinie (cf.
déf. 2).
Définition
1 : si pour tout x, x E simplique
x Et,
alors s estinclus
dans t(on
dit encore que s est unepartie
det),
et onécrit
s C t.Ainsi contrairement à la
méthode
cantorierine on nepeut définir
desparties
de t en
"groupant" certains
deses éléments,
à moinsqu’on
ne sachedéjà qu’un
tel
"groupement"
est un ensemble. Ladéfinition
1implique
par ailleurs que l’in- clusion estréflexive et..transitive.
,Définition
2 : si s C: tet,
t C s, alors s =t;
sinons 4
tAinsi deux ensembles ne sont
égaux
que s’ils contiennent lesmêmes objets;
de
plus l’inclusion
estanti-symétrique. Cette définition
montre que x C s et s = tentraînent
x Et,
y i.e.l’égalité
des ensemblespermet
de les substituerà
la droi- te dusigne 6 .
Pour lagauche,
nous ne savons rien aussi doit-onpostuler
l’ tAxiome d’extension: x e s et x = y
entraîne y es.
Si deux ensembles sont
égaux
tout ensembleayant
pourélément
l’un a aussi pourélément l’autre;
desobjets (ensembles) égaux
sont contenus dans lesmêmes
ensembles.Un ensemble
étant défini
par seséléments (et inversement),
on notera l’uni-que ensemble contenant a,
b,
c, ... par lesymbole a, b,
c,... )
sanségard
pour l’ordre des
éléments.
Procédons
maintenant àfabriquer
de nouveaux ensembles àpartir
d’ensemblesdonnés.
On commence par l’Axiome des
paires:
deux ensembles distinctsquelconques
a,b, étant donnés,
il ya un ’ ensemble
auquel
ilsappartiennent
tousdeux, noté ( a, b .
Ne nous
arrêtons
pas en si bon chemin.Axiome des unions: pour tout ensemble s
d’ensembles,
il y a un ensemblecontenant
tous les
éléments qui appartiennent
à l’un au moins des ensembles de s, y dit union des ensembles de s etnoté
Us. Engénéral
onn’écrit
pasUs
mais Ux:
x Es
ou
plus
souvent encore xes Ux. Dans le casparticulier
~ de U _x:
x e ~{ a,b } ~
on~ ~ J
utilise la notation a U
b;
demême
pour U a U b U CUI...Jusqu’à présent
onn’est jamais
parvenu à construire un ensemble nondénom-
brable àpartir
d’une suite d’ensemblesdénombrables (la définition
de suite etdénombrable
estdonnée plus loin) ,
Voici pour yremédier
l’‘
Axiome des parties :
pour tout ensemble s i’1y’"à
un ensemble~ ( s )
d’ensemblesqui
a pouréléments
toutes lesparties
de s, dit ensemble desparties
de s.Le nouvel
ensemble~fabriqué ne
contient que desparties
de s, i.e. des ob-jets
que l’on saitdéjà être
des ensembles. Aussi uneméthode plus puissante
deformation de
parties
d’un ensemble est-ellenécessaire:
la voiciAxiome de
sélection ("Aussonderung"):
pour tout ensemble s et toutprédicat A(x)
bien
défini ( "def init" )
pour tous leséléments
de s, il y a un ensemble t conte- nantprécisément
ceux deséléments
x de squi vérifient A(x), noté f x 6 s: A(x) .
Dans la formulation initiale de Zermelo un
prédicat
biendéfini ("definite Eigenschaft")
doitêtre
tel que les axiomes etrègles logiques permettent
dedé-
cider si un x le
vérifie
ou non. Il est clairqu’une
telledéfinition
est va-gue.
F’r’ânkel
propose de définir unprédicat
de cetteespèce
comme une formulebien
formée (well
formedformule)
de lalogique
fonctionnelle dupremier
ordre, i.e. une
.proposition formée
àpartir
despropositions
de base enitérant
lesopé-
rations de
conj onction, négation
etquantification
selon lesrègles
de formationbien
connues. Lesymbole A(x)
estdestiné
àsouligner
que l’occurrence de x dansA(x) est lire
i.e. nonprécédée
de"pour
tout x" ou"pour quelque
x".On
démôntrè
alorsaisément:
1 )
Il ’existe un ensemble(et
unseul) vide, noté ~.
2)
Pour tout ensemble non-videt,
il existe un ensembleunique
dont leséléments
sont communs à~ tous les
éléments
det, appelé
intersection des ensembles de t etnoté Qt
x 6 t ) ou encore leplus
souventfi
x., ~ "
xet
3)
Pour tout ensemble t dont leséléments
sontdisjoints (intersections
deux àdeux
vides),
il y a un ensembleunique
dont leséléments
sont les ensemblesqui
contiennent un seulélément
dechaque
ensemble det, appelé produit
car--
tésieri
des ensembles de t etnoté Tif
t ou xE t
ou encore leplus
souvent _
xet
Manifestement, si ~ ~ t,
leproduit cartésien
t est vide. Peut-on affirmerinversement,que 0
e timplique t ~ ~ ?
Si tel est le cas, onpeut
"choisir" unélément‘
arbitraire danschaque
x e t. D’où l’ ’Axiome
du choix(Auswahl ) :
p ou r t out ensemble t dont 1 e séléments sont disjoints,
-si
f6 ,.
t alors leproduit cartésien et est
non-vide.’
.
Remarquons
que l’ensembledéfini
par cet axiome(i.e.
unélément de IT t)
n’est pas
unique.
Cet axiome a fait couler
beaucoup
d’encre en sontemps,
et bien que de nosjours
il ne soitplus sérieusement contesté,
on apris
l’habitude depréciser
dans
chaque
démonstration si on y a faitappel’ou
non. Disonssimplement qu’on
ena fait un usage
considérable
dans toutes les branches de laMathématique.
Au
point
où nous en sommes, on nepeut démontrer
l’existence d’un ensemble infini. D’où l’Axiome
d’infinité :
il y a au moins un ensemble vayant
lespropriétés
suivantes :,1(i) ~ev
(ii)
sixev alors 6 v aussi.Un tel ensemble v est donné en
particulier
parque l’on
peut considérer
comme l’ensemble des entiersnaturels.
Aulieu de
cet axiome onpeut
en introduire un autrequi
est moinssimple
maisplus
naturel Axiome* del’infinité :
il y a au moins un ensemble v*ayant
lespropriétés
(1*) jÎÔ 6 v*
(ii*)
si xe v* alors x U .x
e v* aussi.En
particulier:
0 { !3, {011 foi
,...
est un telensemble,
que l’onpeut
identifieravec les
entiers
naturels(le
successeur de x est alors x Ux ) .
Ces
sept axiomes,
dus àquelques
modificationsprès
àZermelo,
ne suffisentpas tout à fait. Ainsi un ensemble
qui
contiendrait enplus
d’un ensemble infini(par exemple vo )
l’ensemble desparties
dechaque
ensemble de v. Frânkel intro- duisit donc l’Axiome de substitution: pour tout ensemble s et pour toute fonction f d’une seule variable
définie
sur s, il existe un ensembleunique
contenant tous lesf(x),
x G s.
Autrement
dit si le domaine de définition d’une fonction est unensemble,
son
arrivée est
un ensemble aussi.Le
système
ainsi constituépermet
dedévelopper
unethéorie
desensembles,
celle
qui
est usuellementadoptée
par lesmathématiciens.
On consultera avec pro- fit l’excellente introduction[4],
dont une traductionfrançaise
est sous presse.’
(à suivre)
BIBLIOGRAPHIE PARTIELLE
[1].
BOURBAKI: Notehistorique (Chap. 1 à 4)
inEléments
deMathématique,
LivreI, Chap. 4,
Structures(Hermann, Paris, 1958).
[2]. WANG
Hao and McNAUGHTON R.: Lessystèmes axiomatiques
de lathéorie
desensembles - Paris et
Louvain, 1953.
[3].
BOURBAKI:Eléments
deMathématique ,
LivreI,
Fascicule derésultats (Hermann,
Paris, 1958) .
[4].
HALMOS: Naive SetTheory (Van Nostrand, Princeton, 1960)
Trad.