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Géographie Économie Société : Article pp.119-133 du Vol.13 n°2 (2011)

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Géographie, Économie, Société 13 (2011) 119-133

doi:10.3166/ges.13.119-133 © 2011 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

géographie économie société géographie économie société

Injonction de mixité sociale et écueils de l’action collective des délogés.

Comparaison entre les années 1970 et 2000 Injunction to social mix and individualization.

Genealogy of the obstacles to evicted tenants’ collective action (1970’s-2000’s)

Marion Carrel

1

et Suzanne Rosenberg

2

1 Maître de conférences en sociologie, Université Lille 3, laboratoire Ceries, Domaine Universitaire du « Pont de Bois », BP 60149, 59653 Villeneuve d’Ascq Cedex

2Intervenante indépendante, 31 bis rue Saint-Michel, 37550 Saint-Avertin

Résumé

Cet article propose une analyse socio-historique du rapport des citoyens, en France, à la législa- tion et aux programmes visant la mixité sociale. Alors que dans les « luttes urbaines » des années soixante-dix, il apparaissait légitime de s’opposer aux opérations urbaines visant à exclure les plus pauvres de la centralité, l’injonction de mixité sociale s’impose aujourd’hui davantage. Les asso- ciations et collectifs qui s’opposent à la démolition de logements ou à l’expulsion de locataires ont changé de discours et de répertoire d’action. Dans le même temps, l’acception collective de la catégorie du citoyen s’est diluée dans un rapport plus personnel aux institutions démocratiques, tandis que les professionnels se sentent illégitimes à conseiller juridiquement et stratégiquement les habitants des quartiers rénovés. L’article explore ainsi les pistes permettant d’expliquer la faiblesse du débat démocratique contemporain sur les enjeux des opérations de démolition-reconstruction, comparativement aux années soixante-dix.

© 2011 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

*Adresse email : marion.carrel@free.fr • suzanne.rosenberg@wanadoo.fr

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Summary

This paper offers a socio-historical analysis of the relationship of French citizens to legislations and public policies’ programmes aimed at developing social mix. While, in the seventies, opposition to urban renewal programmes excluding the poorest from the city centers was seen as a legitimate form of action, the injunction to social mix is nowadays largely imposed on people. Associations and collectives fighting against the demolition of housing or the expulsion of poor tenants have changed their discourse and repertoire of actions. The collective conception of the category of citi- zen has melded into a personal relationship to institutions, while French professionals feel no legi- timacy to advise, judicially and strategically, the renovated neighbourhood’s inhabitants. Finally, this paper tries to list the explanations of the contemporary lack of democratic debate about urban renewal projects in comparison with the seventies.

© 2011 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

Mots clés : Action collective, mixité sociale, luttes urbaines, individualisation, communautés.

Keywords : collective action, social mix, urban struggles, individualisation, communities.

Introduction

Comment expliquer la faiblesse du débat démocratique contemporain sur les opéra- tions de rénovation urbaine dans les quartiers d’habitat social français ? Parmi les pistes d’analyse, l’impératif de mixité sociale n’opèrerait-t-il pas comme un frein au débat, à la contestation et à la lutte collective ? Pour répondre à cette question, il convient de se demander si cet impératif est critiqué ou remis en question. La dénonciation de la ségré- gation sociale et son corollaire, la mise en œuvre de programmes de politiques publiques visant le renforcement de la mixité sociale, suscitent-ils des oppositions, notamment chez les premiers concernés, les habitants des quartiers d’habitat social ? Au croisement d’une analyse historique et sociologique sur les présupposés et les attendus de la mixité sociale, nous proposons d’étudier l’évolution des actions collectives des délogés, parallèlement au développement de « l’injonction de mixité sociale » dans notre société.

Les décennies 1970 et 2000 nous paraissent propices à la comparaison car, sur les deux périodes, l’état a impulsé la mise en œuvre de projets urbains massifs, comprenant des démolitions et des constructions ou reconstructions de logements sociaux. Outre la déno- mination, les objectifs et les modalités programmatiques et financières de la « rénovation urbaine » des années soixante-dix présentent des similarités avec ceux de la « rénovation urbaine » actuelle. Ayant vécu de l’intérieur l’expérience de luttes urbaines des années soixante-dix, l’une des auteures de cet article s’est prêtée à l’exercice de la confrontation avec les analyses d’une jeune chercheuse. à partir du croisement entre l’observation par- ticipante de la lutte du quartier Moulin de la Pointe à Paris dans les années soixante-dix, de nos observations contemporaines sur la participation des habitants dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville, notamment à Grenoble, mais surtout d’une relecture des travaux d’autres chercheurs sur l’évolution de l’action collective des classes popu- laires et sur les phénomènes de ségrégation socio-spatiale, nous avons comparé les mobi- lisations citoyennes dans le champ du logement entre les décennies 1970 et 2000. Cet

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article s’appuie donc sur des sources multiples, l’objectif étant de confronter les résultats de nos propres enquêtes de terrain avec l’état de l’art sur ces questions, afin d’explorer les pistes explicatives de la faiblesse des mobilisations contre les programmes actuels de rénovation urbaine.

Le déclic de départ s’est fait en visionnant un documentaire sur une rénovation urbaine à Saint-Denis (Daubas et Marandin, 2007) : les ressemblances étaient frappantes avec un autre documentaire que l’un d’entre nous avait réalisé sur le même sujet à Paris, 27 ans plus tôt (Coutine et Rosenberg, 1980). On y entend des inquiétudes similaires quant au lieu et aux conditions de relogement des populations de ces deux quartiers populaires, le premier situé à Paris, dans une municipalité à l’époque à majorité RPR, le second à Saint-Denis, dans une municipalité à majorité communiste. Le même objectif d’organiser la moindre concentration des habitants pauvres – qu’on pourrait appeler l’« évaporation des pauvres » -, semble peser à plus d’un quart de siècle d’intervalle, depuis des quar- tiers bénéficiant d’une récente centralité, vers des lieux de relégation ou des destinations inconnues. Cet objectif de mixité sociale semble actuellement difficilement atteignable1 ; il n’en reste pas moins qu’il est affiché, nourrissant l’inquiétude des populations les plus précaires, les moins mobiles. Si cette inquiétude se rendait visible au temps des « luttes urbaines », à travers des mobilisations collectives contre les projets urbains, argumentant sur le droit à la ville pour tous et le droit des plus pauvres de rester « sur place » comme on le voit dans le premier documentaire, on repère essentiellement, dans le documentaire récent, des résistances individuelles et de timides prétentions à parler en nom collectif.

Comment un tel phénomène est-il possible, alors que, dans le même temps, on a assisté en France à une inflation juridique et procédurale, tant en termes de dispositifs de participation des habitants que de droit au logement ? Deux axes d’analyse permettent de comprendre ce paradoxe : l’exclusive légitimation de la mixité sociale d’une part, l’évolution des formes de la mobilisation citoyenne d’autre part. Nous montrerons d’abord en quoi la mixité sociale a progressivement été intériorisée comme norme, à mesure que les luttes urbaines cédaient le pas à l’injonction participative dans les quartiers de la politique de la ville. Nous proposerons ensuite une analyse sur les discours et modes d’action des collectifs qui s’opposent à la démo- lition de logements, en nous interrogeant sur le contexte d’une individualisation croissante des rapports sociaux. En filigrane, c’est aussi la question des pratiques et de l’éthique des profes- sionnels du développement social urbain et des chercheurs en sciences sociales qui est posée.

1. L’injonction de mixité sociale : quelles conséquences sur l’action collective ? 1.1. De la contestation à la pacification

Au cours des décennies soixante-dix et quatre-vingts, la démocratie participative n’était pas une terminologie usitée. Celle de «  luttes urbaines  » faisait par contre florès, héritage de mai et juin 1968. La « participation des habitants » représentait un

1 Si « la recherche d’une proportion plus faible de ménages pauvres et immigrés dans le repeuplement des quartiers faisant l’objet de l’actuelle politique de rénovation urbaine » est explicite (Préteceille, 2009, p. 490), les effets de cette dernière sur la dispersion réelle de ces ménages sont loin d’être automatiques, comme l’a montré C. Lelévrier à travers le phénomène de « reconcentration » des plus pauvres, « indésirables » partout et donc relogés ensemble ou à proximité immédiate (Lelévrier, 2010).

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cadre plus pacifique, s’appuyant sur des dispositifs démocratiques et réglementaires ou en revendiquant la création.

Dans les deux cas, était affirmée la reconnaissance du droit des couches populaires à vivre ensemble, sans être désignées comme classes dangereuses à disperser par prio- rité. Ainsi, en quartier ancien, les opérations programmées de l’habitat apparues en 1977 avaient pour objectif de « donner à la population modeste qui les habite des conditions de logement “décentes” » en assurant leur maintien sur place (Ballain et al., 1982, p. 17).

Christian Bachmann et Nicole Le Guennec ont bien résumé la représentation, dénuée d’inquiétude, que la société se faisait des pauvres à l’époque :

« Avant les années quatre-vingts, on avait l’habitude de se représenter les pauvres comme une petite tribu isolée au sein d’une mer montante de consommateurs heureux ; une minorité bien connue des élus locaux et des services sociaux, héréditairement repro- duite, et de dimensions stables » (Bachmann, Le Guennec, 1996, p. 323).

Dans les grands ensembles construits dans l’optique de mélanger les catégories sociales, les locataires ne semblaient, pas plus qu’aujourd’hui, désireux de développer des liens sociaux avec des voisins au mode et au niveau de vie différents (Chamboredon, Lemaire, 1970). Des convergences d’intérêts ont tout de même pris forme dans les combats des asso- ciations du cadre de vie, largement portées par les classes moyennes (Anselme, 2000).

C’est dans ce contexte que fleurissent, en effet, les groupes informels ou associations qui demandent à être davantage associés aux décisions, notamment communales, tou- chant leur environnement. Certaines associations sont créées par des citoyens qui veulent

« participer » et proposer à tous cette participation. Comme le précise à l’époque le pré- sident de l’association «  Aménagement-population  » du XVe arrondissement de Paris, elles « réunissent des personnes qui habitent un même secteur urbain (…), mettent en évidence les besoins de la population par la confrontation des besoins des différentes catégories (…), sont indépendantes des partis politiques » (Faillot, 1976, p. 168). Elles prennent souvent en charge la gestion d’un équipement.

à l’autre extrême se situent les luttes urbaines, qui prennent plutôt place dans les quartiers populaires anciens et dégradés, en cours de rénovation. Ces «  mouvements sociaux urbains » donnent une visibilité aux contradictions sociales et sont « à la base de nouveaux modes de création collective de la vie quotidienne » (Castells, 1973, p. 127).

Le programme national des partis de gauche se fait, à l’époque, l’écho de leurs reven- dications. Localement, ces luttes urbaines interfèrent avec les luttes politiques pour la conquête du pouvoir municipal. Certains mouvements sont étroitement liés à l’action des organisations de gauche extraparlementaires. Ils se situent dans le cadre d’une offensive anticapitaliste et ne se reconnaîtraient probablement pas dans l’expression actuelle de

« démocratie participative ».

Ces mouvements convergent en ce qu’ils sont le plus souvent menés avec le soutien, voire par des personnes n’appartenant pas aux classes populaires. On peut considérer, soit que ces luttes ont un caractère « interclassiste », et qu’elle favorisent la reconnaissance d’intérêts communs - logement, cadre de vie - à des classes sociales distinctes (Cherky, Mehl, 1976), soit qu’en regroupant les causes de mécontentement, elles contribuent à brouiller l’argu- mentation des plus opposés au système capitaliste (Bensoussan, Bonniel, 1978) et à mas- quer les distances sociales, avant de « transformer les organes de contestation en organes de collaboration » avec les pouvoirs en place (Garnier et Goldschmidt, 1978, p. 308).

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Parallèlement, on peut prétendre que la politique sociale du logement menée depuis le milieu des années cinquante a contribué à faire avancer l’idéal de démocratie sociale, à fonder plus largement l’ordre républicain et à promouvoir les classes moyennes pour en gérer les acquis. Mais on peut aussi y lire la fin de l’autonomie idéologique, culturelle et politique des couches populaires françaises, maintenant fusionnées au sein des « couches moyennes » par la consommation et la culture de masse (Flamand, 1989, p. 312).

Avec ces derniers auteurs, on peut estimer qu’à la fin des années soixante-dix, les quartiers anciens centraux ou les cités périphériques nouvelles apparaissent comme des espaces à partager dans une société pacifiée qui masque distance sociale et ségrégation.

L’utilisation du terme indifférencié d’« habitant » dans nombre de dispositifs participatifs en marque l’apogée (Mollet (dir.), 1981).

Plus largement, entre les années soixante-dix et les années deux mille, on est passé d’une revendication à réhabiliter (au double sens du terme) les quartiers populaires à une légitimation de leur démolition. Schématiquement, alors que les habitants de ces quartiers se battaient pour améliorer leur cadre de vie, ils subissent aujourd’hui la démolition- reconstruction de leur lieu de vie, et cette dernière apparaît triplement légitime.

1.2. La mixité sociale, une norme consensuelle

La première légitimation de la démolition des quartiers d’habitat social est à mettre en rapport avec l’injonction de mixité sociale apparue avec la Loi d’orientation sur la ville de 1990, basée sur l’évidence de « la nécessaire diversité de la composition sociale de chaque quartier ». Le succès de ce vocable est lié à sa duplicité : inverse apparent de la ségrégation, il perd la connotation matérialiste acquise dans les luttes urbaines, qui dénonçaient la rente foncière. On passe de la dénonciation de l’exploitation à un réquisi- toire contre l’indignité de l’habitat (Genestier, 2010, p. 32).

Pour les groupes et populations qui la revendiquaient au cours des décennies soixante- dix et quatre-vingts, l’intervention des habitants sur le devenir des quartiers populaires s’appuyait sur le droit à l’urbanité, voire à la centralité des groupes de « dominés », la légitimation d’une vie sociale en dehors de la sphère du travail, le pouvoir sur son envi- ronnement quotidien. Ainsi peut-on considérer les mouvements urbains qui ont essaimé dans toute l’Europe, d’Amsterdam à Bologne en passant par Bruxelles. En France, c’est l’Alma-Gare qui fait référence (Mollet (dir.), 1981), mais on peut aussi citer, à Paris, la lutte de l’association « VDL 14 » contre la ZAC Guilleminot et la radiale Vercingétorix (Mignon et Mongin, 1976) ou contre la « rénovation bulldozer »2 du quartier Moulin de la Pointe dans le 13e arrondissement (Rosenberg, 1995).

Réitérant les conclusions de la recherche menée dans les années soixante par Henri Coing sur la rénovation de l’îlot 4 dans le 13e arrondissement de Paris, de nombreux travaux ont montré que les réhabilitations lourdes du cadre bâti, avec changement - au moins partiel - d’occupation des logements se sont accompagnées d’une transformation des sociabilités locales, dans le sens d’un affaiblissement des liens sociaux (Coing, 1966).

La capitalisation réalisée en 1997 des travaux financés par le Plan Construction et archi- tecture au cours des dix années précédentes montre que, lorsqu’on introduit de nouvelles

2 Parmi les citations de l’époque : « Le bulldozer ne passera pas ! » (Castells, 1973, p. 30).

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couches sociales pour relever la réputation d’un quartier, on assiste soit à une disparition des sociabilités collectives, au profit de réseaux interpersonnels, jusqu’à un véritable iso- lement social, soit à un renforcement de l’altérité qui accentue les distances entre les individus et aggrave les tensions (Authier et Grafmeyer, 1997).

Les paradoxes de la mixité sociale, instrumentalisée uniquement à propos des quar- tiers populaires, soulevant des questions juridiques complexes et des ambiguïtés sur les finalités sociales et économiques recherchées, désignant les pauvres et les immigrés comme responsables de la ségrégation, ont été pointés par de nombreuses recherches (Bacqué, Fol, 2008 ; Selod, 2005; Genestier, 2010 ; Deschamps, 2005 ; Avenel, 2005).

L’injonction de mixité sociale s’accompagne de l’idée que la ségrégation socio-spatiale augmente, et qu’elle concerne avant tout les catégories défavorisées. Pourtant, dans la métropole parisienne par exemple, les recherches quantitatives montrent que les classes moyennes et populaires sont peu ségrégées, comparativement aux catégories sociales supérieures dont l’auto-ségrégation s’intensifie (Préteceille, 2006), et que la ségréga- tion ethno-raciale est globalement faible, à l’exception de quelques îlots de quelques villes de banlieue (Préteceille, 2009).

« [La mixité] a la prégnance d’un mythe. La vertu de la présence en un même lieu et dans des proportions équivalentes des différents groupes sociaux est postulée, les bien- faits individuels et collectifs de l’équilibre socio-spatial sont proclamés, sans analyser les effets concrets prévisibles. Ces bienfaits font l’objet d’un consensus et ils font partie du conformisme moral en vigueur, avec tous les effets organisationnels qui en procè- dent. La mixité urbaine relève du stéréotype et ses effets bénéfiques de l’idée reçue  ».

(Genestier, 2010, p. 22).

L’objectif de mixité sociale apparaît comme une justification de la lutte contre la concen- tration des populations les plus dominées. Travailleurs pauvres, chômeurs, jeunes sans qua- lification, groupes ethniques victimes de discrimination, femmes seules avec enfants... sont désignés comme illégitimes à se regrouper dans l’espace urbain (Simon, 1995). Ils ont donc à être mélangés, au contact d’autres populations qui contribueront éventuellement à leur promotion sociale. Il s’agit surtout d’éviter leur regroupement, qui rend visible d’une part l’existence de classes dangereuses, d’autre part, l’échec d’un développement égalitaire de la société. Si la notion de mixité sociale a autant de succès, c’est que l’invisibilité des plus démunis qu’elle vise ne peut que recueillir l’adhésion aussi bien des pouvoirs publics - les pauvres coûtent cher et ont mauvaise presse - que celle des bailleurs - l’image négative donnée par une fraction du parc nuit à tout le patrimoine – et des propriétaires voisins - la dégradation de l’environnement, réelle ou perçue, se répercute sur la valeur du bien. Quant à l’opinion publique, elle est leurrée par les discours qui viennent d’être énumérés. Comment expliquer autrement que, alors qu’il manque tant de logements, et tant d’argent pour en faire de nouveaux, on en démolisse plusieurs milliers avant d’en construire d’autres ?

« La recherche de la diversité sociale dans l’habitat est un objectif que partage une large majorité des acteurs publics et privés, institutionnels ou associatifs. Cet accord est d’autant plus fort que le droit au logement et l’objectif de diversité sociale constituent chacun un enjeu primordial pour l’avenir de notre pays. (…) Ainsi le droit au logement de tous ne doit pas s’entendre en concurrence avec la diversité sociale. Les moyens sont limités et n’offrent que peu de leviers d’action ; c’est donc une politique de fond et de longue haleine qu’il faut mettre en œuvre » (Notat (dir.), 2007, p. 3).

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Cette citation est extraite de l’introduction aux « recommandations pour la diversité sociale dans l’habitat », issues d’une conférence de consensus organisée sur ce sujet, dont l’organi- sation a été confiée au Président de la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité (HALDE) en 2006. On peut apprécier à quel point la mixité sociale semble devenue, en 2007, la norme incontournable, l’objectif sacré des politiques publiques du logement. Il devient alors légitime de chercher à attirer les classes moyennes et supérieures dans les quartiers réhabilités, au détriment de la population en place.

1.3. La communauté devenue repoussoir

La seconde légitimation de la démolition des logements sociaux collectifs est la crainte du communautarisme. Le « fantasme politique » (Préteceille, 2009), qui consiste à expli- quer la ségrégation par une volonté des immigrés de se replier sur une vie communautaire et de refuser l’intégration, a des répercussions sur la représentation que la société se fait des quartiers d’habitat social. De nombreux travaux ont montré comment, avec la notion de mixité sociale, les pouvoirs publics visaient implicitement la lutte contre la ségréga- tion ethno-raciale, assimilée à un communautarisme néfaste (Epstein, Kirzbaum, 2006 ; Simon, Stavo-Debauge, 2004 ; Tissot, 2006 ; Avenel, 2005) :

« Comme le rapport du Groupe d’étude et de lutte contre les discriminations (GELD) l’a montré, ce mot d’ordre tend à fonctionner comme une légitimation de pratiques dis- criminatoires. (…) Mais surtout, de manière euphémisée, la mixité sociale (comme le mot

«ghetto») légitime la recherche d’une répartition en fonction de critères ethniques. Le regroupement spatial de populations étrangères ou supposées telles est alors posé comme un «problème» ou une source de problèmes à éviter. Des refus ont ainsi pu être adressés à des candidats étrangers, au nom de la «mixité sociale», au motif que «trop» d’étrangers habitaient déjà dans l’immeuble ou le quartier en question » (Tissot, 2006, p. 27).

Les événements du 11 septembre 2001 et la peur de l’islamisme entretenue depuis, nourrissent probablement largement cet anti-communautarisme et tendent à justifier cette discrimination dans l’accès au logement, qui reste interdite et combattue par ailleurs.

1.4. Les effets de l’inscription de la mixité sociale dans la législation

La troisième légitimation est d’ordre légal. La loi Besson pose en effet au début des années quatre-vingt-dix la mixité sociale comme un objectif légitime des politiques du logement : les protocoles d’occupation du patrimoine social, institués par cette loi, visent notamment à assurer une meilleure répartition des populations au sein du parc social.

Cette « incantation potentiellement discriminante » (Bernard, 2006, p. 37) se trouve éga- lement inscrite dans les textes européens :

« Il convient, selon le très officiel Comité européen de l’habitat social (CECODHAS),

“d’éviter la polarisation spatiale en luttant contre la ségrégation spatiale par la mixité sociale”. Ce qui pose inévitablement la question de la légitimité, à l’aune des réglemen- tations anti-discrimination, de cette exhortation à mâtiner le public social d’éléments autochtones » (Bernard, 2006, p. 37).

Ainsi, alors même qu’il n’existe ni définition réglementaire de la mixité sociale, ni méthode de mesure qui permettrait d’étayer le diagnostic ou d’évaluer l’efficacité des

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politiques mises en œuvre (Selod, 2005 ; Préteceille, 2006), les démolitions des quartiers d’habitat social se poursuivent en son nom. La mobilité résidentielle recherchée par les pouvoirs publics n’est, du reste, pas atteinte : « Les processus franciliens de relogement vont plutôt dans le sens d’une re-concentration des populations les plus pauvres sur place » (Lelévrier, 2007, p. 9 ; Lelévrier, 2010). De plus, lorsqu’une certaine mixité statistique semble atteinte à l’échelle d’un IRIS (Ilots Regroupés pour l’Information Statistique) ou d’un quartier, elle cacherait des phénomènes de concentration à l’échelle de l’îlot ou de l’immeuble (Jaillet-Roman, 2008 ; Préteceille, 2009), dont les effets demanderaient à être observés dans le cadre d’enquêtes qualitatives.

Y aurait-il des preuves tangibles qu’une dilution des populations pauvres ou ethni- quement minoritaires au sein de classes moyennes ou supérieures les rendraient, par capillarité ou proximité, plus aptes à trouver leur place dans le système socio-écono- mique actuel ? Habermas, Honneth, Taylor et tant d’autres philosophes promeuvent une intégration dans un système sociopolitique qui passe par la reconnaissance réci- proque de différentes formes de vie culturelle, non par la recherche d’une homogé- néisation. Les promoteurs actuels d’une mixité sociale défendent l’inverse, mais sans démonstration à valeur scientifique.

Du fait de cette indiscutable politique de mixité sociale, toute reconnaissance d’un intérêt collectif légitime, d’une échelle identitaire (Guérin-Pace, 2007), d’un « capital d’autochto- nie » (Rétière, 2003), a explosé, en même temps que les tours et barres de logements.

2. Des luttes collectives à l’indignation individuelle : quelle marge d’action pour les citoyens ?

Dans ce cadre où, selon le rapport du Conseil National des Villes, « l’argument de la mixité sert ainsi pour organiser la vacance et déconcentrer la pauvreté » (CNV, 2002, p.

11), la place des mouvements de lutte contre le délogement - sous ce terme, c’est à la fois l’expulsion et le relogement qui sont désignés - est intéressante à examiner.

Les études relatives à l’évolution de l’engagement associatif et politique, dans un contexte d’individualisation des réponses aux problèmes sociaux (Ion et al., 2005), apportent des pistes complémentaires à l’analyse. L’indignation individuelle – l’expres- sion du mécontentement des individus en leur nom propre, sans monter en généralité - résonne avec l’orientation des pouvoirs publics et des entreprises. Les réponses « au cas par cas » se généralisent, aussi bien dans le traitement des « sans papiers » que dans les reclassements suite aux licenciements collectifs. Les problèmes se posent avant tout sur le mode individuel : « Où vais-je être relogé ? Quel va être le coût du loyer pour moi après réhabilitation ou démolition-reconstruction3 ? Vais-je changer de voi- sins ? ». Dans ces conditions, comment les collectifs qui s’opposent à la démolition de logements se situent-ils ? Arrivent-ils, comme l’appellent de leurs vœux une dizaine de chercheurs de plusieurs pays, à reconnaître l’importance des intérêts particuliers dans la délibération pour articuler davantage les dimensions individuelle et collective en démo-

3 La mise en place de l’allocation personnalisée au logement (APL) a été le premier mécanisme qui a cassé les solidarités, puisque son montant est inversement proportionnel aux revenus et proportionnel à la taille de la famille. Après une réhabilitation, certains locataires peuvent payer beaucoup plus et d’autres beaucoup moins.

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cratie (Mansbridge et al., 2010) ? Se sont-ils emparés des dispositifs de concertation rendus obligatoires par la loi, appliqués le plus souvent de manière minimale, afin de peser sur le contenu de cette concertation ?

2.1. Croisements entre mouvements sociaux et démocratie participative

Les recherches sur les luttes (la conquête d’un pouvoir) et les dispositifs participatifs (la gestion d’un pouvoir) ne se croisent que très rarement (Bacqué, 2005). Deux raisons principales peuvent en être avancées. En premier lieu, les recherches sur la démocratie participative se situent, en Europe, massivement du côté d’une analyse des procédures institutionnelles. La démocratie participative s’y est développée sous l’impulsion des pouvoirs publics, à la différence de l’Amérique latine où ce sont les mouvements sociaux qui l’ont réclamée. La concurrence des dispositifs participatifs avec les groupes organisés est bien pointée comme un des risques majeurs de la démocratie participative en France (Blondiaux, 2007, p. 125), mais les recherches sur la manière dont les groupes organisés s’en emparent - ou non - restent rares.

En second lieu, la citoyenneté est un champ d’étude complexe, qui demande à se placer au cœur du dilemme entre l’individu et le collectif, entre l’être moral et l’être collectif (Birnbaum, Leca (dir.), 1991). Pour cela, la citoyenneté doit s’appréhender non seulement dans sa dimen- sion juridique et institutionnelle, mais également dans sa dimension pratique, comme une activité de la vie quotidienne des gens, dans des contextes divers, sans omettre celui des luttes sociales. Une telle perspective est encore peu développée en sciences sociales (Neveu, 2004).

De fait, seules quelques analyses peuvent être esquissées. La figure du représentant d’association semble souvent dévalorisée dans les dispositifs participatifs, au bénéfice de la figure de l’habitant, ce qui n’est pas sans poser question sur leur portée politique (Flanquart, Lafaye, 2001). Plus largement, si les temps et les lieux de « concertation » sur les projets urbains se sont développés au fil des années 1990 et 2000, avec l’apparition d’une législation rendant la concertation obligatoire, l’absence de lien avec les décisions réellement prises in fine constitue sans doute un frein à l’engagement des associations dans la participation institutionnalisée (Rui et Villechaise, 2005). En parallèle, les poli- tiques du logement se sont complexifiées à un point tel qu’il est devenu difficile de repérer les prérogatives, responsabilités et objectifs de tous les acteurs engagés en leur sein.

2.2. Les limites de l’action collective des délogés

Si l’on essaye de préciser les modes d’engagement des locataires concernés par la démolition et le relogement, on constate qu’ils se retrouvent bien souvent enfermés mal- gré eux dans le registre du « proto-politique », comme il a été dit à propos des émeutes urbaines de 2005 (Mauger, 2006). Dans une enquête menée dans un quartier d’habitat social grenoblois, il a été observé que les locataires s’organisaient pour dénoncer les points qu’ils jugeaient inadaptés du projet urbain, en utilisant notamment la scène des réunions publiques (Carrel, 2004). Quelques victoires ont été obtenues par des locataires réunis en association, dont l’abandon, suite à une pétition, de la percée d’une rue jugée dangereuse pour les enfants. S’ils ont mené une action sur le registre de la dangerosité d’une partie du projet, ils n’ont pas réussi à se placer sur des registres plus politiques,

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tels que celui de la mixité sociale, alors même qu’ils l’évoquaient, sans en employer le nom, en coulisse4. Et pour cause ! L’objectif de développer la mixité sociale n’a jamais été explicité par la municipalité ou les bailleurs, lorsqu’ils s’adressaient aux locataires, et a encore moins fait l’objet d’une discussion publique. Les locataires, butant sur l’ana- lyse du projet, n’ont pas réussi à faire émerger des revendications politiques et sociales, visibles et pérennes dans l’espace public local. L’absence de réelle concertation contri- bue ainsi à l’émergence de « publics fragiles », c’est-à-dire des citoyens qui tentent de s’organiser collectivement pour enquêter sur leur environnement, sans arriver à produire un discours de portée politique en public (Eliasoph, 2003).

Qu’il s’agisse de la rénovation urbaine des années soixante-dix ou du Programme national de rénovation urbaine (PNRU) mis en place depuis 2003, les habitants des quar- tiers concernés se trouvent ainsi dans l’impossibilité, sans soutien technique ou politique, d’agir sur les projets qui les concernent. Nous allons tenter de caractériser les évolutions de ce soutien technique et politique, entre les années soixante-dix et deux-mille.

à la fin des années soixante, la logique de l’éducation populaire de mouvance com- muniste peut user de mots d’ordre simples diffusés par la CNL (Confédération nationale du logement). Face aux «rénovations - déportations», il est répondu «pas d’expulsion sans relogement» et sont promues les opérations tiroir qui permettent le maintien de la population sur place (Ceaux, 1974 ; Bachmann, Le Guennec, 1996). Après 1968, de nom- breux mouvements parisiens, suivant l’exemple de Bruxelles et de l’Italie du nord, ont pour revendication le droit à la ville. Ils donnent lieu à des occupations de maisons vides (Cherki, 1973) ou à l’occupation symbolique d’espaces publics (Ragon, 1977). Leurs manifestations sont plutôt spontanées, parachutées et festives ; elles ne prennent pas en compte les explications techniques produites les aménageurs. L’amateurisme est certain :

« les luttes contre la rénovation se sont soldées par des défaites notables » (Cherki, Mehl, 1976, p. 16). Si elles ont favorisé certaines améliorations locales - l’arrêt de démolitions mais aussi parfois des changements de programmation -, elles n’ont cependant pas pu peser de manière décisive sur la politique du logement social, notamment parce qu’elles n’ont pas bénéficié de médiations techniques et culturelles leur permettant de faire prendre en compte des propositions alternatives.

Alors que l’offre participative s’est accrue tout au long des années 1990 et que l’obli- gation de concertation est affirmée dans le Programme national de rénovation urbaine (PNRU), les opérations de rénovation urbaine des années 2000 sont lancées le plus souvent sans réelle concertation avec les locataires. Certains collectifs de résidents se mobilisent, les uns pour défendre le logement social, avec l’appui des syndicats de locataires, les autres pour s’opposer à toute démolition qui s’apparente à une évic- tion des locataires en place au profit d’autres catégories sociales (Deboulet, 2006).

Ils dénoncent la mise à profit des financements donnés par l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) pour transformer la vocation sociale de terrains bien placés, susceptibles d’attirer une promotion immobilière privée. Est également pointé le fait que certaines communes proposent de démolir des logements sociaux au nom de la mixité sociale, alors que le seuil de 20 % de logements sociaux n’est pas atteint. Des

4 « Ils veulent changer la population du quartier ou quoi ? Avec ces parkings, on se demande ! » a-t-on pu entendre en entretien collectif (Carrel, 2004).

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revendications politiques sont donc bien présentes dans les collectifs contemporains opposés à la démolition-reconstruction de logements sociaux. Cependant, ces collectifs rassemblent peu de monde, et l’impact de la contestation est très limité hors des quar- tiers concernés par la démolition (Deboulet, 2006).

Les luttes urbaines d’aujourd’hui ont une tonalité différente de celles d’il y a une tren- taine d’années. D’une part, elles se greffent sur un noyau local préalablement actif, et c’est l’urgence de l’éviction qui déclenche la mobilisation. D’autre part, les habitants mobilisés se considéreraient comme victimes de l’échec des politiques publiques de lutte contre la ségrégation : « Ces mouvements sociaux poussent en effet certaines collectivités locales et pouvoirs publics à une douloureuse remise en cause d’un mode d’intervention technico-financier qui négligerait trop la dimension participative » (Deboulet, 2009, p.

119). Mais, comme pour les années soixante-dix, on peut se poser la question de l’enca- drement, voire de la récupération de ces fragiles mobilisations.

Comme dans l’évolution des associations de défense des mal-logés, se trouve fina- lement posée la question de la tension entre la recherche d’une visibilité publique sur une cause et le besoin d’associer les plus démunis à l’action. Il semble que les choses aient évolué, à ce sujet, entre les années soixante-dix et aujourd’hui. Le  répertoire de l’action militante est davantage marqué par la médiatisation et l’individualisation des rapports sociaux. Aujourd’hui, en dehors d’actions coup-de-poing, l’articulation apparaît toujours plus difficile entre les problèmes individuels relatifs au logement et les mouvements sociaux actifs sur ces questions. Sans prendre le temps ici de développer, il nous semble que les associations comme le DAL, la Fondation Abbé Pierre ou les Don Quichotte ont des arguments solides et une critique globale à pro- pos de la pénurie de logements sociaux. Cependant, à l’exception du collectif Jeudi noir dans lequel les militants sont eux-mêmes victimes de difficultés pour se loger (Désobéissants, 2010), leur mode d’action est « descendant », dans le sens où l’orga- nisation militante fournit le discours, les clés de la lutte et de son suivi, aux familles en attente d’un logement décent. Ce phénomène de « dépossession » a été analysé par des recherches sur le DAL (Péchu, 2002). Ces travaux donnent à voir une forte dichotomie entre les militants d’un côté, diplômés et logés, et les adhérents, familles immigrées mal logées, de l’autre.

2.3. Conseiller juridiquement et stratégiquement les locataires, « mission impossi- ble » pour les professionnels ?

Cette difficulté singulièrement française qu’éprouvent les associations de soutien à passer du « faire pour » au « faire avec » se retrouve dans le monde des professionnels du social et du développement social (Astier, Duvoux (dir.), 2006). à l’observation des sites français concernés par les projets de démolition–reconstruction, et à l’écoute des professionnels du social (par exemple lors des formations continues auxquelles nous par- ticipons), le constat suivant s’impose : les professionnels ne pratiquent pas, dans le cadre de leurs activités, le conseil auprès des habitants des quartiers en rénovation, qu’il soit juridique, méthodologique ou stratégique. Cela contribue à rendre leur mission difficile à tenir dans le temps, d’autant plus qu’ils peuvent, ailleurs, dans la sphère privée, se battre contre la logique de ces politiques socio-urbaines.

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Une telle posture de conseil semble poser moins de problème dans d’autres pays, par exemple anglo-saxons, où la pratique de la contre-expertise et l’aide à l’organisation de leaders communautaires, financées par les pouvoirs publics, sont vues comme un moyen d’enrichir les projets urbains tout en accroissant le pouvoir des individus sur leur environ- nement (Alinsky, 1976 ; Bacqué, 2006). En Grande-Bretagne par exemple, sous l’impul- sion d’Anne Power, professeure de la London School of Economics, un Centre national de ressources pour les résidents (National Communities Ressource), au statut associatif, a été créé en 1995 (Power, 2005). Un des objectifs de ce centre est d’accompagner des groupes de résidents dans les activités de contrôle des budgets des bailleurs.

En France, le réseau militant Association Internationale des Techniciens, Experts et Chercheurs (AITEC) s’est fixé des objectifs comparables, en encourageant notamment la consolidation et la visibilité de la coordination anti-démolition. Mais les professionnels qui s’y essaient, tels les professionnels du développement social urbain, attestent cepen- dant des difficultés qu’ils rencontrent :

«  La participation est un élément essentiel, complémentaire à la démocratie repré- sentative. Nous constatons qu’elle reste difficile à mettre en œuvre, face aux nombreux blocages institutionnels et professionnels : dans la relation triangulaire élus/techniciens/

habitants, chacun peut contribuer à l’ouverture ou à la fermeture du jeu » (Inter-Réseaux des professionnels du Développement Social Urbain (IRDSU), 2002, p.2)

Dans une charte européenne de la participation récemment adoptée, le réseau de collectivités locales et de chercheurs européens «  Participando URBACT  »5, s’engage au nom des villes à encourager les initiatives participatives  habitantes, en utilisant des moyens spécifiques si besoin :

«Les villes s’engagent à être particulièrement attentives aux aires défavorisées, aux acteurs les moins dotés en pouvoir et en richesse, en encourageant leur partici- pation réelle aux processus de fabrication des décisions les concernant, et en utili- sant si nécessaire des mesures de discrimination positive » (URBACT Participando Network, 2006, p. 85)6

En France, étant données les particularités et les difficultés de notre démocratie représen- tative (Rosanvallon, 2006), un chantier mériterait de s’ouvrir, par exemple dans le cadre de la formation initiale et continue des professionnels du développement social urbain, comme cela existe en Espagne, afin de répondre à cet engagement d’encourager les populations précaires à accéder à leurs droits et à peser sur les décisions qui les concernent.

Conclusion

Les mouvements sociaux et luttes urbaines des années post soixante huit, avec l’hori- zon d’une société pacifiée, où l’habitant indifférencié peut partager en toute harmonie des espaces urbains rénovés, ont vécu. En France, les carences des institutions démocratiques ne permettent pas d’éviter les émeutes urbaines, tandis que les discriminations sociales et ethniques toujours à l’œuvre engendrent la peur d’un communautarisme qui mettrait en

5 Site internet : www.urbact.org/participando. Parmi les agglomérations engagées dans ce programme euro- péen figurent trois villes françaises (Paris, Grenoble, Bordeaux).

6 Traduction par nos soins.

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péril la cohésion nationale. L’impératif de mixité socio-spatiale rassemble élus de toutes tendances, gestionnaires et populations dans une communauté de pensée apparente : com- ment peut-on être contre (Deschamps, 2005) ? Ambivalente, la notion de mixité sociale peut être comprise comme l’idéal d’un équilibre sociétal propre au modèle républicain français, qui garantit l’ordre public et la paix sociale par l’intégration.

Tout comme l’injonction de participation, dirigée vers les plus démunis, a pu piéger beau- coup de travailleurs sociaux, celle de mixité a pris dans ses filets nombre de ceux qui auraient pu nourrir un débat démocratique sur les enjeux des opérations de démolition-reconstruction.

Ni les chercheurs en sciences sociales, ni les professionnels du développement social urbain, ni les associations et élus progressistes, ne sont parvenus à ouvrir un espace de débat tel que le droit à vivre ensemble des délogés puisse être revendiqué. Une résurgence des pratiques de recherche-action, développées dans les années soixante-dix, permettrait-elle d’ouvrir une scène publique de débat sur le devenir des quartiers d’habitat social ?

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