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Géographie Économie Société : Article pp.363-370 du Vol.16 n°3 (2014)

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géographie économie société géographie économie société

Géographie, Économie, Société 16 (2014) 363-370

Comptes Rendus

Claude Courlet et Bernard Pecqueur, 2013, L’économie territoriale, Grenoble, PUG, 142 pages.

Alors qu’il s’apprêtait à passer l’épreuve de l’agrégation en économie, Jean-Louis Guigou, ex-délégué à la DATAR, m’a enseigné, en 1971, à l’Université de Dijon, un cours intitulé « Économie spatiale ». À ses dires, il en faudrait peu pour, à la faveur de certains apports théoriques, que l’on puisse parler de « l’économie de l’espace ». On attend tou- jours ces contributions théoriques manquantes. Qu’en est-il alors avec « l’économie terri- toriale » ? Claude Lacour, en préface, en guise de toute première phrase, annonce un « un livre important et ambitieux » qui pourrait conduire à un nouveau paradigme scienti- fique pour pallier la crise actuelle des sciences sociales. Avis est d’abord donné à ceux qui n’avaient pas perçu que les sciences sociales connaissaient une crise. Notre ami bordelais poursuit en concevant que l’économie territoriale pourrait jeter les bases d’une « nouvelle grammaire de l’économie dépassant le dogme de l’espace homogène ». Voilà un fardeau lourd à porter pour nos non moins bons amis grenoblois Courlet et Pecqueur (C&P par la suite) bien connus dans le monde francophone pour leurs nombreux écrits sur le déve- loppement local/territorial. Pour relever le défi, ils n’ont qu’un format de livre semblable à ceux de la célèbre collection Que Sais-je ? des PUF. Un exercice qui requiert un effort de concision peu commun, on en conviendra.

Pour nos auteurs, l’économie territoriale se présente comme une nouvelle économie spa- tiale ; une économie qui réunit l’ensemble des facteurs qualitatifs qui façonnent la société d’un territoire. À leurs yeux, les villes et les territoires apparaissent comme des lieux privilé- giés pour l’organisation et la gouvernance conduisant au développement et à la création de richesse. En conséquence, le territoire se perçoit comme un des éléments fondamentaux de la performance économique (d’une nation). En s’inspirant de Salais & Storper (1994) pour qui les institutions orientent le développement économique, les auteurs avouent s’inscrire dans cette perspective en soulignant le rôle des institutions (centres de recherche, formation, syn- dicats professionnels, Chambres de Commerce, collectivités territoriales) dans la construc- tion avec les entreprises privées des ressources nécessaires au processus de production et d’innovation des territoires. Ce disant, on peut voir que leur préfacier a peut-être péché par excès d’enthousiasme, car ils écrivent que la question territoriale exige un regard nouveau de même qu’un renouveau de l’analyse économique. Oui, ne l’ayant pas fait eux-mêmes : tout reste à faire, reconnaissent-ils. Ils poursuivent en mentionnant que la construction d’une économie territoriale exige le dépassement de l’accumulation de nombreuses monographies

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afin d’arriver à une véritable théorie du territoire. On en est bien loin, et C&P en sont bien conscients, car ils affirment que « l’économie territoriale » ne constitue pas pour autant un corpus théorique achevé.

Un des points forts de l’ouvrage se trouve dans le chapitre 2 où il est question de la nou- velle géographie économique telle que mise de l’avant par Krugman (1991). Si on trouve ici d’intéressantes considérations sur les externalités positives de l’agglomération, aux dires de C&P, la nouvelle géographie économique demeure éloignée de l’économie territoriale en ayant cependant l’une et l’autre en commun le fait de constituer une composante clé du développement construit par des acteurs « situés ». Le lecteur devine où ces derniers se situent. Le reste de l’ouvrage se veut essentiellement descriptif.

À ceux qui, comme l’auteur de ces lignes, ont abondamment lu sur les districts industriels italiens, C&P leur offrent une occasion de se rafraîchir la mémoire avec les classiques réfé- rences à Becattini. On les croyait enterrés depuis belle lurette, ces fameux districts et leur triangle doré, voilà qu’ils apparaissent au-devant de la scène avec des références récentes.

Grand bien leur fasse malgré le doute que je peux en avoir sur les leçons susceptibles d’en retirer de nos jours. On en conviendra, ce n’est en se rapportant au concept de la production flexible mis de l’avant par Piore et Sabel (1986) que l’on fournit au lecteur initié matière à réflexion. Il en va de même avec ce qui a fait le pain et le beure de C&P : les systèmes de pro- duction locaux. Si, par quelques encadrés utiles, les auteurs donnent des exemples récents, ils ont été moins inspirés en reprenant pour la Xe fois les « fameux » exemples des décolleteurs (sic) de la vallée de l’Arve ou des plastiques d’Oyonnax que Pecqueur a fait connaître dans un de ses tout premiers ouvrages publiés en 1989. La description se poursuit avec de brefs résumés sur les milieux innovateurs issus des travaux du GREMI, la learning economy et les clusters. Le chapitre se termine par un autre résumé, sans critique aucune, de la forme que prennent les territoires créatifs. Oui, c’est bien de trois «T» issus du « génie créatif » de Florida dont il est question ici pour clore le chapitre. Si les auteurs ont fait l’effort de tenter d’illustrer comment se positionnent vingt aires urbaines sur la base de la « théorie » de la classe créative, on déplore ici l’absence d’un point de vue critique.

On retrouve, par ailleurs, un autre point fort du volume dans un chapitre portant sur les fondements territoriaux de la performance économique avec une allusion aux avantages dif- férenciés qui permettent aux territoires de se positionner sur le plan de la compétitivité. On sait que l’on doit à Ricardo la très célèbre loi des avantages comparatifs servant à justifier la levée des barrières douanières entre les pays. Ici, dans un contexte de mondialisation où l’accent est mis sur les échanges entre les territoires, les efforts doivent tendre vers la différenciation des produits, oubliant la concurrence via les coûts en misant surtout sur l’innovation et la création de services afférents. Ainsi, selon C&P, la compétitivité dépend moins des coûts des facteurs que de la qualité de l’organisation. Ce qui conduit à parler de la performance d’un territoire en tant que capacité collective, non seulement en vue d’attirer des entreprises, mais pour susci- ter des initiatives ou activités qui lui sont propres et « spécifiques ».

Comme on ne peut éviter la gouvernance locale et l’action publique, C&P en ont fait leur dernier chapitre par une allusion à l’intermédiation institutionnelle un concept lon- guement étayé dans une thèse récente (Nadou, 2013)1. Même s’ils font moins l’objet d’at-

1 Nadou, F. Intermédiation territoriale et spatialisation des activités économiques, thèse présentée à l’Uni- versité François-Rabelais de Tours, 10-12-2013.

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tention depuis quelque 4 ou 5 ans, les auteurs ne pouvaient éviter de faire part des pôles de compétitivité mis de l’avant par la DATAR en 2005. Cette fois, C&P font une place à la critique en reconnaissant qu’il n’y a pas de miracle (sic) à attendre des pôles de compé- titivité. En effet, on ne doit jamais se bercer d’illusions lorsque l’on se trouve en présence d’une démarche partenariale, car certains partenaires ont souvent de bonnes raisons pour faire faux bond. Comme les auteurs l’écrivent à leur tour : rien ne se décrète. Une politique publique centralisée de subventions aux clusters peut faire chou blanc en niant la diversité des secteurs peu sensibles aux externalités d’agglomération d’une part et, d’autre part, les pouvoirs publics sont souvent mal informés sur les choix opportuns à la fois des secteurs et des territoires à aider.

Dans leur conclusion, C&P plaident dans le sens de « mettre en évidence les régularités et les caractéristiques récurrentes qui permettent de penser une véritable théorie sur les territoires ». De leur point de vue, les questions soulevées dans leur ouvrage devraient conduire à de nouvelles problématiques, voire vers un nouveau paradigme. Avis est lancé aux intéressés.

Ce livre de dimension modeste trouvera sa plus grande utilité auprès d’un public étu- diant de premier cycle et aussi auprès d’acteurs de terrain non pourvus d’un master en sciences régionales ou autres disciplines connexes.

André Joyal Université du Québec à Trois-Rivières

© 2014 Lavoisier, Paris. Tous droits réservés.

Edward P. Thompson, 2014, La guerre des forêts. Luttes sociales dans l’Angleterre du XVIIIe siècle, Paris, La Découverte, coll. « Futurs antérieurs », 197 pages.

On doit à l’historien Philippe Minard, qui dirige la nouvelle collection « Futurs anté- rieurs » aux Éditions La Découverte, l’initiative de cette traduction abrégée du livre d’Ed- ward Palmer Thompson (1924-1993), Whigs and Hunters, ainsi que les commentaires éclairants qui ceinturent le texte, notamment une postface très riche analysant les débats historiographiques suscités par l’ouvrage. Celui-ci, paru initialement en 1975, partage le même sort éditorial que le maître-livre de Thompson, La formation de la classe ouvrière anglaise : l’un et l’autre ont tardé à être disponibles en français, et ce en dépit de leur retentissement dans le monde académique. En cause, sans doute, le manque d’intérêt des historiens français pour la recherche menée outre-Manche, mais aussi l’itinéraire et les prises de position de l’auteur, qui demeure longtemps en marge de l’université et entre- tient des rapports houleux avec la gauche marxiste anglaise – il se détourne ainsi du parti communiste dès les années 1950, puis s’engage dans l’aventure de la New Left Review avec le projet de sauver le socialisme radical du stalinisme. L’histoire « par le bas », qu’il pra- tique et promeut, participe d’ailleurs pleinement de cette orientation intellectuelle puisque l’auteur, en s’attachant moins aux structures et aux institutions qu’aux processus sociaux et aux individus concrets, s’efforce en fait d’enrichir et de renouveler l’analyse marxiste. Cette inclination est déjà perceptible en 1963 lorsqu’il retrace minutieusement la « biographie de la classe ouvrière » anglaise, pour reprendre l’expression de Miguel Abensour ; elle se retrouve, douze ans plus tard, tandis qu’il étudie l’agitation sociale qui gagne les forêts du

modes d

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Sud de l’Angleterre au début du XVIIIe siècle, et la répression impitoyable dont elle fait l’objet.

Au cœur du livre de Thompson, le Black Act, une loi sanguinaire votée par la Chambre des Communes en 1723 et dans laquelle l’auteur discerne, d’une certaine façon, les pré- mices d’une « grande transformation » des modes de régulation de l’économie et de la société britanniques. De fait, à une époque qui consacre les libertés individuelles, avec l’Acte d’Habeas Corpus (1679), et qui fait montre d’une plus grande tolérance, cette législa- tion élargit dans des proportions considérables la liste des actes passibles des sanctions les plus lourdes, qu’il s’agisse de l’abattage de cervidés, du braconnage, des menaces exercées sur les gardes-chasses, des déprédations ou des vols commis dans les forêts royales – au total, pas moins de cinquante délits pouvant désormais être sanctionnés de la peine capi- tale. Quelles furent alors les motivations du législateur de 1723 ? Et quel est l’enjeu, mais aussi la portée d’un texte qui instaure, à bien des égards, une « justice vengeresse » ? Telles sont les questions auxquelles Thompson s’efforce de répondre en distinguant trois niveaux d’analyse : d’abord l’examen des luttes sociales suscitées par la gestion des domaines fores- tiers ; ensuite l’interprétation historique de ces tensions et des mesures répressives prises par les Whigs ; enfin, les enseignements qui en découlent quant à la nature et à la fonction sociale du droit.

L’ouvrage s’ouvre ainsi sur une peinture très détaillée du monde forestier dans les com- tés du Berkshire et du Hampshire, principaux théâtres des violences que la loi de 1723 cherchera vainement à endiguer. L’auteur donne alors à voir « l’économie complexe » de ces bois, mais aussi l’enchevêtrement des titres, droits et revendications que font valoir la Couronne, les grands propriétaires, les membres du clergé, la gentry locale et les diverses populations résidentes. Et il montre que jusqu’au début du XVIIIe siècle, s’il existe bien une

« bureaucratie forestière » veillant à la protection des cerfs et aux privilèges de ceux qui s’adonnent à l’art cynégétique, le règlement des litiges tend en réalité à préserver les diffé- rents intérêts en présence. Or, c’est justement cet équilibre qui est remis en cause à mesure que les domaines font l’objet d’une exploitation plus intensive et que se durcissent les sanc- tions infligées par les tribunaux forestiers. Peu à peu, en effet, les paysans sont dépossédés de leurs droits d’usage de la terre, privés de ressources essentielles (collecte de la tourbe, ramassage du bois ou de l’herbe, glanage, etc.) et livrés à une justice devenue inflexible.

Telle est, selon l’auteur, l’origine du blacking – du nom de ces individus qui pénétraient dans les domaines, en armes et le visage noirci, pour abattre les cerfs ou les arbres, bracon- ner le poisson et le gibier, ou encore rançonner les propriétaires.

« Ce qui était en jeu », écrit Thompson, « ce n’était pas la terre disponible mais qui l’utilisait : c’était donc une question de pouvoir et de droit de propriété » (p. 55). De fait, cette « guerre des forêts » illustre les tensions suscitées par la privatisation des ressources collectives, mais aussi l’attachement de la population à ce que l’auteur appelle, ailleurs,

« la vieille économie morale et paternaliste », c’est-à-dire un ensemble de normes sociales apparaissant au plus grand nombre comme autant de droits, hérités et à transmettre2. Et dans ce cadre, explique Thompson, la répression organisée par le Black Act est moins dictée par l’urgence de la situation ou l’ampleur réelle des désordres que par l’avènement

2 Thompson E. P., 1971, “The Moral Economy of the English Crowd in the Eighteenth Century”, Past and Present, n° 50, p. 76-136.

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d’une « subculture » politique, incarnée par Walpole et le parti whig, qui hisse la propriété privée au rang de valeur suprême. En ce sens, ce qui se joue dans les forêts du Berkshire et de l’Hampshire dès les années 1720, ce n’est pas seulement une « guerre des classes » : c’est aussi un épisode crucial et fondateur de ce long processus historique qui, peu à peu, tend à substituer aux coutumes, aux droits des pauvres et aux traditions précapitalistes un nouvel ordre normatif.

Cette interprétation historique de l’épisode du Black Act fournit alors à l’auteur l’occa- sion d’une discussion, à la fois contre-intuitive, polémique et militante, sur la place et le rôle du droit. Car ce que suggèrent le blacking et la partialité des tribunaux forestiers, ce n’est pas que le droit est forcément l’instrument de la classe dirigeante, mais, au contraire, qu’il ne saurait n’être que cela sans susciter rejet et violence. Autrement dit, Thompson dénonce ici le « réductionnisme » d’un certain « marxisme structuraliste » en soutenant que le droit n’est pas seulement cet appareil – répressif et idéologique – d’État défini par Althusser, encore moins une simple rhétorique mystificatrice. Selon lui, « la condition première de l’efficacité du droit, dans sa fonction idéologique, est d’afficher son indé- pendance à l’égard de toute manipulation grossière, et donc de paraître juste » (p. 110).

Le droit, par conséquent, est moins un instrument du pouvoir qu’un « forum » où peut s’exprimer le conflit de classe, une arène où, jadis, les dominés eux-mêmes ont parfois fait triompher des critères d’équité, et une arène qu’on ne saurait dès lors déserter, aujourd’hui encore, « sans rejeter tout un héritage de lutte autour du droit et dans les formes du droit » (p. 117).

L’intérêt du livre de Thompson dépasse toutefois la question du droit et des garanties qu’il offre effectivement – même si, comme le signale Philippe Minard, cet aspect de l’ouvrage est à l’origine de bien des commentaires. Car cette « guerre des forêts », de même que l’affairisme et la brutalité de la classe possédante anglaise du XVIIIe siècle éclairent en réalité les ressorts profonds de la dynamique du capitalisme, ce que Daniel Bensaïd appelle la « dépossession ».

De fait, après Marx, qui ferrailla à propos de la loi sur le vol de bois en Rhénanie avant de dénoncer la politique anglaise des enclosures, après Polanyi, qui relia l’essor du marché autorégulateur à l’échec de l’expérience de Speenhamland (1795-1834), Thompson analyse ici la montée en puissance de l’individualisme possessif, et son corollaire : l’évidement des droits coutumiers et des formes de propriété collective. En cela, il nous permet aussi de penser des réalités qui nous sont contemporaines, et notamment la « marchandisation du monde », cette appropriation privée du bien commun qui, désormais, ponctionne les corps et la vie de leurs mystères les plus intimes. Reste alors à savoir si les voies de droit offertes aujourd’hui aux citoyens suffiront à outiller efficacement les formes de résistances sociales que Thompson appelle de ses vœux.

Jacques Rodriguez Lille 3 / CERIES

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Jacques Noyer, Bruno Raoul et Isabelle Paillard (dir.), 2013, Médias et Territoires.

L’espace public entre communication et imaginaire territorial, Villeneuve d’Ascq, Éditions des presses du Septentrion, 283 pages.

Les trois coordonnateurs de cet ouvrage, enseignants-chercheurs en sciences de l’infor- mation et de la communication, travaillent depuis plusieurs années sur la question de savoir comment on fait, aujourd’hui, du territoire un signe. À ce titre, l’ouvrage Médias et Territoires fait suite à la codirection du dossier « Images de territoires et ‘‘travail territo- rial’’ des médias » paru dans Études de Communication en 2011. Les onze contributions ici réunies constituent une compilation d’enquêtes, dont la tonalité dominante s’inscrit dans analyse sociosémiotique des communications territoriales. L’hypothèse générale de ce livre pourrait être formulée ainsi : les médias contribuent, en façonnant par leurs dis- cours des représentations spatiales, à produire des « imaginaires territoriaux », qui consti- tuent autant de liens pragmatiques, affectifs, historiques et fantasmés aux endroits dont ils parlent.

En quoi consiste l’analyse d’un « imaginaire territorial » ? Il s’agit de « montrer com- ment, dans la production des médias dits traditionnels mais aussi de ceux considérés comme « nouveaux » (sites, blogs…), apparaît l’objet territorial concerné et comment il se constitue, sur le plan des représentations, une entité par laquelle un périmètre spatial est investi d’un sens fédérateur pour ceux qui y vivent, mais aussi d’images symboliques pour ceux qui y sont extérieurs » (p. 12). Pour ce faire, les différents contributeurs exploitent une large part du spectre des terrains et des méthodes disponibles pour l’exercice : analyse – souvent qualitative, parfois statistique – de photographies de décorations urbaines, de journaux locaux ou de billets de blog de quartier, de bandeaux de sites Web institution- nels, de magazines locaux d’information en ligne, d’émissions télévisées de chaînes hert- ziennes. Ce livre propose également de suivre la production et la réception des palmarès des collectivités territoriales, d’analyser des entretiens avec des communicants spécialisés dans le marketing de territoire, et de mener l’observation comparée de la mutation d’une métropole et de sa lettre d’information. Les dix études de cas sont doublement centrées sur les régions Nord-Pas de Calais et Rhône-Alpes. Dans ce volume, essentiellement fran- çais et centré sur des objets contemporains, l’analyse d’un site Web new-yorkais par Jean- Michel Rampon fait exception. À ces dix études s’ajoutent une introduction, une postface et un article plus théorique, coécrit par Isabelle Paillard et Simon Gandras ; trois textes qui permettent une internationalisation, ainsi qu’une généralisation du propos.

Comme souvent dans les ouvrages constitués d’agrégation d’études de cas, l’agencement des chapitres ajoute un supplément de sens décisif à l’ensemble. Les trois parties de ce livre peuvent se lire comme l’articulation d’un discours sur le rapport contemporain que les territoires français entretiennent avec la symbolisation dont ils font l’objet dans les médias.

La première montre comment, d’Angoulême à Roubaix, l’image publique qui fait écran entre les habitants et leur environnement est le fruit d’une coproduction des journalistes, des communicants et des élus. Ce consensus sémantique des notables locaux autour de signifiants-maîtres qui circulent et font frontière avait notamment été bien documenté par les travaux de Jacques Le Bohec sur la presse locale au début des années 1990. Ici, les auteurs se concentrent plutôt sur les effets postulés de la réception, et décrivent la manière dont les signes qu’ils analysent peuvent avoir une puissance quasi- « instituante », du point

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de vue de la perception des territoires. Leurs contributions pointent ainsi la faible prise des habitants sur la manière dont leur territoire est parlé ; tantôt lorsque la ville qu’ils habitent est chapeautée sous un concept unique (l’article de benoît Berthou, « images de territoires et territoires en images, ‘‘Angoulème, capitale de la BD’’ »), tantôt lorsque les journaux de quartier incitent leurs habitants à se replier sur des débats micro-locaux (l’article de Bruno Raoul sur « l’espace public (local) aux prises avec la ‘‘puissance instituante’’ de la territo- rialité », qui comprend une explicitation soutenue du débat proposé par Michel Lussault autour de la notion d’« espace public »).

Préoccupés par le peu de prise des habitants sur le discours territorial légitime, les auteurs ne supposent pas pour autant une toute-puissance du récit officiel. Les territoires muent administrativement, se concurrencent par les palmarès et évoluent sous l’influence des discours de ceux qui n’y habitent pas. Les territoires vivent dans des conflits de dis- cours dont les effets déplacent le langage qui les recouvre, laissant parfois apparaître la béance entre le lieu et son récit. C’est le sujet de la seconde partie du livre, où l’on assiste notamment – sous la plume de Dominique Pagès – aux efforts méritoires des rédacteurs des Cahiers de la Métropole, chargés sous « les injonctions de la métropole créative mon- diale » (p. 156) de donner un nom et un visage aux habitants du Grand Paris : comment lier ensemble les dix millions d’habitants d’une région à la décision présidentielle de créer un nouveau territoire ? Plus loin, on suit avec Hélène Cardy les réflexions des communi- cants des collectivités, confrontés à la mise en concurrence de leur territoire au sein de palmarès « prescripteurs, instaurant des normes déterminées par un certain nombre d’in- dicateurs auxquels les collectivités doivent répondre » (p. 120) – l’insertion programmée d’une collectivité dans un classement ayant des effets certains sur la manière de la décrire.

Puis on mesure, à la lecture de la contribution de Jacques Noyer, la violence symbolique exercée sur la représentation que les Roubaisiens ont de leur ville à travers le regard des journalistes de la télévision nationale : « dans les rares reportages ayant trait aux enjeux politiques – nationaux et locaux – la ville a souvent tendance à apparaître au travers des

‘‘problèmes’’ qu’elle incarne » (p. 182). Enfin, l’étude de cas de Christelle Fourier sur le travail des communiquants des collectivités territoriales, pris « entre des injonctions de performance et un certain idéal communicationnel » (p. 109), montre que l’imprécision fondamentale de la définition de leur travail conduit souvent ceux-ci à communiquer au petit bonheur. Et de considérer par exemple que « l’objectif de communication associé par exemple à une réunion de quartier est atteint… lorsque la salle est pleine » (p. 108).

Les deux premières parties du livre ont décrit l’ambiguïté dialectique du rapport du ter- ritoire à son langage, entre emprise et disjonctions. Par conséquent, la dernière partie pro- pose des coups de sonde visant à observer dans quelle mesure les médias contemporains parviennent à formuler un imaginaire territorial plus proche de ses habitants, ainsi que de la complexité du réel. Les innovations permises par l’Internet polarisent ces contributions, avec cette question sous-jacente : dans quelle mesure les médias utilisant aujourd’hui cette technologie de publication la mettent-ils au service d’une approche plus fine, plus partici- pative des territoires qu’ils décrivent ? On découvre ainsi avec intérêt la notion de « média d’influence », réputé complet et crédible, incarné dans l’étude de Franck Bousquet et Nikos Smyrnaios par le journal en ligne ariégeois Ariège News. Ce média impose sur la Toile un discours nouveau sur le territoire qu’il couvre, en profitant des faiblesses du site Web de son principal concurrent, un quotidien régional centenaire fragilisé par des difficultés de

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positionnement entre public et privé, entre national et local. Autre innovation, la Gotham Gazette new-yorkaise – une aventure éditoriale désormais close, mais que l’on découvre sous la plume de Jean-Michel Rampon, capable de se penser comme ville-transit, réser- vant aux journaux de migrants une partie de son espace éditorial. Comme une sorte de contre-exemple, on mesure l’intérêt, avec Anne Piponnier et Pierre Champollion, de feuil- leter l’imagier des espaces numériques publics. Les bandeaux des sites Internet de l’admi- nistration caractérisant les territoires dans leur dimension institutionnelle, symbolique et sociale – en l’occurrence, les rectorats et inspections académiques de la zone administra- tive de montagne – euphémisent clairement la complexité territoriale de leur objet. Les représentants de l’État Français se représenteraient-ils l’action publique comme déclinée

« majoritairement à partir du sommet » (p. 253) ? En tout cas, telle n’est pas la démarche du Blog2Roubaix, blog d’un comité de quartier roubaisien étudié par Gersendre Blanchard.

L’auteure s’intéresse à la manière dont le blog, de production locale et pouvant être lu par- tout, se « montre largement ouvert sur d’autres territoires que celui du quartier » (p. 273).

Le medium employé, ainsi que la dimension non-institutionnelle du média, permettent à ses contributeurs de s’affranchir de la définition administrative du lieu.

L’ouvrage Médias et Territoires est bienvenu à plus d’un titre. Les contributions brassent un riche matériau empirique, abordé avec une diversité de sensibilités, offrant à la lecture une stimulante mosaïque d’études de cas. Le risque inhérent à ce type d’ouvrages, celui de la dispersion, est heureusement tempéré par les trois cadrages théoriques des coordina- teurs, ainsi que par la direction claire proposée par le plan général. L’ambition même du livre entre en résonance avec une actualité sensible : dans un contexte où la visibilité des territoires apparaît de plus en plus comme l’horizon indépassable de leur existence, sa lec- ture offre un recul utile sur la manière dont sont élaborés, et peuvent être reçus, les « ter- ritoires signes » produits à grand renfort de moyens de communication. L’investissement de la plupart des contributeurs de l’ouvrage dans des formations universitaires en com- munication territoriale est sans doute une des raisons de ce succès : les auteurs sont en prise avec les professionnels qu’ils forment, avec qui ils collaborent au quotidien et dont ils véhiculent dans leurs contributions les doutes et les aspirations. Les esprits chagrins regretteront peut-être le tropisme franco-français de l’ouvrage, ainsi que l’absence d’une enquête plus quantitative et surplombante, propre à dresser un panorama général de la communication territoriale aujourd’hui. Il n’en reste pas moins que cet ensemble, dans sa qualité comme dans sa variété, offre un solide ancrage pour penser « l’imaginaire territo- rial » aujourd’hui.

Gaël Villeneuve Laboratoire Communication et Politique, Paris

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