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Géographie Économie Société : Article pp.363-386 du Vol.13 n°4 (2011)

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Géographie, économie, Société 13 (2011) 363-386

doi:10.3166/ges.13.363-386 © 2011 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

géographie économie société géographie économie société

Une gouvernance territoriale endogène de l’environnement : contours et enjeux

Près de 300 initiatives soumises à une analyse comparative

An endogenous territorial governance of the environment : outlines and stakes

Nearly 300 initiatives for a comparative analysis

Jean-Eudes Beuret

a*

et Anne Cadoret

b

a économiste, Professeur à Agrocampus-Ouest, UMR ESO (Espaces et SOciétés, UMR 6590), 65, route de Saint-Brieuc, CS 84215, 35042 Rennes Cedex

b Géographe, Maître de Conférences à l’Université de Bourgogne, laboratoire Théma (THéoriser et Modéliser pour Aménager, UMR 6049),

2 boulevard Gabriel, 21000 Dijon

Résumé

La gouvernance territoriale de l’environnement peut être le fait d’actions publiques exogènes aux territoires locaux, mais aussi d’initiatives locales de concertation qui se développent dans des espaces publics. L’analyse d’un échantillon de près de trois cents initiatives locales de ce type, sur l’ensemble du territoire national, nous a permis de déchiffrer leur diversité, d’étudier la façon dont elles complètent, corrigent ou inspirent les politiques publiques et d’identifier leurs impacts. Pourvoyeuses d’innovations, elles contribuent à créer un « milieu dialoguant » qui sert de base à la construction de compromis indispensables au développement durable. Elles font émerger des proximités organisées à des échelles ajustées à de nouveaux enjeux environ- nementaux, font évoluer les délimitations territoriales et contribuent à doter les territoires d’un

*Adresse email : beuret@agrocampus-ouest.fr

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capital social territorial spécifique. Elles restent cependant peu reconnues : nous esquissons les contours de ce que pourraient être des politiques d’appui à ces formes de gouvernance.

© 2011 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

Summary

Environment’s territorial governance can be the result of exogenous public actions in local territo- ries, but also of local initiatives of dialog which are developing in public spheres. The analysis of a sample of about three hundred of such local initiatives, all over the french metropolitan territory, made us able to read its diversity, to study the way they complete, correct or inspire the public policies and to identify their impacts. Providing innovations, they contribute to the creation of a debating middle, which serve as a base for the construction of compromises indispensable to a sustainable development. They make emerge new organized proximities on specific scales fitted to new environmental stakes, make the territorial borders change and contribute to endow territories of a specific social capital. They remain however little recognized : we draw outlines of what could be public policies of support for these forms of governance.

© 2011 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

Mots clés : concertation, environnement, gouvernance, politiques publiques, territoires Keywords : negociation, environment, governance, public policies, territories

Introduction

La gouvernance territoriale de l’environnement passe souvent par des dispositifs mis en place par les pouvoirs publics, tels que les comités de pilotage Natura 2000 ou les Commissions Locales de l’Eau. Mais sur le terrain, nombreux sont les acteurs qui prennent l’initiative pour mettre en œuvre une gouvernance issue d’initiatives locales de concertation, souvent hors de toute procédure prédéfinie. Ce sont des élus locaux, des agents de collectivités locales, des associations ou de simples citoyens qui engagent des projets visant à associer à la gestion de biens d’environnement, d’espaces et de terri- toires, des acteurs qui en font des usages concurrents. Souvent plus nombreuses que les procédures de concertation proposées par les pouvoirs publics (Beuret, Tréhet, 2001), ces initiatives manquent pourtant de reconnaissance, tant en termes de soutien politique et financier qu’en termes de recherches. Elles font partie de la gouvernance, définie comme l’ensemble des formes de régulation qui ne sont ni marchandes, ni étatiques (Benko et Lipietz, 1992), mais cette gouvernance émerge au cœur des territoires, contrairement à d’autres formes de gouvernance impulsées de l’extérieur. Envisagée ici comme un mode d’organisation des acteurs (institutions, entreprises, associations) plus fondé sur l’accom- modement que sur la hiérarchie ou la domination, destiné à concevoir et à mettre en œuvre un projet (Laganier, Villalba, Zuindeau, 2002), dans le cadre de la création d’un ordre qui résulte de l’interaction d’un grand nombre de gouvernants qui s’influencent réciproquement (Kooiman et Van Vliet, 1993), la gouvernance mise en œuvre dans les ter- ritoires résulte de deux types de dynamiques. Il existe d’une part une gouvernance territo- riale exogène, mise en place par des autorités publiques externes au territoire, sur la base

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de procédures qu’elles proposent ou imposent, d’autre part une gouvernance territoriale endogène, issue d’initiatives locales. La première est issue d’une régulation de contrôle alors que la seconde s’inscrit dans une régulation autonome (Reynaud, 1989), même si les deux sont articulées, voire combinées dans une régulation conjointe.

La gouvernance territoriale endogène a retenu toute notre attention car elle semble porteuse d’innovations en matière de dispositifs de dialogue et d’action collective pour le développement durable : en effet, alors que les initiatives nationales ou régionales sont souvent encadrées par des procédures formalisées, les acteurs locaux peuvent donner libre cours à leur imagination lorsqu’ils prennent eux-mêmes l’initiative. Par ailleurs, alors que la gouvernance territoriale exogène repose le plus souvent sur les découpages territoriaux existants, la gouvernance territoriale endogène pourra plus facilement les mettre en cause et redéfinir les frontières entre les territoires administratifs, les groupes d’acteurs et les champs de pouvoir. Comment repérer et étudier des processus très divers et peu reconnus ? La Fondation de France appuie des initiatives de ce type dans le cadre d’un appel à pro- jets intitulé « Ensemble Pour Gérer le Territoire » (EPGT). Les projets soutenus sont des initiatives locales de concertation et de gouvernance et portent sur la gestion de l’environ- nement, le lien social, le développement durable, que ce soit dans l’espace rural, urbain ou littoral. Elle a soutenu près de trois cents initiatives entre 2003 et 2007, dans l’ensemble des régions françaises métropolitaines : cet échantillon constitue un terrain d’observation et de caractérisation des contours d’une gouvernance issue d’initiatives locales. Après avoir pré- senté la démarche d’analyse appliquée à cet échantillon, puis les contours de ces initiatives, nous nous attacherons à montrer le rôle joué par la gouvernance territoriale endogène pour compléter et parfois corriger l’action publique et l’importance qu’il y a, dans les politiques publiques, à considérer les multiples formes prises par ces initiatives.

1. Concepts et démarche d’analyse

1.1. La gouvernance territoriale endogène : définition

Nombre d’auteurs soulignent le caractère polysémique du concept de gouvernance (Leloup et al., 2005 ; Hüfty, 2008 ; Létourneau, 2009). Il nous faut d’abord distinguer l’appel à la « bonne gouvernance », c’est-à-dire à la transparence et à l’imputabilité de la gestion publique, de la gouvernance comme théorie, qui vise plutôt les processus de déci- sion sur des questions d’intérêt public, en faisant référence à une pluralité d’acteurs ou de groupes (Létourneau, 2009). Dans cette seconde acception, qui sera la nôtre, certains auteurs définissent la gouvernance par le fait qu’elle associe des acteurs publics et privés de diverse nature à la prise de décision publique (Bertrand et Moquay, 2004, Jean et Ependa Muteba Wa, 2004), mais d’autres l’associent directement à l’implication de ces acteurs dans l’élaboration et la mise en œuvre de politiques publiques (Marcou et al., 1997 ; Froger, 2008 ; Petrella et Richez-Battesti, 2010), Dans une perspective plus large, la gouvernance peut être vue comme une forme de régulation et d’accommodement entre acteurs (Benko et Lipietz, 1992 ; Laganier et al. 2002) qui peut se situer hors de dispositifs publics. Nous nous intéresserons à des formes de gouvernance qui peuvent être indépendantes de politiques et mécanismes de décision publique, mais les rejoignent par le fait de correspondre « à de nouvelles modalités de production de l’intérêt général » (Petrella et Richez-Battesti, 2010).

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La gouvernance se décline à des échelles très diverses. Pour Gilly, Leroux et Wallet (2004), « la gouvernance locale est le processus de structuration d’une mise en compatibi- lité de différentes modalités de coordination entre des acteurs géographiquement proches ».

La gouvernance territoriale répond à ces caractéristiques mais c’est « un processus non seu- lement de coordination des acteurs mais aussi d’appropriation des ressources et de construc- tion de la territorialité » (Leloup et al., 2005). Elle s’inscrit dans le contexte historique du développement local, aussi qualifié d’endogène et de l’implication croissante des acteurs privés dans ces dynamiques : « y sont mises en valeur les vertus d’imagination, d’organisa- tion et de coordination de ces acteurs locaux » (Leloup et al., 2005).

Les typologies des formes de gouvernance observables sont basées essentiellement sur la place qu’y occupent l’État, le marché, ou des coordinations multi-partenariales.

Petrella et Richez-Battesti (2010) distinguent une gouvernance publique qui réserve une place centrale aux acteurs publics, considérés comme les garants de l’intérêt général, alors que d’autres formes sont plutôt le fait d’acteurs privés. Parmi elles, ces auteurs distinguent une gouvernance multilatérale ou partenariale qui implique une diversité d’acteurs publics et privés et où les pouvoirs publics jouent un rôle de facilitateur, puis une gouvernance citoyenne qui se distingue par la présence d’une pluralité d’acteurs dont une part prépondérante est constituée d’acteurs issus de la société civile, qui ont en com- mun de favoriser la révélation des demandes sociales en émergence, non ou partiellement reconnues par les pouvoirs publics. La gouvernance territoriale endogène se rapproche de la gouvernance citoyenne, dans sa fonction de révélation de demandes sociales émer- gentes et dans ses caractéristiques, avec des financements publics limités, octroyés projets par projet (Petrella et Richez-Battesti, 2010), mais recouvre les gouvernances partena- riales et publiques quant aux équilibres entre acteurs publics et privés.

La gouvernance territoriale endogène diffère d’une gouvernance exogène où un acteur public externe au territoire confie à un acteur public territorial la charge de mobiliser des acteurs privés, associatifs et publics du territoire autour d’objectifs communs, en lui proposant ou imposant des procédures. La gouvernance exogène peut aller jusqu’à

« l’imposition par des instances politiques centrales, sur un projet donné, au sein d’une configuration donnée, d’un outil de gouvernance normalisé », comme dans les cas étudiés par Sierra et Lewis (2009), qui soulignent « la centralité de l’État dans un grand nombre de dispositifs de gouvernance ». Nous définissons la gouvernance territoriale endogène comme l’ensemble des initiatives de gouvernance qui émergent dans des espaces publics locaux et associent des acteurs aux statuts et prérogatives diverses qui se mobilisent autour d’un bien commun envisagé comme un construit territorial.

1.2. L’échantillon : 298 projets sous la loupe

Avec son appel à projets « Ensemble Pour Gérer le Territoire », la Fondation de France propose un appui financier à des actions dont l’objectif est de préserver et valoriser l’envi- ronnement, le territoire et ses ressources naturelles, sur la base d’un dialogue entre leurs utilisateurs, engagés dans « une gestion concertée de leur territoire de vie ». Plus de six cents projets ont été accompagnés depuis douze ans, en zones rurales, urbaines, périur- baines ou littorales. Nous en avons étudié près de trois cents, soutenus entre 2003 et 2007, suffisamment récents pour que la mémoire des acteurs reste précise et assez anciens pour

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que soit possible une analyse de leur mise en œuvre et de certains de leurs effets. Ces projets relèvent d’une gouvernance territoriale endogène et reposent sur des dispositifs délibératifs et des processus de concertation. Pour nous, la concertation désigne des pro- cessus de construction collective de visions, d’objectifs, de projets communs, en vue d’agir ou de décider ensemble (Beuret, 2006), où l’orientation coopérative prédomine, l’intention partagée étant de construire ensemble (Touzard, 2006). Dans les territoires, ce sont des démarches « fréquemment mises en œuvre pour définir un bien commun loca- lisé » (Candau et Deuffic, 2009). Cette gouvernance territoriale endogène se développe dans des espaces publics. Selon Habermas (1978), le concept d’espace public « repose sur la liberté et l’autonomie des citoyens pour la formation par la raison d’une opinion et d’une volonté collective qui viendraient influer la production de lois ». Les participants à ces projets investissent un espace public dans lequel ils tentent de s’entendre sur des règles ou des actions visant à gérer un bien soumis à des usages multiples et parfois concurrents, en fonction d’une volonté commune.

L’échantillon étudié n’est certes pas représentatif de l’ensemble des initiatives locales de gouvernance territoriale endogène, à l’échelle nationale. Sa composition est influencée par les termes de l’appel à projet, qui met l’accent sur l’environnement d’une part, la concertation d’autre part et l’existence de délégations régionales de la Fondation de France joue un rôle quant à la concentration des projets dans certaines régions, notamment dans l’Ouest et le Sud Est (figure 1). Tout en tenant compte de ces limites, cet échantillon nous a permis d’approcher la réalité des initiatives locales de gouvernance territoriale endogène, visant la gestion concer- tée de l’environnement et le développement durable, en France métropolitaine.

Figure 1 : Localisation des projets étudiés : nombre de projets par communes

 

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1.3. Méthodologie d’analyse

Trois « entrées » complémentaires ont été utilisées pour l’analyse, avec une base de données, des entretiens et un questionnaire. Une base de données a été construite avec les 298 projets étudiés et 40 variables quantitatives ou qualitatives telles que le ou les objet(s), le type d’espace concerné, les catégories de parties prenantes, la place de l’initiative dans un itinéraire de concertation, les outils utilisés, les innovations introduites, etc.… Renseignée à partir des rapports de présentation et d’évaluation de chaque projet, elle nous a permis d’établir une image de la gouvernance territoriale endogène et d’analyser les variabilités interrégionales. Par ailleurs, une base de don- nées similaire mais plus modeste a été établie pour 60 projets soutenus entre 1997 et 2001, dans les deux régions où l’appel à projet a été initié, afin d’approcher cer- taines évolutions temporelles. À partir de ces travaux, des entretiens semi-directifs ont été réalisés avec 47 porteurs de projets : le choix des projets ainsi approchés a été raisonné en privilégiant la diversité des situations via une typologie a priori.

Étudier autant de projets rend impossible une analyse approfondie de chaque projet, mais au vu de l’extrême diversité des actions, la réalisation d’un nombre limité de monographies n’aurait pu nous permettre de construire une image de la gouvernance territoriale endogène, telle qu’elle existe en France. L’objectif est ici de saisir la diversité des situations, de réaliser une analyse comparative à l’échelle métropoli- taine, de caractériser les impacts observés, d’identifier des récurrences dans les fac- teurs de succès ou d’échec. Enfin, un questionnaire postal a été construit sur la base des hypothèses issues des autres travaux, avec 128 réponses traitées. Le croisement de ces sources d’informations nous a permis de restituer une image de cet ensemble de projets, d’analyser leurs effets territoriaux ainsi que leurs effets sur une culture de la concertation et de la gouvernance, à l’échelle nationale.

2. Les contours de la gouvernance territoriale endogène : objets, acteurs, actions, impacts

2.1. Une grande diversité de thèmes et de porteurs de projets

Autour de quels objets prend-on l’initiative ? Les sujets traités se rapportent tous à l’environnement et au développement durable, mais sont très divers. On passe des éoliennes au vélo dans la ville, en passant par la protection d’espèces rares, la gestion de gravières désaffectées, d’alpages, de paysages agricoles, etc.. Il s’agit en premier lieu de gérer les usages concurrents auxquels sont soumis des espaces et des ressources, puis de construire ensemble un projet ou un mode de gestion pour un territoire, un quartier, des biens d’environnement ; de préserver ou de recréer des liens sociaux ; de s’organiser pour agir ensemble (tableau n° 1).

Les acteurs qui prennent l’initiative sont tout aussi divers. Près de 40 % des por- teurs de projets sont des associations environnementalistes : la moitié d’entre elles sont locales, les autres sont des organisations régionales ou nationales qui prennent l’initiative dans un territoire, souvent via une représentation locale. Ces associations occupent une part importante et croissante dans l’appel à projet : de 13 % de l’échan-

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tillon analysé pour la période 1997-2001, elles sont passées à 39 % des porteurs de projets entre 2003 et 2007. Ceci résulte d’une évolution vers une plus grande ouver- ture au dialogue, ce que confirment les entretiens. On trouve ensuite des collectivités publiques locales, avec près d’un quart des porteurs de projets, principalement des établissements publics de coopération intercommunale. Ce sont souvent des agents territoriaux qui prennent l’initiative, avec pour objectif de montrer aux élus l’intérêt d’investir des fonds publics dans l’appui à la concertation pour la gestion de l’envi- ronnement. Une troisième catégorie, avec 20 % des projets, comprend des organi- sations focalisées sur l’agriculture : elles entendent établir des passerelles entre un secteur agricole cloisonné et d’autres acteurs de la société, porteurs d’une demande d’aliments sains ou de biens non marchands fournis par l’agriculture (paysages, cadre de vie, environnement de qualité, etc). On trouve ensuite diverses catégories faible- ment représentées, avec des associations d’habitants, des plateformes de concertation associant divers acteurs, etc.. parmi lesquelles figurent des associations qui occupent une place modeste mais prometteuse : il s’agit d’associations locales portées par des professionnels de haut niveau tels que des architectes, urbanistes ou agents de développement qui entendent s’engager pour un territoire. Elles utilisent l’engage- ment, les compétences et la créativité de leurs initiateurs pour défricher des champs d’action relativement nouveaux pour les associations. Elles travaillent par exemple sur la planification spatiale, domaine réservé des collectivités publiques locales, pour construire des propositions, faire réfléchir des citoyens, servir d’aiguillon aux

Tableau 1 : des initiatives de gouvernance autour d’une grande diversité d’objets

Ensemble pour… Quel bien commun territorial ? Nb.

Réconcilier

les usages de… (47 %) Un site naturel ou bâti 56

Les espaces et ressources affectés/entretenus par l’agriculture 46

La nature soumise à de nouveaux usages 25

L’eau 7

La forêt 5

Imaginer le futur,

gérer… (25 %) Un territoire dans son ensemble 37

La ville 32

L’alimentation 5

Protéger la nature

(19 %) Conserver la biodiversité 34

Développer les énergies renouvelables 15

Favoriser des comportements éco-citoyens 9

Préserver le lien social

(5 %) Gérer des conflits 12

Créer de liens villes/campagnes 4

S’organiser pour agir,

construire… (4 %) Des références pour l’action 6

Des réseaux d’acteurs 5

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collectivités. En ville, elles travaillent sur l’aménagement de quartiers et d’espaces verts. Elles se positionnent comme des partenaires ou des contradicteurs d’autorités publiques peu habituées à ce type d’interlocuteurs. Leurs leaders sont des « entre- preneurs territoriaux » qui mettent leur esprit d’entreprise au service ni d’un intérêt économique, ni d’une cause globale, mais d’un territoire.

2.2. Des variabilités interrégionales relativement faibles

Les différences restent minimes d’une région à l’autre, autant en termes d’acteurs, d’objets que d’espaces concernés. On retrouve partout la même diversité et les mêmes catégories de porteurs de projets. Les espaces et types d’objets concernés sont pré- sentés dans les figures 2 et 3 : sont distinguées sept régions qui correspondent à des délégations de la Fondation de France, puis un espace « hors délégations ». Dans toutes ces zones, presque toutes les catégories d’espaces font l’objet d’initiatives de gouvernance endogène. Le littoral est peu considéré sauf en Bretagne, sans doute du fait que la mer est un espace géré par l’État, ce qui laisse peu de place aux initia- tives de citoyens, d’associations et même de collectivités. L’espace urbain est présent presque partout et l’on constate que les initiatives émergent plutôt dans de grandes agglomérations. Pour ce qui est des objets des projets, on observe que l’entrée par la gestion de conflits n’est présente qu’au Sud de la France et que l’entrée agricole est plus présente au Nord qu’au Sud, mais les différences restent mineures. On observe surtout que l’on tente d’agir « sur tout, partout ».

Figure 2 : Variabilités interrégionales : les types d’espaces concernés

 

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2.3. Que fait-on ensemble ?

La gouvernance territoriale endogène recouvre une très grande diversité d’interventions, selon que l’on se situe en amont, en aval ou au cœur de la concertation entre les acteurs. Par exemple, une association mène des actions pour susciter des débats et, pour cela, organise des événements qui ont peu à voir, en apparence, avec la gouvernance. Elle a par exemple organisé un festival autour d’un parc périurbain menacé par des projets d’infrastructures.

Elle recueille d’abord des récits, photos et descriptions, tant pour mieux connaître le site que pour favoriser son appropriation par les résidents. Organisé sur le site, le festival est utilisé comme support pour mettre en relation les acteurs et leur proposer la création d’un collectif en vue de réfléchir au devenir du site. On se situe très en amont de la gouvernance propre- ment dite. À l’inverse, certains projets se situent en aval d’un dialogue. Par exemple, une association intervient sur les zones humides d’une commune : une concertation ayant per- mis de caractériser les zones à risque et d’imaginer des mesures de gestion, elle démarche chacun des nombreux propriétaires pour obtenir leur accord sur un projet de gestion ou leur proposer le rachat de la parcelle. Il s’agit d’un travail de traduction opérationnelle (Beuret, 2006) qui vise à traduire les fruits d’une concertation en actes concrets. On peut aussi se situer au cœur de la concertation, comme cette association qui anime un dialogue entre les usagers de zones d’alpage, tels que des éleveurs, des responsables de stations de ski, des randonneurs, des chasseurs, etc.. pour construire une cartographie des usages de l’espace puis élaborer des propositions de gestion. Les idées issues de ces séances, pour se traduire en actes, règles ou projets, devront faire l’objet d’un travail conduit en aval.

Figure 3 : variabilités interrégionales : les objets concernés

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La diversité correspond à des positionnements divers dans des itinéraires de concerta- tion. L’itinéraire comprend différentes étapes, formalisées ou non : il est marqué par une progression dans le dialogue (positive ou négative), des événements extérieurs qui l’in- fluencent et d’éventuelles interventions qui visent à favoriser son avancée. Il débute bien avant la mise en place d’instances de concertation, lorsque son objet émerge dans l’espace public. Ici, nous observons que certains projets se situent au début d’un itinéraire et visent à mobiliser ou rapprocher les participants, alors que d’autres visent à garantir la mise en œuvre d’idées issues de concertations et se situent en fin d’itinéraire. Finalement, l’objec- tif des initiatives relevant de la gouvernance territoriale endogène peut-être de rendre une catégorie d’acteurs prête au dialogue, de faciliter l’émergence du dialogue (en offrant des supports de dialogue, de rapprochement), d’ouvrir un dialogue (en proposant une action commune ou un espace de dialogue), de le conduire, de mettre en place une médiation dans un conflit, de traduire les idées issues du dialogue en actes, de consolider le dialogue en l’élargissant vers de nouveaux acteurs, ou de faciliter la reproduction du dialogue dans des situations similaires (essaimage). À chacun de ces objectifs correspondent des posi- tionnements différents au sein des itinéraires de concertation (figure 4).

Dans l’échantillon analysé figurent aussi des projets qui restent en marge d’une réelle gouvernance, telles que des opérations d’expertise, de communication, ou de dialogue entre acteurs qui ont le même point de vue et souhaitent s’entendre sur une stratégie…

pour s’opposer aux autres ! Si le terme de gouvernance est rarement utilisé, c’est le mot

« concertation » qui est alors utilisé comme « alibi » pour légitimer une action qui ne répond qu’aux objectifs d’une seule catégorie d’acteurs.

Figure 4 : analyse quantitative de « ce que l’on fait ensemble »

L’analyse quantitative du poids de chaque type d’action dans l’échantillon (figure n° 4) révèle la part des actions affichées comme des concertations et qui n’en sont pas réel-

0 10 20 30 40 50 60

Communication Invitation à une action

renforcement d'un acteur supports de dialogue

rassembler les acteurs ouvrir par l'action

ouvrir par la parole appui à la concertation

concertation marginale concertation sectorielle

intervention de médiation élargissement traduction opérationnelle

Essaimage

Nombre de projets

En amont

Au cœur de la concertation

En aval Ouvrir la

concertation

Concertation alibi Action qui entre dans un itinéraire de concertation

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lement : la prudence s’impose face à ces « concertations-alibi ». Cette analyse montre surtout que la plupart des projets se situent en amont de la concertation proprement dite, avec pour objectifs la mobilisation des acteurs et l’ouverture d’une concertation. Ceci a d’importantes conséquences opérationnelles pour l’appui à la gouvernance territoriale endogène et aux initiatives de concertation : l’appui peut certes porter sur l’animation du dialogue, les techniques de médiation, la construction de l’accord, mais la préoccupation première des porteurs de projets est de parvenir à mobiliser, rapprocher, mettre en relation des acteurs dispersés et parfois peu enclins au dialogue. Les actions d’appui méthodo- logiques mises en place sont souvent en décalage face aux besoins des acteurs, faute de prendre en compte cette réalité : il faut accompagner les acteurs au fil d’un itinéraire de concertation et pas seulement lors d’un temps de délibération.

2.4. Quels impacts territoriaux ? Les enjeux

Compte tenu de la taille de l’échantillon, loin d’évaluer les impacts, nous avons tenté de les qualifier sur la base des dires d’acteurs collectés par entretiens ou questionnaires.

Certaines de ces initiatives ont un impact faible, essentiellement pour deux raisons. Tout d’abord, l’action n’a pas d’impact durable si celui qui la porte ne parvient pas à être reconnu légitime dans le territoire et auprès des acteurs concernés. C’est par exemple le cas d’une association dominée par des résidents secondaires qui ne parvient pas à s’ancrer dans le territoire, avec des leaders qui saisissent mal le jeu d’acteurs et le partage des prérogatives entre organismes gestionnaires. Ce sont ensuite des itinéraires de concer- tation inexistants ou mal pensés. Certains emploient des outils de représentation de la réalité pour susciter un dialogue (une représentation théâtrale, un système multi-agent, des jeux de rôle, etc.…) sans avoir pensé leur utilisation dans le cadre d’un itinéraire : quel que soit l’intérêt de ces outils, l’interaction entre acteurs reste ponctuelle et l’impact est faible. Dans d’autres cas, l’itinéraire est mal pensé et/ou mal conduit, avec souvent des discussions organisées sans avoir pris le temps de construire une proximité et un langage commun indispensables au dialogue.

En dehors de ces cas, l’analyse permet d’identifier des impacts positifs notoires. C’est d’abord la création d’un « milieu dialoguant » autour de l’environnement et du développe- ment durable, souvent là où le dialogue fait défaut. Certains projets ont un impact particulier car ils créent des passerelles entre des secteurs et outils de gestion cloisonnés et jouent le rôle de « passe-muraille » (nous reprenons ici le titre d’un projet), en associant par exemple chasseurs et naturalistes, ou agriculteurs et urbanistes. Ces initiatives ont ensuite un effet d’apprentissage qui contribue à doter les territoires de ressources humaines pour la conduite du dialogue en vue de la gouvernance, à la fois compétentes, légitimes et identifiées. Enfin, ces initiatives ont très souvent des effets multiplicateurs en termes de gouvernance. Par exemple dans le Golfe du Morbihan, une initiative associant des agriculteurs et élus autour de l’agriculture littorale conduit ses promoteurs à organiser un forum des acteurs du Golfe.

La rencontre d’un paludier lors de ce forum les conduit à mettre en place une initiative de gouvernance impliquant des chasseurs, des écologistes et des ostréiculteurs pour envisager la réhabilitation d’un marais. L’action initiale donne également naissance à une concertation entre agriculteurs et ostréiculteurs sur la qualité de l’eau, à l’échelle d’un bassin versant : chaque initiative en engendre d’autres. Nous avons par ailleurs identifié des porteurs de

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projets qui jouent le rôle d’incubateurs d’initiatives de concertation : ils accompagnent le lancement d’initiatives qui se développent ensuite sans eux, ou au moins en dehors d’eux, à l’image de ce que ferait une pépinière d’entreprise.

Susciter le dialogue est une chose, mais quels en sont les bénéfices ? Parmi les bénéfices identifiés figurent notamment le fait d’économiser au territoire et à l’environnement le coût du conflit et de la non-gestion : « c’est moins long et moins coûteux que le blocage », selon un porteur de projet. Le coût d’investissement des parties dans le conflit est souvent évo- qué. Quant au blocage, il signifie souvent la non gestion de problèmes environnementaux, avec des effets négatifs qui s’accumulent sans aucune régulation. Le dialogue sert ensuite à progresser dans le fait de concilier la préservation de l’environnement et ses multiples usages : on observe des changements de pratiques d’acteurs, des compromis entre acteurs favorables à la préservation de l’environnement, le développement d’activités en synergie avec l’environnement. Par exemple des concertations sur la gestion d’alpages ou de marais salants désaffectés ont permis de réinstaller des troupeaux ovins (en diminuant les risques d’avalanches liés au sous-pâturage) et des paludiers, avec la création d’emplois. Enfin, ces initiatives servent à mettre en cohérence et optimiser la portée de l’action environnemen- tale, grâce à la mise en réseau d’acteurs environnementaux publics et privés, l’élaboration concertée de politiques publiques, la mise en œuvre d’actions publiques mieux comprises par des citoyens invités à participer, le redimensionnement d’actions publiques qui vont plus loin que prévu en matière de gestion de l’environnement.

Enfin, aux bénéfices environnementaux observés sont souvent associés des bénéfices sociaux, mis en avant par les parties prenantes. La participation de certains acteurs s’ac- compagne d’une appropriation de ce que peut être une citoyenneté active, avec ce qu’elle leur apporte en termes d’expression, estime de soi, considération. C’est un impact central dans certains cas. Par exemple à Marseille, un projet a permis à un groupe de femmes d’un quartier difficile de comprendre qu’elles pouvaient être reconnues comme des inter- locuteurs des aménageurs, puis de s’affirmer dans ce rôle, avec des bénéfices collectifs mais aussi individuels en termes d’estime de soi et de capacité d’initiative.

2.5. Des bénéfices plus globaux : deux champs d’innovation

Aux bénéfices obtenus par les territoires s’ajoutent des effets plus globaux, via l’inno- vation, très présente dans ces initiatives. Elle porte d’abord sur les outils de mobilisation des acteurs concernés. Il s’agit de faire émerger des débats puis des actions. Sont expé- rimentés des supports de mobilisation tels que des événements (festival, forum…), des modes de représentation de la réalité collectivement construits (par exemple des pièces de théâtre construites à partir des dires d’acteurs, des représentations cartographiques co-construites), puis des outils d’expression et de mise en débat des préférences indivi- duelles. L’innovation est ensuite organisationnelle et porte sur les structures et supports de coordination et d’action collective. C’est par exemple une tentative de mise en place d’une « régie de territoire » associant des acteurs publics et privés pour stabiliser une offre d’entretien des espaces ruraux, la création de dispositifs d’acquisition collective du foncier agricole, la création de formes d’accord originales avec la labellisation d’activités économiques respectant les préconisations issues d’une concertation. Tirer le meilleur parti de ces innovations locales supposerait de les mettre en dialogue, ce qui se heurte à

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l’existence de foyers d’innovation isolés les uns des autres. Il est indispensable d’accom- pagner les innovateurs pour qu’ils puissent d’une part échanger pour co-construire des innovations plus abouties, d’autre part faire connaître leur expérience.

3. Quelle place vis-à-vis des politiques publiques ?

La gouvernance territoriale endogène se situe dans un espace public qui « est le lieu du pouvoir légitime communicationnel », mais « entre en tension avec le pouvoir adminis- tratif, c’est-à-dire celui des institutions du système politique » (Habermas, 1978). Cette tension peut conduire à des oppositions stériles, au fait de s’ignorer mutuellement, comme elle peut être créatrice, si des synergies se construisent. De façon générale, les espaces publics créés ou occupés par les initiatives de gouvernance territoriale endogène doivent trouver leur place dans un espace global, où se rencontrent les politiques publiques et les initiatives locales, les règles dictées par l’État et celles construites par les acteurs, l’exer- cice du gouvernement et les pratiques de gouvernance. Comment se fait cette rencontre ? Après avoir analysé la place prise par ces initiatives vis-à-vis des politiques publiques, nous nous intéresserons à la façon dont pourraient être mieux exploitées les complémen- tarités existantes.

3.1. Prolonger, compléter ou corriger les politiques publiques

Les actions mises en œuvre rejoignent très généralement les objectifs de politiques environnementales, patrimoniales et/ou territoriales. Lorsque l’on rapproche chaque projet des politiques publiques correspondantes, on constate que les projets soutenus viennent compléter les politiques publiques dans trois domaines. Les politiques agri- coles classiques sont complétées par des projets (17 % de l’échantillon) qui visent à promouvoir un décloisonnement de l’agriculture et atteindre un objectif de multi- fonctionnalité de l’agriculture : il s’agit d’introduire des objectifs environnementaux, paysagers, relatifs au cadre de vie et aux usages récréatifs des espaces ruraux. Ces actions donnent un contenu à une multifonctionnalité que l’État appelle de ses vœux mais peine à impulser, du fait d’une cogestion de l’agriculture avec des organisations syndicales réservées vis-à-vis de cet objectif : la concertation locale contourne cet obstacle. D’autres projets visent à rendre effectives des instances de concertation et de gouvernance dans des domaines et à des échelles qui correspondent à l’action des collectivités publiques locales (40 % des projets). Nombre de projets pourraient être le fait de commissions extra-municipales ou extracommunautaires, voire des conseils de développement des pays, mais ces structures sont loin d’être effectives partout et certaines initiatives viennent pallier leurs défaillances. Il s’agit souvent de contourner les obstacles que sont les réticences des élus, les clivages politiques, les clivages sec- toriels. Enfin, d’autres projets visent à compléter des politiques environnementales, car les porteurs de projets les jugent limitées en termes de participation citoyenne, ou pour investir des domaines qu’elles explorent peu (41 % des projets) : il s’agit par exemple de travailler sur l’acceptabilité sociale des aménagements liés aux énergies renouve- lables, sur la gestion concertée des usages concurrents des biens d’environnement, ou sur la mise en place de services de médiation autour de l’environnement.

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Les initiatives étudiées viennent donc compléter l’action publique là où les acteurs locaux la jugent défaillante ou lacunaire. Certaines initiatives sont du reste directement en relation avec des politiques publiques et affichent un objectif correctif. Il s’agit surtout d’atteindre un objectif de participation citoyenne affiché dans ces politiques mais que les procédures proposées ne permettent pas d’atteindre, en particulier pour les politiques de l’eau (notamment l’élaboration des Schémas d’Aménagement et de Gestion de l’Eau) et Natura 2000 : des porteurs de projets critiquent ces procédures et entendent « aller plus loin ». Il s’agit parfois de construire des références méthodologiques pour les pro- poser aux acteurs publics. Par exemple, les communes doivent garantir la participation du public dans l’élaboration des documents de planification spatiale mais manquent de références dans ce domaine : plusieurs projets visent à construire ces références.

3.2. Substituts, compléments ou sources d’inspiration ?

Ces initiatives locales ont-elles vocation à se substituer ou à compléter durablement l’action publique ? Si tel est le cas, elles risquent de s’essouffler. Ces initiatives existeront toujours en marge d’une action publique par essence imparfaite et incomplète, mais elles ont vocation à inspirer l’action publique pour pouvoir disparaître puis renaître sous la forme de nouvelles dynamiques, dans de nouveaux champs. Certaines d’entre elles ont contribué à faire évoluer les modalités de l’action publique. Ainsi, un projet portant sur des étangs piscicoles a permis que des accords soient trouvés entre environnementalistes et pisciculteurs pour assurer d’une part une régulation des populations de cormorans, d’autre part la préservation des habitats d’espèces protégées : il est pris en exemple par le Ministère de l’Environnement qui invite des acteurs confrontés à la même problématique à suivre la même démarche et procède aux aménagements réglementaires correspondants.

Ailleurs, un projet de concertation entre agriculteurs et ostréiculteurs a servi d’exemple à la région Bretagne pour modifier sa politique de l’eau. Finalement, des projets par- viennent à faire évoluer des politiques publiques de plusieurs façons : soit ils offrent une expérience dont s’inspirent les décideurs, soit le porteur de projet participe à la redéfini- tion d’une politique sur la base de cette expérience, soit le projet alimente l’élaboration de politiques en apportant le fruit d’une réflexion collective. On observe que ceci fonctionne surtout là où des difficultés manifestes incitent les décideurs à s’intéresser aux solutions issues du terrain.

Ceci suppose que les initiatives locales soient considérées avec attention par les pouvoirs publics. Or, c’est loin d’être toujours le cas : en témoignent des interventions

« aveugles » de l’État, qui agit parfois sans tenir compte de l’existant. C’est par exemple une préfecture qui lance l’élaboration d’un Schéma de Mise en Valeur de la Mer sans tenir compte des résultats d’un forum né d’une initiative locale, qui avait abouti à décider de mettre en place des espaces de concertation : ceux-ci ne verront pas le jour alors qu’ils étaient portés par une dynamique en cours. C’est encore l’exemple d’une association naturaliste qui, ayant identifié un espace comme possible zone Natura 2000, se heurte à une opposition locale : une concertation conduit à un accord sur le retrait du projet assorti d’un engagement des agriculteurs, avec les environnementalistes, à faire « mieux que Natura 2000, sans Natura 2000 ». Une collaboration peut alors s’engager, dans le cadre d’un dispositif de gouvernance endogène : c’est le moment que choisi l’État pour classer

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la zone Natura 2000, malgré l’opposition de tous. Nombre de cas de ce type montrent le manque de reconnaissance dont bénéficient ces initiatives. Ceci transparaît aussi dans certains écrits, par exemple le rapport du Commissariat Général au Plan (2005) sur les conflits d’usage et le rôle de l’État, qui n’évoque la concertation que sous une forme insti- tutionnalisée, initiée et maîtrisée par des organisations publiques (des commissions admi- nistratives, des débats publics…), en amont de décisions qui ne sont du ressort que de ces organisations. Ce rapport assigne trois fonctions à la concertation : l’aide à l’amélioration dans l’élaboration du projet, un support à l’information du public concerné et une contri- bution à la décision. La concertation est assimilée à une simple participation à l’action publique : des initiatives de concertation décentralisées, citoyennes, ne trouvent pas de place dans cette vision. Ceci reflète une réalité souvent observée dans les actes et discours d’organisations publiques qui peinent à dépasser une vision de la gouvernance territoriale limitée à la participation des acteurs locaux à ce qu’elles font, proposent et maîtrisent. La gouvernance territoriale endogène émerge dans les interstices de l’action publique, là où l’État est peu présent, voire défaillant : l’État gagnerait à mieux la reconnaître.

3.3. D’autres enjeux : nouvelles proximités, dynamiques territoriales et capital social Au-delà du caractère correctif ou complémentaire de la gouvernance territoriale endo- gène vis-à-vis des politiques publiques, d’autres enjeux apparaissent. Un point com- mun à l’ensemble des initiatives observées est qu’elles visent à transgresser les limites imposées par certains facteurs de fragmentation des territoires et de cloisonnement des acteurs, issues d’appartenances (professionnelles, sectorielles, administratives, sociales.) et d’usages divers des biens d’environnement, pour faire émerger de nouvelles proximi- tés entre agents et groupes d’agents. Il s’agit de proximités organisées, entendues par Rallet et Torre (2004) comme la capacité qu’offre une organisation de faire interagir ses membres, l’organisation désignant ici tout ensemble structuré de relations, formelles ou informelles, y compris une communauté, un réseau social, un milieu. Ces nouvelles proximités organisées peuvent être des proximités d’appartenance à de nouvelles orga- nisations, mais l’enjeu réside surtout dans la construction de proximités de similitudes, issues de l’adhésion des agents à un espace commun de représentations, de règles d’ac- tion et de modèles de pensée (Kirat et Lung, 1995). Appelées à dépasser les cloisonne- ments existants, elles faciliteront les interactions et coordinations entre ceux qui auront contribué à leur construction, en servant explicitement ou implicitement de points de repère pour l’action, que celle-ci soit collective ou individuelle. Par exemple, naturalistes et associations d’escalade se rapprochent pour gérer ensemble des falaises occupées par des grimpeurs et des rapaces, chasseurs et naturalistes tentent de se construire un langage commun pour gérer des milieux naturels, l’ensemble des acteurs d’une baie tentent de se rapprocher pour agir au-delà des clivages administratifs, politiques et sectoriels : chaque fois, il s’agit de construire de nouvelles proximités pour surmonter celles qui font obstacle à la gestion concertée de biens d’environnement, à des échelles adaptées. Cela ne va pas sans résistances et il est fréquent de voir des acteurs qui puisent leurs prérogatives dans les découpages sectoriels ou territoriaux préexistants s’opposer à ces initiatives. L’enjeu est considérable : il s’agit de faire évoluer les découpages sectoriels et territoriaux au gré des enjeux du présent, en matière d’environnement et de développement durable.

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Les initiatives étudiées émergent en référence à certains territoires, structurés ou non par des formes d’autorités politiques. Dans l’ensemble de l’échantillon, 40 % des projets se réfèrent à une échelle de gestion publique préexistante, mais les autres se réfèrent à des échelles pertinentes du point de vue de l’objet qu’il s’agit de gérer ensemble (un massif, un réseau d’acteurs, un site…), mais au niveau desquelles existe un déficit d’ac- tion publique et de proximités organisées. La majorité des projets met donc en avant de nouvelles échelles d’action et d’appropriation de l’action par ceux qui la portent, avec une contribution essentielle à la dynamique des territoires. Selon la définition donnée par Caron (2005), inspirée de Brunet et al. (2001), la notion de territoire s’appuie sur les éléments suivants : « (i) un espace borné, aux limites plus ou moins précises ; (ii) un sentiment ou une conscience d’appartenance de la part de ses habitants ; (iii) l’existence de formes d’autorité politique et de règles d’organisation et de fonctionnement ». La gou- vernance territoriale endogène fait évoluer chacun de ces éléments, avec des initiatives qui mettent en avant de nouvelles limites, un sentiment d’appartenance renforcé par l’ini- tiative et l’appropriation de l’action, de nouvelles règles et coordinations qui émergent à des échelles renouvelées. Le territoire qui en résulte est un construit social qui peut être révélé à un moment donné afin de résoudre un ou des problème(s) particuliers (Pecqueur, 2002), mais se redéfinit en permanence.

À l’échelle de chaque territoire, les nouvelles proximités organisées qui émergent par- ticipent d’un capital social. L’idée de base du capital social est que la famille, les amis et les collaborateurs d’une personne constituent un atout important, sur lequel elle peut compter en période de crise, qui est en soi une source de plaisir et qui peut se traduire par des gains matériels éventuels (Woolcock, 2001). On retrouve cette idée de plaisir dans les propos des porteurs de projets, lié cette fois à la construction du lien et non plus à sa seule existence. Au cœur du capital social, la Banque Mondiale distingue des liens de type bonding qui caractérisent des affinités sociales : ce sont des liens forts, horizontaux, régulièrement activés. Les liens de type linking sont aussi des liens forts mais ils lient des agents qui appartiennent à des groupes différents et sont construits sur la base de complé- mentarités. Enfin, les liens de type bridging sont des liens à distance entre personnes ou entités de nature différente qui se retrouvent autour d’intérêts et d’objectifs communs : il s’agit d’une ressource non-activée, latente, qui appartient à la catégorie des liens faibles.

Les initiatives de gouvernance territoriale endogène contribuent principalement à ren- forcer des liens faibles, de type bridging, qui peuvent ensuite devenir des liens de type linking. Angeon et Caron (2006) évoquent un espace relationnel renforcé par l’ensemble de ces liens. Ils permettent aux agents d’acquérir des informations essentielles visant à mieux comprendre et à anticiper leurs intentions réciproques.

Il s’agit d’un capital social territorial. Si beaucoup d’auteurs (Bourdieu, 1980, Requier- Desjardins, 2004) considèrent le capital social comme un stock issu d’un investissement à l’échelle individuelle, d’autres en font un bien sociétal, « valorisé par les agents mais qui n’est pas détenu par un agent en particulier » (Putnam, 1993). Ce n’est pas un inves- tissement mais une externalité non-rivale produite par des comportements visant d’autres objectifs. Les nouvelles proximités construites par la gouvernance territoriale endogène participent d’un capital social territorial, détenu à la fois par des individus très impliqués dans les initiatives étudiées – implication motivée en partie par l’acquisition de ce capi- tal – et par le territoire dans son ensemble. Ce capital social échappe à ceux qui l’ont

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créé : c’est un bien public local au même titre que l’investissement en capital humain, qui représente une composante clé du potentiel et de la compétitivité des lieux et des régions (Martin, Sunley, 2004).

4. Vers une démocratie coopérative ? Enjeux et positionnement 4.1. Articuler l’exogène et l’endogène dans une démocratie coopérative

Au vu de ces constats, il semble que les pouvoirs publics gagneraient à mieux appuyer des initiatives qui complètent l’action publique tout en contribuant à faire évoluer les territoires et à les doter d’un capital social spécifique. Une politique d’appui passe par une offre de financement adaptée aux rythmes, à l’originalité et à la diversité de ces initiatives, ouverte à celles dont les finalités rejoignent des objectifs d’intérêt général, et par un accompagnement à la co-construction et à la diffusion des innovations à partir d’échanges entre les porteurs de projets. Des observatoires des initiatives de gouvernance territoriale endogène pourraient être mis en place, à la fois pour éviter que des actions exogènes soient proposées sans tenir compte de l’existant et pour réaliser une veille en matière d’innovation, à la fois sur les outils mis au point et sur les fruits du dialogue. Les protagonistes en viennent très souvent à proposer de faire évoluer des règles, des orga- nisations, des échelles et formats d’action publique. Il ne s’agit pas de souscrire à toutes ces propositions, au risque d’une prise en compte exclusive de l’intérêt du « local » et des seuls groupes qui prennent l’initiative, mais de les repérer pour les passer au crible de l’intérêt général. Enfin, les politiques publiques doivent s’attacher à articuler les formes de gouvernance exogènes et endogènes et exploiter leurs complémentarités.

L’enjeu est de dépasser la dichotomie souvent mise en avant entre une démocratie repré- sentative qui offre une légitimité à certains pour décider au nom de ceux qui les ont élus et une démocratie participative, au nom de laquelle les citoyens et leurs représentants associa- tifs sont invités à participer à la gestion publique. Nombre de citoyens n’attendent pas d’être invités à participer : ils prennent l’initiative pour compléter, corriger, aller plus loin que les pouvoirs publics et coopèrent ainsi à une action d’ensemble, publique et privée, environne- mentale et territoriale. Dès lors, l’enjeu est d’associer les contributions des uns et des autres, les connaissances empiriques ou scientifiques des uns et des autres, les moyens humains des uns et financiers des autres, au sein d’une « démocratie coopérative ».

Les initiatives qui relèvent d’une gouvernance territoriale endogène dépassent une conception de la démocratie participative basée sur la participation du public à des actions initiées par d’autres. Pourtant, la gouvernance est souvent considérée comme partie pre- nante d’une démocratie participative (Canet, 2004), par des auteurs qui soulignent les limites de la démocratie représentative, des « politiques descendantes », du « suffrage électoral qui ne peut plus assurer la représentativité nécessaire à la démocratie » et mettent en avant « l’émergence de nouveaux espaces de développement, construit par et pour les acteurs », dans une gouvernance territoriale qui répondrait aux principes de la démocratie participative (Leloup et al., 2005). La gouvernance territoriale endogène nous oblige à reconsidérer les catégories existantes, car il ne s’agit plus seulement de décider au nom de ceux que l’on représente ou de participer aux actions engagées par ceux qui nous représentent, mais bien de s’engager dans une coopération, autour d’un bien commun

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localisé à co-construire. Et il s’agit moins de construire du consensus autour d’avis ou de propositions, objectif central de nombreux dispositifs participatifs, que de construire de l’action collective par la coopération.

Dès lors, la démocratie coopérative (Beuret, Cadoret, 2010) est définie par les traits suivants. C’est une démocratie polycentrée (terme mis en avant par Létourneau, 2009), qui reconnaît comme un fait la distribution du pouvoir, des ressources et des informations entre de nombreuses mains et envisage la coopération comme l’un des moyens d’une coordination efficace. La démocratie coopérative vise à construire de l’action collective plutôt que du consensus, avec pour objectif la construction collective de systèmes d’action publique : il n’est pas toujours besoin de consensus pour coopérer et il s’agit avant tout d’associer de multiples contributions dans une « action au pluriel » (Thévenot, 2006). Au sein de cette action, les organisations qui relèvent de la démocratie représentative gardent un rôle de garants de l’intérêt général, mais leur rôle évolue. La place de l’État de droit est repensée avec un rôle d’animateur, de catalyseur, et de capacitateur (ce que Giddens appelle the enabling state) avec une exigence particulière, l’État ayant la responsabilité d’obtenir des résultats (ce que Giddens appelle the ensuring state) (Létourneau, 2009).

L’État comme les collectivités locales doivent coopérer avec d’autres acteurs publics ou privés « obéissant à leur propre logique d’intérêt et/ou exerçant des responsabilités sur des domaines de compétences tantôt partagés, tantôt disputés, mais jamais absolument étanches ou autonomes » (Bertrand et al., 2001). Enfin, c’est une démocratie appelée à reconnaître des initiatives prises en faveur d’un intérêt qui dépasse celui de leurs pro- moteurs, fondées sur un attachement au territoire et à certains biens communs localisés.

La démocratie coopérative existe déjà à partir d’une grande diversité d’initiatives et des connexions dont elles bénéficient avec l’action publique : mais des politiques spécifiques permettraient de la développer.

4.2. Positionnement vis-à-vis des théories de la gouvernance

Penser l’action publique de façon polycentrée n’est pas nouveau. Les centres de pou- voir (Stoker, 1998) et les pôles d’initiative (Gaudin, 1999) se multiplient, ce qui conduit Lafaye (2001) à parler d’un mode de pouvoir polycentrique qui se développe à partir d’atouts qui tiendraient notamment à sa plasticité. Le caractère endogène de nombreuses initiatives relevant d’une gouvernance est aussi constaté par des auteurs qui évoquent l’augmentation des marges d’initiative locale et l’imbrication croissante des initiatives (Gaudin, 1999). Le rôle qu’y jouent les acteurs non gouvernementaux est souligné (Le Galès, 1995) et selon Stoker (1998), la gouvernance exige de reconnaître l’ampleur et la diversité des contributions du secteur associatif à la résolution de problèmes collectifs.

Dès lors, le partenariat entre les parties prenantes de l’action collective peut être fondé sur des relations de sous-traitance, des négociations inter-organisations mais aussi une coor- dination systémique, qui amène les organisations à s’entendre pour développer une vision et une capacité de travail communes (Stoker, 1998), ce qui rejoint l’idée d’une démocratie coopérative. Dès lors, en quoi ce concept renouvelle-t-il certaines perspectives ?

Les théories de la gouvernance présentent plusieurs limites au vu des formes de mobilisation et d’action étudiées. Certaines d’entre elles considèrent d’abord, parmi les acteurs privés du système politique local, avant tout des entreprises et des associations

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parapubliques. Dans le cas des villes, Le Galès (1995) évoque le passage d’un jeu à deux acteurs dans la construction de l’action publique, avec l’État et les collectivités locales, à un jeu à trois acteurs, incluant de grands groupes de services urbains, privés ou parapublics. Gaudin (1999) évoque le développement, autour des collectivités terri- toriales, de structures intersectorielles de gestion et d’animation de politiques publiques urbaines, d’associations satellites contrôlées par les collectivités locales et de sociétés d’économie mixte d’aménagement. Ceci laisse peu de place à un secteur associatif d’initiative citoyenne. Les associations citées sont des « satellites » qui prolongent l’ac- tion des collectivités territoriales dans le domaine de l’action sociale, des sports ou de la culture (Gaudin, 1999) ou un « troisième secteur » agissant essentiellement dans le champ de l’économie sociale (Stoker, 1998). Leur intégration dans l’action publique est limitée avant tout à une « participation à la fourniture de services et aux décisions stra- tégiques » (Stoker, 1998). Utiliser le terme de démocratie coopérative revient à mettre l’initiative citoyenne au cœur de la gouvernance.

Le concept de démocratie coopérative invite ensuite à mieux considérer, au sein des formes de gouvernance, des mobilisations autour d’intérêts collectifs, voire généraux.

Les théories relevant de l’économie politique comme celles du public Choice (Peterson, 1981) comme intérêt unique capable de fédérer tous les groupes autour d’un intérêt général territorialisé, des coalitions d’intérêts (Logan et Molotch, 1987) ou des régimes politiques urbains (Elkin, 1985 ; Stone, 1993) tendent en effet à réduire les acteurs privés d’un territoire à des porteurs d’intérêts privés. La théorie du public choice est fondée sur le fait que les acteurs privés se retrouvent autour de politiques locales qu’ils reconnaissent comme étant de l’intérêt par exemple d’une ville, si elles renforcent la position de la ville en termes économique, de prestige social, de pouvoir politique, car ceci est une contribution à leurs intérêts privés, dans une logique de concurrence entre territoires d’une part, entre intérêts privés d’autre part. La théorie des urban growth coalition s’intéresse à la formation d’organisations et de coalitions d’intérêt en faveur du développement économique mais relègue en arrière-plan la défense d’intérêts col- lectifs et plus encore, selon Le Galès (1995), le comportement des acteurs est analysé en termes d’intérêt essentiellement financier. Enfin, la urban regime theory définit un régime politique urbain comme un ensemble d’arrangements et relations formels et informels relativement stables, entre intérêts publics et intérêts privés, mais ces derniers sont avant tout ceux des entreprises, dont le départ plongerait les habitants comme les politiques locales dans la crise. Dans les initiatives que nous avons étudiées, la coo- pération dépasse la mobilisation de participants qui ne se regrouperaient qu’« en vue d’un avantage dont chaque membre serait bénéficiaire » (Leloup et al., 2005), ce qui suggère une autre approche défendue notamment par Rusconi (1994, cité par Gaudin, 1999) : pour lui, la mobilisation de chacun ne relève ni totalement de la recherche de l’avantage individuel et direct, ni uniquement de la quête d’un sens global et solidaire, mais d’un dosage variable de ces deux perspectives. C’est ce que nous avons observé et ceci fonde le lien établi avec une forme de démocratie, qui reconnaît des engagements citoyens pour l’intérêt collectif.

Enfin, le concept de démocratie coopérative invite à dépasser une vision des relations entre acteurs publics et privés centrées sur la contractualisation et la négociation, par des auteurs qui évoquent la multiplication des relations et politiques contractuelles (Le

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Galès, 2006, Alban et Lewis, 2006). Gaudin (1999) précise du reste qu’il s’agit rarement de contrats stricto sensu. Il évoque des modalités de négociation instables ouvertes à des interlocuteurs divers (notamment à des issue networks ou réseaux de projets), la mul- tiplication de dispositifs de médiation associative, une diffraction des lieux d’initiative et de consultation. Ceci le conduit à s’interroger sur la capacité des institutions à inté- grer ces dispositifs dans une nouvelle façon de penser les régulations polycentriques, sans taxer d’imperfections cette prolifération de centres d’initiatives et de négociations instables et multipolaires, question dont nos travaux de terrain confirment la pertinence et qui se trouve au cœur de nos propos sur la démocratie coopérative. Ce concept vise enfin à mettre en avant un principe de coopération pour une construction collective, donc de concertation, qui dépasse une négociation distributive (Dupont, 2006) basée sur la confrontation des points de vue.

4.3. Limites, freins et atouts

La démocratie coopérative ne doit pas se substituer à d’autres formes d’expression démocratique mais les compléter, en raison de ses limites. La première est qu’elle risque de n’associer qu’une fraction de la population capable de prendre l’initiative et/ou de faire entendre sa voix dans des associations, recomposant ainsi l’élite locale tout en laissant l’essentiel de la population hors de son champ. Une seconde limite réside dans le fait de contribuer à une complexification de la démocratie qui pose des problèmes déjà soulignés par certains auteurs. Sont évoqués le risque d’une certaine occultation du système démo- cratique, si les différents types de partenariat avec le secteur privé débouchent sur des décisions prises dans le secret (Le Galès, 1995), le fait que l’association des acteurs privés risque de masquer les responsabilités (Peters, 1993) et de créer une relative irresponsa- bilité des réseaux qui en résultent (Stoker, 1998) posant des problèmes aussi bien à ceux qui en font partie qu’à ceux qui en sont exclus. Selon Stoker (1998), la solution réside dans le fait que l’État, tout en respectant l’autonomie dont ces réseaux ont besoin pour atteindre leurs objectifs, s’attache à en orienter l’action indirectement et incomplètement, ce qui rejoint notre conception de la démocratie coopérative. L’État prendrait alors un rôle de facilitateur et s’attacherait à coordonner, influencer et orienter, intégrer et réglementer (Kooiman et Van Vliet, 1993).

Stoker (1998) s’interroge sur la capacité et le désir de la plupart des gouvernants de s’adapter à ce type de mission. Quant aux élus locaux, le fait qu’ils puisent de plus en plus leur légitimité dans le fait d’entreprendre (Le Galès, 1995) et de porter des projets (Le Bart, 2009) peut être un frein ou un atout pour la démocratie coopérative. C’est un frein s’ils entendent garder une main mise sur leurs projets et craignent d’en perdre le contrôle. C’est un atout s’ils conçoivent leur rôle comme l’entend Le Bart (2009), qui se réfère à la cité par projet formalisé par Boltanski et Chiapello (1999), celui d’un « élu- connexionniste, qui ne peut agir seul et auquel il appartient de fédérer, aussi bien en interne qu’en externe » et « établit des connexions entre champs, entre institutions, entre secteurs d’activités ».

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Conclusion

Portant sur plusieurs centaines d’opérations locales, cette analyse comparative occupe une place originale dans les recherches menées sur la concertation et sur la gouvernance territoriale de l’environnement, basées en général sur un nombre réduit de cas. À l’échelle internationale, un autre exercice de ce type a été réalisé aux États-Unis sur 239 cas de concertation autour de l’environnement (Beierle T.C., Cayford J., 2002), avec là aussi pour objectif d’établir un bilan en termes d’acteurs mobilisés, d’enjeux débattus, de procédures et processus, d’effets produits. Selon Blondiaux (2010), ces deux exercices sont sans équi- valents et un tel apport comparatif est nécessaire. Autorisant des analyses quantitatives et cartographiques, ces travaux semblent précieux pour identifier des récurrences dans les fac- teurs qui facilitent ou entravent la construction de nouvelles formes de gouvernance de l’en- vironnement, même s’ils sont limités par la diversité des initiatives étudiées, qui complique singulièrement l’évaluation de leurs impacts. Cette analyse comparative nous a permis de tracer les contours d’une gouvernance territoriale endogène de l’environnement, basée sur des initiatives très diverses en termes d’objets, d’acteurs, d’itinéraires de concertation. La plupart des projets visent d’abord à mobiliser et rapprocher des acteurs peu enclins à se par- ler, en amont de la concertation proprement dite, ce dont il faut tenir compte pour mettre en place un accompagnement adapté. Nombre de ces initiatives visent à corriger ou compléter l’action publique là où elle se révèle défaillante ou lacunaire : elles viennent prolonger des politiques de l’environnement, de promotion d’une agriculture multifonctionnelle, de parti- cipation des citoyens à l’action des collectivités publiques locales.

Elles manquent pourtant de reconnaissance. À la suite de l’analyse a été esquissé ce que pourrait être une politique publique d’appui à une gouvernance territoriale endo- gène de l’environnement. Une telle politique s’inscrit dans l’émergence d’une démocratie coopérative visant à dépasser tant la seule démocratie représentative qu’une démocratie participative dans laquelle les citoyens ne sont souvent invités à participer qu’à ce que les pouvoirs publics leur proposent. Nombre d’acteurs n’attendent pas d’y être invités pour participer à la gouvernance de l’environnement. Une démocratie coopérative émerge à travers leurs actions et leurs connexions avec l’action publique. Elle considère la pos- sibilité, pour les citoyens, de prendre l’initiative au nom d’objectifs qui rejoignent ceux des pouvoirs publics et entend favoriser une coopération, envisagée comme un mode d’organisation qui permet à des agents porteurs d’initiatives (individus ou organisations, publics ou privés) d’agir de concert. Il s’agit de co-opérer : le décideur garde son pouvoir de décision, le citoyen garde son autonomie d’action, mais leurs actions sont considé- rées dans une action d’ensemble, dès lors que leurs objectifs convergent. Ceci dépasse et complète une participation envisagée, depuis le renouveau dont elle a été l’objet à partir des années 1990, comme un mouvement descendant, à l’initiative des autorités politiques élues (Blondiaux, 2008). Au-delà d’une nécessaire prudence, de telles initiatives n’étant pas toujours conformes à l’intérêt général, l’enjeu est notamment de favoriser l’émer- gence de compromis nécessaires au développement durable et de nouvelles proximités organisées, à des échelles ajustées à de nouveaux enjeux.

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