Géographie, économie, Société 13 (2011) 331-333
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Comptes Rendus
Mylène Gaulard, L’économie du Brésil, Paris, Bréal, Coll. Thèmes & Débats, 2011.
128 pages.
Le Brésil, en voie de devenir la cinquième puissance économique mondiale, suscite un intérêt qui ne manquera pas de s’amplifier avec la prochaine Coupe du monde de football et les Jeux olympiques qui se tiendront par la suite à Rio. Quand Angela Merkel tirera sa révérence (plus forcée que volontaire), l’héritière de Lula, Dilma Rousseff deviendra aussitôt, à son tour, la femme la plus puissante du globe. La jeune chercheure Mylène Gaulard, associée au CEPN de Paris Nord, a donc fait œuvre utile en tirant d’une thèse de doctorat cet ouvrage de dimension modeste, qui n’est pas sans rappeler les fameux Que Sais-Je ?. On y trouve donc tout ce qu’il faut savoir sur l’un des acteurs-clés, dit en émergence, des BRIC (Brésil Russie, Inde et Chine).
Comme il se doit, le tout débute par des rappels historiques avec des allusions au célèbre cycle de la canne à sucre rendu possible par l’esclavage, le Brésil se faisant, comme on le sait, le plus grand « consommateur de bois d’ébène ». Suivra le cycle de l’or qui donnera son nom au Minas Gerais, rendra célèbre la ville coloniale d’Ouro Preto et qui contribuera, sous l’instigation d’un arracheur de dents (Tiradentes), à l’accession à l’indépendance du pays. Suivra la production massive du coton et du sucre, pour enfin laisser place au cycle du café qui marquera le XIXe siècle et fera la fortune de l’État de São Paulo. Il n’est toutefois pas encore question d’industrialisation.
On sait gré à l’auteure de souligner les blocages qui ont freiné l’industrialisation, le Portugal imposant des normes qu’utiliseront plus tard les Anglais envers l’Inde. En effet, si le colonisateur accepte l’avènement d’activités manufacturières, elles devront toutefois se limiter à la fabrication de tissus grossiers destinés aux esclaves… (cachez ces sexes que l’on ne saurait voir) et ne rentrant pas en concurrence avec les produits…anglais. Oui, anglais! Qui savait qu’en 1785, en vertu du traité de Methuen, une loi fut adoptée, inter- disant toute activité manufacturière susceptible de nuire aux intérêts de la perfide Albion?
Bien sûr, l’industrialisation ne manquera pas de frapper aux portes d’un pays grand comme la moitié de l’Amérique du Sud, où arrivent à pleins bateaux les immigrants européens (Italiens et Allemands surtout). À l’instar du Québec d’avant le dernier tiers du siècle passé, le Brésil entre dans ce siècle avec une économie industrielle essentiellement marquée par sa légèreté (!) : le textile, la chaussure (les fameux sapatos & calçados qui se constitueront en districts industriels) et l’alimentaire composeront 64 % de la produc-
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tion industrielle à la veille du premier conflit mondial. Ce n’est qu’avant que l’Europe ne s’ensanglante à nouveau, en 1937, qu’un sérieux coup de barre sera donné sous l’insti- gation du « vénéré » dictateur Getúlio Vargas qui mit fin, comme le souligne l’auteure, à la « Vieille République » (1889-1930). C’est l’avènement de l’Estado novo, marqué par une nouvelle législation du travail et la mise en vigueur d’un type de planification à la française avant la lettre, avec, plus tard, comme architecte, le célèbre économiste keyné- sien Celso Furtado. C’est l’époque du protectionnisme bien ciblé, du recours aux taux de changes multiples, de la création de la fameuse Banque nationale pour le développement économique. Le tout fut suivi de l’arrivée au pouvoir par voies démocratiques du plus adulé à ce jour des présidents, qui sera à l’origine de Brasilia : Juscelino Kubitscheck.
S’en suivra le soi-disant « miracle économique » des années 1970 sous l’instigation de la dictature militaire de sinistre mémoire.
On assiste à l’âge d’or des exportations et de l’arrivée des investissements étrangers et on parlera de la « triple alliance » entre les entreprises publiques, privées et les firmes multinationales. Ces dernières représentent alors le tiers des investissements industriels et 85% des ventes des biens de consommation durables. Le Brésil ne tardera pas ainsi à devenir la 8è puissance économique mondiale. Trop beau pour durer? On le croirait quand l’auteure, dans un chapitre subséquent, évoque le très crucial problème des iné- galités. Faut-il rappeler l’exclamation de de Gaulle en 1964, lors de son passage à Rio :
« Le Brésil n’est pas un pays; c’est une injustice! » Encore de nos jours, les Brésiliens lui donnent raison. M. Gaulard précise que la part des 10 % les plus riches est passée de 36% du revenu national en 1960 à 47 % en 1995. Conséquence : seule l’Afrique du Sud affichait alors un indice de Gini plus élevé. Quant aux incontournables terrifiants taux d’inflation, s’ils étaient de 1765 % en 1989, lors de mes deux premiers séjours au pays de Tom Jobim, ils étaient tout aussi élevés (on ne changeait que 20$ à la fois).
C’est alors que survient un nouveau miracle non évoqué comme tel par l’auteure, pour- tant c’en est un : le plan Real qui va donner lieu à une nouvelle monnaie en 1994 et fera disparaître toute menace d’hyper-inflation. Son artisan est celui qui allait ensuite présider aux destinées du pays pendant 8 ans : Fernando Henrique Cardoso, grand ami d’Alain Touraine. C’est le même qui dira, lors de sa première campagne électorale, que le Brésil du XXIe siècle devrait miser davantage sur l’économie du savoir que sur les forces actuelles des secteurs primaire et secondaire. Une affirmation que n’a pas retenue la doctoresse de Paris I, car dans son 6e et ultime chapitre elle évoque, parmi les défis que le Brésil devra relever, celui de l’actuelle désindustrialisation. Alors qu’il comptait pour 48% du PIB en 1984, le secteur industriel ne représentait « plus que » 24 % en 2009. Où est-le mal, je suis tenté de dire, ou encore : bienvenue au Brésil dans la cour des grands (pays dits industrialisés). Pour M. Gaulard c’est de mauvais augure : il n’y aura pas suffisamment d’emplois dans les années à venir pour les enfants issus des favelas. Il faut dire que l’auteure vit dans un pays fortement marqué par le chômage depuis des années et où il ne se passe pas une semaine sans que l’on soit témoin d’une délocalisation. À ses yeux, le Brésil pourrait alors connaître un sort guère plus enviable que ce que connaît trop bien la douce France. Je préfère l’exemple de Trois-Rivières, capitale mondiale des pâtes et papiers en 1970, avec ses quatre grandes usines tournant à plein régime. Or, seulement une et demie se trouve encore en activité pour une durée bien déterminée. Pourtant Trois-Rivières a conservé sa population, les jeunes ayant
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trouvé leur emploi à la faveur d’une diversification économique. Pourquoi n’en serait-il pas ainsi pour le Brésil de demain? Da pra entender prezada colega?1
Fait-elle la preuve d’un égal pessimisme quand, contrairement à ce que révèlent cer- taines études, on n’assisterait pas selon elle à un véritable (même léger) amenuisement des disparités entre riches et pauvres ? Oui, la Bolsa familia (faisant suite à un pro- gramme initié sous le prédécesseur de Lula) a sorti de la misère des millions de gens. On leur donne du poisson sans toutefois leur montrer à pêcher… mais rien ne laisserait croire que les riches aient vu leur taux d’enrichissement se ralentir selon les vérifications minu- tieuses de l’auteure. Au Brésil, comme ailleurs, c’est la classe moyenne qui paie la note et qui ne vote pas majoritairement pour le parti des Travailleurs. Mais, les pauvres et les riches sont suffisamment nombreux pour éventuellement réélire Lula qui, tel un Poutine sous d’autres cieux, ne pense qu’à reprendre les rênes du pouvoir2.
En attendant, étant donné que les Brésiliens aiment beaucoup la France, les Hexagonaux devraient en retour leur porter attention en lisant un ouvrage aussi bien documenté que celui que nous offre Mylène Gaulard
André Joyal Université du Québec à Trois-Rivières
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1 Traduction : On se comprend chère collègue?
2 Si sa santé le lui permet, car il est victime d’un cancer au moment d’écrire ces lignes.
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